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mardi, 21 juin 2011

Fête de la musique

Dans sa naïveté, il espérait qu’ils en auraient tous marre un jour. Qu’ils comprendraient que cette fête qu’ils honoraient depuis trente ans n’était qu’une fête nationale aussi conne qu’une autre, que celles qu’ils critiquaient par ailleurs, une fête qui n’avait plus rien ni de festif ni de subversif, destinée à soutenir l’ordre en place. Comme les autres. Comme toujours. 

Dans sa naïveté, il se disait qu’ils finiraient par ne plus vouloir ressembler à leurs mères et leurs pères qui déambuleraient cette nuit-là encore comme chaque année en troupeaux dans les rues, au milieu du vacarme des villes. Qu’ils se diraient enfin que, la musique, oui, mais pourquoi tous ensemble, pourquoi cette nuit-là, pourquoi en troupeaux, entre des barrières de CRS ?

Quel nom déjà, ce ministre qui avait si bien su brouiller tous les repères culturels des gens, et continuaitn déplumé, à faire le bellâtre à la télé ? Faites de la musique ! Tout ça pour un bon mot à la con... Ils en étaient là...

Dans sa naïveté, il se répétait qu’une fête ne pouvait ainsi se perpétuer sur commande, qu’il y aurait bien forcément un jour ou l’autre un mouvement d’Indignés contre çà aussi, tout ce bordel municipalement organisé à dates fixes par toutes les mairies de l’Hexagone, dans les provinces de l’Empire...

Qu’il suffisait peut-être de laisser passer encore un peu de temps…

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09:58 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : fête de la musique, politique, france, empire | | |

vendredi, 17 juin 2011

Gallimard & les gallimerdeux

Gallimard, rue Sébastien-Bottin ;  je ne sais pas vous, mais je trouve quand même que ça sonne mieux que le tautologique Gallimard, rue Gallimard. Et Solko, rue Solko, vous imaginez ?

La modification de deux numéros de la rue Sébastien Bottin (les 5 et 7) en rue Gaston Gallimard, qui agite le landernau éditorial me parait malgré tout d’un intérêt digne d’une sous-préfecture. Des éditeurs numériques indignés (Numerikkivres, Actualitte.com, Publie.net) en ont pourtant profité pour se faire un coup de com’ et ont lancé avec emphase un « appel du 15 juin »,  croyant sans doute tenir là un débat ou/et un combat de haute résistance, susceptible d’intéresser le chaland franchouilleux. 

Non à la Gallimardisation du quartier crient certains. Au 9 de la rue Sébastien Bottin, que précèdent les 5 et 7 de la rue Gaston Gallimard, il paraît que les riverains ne savent plus trop quelle est leur adresse. Cela me rappelle la polémique humoristique de Béraud avec ceux qu’il nomma les Gallimardeux – Gide, Claudel, Suarès, Romain Rolland, à l’époque…

On nage en pleine controverse de type Troisième République.

Pauvre France ! Le 15 au soir, Jonathan Littell, Jean-Marie Rouart, Chantal Thomas, Philippe Djian, Alain Mabanckou, Philippe Sollers, Jean d’Ormesson, Philippe Labro, et toute l’écurie était donc là, d’après notre envoyé spécial, pour trinquer à la garden party en l’honneur de Gaston, après le discours du maire de Paris qui change les noms des rues un peu comme on change de chemises… 

Pendant ce temps, la Grèce coule et le Japon devient, c'est le mot, de plus en plus inhabitable…  


 centrale de Fukushima, nuit du 10 au 11 juin 2011

 

jeudi, 16 juin 2011

Recueillement 2

« Sois sage, ô ma Douleur… » Parole de poète qui me remonte en mémoire devant la beauté discrètement figée d'un lac artificiel, au parc de la Tête d’Or, à Lyon. Les travaux commencèrent en 1857, l’année que Baudelaire édita les Fleurs du Mal. Ce n’est pas la seule analogie, d’ailleurs, que je trouve entre ce recueil si célèbre et ce parc si fameux, sans doute pour m’être jadis récité dans ces allées les vers que j’étudiais dans le lycée non loin de là, vers naturels et apprêtés comme ces bosquets et ces jardins botaniques. L’oxygène est frais, tout autour de ce banc. Oies, canards, cygnes font querelle à la surface de l’eau. La ville en son affairisme quelconque s’est éclipsée.

