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vendredi, 19 novembre 2010

L'indifférence culturelle

Le peu d’intérêt que manifeste dans les commentaires des « observateurs » le maintien de Frédéric Mitterrand à son poste de « ministre de la culture » à l’occasion du récent « remaniement » présidentiel me semble parfaitement révélateur du peu d’intérêt que le président, « l’élite » dans son ensemble et le pays tout entier accordent à la culture en général. 

Nous sont présentés comme « culturels » dorénavant, tous les produits, événements, personnalités, relevant de ce que dans un essai récent, Frédéric Martel appelle le Mainstream : cette culture qui, comme il le dit très bien, a pour caractéristique essentielle « de plaire à tout le monde », c’est à dire de ne laisser aucune trace dans l’esprit de personne, et que, dans l’entourage d’Obama on appelle le « soft power », par opposition au « hard power » (c'est-à-dire à la force militaire).

D’une certaine manière, Frédéric Mitterrand plait à tout le monde. Comme Michel Drucker qui aurait pu lui succéder, s’il n’était occupé à promouvoir le second tome de ses jérémiades un peu partout en France. Ou Lambert Wilson qui, pour avoir joué successivement le père Christian de Chergé dans Des dieux et des hommes, puis  François de Chabannes dans la Princesse de Montpensier de Tavernier (on ne dit plus Mme de La Fayette, c’est suranné), sera l’ambassadeur le plus en vue pour défendre la (in)différence culturelle française au coeur même du Mainstream,  à la prochaine cérémonie des Oscars...

 

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Flammarion : L' inversion significative

jeudi, 18 novembre 2010

Dieu, c'est le luxe.

Ça sera la grosse bourde du second mandat de Gérard Collomb, sa honte, son reniement… 
Car contrairement aux engagements de campagne, l’Hôtel-Dieu est bradé à une chaîne d’hôtel international l’Intercontinental,  avec la bénédiction gourmande et ridicule du maire de Lyon.

Avec l’intelligence d’un sénateur, l’imagination d’un élu de province et l’argument des gens de droite, qui vous diront toujours qu’il n’y a pas de sous, le maire le plus bling-bling que Lyon ait jamais eu considère donc qu’après tout, un dôme de Soufflot ne mérite guère plus que le hall d’accueil d’un hôtel de luxe et n’est tout juste bond qu’à abriter une clientèle fortunée.  

Entourés d’élus qui n’eurent d’autres paroles de protestation qu’au pire il faut, n’est-ce pas, un grand courage pour s’adapter aux dures lois de son temps, et au mieux qu’un silence gêné, gens sans imagination, sans culture, sans esprit, cette ville aura donc vendu jusqu’à son âme.

Elle ne cessera jamais de me percer le cœur, désormais, la silhouette de ce navire abandonné en plein centre du commerce, ayant sous les coups d’êtres veules et cyniques, rebattu les portes en bois de sa maison sur des siècles de soins, de naissances, de morts.  Dernière question aux flingueurs de mémoire sacrilèges : que deviendra (entre autres) la pierre tombale d’Elisabeth Dauby, incrustée dans le mur non loin de la porte E ?  Un présentoir à tarifs ?  Nous savons désormais ce qui compte pour ces gens : pour eux, Dieu, c'est le luxe.

 

Ci-dessous, quelques paragraphes d’un texte que j’aime beaucoup, qui restitue quelque peu l’ambiance d’une époque où le centre de Lyon n’était pas encore un centre commercial sans intérêt ni originalité, dont la visite n’apporte rien au cœur ni à l’esprit. Rue Bellecordière,  il  avait un journal, des bistrots de noctambules, des religieuses à cornettes, des prostituées, des journalistes, des truands, un hôpital millénaire, les messageries de presse.  Une ville. Aujourd’hui, Fnac, Gaumont et bientôt Intercontinental. La vraie chienlit qui plait aux étroites cervelles de  province….

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04:46 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : gérard collomb, politique, hôtel-dieu, lyon, culture, urbanisme, société | | |

mercredi, 17 novembre 2010

Le président et la poésie

Au lendemain d’un entretien télévisé de l’actuel président avec trois journalistes (que je n’ai pas regardé), cette réponse de De Gaulle à un journaliste lors d’une conférence du 23 avril 1960 m’a paru fort édifiante :

Q. La curiosité de la presse est sans limite : Quel est votre poète français favori ?
R. Mon poète français favori, c’est celui que je lis et au moment où je le lis. Il y en a beaucoup que j’aime et que j’admire. Je vous demande la permission de ne désobliger aucun d’entre eux, fussent-ils morts depuis longtemps, en faisant des différences.
(23 avril 1960)
De Gaulle, Mémoires d'Espoir, Plon