 « Sois sage… », donc.  Parole d’un être capable d’identifier son mal, de quelque bord qu’il soit, au point de le nommer. Non seulement de le nommer, mais de le déterminer, même : ma, d’un lien réservé d’ordinaire à l’intime : ma chère ou ma chérie, ici soudain chargé de n’inscrire qu’un  rapport étroit, précis à la douleur, une sorte de quotidienneté. Et puis cet impératif, ordre ou prière, on ne sait, recommandation, espérance… « Que Votre Nom soit sanctifié », murmure-t-on à Dieu, au subjonctif.  Ici, à la douleur, sois sage. Etrange vœu.

Bien sûr, au centre de l’hémistiche, trône ce ô lyrique, et, ma foi, très Second Empire, telle la rocaille, non loin, où s’écume le clapotis. Est-il véritablement signifiant ? « Ô, ma Douleur ! » A ce point, à cette césure qu’il fait sonner à la manière d’un clairon, ce ô n’est-il là que pour fermer le e de l’adjectif, en réduire un peu la  sagesse ?

« Sois sage, ô ma Douleur… »

Pour de bon, s’agit-il vraiment d’être sage ? Ou bien plutôt tranquille, c’est-à-dire docile, doux tel un enfant qu’on vient de gronder. « Tiens-toi  plus tranquille », combien de fois ne l’ai-je pas entendu, gamin, ou bien aussi : « Sois gentil ». Est-ce que cela peut exister, une gentille douleur ?

 

Une douce douleur, plutôt, nous y voilà. 

Qu’est-ce donc qu’une douce douleur, sinon une douleur qui s’est tue - une douleur matée par la grâce de l’injonction, vaincue par la force du subjonctif -, une absence de douleur, telle, dira Mallarmé (cet autre massif produit par le Second Empire), « l’absente de tout bouquet », la douleur que le vers brutalement a tirée du Néant.

Qui réclamait le soir ? Qu’est-ce que le Soir, sinon l’apaisement, l’anéantissement, le néant ? Ce soir, il descend, le voici, et il n’est que douceur, atmosphère obscure et enveloppante.  La ville se rend. Se peut-il que cette fin heureuse fût réclamée par la douleur ? Non, par le poète, assurément. C’est à lui qu’il vient d’adresser ce tu presque léger : « Tu réclamais le soir ? ».

Et moi, sur ce banc, c’est pareil. Une atmosphère obscure parait monter des eaux. En plein midi, je ressens dans la remémoration de ce vers comme le soir de ma douleur, et je ne peux que me reconnaitre parmi ces quelques-uns auxquels cette chute porte non pas le souci par lequel se clôt la strophe,  mais bien plutôt la paix

Avec une douceur étudiée, comme dans un sentier plein d’arômes, nous sommes passés de la douleur au souci, quand ce n’est pas, pour les plus heureux d’entre nous, du souci à la paix. Une fleur, véritablement, que ce mal qui s'est amoindri, jusqu'à se taire.  L’horizon, là, paraît dégagé malgré la voie ferrée. L’île, on pourrait, dans un tel recueillement, l’imaginer inviolée. Il y a bien des silhouettes de promeneurs faufilées entre ce lac lumineux et ma douleur dorénavant apaisée, ceux-là ne dérangent plus rien du spectre du poète vif et murmurant :

 

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« Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci. »


mercredi, 15 juin 2011

Le souffle, quand même

Le plus frustrant serait pour parvenir à déboucher une bouteille. Il se revoyait (dans une autre existence, ça ! ), la bouteille coincée entre les cuisses, mmmhh,  tirant d’un coup sur le tire-bouchon – pas un tire-bouchon de bonne femme avec les deux leviers de chaque côté comme deux bras articulés, mais un simple tire-bouchon de bistrot, et ploc, un coup sec, le foutu liège du bouchon, eh bien dorénavant et pour quelques mois encore, que nenni, que nenni… Boire de la limonade, ou de l’eau minérale.

Grimper les escaliers à la Chaban (vous connaissez tous Chaban-Delmas, celui d’avant le stade de Bordeaux), d’un pas alerte, hein, rideau ça aussi pour quelques semaines encore, et presser tout soudain le pas quand arrive le bus ou bien s’enquiller juste avant la fermeture entre les deux caoutchoucs du métro, jusqu’à la prochaine, là encore, patience, patience.  Ah les escaliers… Sur la colline, y’en a partout. Qu’en les mettant bout à bout disait sa grand-mère autrefois, on atteindrait rien moins que le Ciel. Pour l’heure, c’est le purgatoire, sans plaisanterie. Lui ne recherche que les parcours plats.

Cela dit, son état lui procure du recul. En retrait des gens pressés, il observe le monde, ses reliefs, ses aspérités inattendus.

La guérison est dans la maladie, c'est indéniable. Le monde : trop s’y presser donne des vertiges. Plus possible même de s’exalter pour un oui, pour un non : le souffle est rare et précieux. Hausser le ton, pour un tort, une raison... Suspendu, ça aussi. Artères du cou qui gonflent. Front qui se plisse. Tout rouge et sueur perlante. Qu'il fait chaud, partout ! Ah ces conversations politiques ou philosophiques enflammées de jadis… Laisser dire, mais laisser dire …  Les mots, les choses, the end provisoirement. Calme à prier.

Il regarde donc le monde. Or, plutôt que les formes qui s’y agitent, il s’attarde sur les couleurs du fond. Tout à l’heure, la frondaison des platanes, d’un vert riche sur un bleu opulent. Il respire goulument, surtout, le peu qu’il respire, il n'en perd rien. Hume les couleurs de ce vert riche, de ce bleu opulent. Le souffle quand même.

Il y a là comme un geste monumental, au sens que chaque respiration est un monument, un fondement, la perpétuation admise de sa propre vie après et avant celle de tant d'autres. Respiration admise plutôt que mécanique. La cîme.

Là, comme en une sérénité privée, son altitude à soi, être bienheureux sans niaiserie. 

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00:26 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, souffle, poésie | | |

mardi, 14 juin 2011

La gôche Péhesse

J’entends Elisabeth Guigou déclarer ce matin sur une chaine de télé qu’elle soutiendra Martine Aubry, si cette dernière se présente, parce qu’elle :

·         A le sens de l’amitié

·         A su rassembler le PS  et, dit-elle en clignant de l’œil, ce n’était pas facile.

·         Saura rassembler la gauche

·         Saura parler aux Français

 

aubry,guigou,PS,politique

C’est tout ?  C’est tout.

Martine parlera. Elle parle déjà. Comme tous les siens, elle sait que la politique, c’est un discours : J'en veux pour preuve celui de Villepin, sur une autre chaîne, face à Bourdin : "Sarkozy ne parle pas suffisamment aux Français. On a besoin d'une parole". Mais qu'ont-ils, tous, à croire qu'on a besoin de bouffer leur verbe ? 

Martine serait donc une bonne maman républicaine. Après Tonton le lettré, Maman, la parleuse.  Le socialisme deuxième ou troisième génération, plébiscité avec humour par Chirac, serait ainsi de déclamer de bons principes à longueur de plateaux télé, de colonnes de journaux, jouer la messe laïque, blablater. Je connais des gens, encore juste assez mais pas plus que ça touchés par les effets de la crise européenne et mondiale, encore capables de ne se contenter que de symboles, à qui ça suffira. Une image de soi convenable, rassurante, professorale ; un anti-discours contraire à celui que la presse et les medias ont construit au président Sarkozy. Et hop, je pose mon cul sur le strapontin. Le tour est joué. Relire Bernays.

Et après ?

Ma dentiste me rappelait un jour que c’est elle qui, ministre du travail, avait, dans un éclair de réalisme économique, supprimé le remboursement des soins des gencives.

La gôche  Aubry, la gôche Péhesse, quoi, tout un programme

08:12 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : aubry, politique | | |

dimanche, 12 juin 2011

Telle une antithèse baroque

Frêle sont l’instant du bonheur,

Lourd, le lieu du malheur

Dans la durée comme dans l’espace

Mais constant l’un de l’autre

Arrimés, amarrés.