En ces temps aussi étranges que lointains, surannés, vraiment, celui qui allait devenir deux ans plus tard le premier ministre du Général, puis son successeur à l'Elysée, composait de son côté une anthologie de la Poésie française, laquelle  a fait date. Georges Pompidou la dédia sobrement à Claude.  Dans les quelques pages de la préface, on trouve ceci :

«Qu'est-ce donc que la poésie ? Bien savant qui le dira. Qu'est-ce que l'âme ? On peut constater chez un homme toutes les manifestations de la vie, les analyser, les décrire; on peut - nous l'avons tous fait au collège - analyser un poème, étudier composition, rythme, rime, harmonie. Tout cela est à la poésie ce qu'un coeur qui bat est à l'âme. Une manifestation extérieure, non pas une explication, encore moins une définition. Si donc je voulais m'approcher d'une définition de la poésie, je la chercherais plutôt dans ses effets. Lorsqu'un poème, ou simplement un vers provoque chez le lecteur une sorte de choc, le tire hors de lui-même, le jetant dans le rêve, ou au contraire le contraint à descendre en lui plus profondément jusqu'à le confronter avec l'être et le destin, à ces signes se reconnaît la réussite poétique.»

Georges Pompidou - Anthologie de la Poésie française (préface) 1961

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13:00 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sarkozy, de gaulle, politique, poésie, pompidou, littérature | | |

mardi, 16 novembre 2010

Que faire de l'anti-sarkozisme ?

Au surlendemain de la nomination d'un gouvernement ubuesque, qui a dû en révulser plus d'un, la question est brûlante : Que faire de l'anti-sarkozisme ?

 

On le sent tous plus ou moins : la « gauche » vient de s’offrir un de ces moments mémorables dont elle a le secret en rassemblant les plus improbables synergies autour de l’anti-sarkozisme mani-festif 

En réponse, la « droite » dite dure (ça m’a toujours un peu amusé, cette appellation, la droite « dure », c’est comme la gauche « généreuse », vous savez, ça n’existe pas…), s’offre un gouvernement où pratiquer sans intrus l’entre-soi le plus restreint autour des petits-fours et des voitures de fonction. Un couple, oui même un couple y siégera  (on avait Mam…, voilà Pom…).

C'est-à-dire que les chevaux sont dans l'ordre de bataille le plus caricatural qui soit, chacun bien à sa place, avec l’inénarrable « tragédie du centre » et les fols espoirs des extrêmes (droite et gauche) de part et d’autre de la photo de famille ; ce scénario bien en place, l’élection de 2012 se prépare. Les militants de tous bords rebandent un peu en pensant aux distributions de tracts (on dit flyers, à présent) sur les marchés et les parties de collage d'affiches.   

Dans un tel contexte, que faire de Sarkozy,  « le problème de la France »  ? Même le sieur de Villepin, toujours aussi grotesque que lyrique, se le demande ! Sans doute n'est-il pas le seul parmi  les gens de la « majorité ».

Que faire face à Sarkozy, se demandent de leur côté les gens de « gauche », la mine contrite et le ton faussement accablé… dans les deux cas, le même individu, celui qu’il faut déloger, jubile,  au centre du dispositif.

J’entends aussi dire ça et là que le problème seraient les électeurs de Sarkozy. Le problème n’est-il pas plutôt le système qui, en amont, n’a laissé aux électeurs que le sinistre choix entre un Sarkozy et une Royal , deux sous-traitants, autrement dit ? Ce système qui finalement ne laisse au peuple que le choix d’entériner ses propres options…. Ou de s'abstenir.

Si le problème est bien ce système qui a mis face à face Royal et Sarkozy, et qui va placer face à face des gens du même acabit en 2012, eh bien nous sommes, en ce moment où se déterminent les figures  autour desquelles se jouera « l’élection » de 2012 , au cœur même du problème ; au cœur même du problème, un dispositif vicié, mais qui arrange bien du monde, faute de mieux : l’anti-sarkozisme comme antidote du sarkozisme

 Cette radicalisation soudaine de la gauche (mouvement sociaux) et de la droite (nomination du gouvernement), pour cela, sent l’arnaque à plein tube : nous savons bien où sont les véritables décideurs de la réforme des retraites, par exemple. A quoi sert cette soudaine fausse passion, montée en mayonnaise à partir de juillet,  sinon à rameuter les troupes vers les urnes en renflammant la vieille colère des électeurs blasés, - de quelque bord qu’ils soient  ?  