Traverses d’un seul corps, d’un seul âge.

Toi funambule

Du plein au vide,

Du vide au plein,

De l’un, malheur, de l’autre, bonheur.

 

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22:41 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : antithèse, poésie, littérature, listeners | | |

Les années Chirac

Les années Chirac tentent de reprendre vie dans les bacs des librairies. C’est ce qu’on appelle des mémoires. Quelques-uns sont illustres : Saint-Simon, Chateaubriand, De Gaulle… Le premier a su dépeindre à merveille les intrigues de la Cour et les mesquineries des grands règnes ; le deuxième a su comme nul autre imposer entre deux époques la trace frêle et sublime de son passage ; dans les troubles de son temps, le troisième a su ériger la grandeur de sa statue.

Qu’a su Chirac ? Cet homme médiocre qui a beaucoup trahi (Giscard, Barre, Séguin, l’héritage gaulliste) et qu’on aura en retour beaucoup trahi (Balladur, Pasqua, Sarkozy), aurait pu, dans le motif du retournement de veste et du coup de poignard dans le dos, puiser le ciment et l’épice (c’est-à-dire le contenu et le style) qui font cruellement défaut à son pensum éditorial. Il aurait pu laisser trace vivante des nombreuses ambigüités de son temps, fait de reniements tacticiens, de compromis politiciens et de décomposition des convictions, lui que trois cohabitations et une réélection digne de Pantalon ont placé au centre d'un jeu de chaises aussi pitoyable que carnavalesque. Mais pour ça, il eût fallu qu’il fût un tant soit peu écrivain, un tant soit peu historien. Or cet homme à peine journaliste a le style terne et le contenu insipide. Cela surprendra-t-il grand monde ? Ce qui fait que son bouquin se parcourt tel une gare routière presque déserte au matin, une autoroute privatisée, dans le creux d'un mardi, sous un ciel mi-gris.

Le style, tout d’abord : celui d’un inventaire, ou d’un catalogue. « J’ai vu que, j’ai décidé que, j’ai pensé que… »  Pas la moindre  mise en scène de soi (ce qui fait l’intérêt du genre), pas d’ironie ni de lyrisme, pas d’exploration de l’être intime ni le moindre point de vue sur l'Histoire, mais une exposition fade et presque fossile de l’ego, orchestré par une abondance d'un je gestionnaire de faits plus que d’actions.

Le seul souci « historique » que Chirac parait  avoir dans l’exercice convenu qui consiste à écrire ses mémoires est la volonté d’éliminer les rivaux qui pourraient lui jeter de l’ombre dans son propre camp. Aux Giscard « aigri et prétentieux », Balladur « calculateur froid » du tome 1 répond à présent le Sarkozy « nerveux, impétueux » du tome 2. Glissé entre un Mitterrand qu’il oint d’un sentencieux et suspect respect (celui qu'on doit aux vieillards ?), un Le Pen devant qui il cherche à faire figure d’honorable et ferme gentil, et le cadet Sarkozy dont il savonne la planche sans même la moindre espièglerie, ce piètre président tente de se forger une place. Il laisse entendre qu’au fond, le plus honnête et le moins pourri dans son camp, le plus « normal » (pour paraphraser celui en qui il parait avoir trouvé son clone corrézien) et le seul valable  (hormis Juppé, persiste-t-il), serait lui. Sa pomme. Ce personnage qu’il donne à lire se présente au final pour ce qu’il fut : un président par défaut. Cela explique-t-il sa médiatique et républicaine boutade de faux soutien au candidat par défaut que tente d'être à présent François Hollande ? Du marketing ! On attendait autre chose, en tous cas, de celui qui fut, dans l'ombre des partis, le plus redoutable casseur de droite de son temps.

Pour ce qui est du contenu, ni secret ni révélation. Pas une ligne sur l’actualité judiciaire, bien évidemment. Les trois événements majeurs qu’auront été la dissolution, la non-participation à la guerre d’Irak et le fameux autant que fumeux 21 avril, sont traités sur le mode mineur du témoin privilégié qui, dans sa déposition, répète ce que la presse avait déjà dit. Conséquence d’un tel vide : les commentateurs, on les comprend, ne retiennent finalement que les remarques acerbes contre son successeur : mais surfer sur un « anti-sarkozisme » vaguement revanchard,  comme n’importe quel chroniqueur, c’est n’exister que dans l’air du temps volage, le persiflage politicien, exister -une fois de plus- a contrario. Piètre projet, piètre ambition. Voilà pourquoi, après une bonne heure et quelques minutes passées à traverser cet ouvrage de circonstance sur un fauteuil rosâtre de Virgin Megastore, je l’ai finalement reposé sur la pile. Au pouvoir, son auteur fut-il jamais autre chose que ça : le mari de Bernadette dont un musée, en Corrèze, conservera seul la trace ?

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19:26 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : chirac, politique, édition | | |

samedi, 11 juin 2011

Le clip de la honte

Les Hospices civils de Lyon, qui ont récemment 1) supprimé les primes de nuit des infirmiers/infirmières  2)  décidé de transformer (avec l'appui de leur président Gérard Collomb, maire de Lyon), le fleuron patrimonial de la ville en hôtel de luxe (voir ICI),  viennent de claquer 13 000 euros dans la réalisation de ce clip ridicule. Il s'agit d'embaucher une cinquantaine d'infirmiers. 119 volontaires ont participé à la réalisation. La DRH de l'hôpital affirme s'être inspiré du buzz provoqué par l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal en 2008. Les 13.000 euros proviennent du plan de formation des contrats locaux de d'amélioration des conditions de travail des HCL. On croit rêver. Me demande combien le chanteur Grégoire touche de droits dans cette honteuse falsification...



10:48 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : edouard herriot, gérard collomb, hcl, politique, lyon, hopital, médecine | | |

jeudi, 09 juin 2011

Le neveu de personne

 

-Que faisiez-vous, il y a plus de vingt ans ?

 

- Moi ? J’écrivais un roman.

-Vous n’aviez pas encore compris que c’était vain ?

-Il m’a fallu l’écrire pour cela.

-Que racontait votre roman ?

-Une vie. Pas la mienne, je vous rassure.

-Laquelle ?

-Celle d’un homme que j’avais rencontré dans la morgue d’un hôpital où je travaillais pour gagner ma croûte. Celle d’un gardien d’amphithéâtre.

-Et que se passait-il  dans ce roman?

-Honnêtement, pas grand-chose.  Cet homme veillait.

-Mais encore ?

-A un moment il tombait amoureux.

-Et alors ?

-Il résistait.

-Pourquoi ?

-Parce qu’il savait comment tout finit entre deux serpillères.

-Et vous avez trouvé un éditeur ?

-A l’époque, oui.

-Lequel ?

-A quoi bon le nom précis. Non loin de Saint-Sulpice,  et de cette magnifique chapelle dont le plafond fut peint par Delacroix.  Dans une petite rue en pente.

-Et alors ?

-Dans cette honorable et vieille maison, on m’a proposé d’éditer mon roman, à condition que j’y retouchasse deux trois bricoles.

-Vous avez accepté ?

-Non.

-Vous avaient-ils demandé l'impossible ?

-J’avais conçu l’amphithéâtre comme une véritable métaphore de la conscience. Une architecture inhérente au texte. Aux personnages eux-mêmes.  Une véritable métaphore de la conscience du pays qui était en train de disparaître dans les années 80, voyez. Disparaître ! La France des rivières non polluées, où se péchaient des vairons. Cette France dont mon gardien veillait, sans autre raison que la précarité matérielle qui déjà gouvernait son existence, les morts. Ils ont trouvé qu’il y avait trop de métaphores pour un public déjà bien peu « littéraire ». C’est eux qui affirmaient cela, je précise.

-Je vois à votre mine qu’ils ont renâclé pour autre chose.

-Ils m’ont dit : « gardez le principe de votre conscience, mais rendez tout cela plus croustillant. Si votre gardien pouvait coucher un peu, de ci de là, avec ses morts… »

-Vous avez tiqué ?