Alors que nous  savons bien, tous, que les vrais centres de pouvoir sont ailleurs et que tant que nous serons ainsi  divertis sur le plan national, nous serons d'autant plus désarmés pour les contester au niveau global qui est désormais le leur…

Dans un tel contexte, que faire de cet anti-sarkozisme qui est le drapeau le plus efficace qu’on a trouvé un peu partout pour rendre furieux les taureaux dans l’arène ? Le dédaigner du même dédain que le sarkozisme. Je me demande si la fonction des politiques français n'est pas d'attirer à eux les passions politiques afin de détourner la contestation des véritables centres décisionnels : un peu comme jadis, les premiers ministres servaient de fusibles aux présidents, les présidents ne sont-ils pas en train de servir de fusibles à ces instances de la gouvernance européenne et mondiale (bruxelles, lobbies, FMI, OCDE...) ? Président d'une nation européenne, premier ministre de l'Europe...

C'est le moment de tenter, si c’est encore temps, de réfléchir à ces deux questions  :

Une contestation coordonnée sur le plan européen est-elle possible pour sortir des contestations nationales aussi épuisantes que stériles - on vient d'en avoir une nouvelle fois la preuve - ou bien sommes-nous condamnés à ne choisir éternellement que la couleur du costume (ou de la jupe) du sous-préfet élyséen et de ses courtisans zélés ? 

Comment peut-on organiser une contestation globalisée dans un monde dont l'économie est globalisée ?

Plus que jamais, nous avons besoin de recul, de distance, de réflexion, de lectures.

Et plus que jamais, on tente de nous jeter dans ce que la passion politique produit de plus inculte, de plus hystérique et de plus bête : après la croisade du sarkozisme, la croisade de l'anti-sarkozisme...

 

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01:10 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sarkozy, politique, remaniement, ps, société, ump | | |

lundi, 15 novembre 2010

Les Jeco à Lyon

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On a rarement l'occasion de parler d'économie sur ce blog. C'est un tort. Mais le taulier reconnaît modestement qu'il n'y connait pas grand chose. C'est pourquoi il a demandé du renfort et est ravi d'héberger ce compte-rendu d'Alain Combes sur les JECO qui viennent de s'achever.

 

Certains, et pas seulement Madame Christine Lagarde, avaient inscrit sur leur agenda de la semaine 45 : «JECO» à Lyon, «G20» à Séoul. En effet, avant le  cinquième G20, s’est déroulée dans la capitale rhodanienne, la troisième édition des journées de l’économie organisées par Pascal Le Merrer, professeur à l’ENS-LSH.
Le point commun de ces deux manifestations?
Dans les deux cas on a discuté de l’avenir du monde et la comparaison s’impose d’autant plus que le thème principal de l’édition 2010 était la gouvernance, nouveau terme à la mode depuis quelques années, utilisé pour désigner la mise en place par les acteurs tant publics (gouvernements, institutions internationales) que privés (entreprises, associations, syndicats,...) de règles, institutions, incitations,... en mesure de gouverner le monde, l’Europe, l’environnement, et, sur un plan microéconomique, les entreprises.
Ce sont près de deux cents intervenants qui ont animé pendant trois jours (du 9 au 11 novembre) quarante-trois conférences réparties dans neuf lieux différents et souvent prestigieux, rassemblant plusieurs milliers de participants. Ces derniers avaient l’opportunité de se restaurer tous les jours à la CCI (haut lieu du «capital» lyonnais, place de la Bourse) ou à l’Hôtel du département (sous les ors de la république).
Le pari de ces journées tel que le formule le Directeur général des JECO - « offrir un accueil convivial dans des lieux qui (vous) permettront de découvrir la ville de Lyon au gré des itinéraires entre les salles des conférences tout en prolongeant les débats entre participants » - est une nouvelle fois gagné. Si on met de côté les étudiants, souvent en licence ou en classes préparatoires, toujours plus nombreux, le public des intervenants et des participants se compose de personnes aux mêmes caractéristiques professionnelles: professeurs, experts, banquiers, chefs d’entreprise, chercheurs, politiques, membres d’associations,... en activité ou à la retraite.
Les JECO réussissent ainsi à mélanger trois générations: des jeunes de 18 à 30 ans, souvent en formation, des actifs de 30 à 65 ans et de jeunes retraités. Tout ce beau monde parvient à échanger soit à la fin des conférences, soit autour des buffets. Le public composé de Lyonnais, mais aussi de participants venus pour la circonstance des quatre coins de la France, a ainsi l’opportunité de pénétrer des lieux qu’il n’aurait pas le loisir de connaître autrement. L’appréciation est unanime: « Lyon est une belle ville ! »
Que retenir de ces conférences? En prenant un peu de hauteur, on saisit les raisons de la modestie des intervenants. Nous vivons dans un monde bouleversé mais nous n’en sommes encore qu’aux prémices de ces transformations. La crise dans laquelle nous sommes plongés, tout le monde en convient aujourd’hui, sera une crise durable.
Vers quel avenir tendons-nous?
D’aucuns pratiquent la « politique de l’oxymore » en parlant de « développement durable », de « croissance verte », de « moraliser le capitalisme », « d’urgence du long terme », «d’apprivoiser le risque»... Mais le discours est aussi guerrier, avec «la grande bataille des matières premières, «la culture, une arme économique?». Si l’on se prépare à devoir affronter des guerres commerciales, d’autres guerres se profilent à court ou moyen terme: des guerres des monnaies, des guerres des générations, des guerres de l’eau...
Ils sont loin les discours lénifiants qui étaient encore de mise il y a peu : on sait qu’on ne sait pas. Ou plutôt, les experts, de l’écologie ou de l’économie, nous disent savoir comment régler les problèmes actuels. Ils semblent penser en même temps qu’il y a peu de chances qu’ils se règlent par la coopération et on est très loin du triomphe d’une quelconque raison mondiale. Les deux branches de l’alternative paraissent se situer soit vers plus de
démocratie (mais les procédures démocratiques sont lentes et il y a urgence), soit vers l’auto-proclamation d’un despote éclairé qui trouverait le moyen d’imposer ses
décisions en incarnant le bien commun.
Cette dernière possibilité est-elle très éloignée du rêve de notre président qui assure la présidence conjointe du G20 et du G8 depuis aujourd’hui?
Au delà de la diversité des thèmes abordés, le retour du politique paraît de rigueur. L’unité obtenue après-guerre par la mise en place des États-providence avait inventé un nouveau type d’État. Depuis la crise de 1974 et ses suites, « les droits de l’homme et l’idéologie économique tendent à réduire l’existence en commun à un monde d’individus régulé par le seul marché et débarrassé de la contrainte publique. Nous avons basculé dans une société anti-politique, et nous en payons le prix » nous dit Marcel Gauchet dans Libération d’aujourd’hui. Nombreuses sont les comparaisons effectuées entre la crise actuelle et la crise des années 1930. L’histoire est capable de balbutier. Il faut donc se méfier de ceux qui répètent à l’envi, « cette fois, c’est différent ».