-Ce n’est pas le mot. J’aurais pu accepter, rentrer dans le circuit, le marché comme on dit. C’était avant Darrieussecq, Beigbeder, Catherine Millet et le reste des guignols…  C’était ça, donc, ou bien…  Je n’ai pas voulu me vendre. J’ai repris mon manuscrit.

-Quelle vanité !

-J’ai  passé les concours d’enseignement. J’ai gardé ma liberté de parole.

-Votre liberté ? Mais si personne ne vous lit ?

-Je n’ai pas besoin qu’on me lise pour pouvoir manger. Ni pour payer mes crédits.

-Et vous ne regrettez pas cette décision ?

-Dans un monde où tout est à crédit, non !

-Ils sont plus riches que vous, les guignols…

-Ils ne viennent pas, non plus, d’où je viens.

-Franchement ?

-A la surface des choses, parfois, évidemment, j’ai de profonds regrets. Ah, tâte-toi le cœur, tâte-toi le cœur, me dis-je !  Car l’enseignement de la littérature, enfin de ce qu’est devenue cette malheureuse littérature française -et je rajoute bien : française - dans ce que sont devenus l’école, les lycées… L’enseignement de la littérature est un métier…   A la surface des choses, donc,  m’arrivent parfois de profonds et mélancoliques regrets. Mais en mon for intérieur, jamais ! Je n’ai jamais regretté.

-Et aujourd’hui, si on vous proposait à nouveau…

-Quoi ?

-Si on vous proposait…

-Je me sens plus lourd, beaucoup plus opaque qu’à l’époque, blindé. Et aussi beaucoup plus léger. Incroyablement plus décrotté. Si un éditeur me proposait…

- Eh bien ?

- Connaissez-vous la fin du Neveu de Rameau ? C’est un livre extraordinaire, savez-vous ? Un des dix ou quinze bouquins qui s’emporteraient sans réfléchir à deux fois sur l’ile déserte s’il fallait demain déguerpir…. Tout le monde y danse un peu le pas de cette pantomime, savez-vous ? La superbe pantomime des Gueux.

-Continuez !

-On m’a marché sur la queue, et je me relèverai, dit le Neveu au Philosophe incrédule.

-Et alors ?

-Peut-être est-ce ce que je dirai à l’Editeur. Vous m’avez marché sur la queue, et je me suis relevé. Après tout, qu’est-ce qu’un éditeur, quand on a son salaire qui tombe chaque mois ? De quoi avons-nous besoin de lui ?  Je lui dirai : marchand…

-Il vous rira au nez

- Je lui dirai : marchand, appartenez-vous toujours à la Compagnie Générale des Eaux, ou quelqu’un d’autre vous-a-t-il encore racheté les bottes, l'assiette et le chapeau ?

-Vous le ferez vous rire au nez, c’est assuré !

- Je lui dirai : allons, allons, je veux voir aussi le pas de votre danse…

- Il vous répondra d’aller vous faire f… dans vos classes bondées !

- Mais je fais cela très bien sans lui, et depuis fort longtemps. Connaissez-vous la dernière phrase du Neveu de Rameau ?  J’irai me faire foutre, lui dirai-je, à condition qu’il me la lise.

- Il vous dira vanité !

- Je répondrai ignorance. Allons, allons, petit bonhomme, qu’il me la lise et sur-le-champ!  Elle sonne si juste à mon oreille que quand il m’arrive parfois de relire les feuillets de l’Amphithéâtre, je me réjouis tout seul à me la répéter.

-N’est-ce pas vous qui prétendiez qu’écrire un roman vous semblait désormais vain ?

-Que dire alors de l'éditer ?

-Et que dire d’enseigner ?

-Vous touchez-là un sujet délicat. Nous en avons déjà parlé hier, le motif est sans fin. Mais je ne suis, moi, le Neveu de personne. Passez, monsieur mon contradicteur, la nuit qui vous convient. Et n’oubliez pas de lire, à la toute fin…

 

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 Le Neveu de personne a été écrit en 2009 (déjà). Je le republie aujourd’hui, en vous invitant également à lire ICI le billet qu’un écrivain consacre, sur son blog, à ses rapports avec divers éditeurs …