Voilà aussi ce que l’on peut tirer de la fréquentation de ces passionnantes  journées de l’économie.

 

Alain COMBES - professeur d'économie

 

18:50 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lyon, jeco, société, économie, politique, crise | | |

dimanche, 14 novembre 2010

Le remaniement gouverné

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17:54 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : actualité, remaniement, politique, société | | |

samedi, 13 novembre 2010

La condition ouvrière féminine

Novembre des Canuts est une manifestation désormais annuelle, initiée par Robert Luc et la Compagnie du Chien Jaune,  organisée avec le soutien et la participation de nombreuses associations (L’Esprit Canut, Soierie Vivante, l’Institut d’histoire sociale CGT, la Maison des canuts, la République des canuts ...), plusieurs libraires (Le Bal des Ardents, Vivement dimanche, A titre d’Aile…).

A l’origine de l’événement, bien sûr, les tisseurs de Lyon et les journées du 21, 22, 23 novembre 1831, dont nous nous avons retracé le déroulement ICI.

On se souvient que l’an dernier, la thématique retenue avait été celle des Prudhommes, auxquels l’histoire des canuts est intimement mêlée depuis leur origine. C’est la condition ouvrière féminine qui sera au centre de ce novembre 2010, lequel se déroulera du 16 au 28. Le programme intégral est consultable et téléchargeable en cliquant  ICI.

 

 

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Justin Godart fut sans doute l’un des premiers « historiens » de la fabrique à s’intéresser à la condition des femmes de la fabrique, en tous cas à la poser franchement et à maintes reprises sur la place publique. Dans un ouvrage publié en 1909, voici ce qu’il dit de la question :

 

« J’ai pu parcourir quelques-uns des questionnaires relatifs à des ouvrières à Lyon. Ils sont encore en petit nombre, mais lorsqu’on en aura réuni de 150 à 200, on pourra  sans crainte de se tromper formuler un jugement sans appel sur la situation des malheureuses qui demandent leurs ressources et le pain de leurs enfants à la confection des chemises d’homme, des faux-cols et du linge de table.

Le travail est distribué tantôt par la maison de fabrique elle-même, tantôt par des entrepreneuses et même par des sous-entrepreneuses. Les ouvrières vont le chercher et le rendre, cause de pertes de temps considérables. Elles le rapportent chez elles et là, dans leur intérieur, elles s’attardent à la besogne, ne connaissant d’autre limite à leur activité que la tâche, la commande qui presse et qu’il faut rendre dans un délai parfois invraisemblable.

Suivons une de ces femmes : elle sort de chez l’entrepreneuse ; on lui a remis des chemises d’homme de belle qualité, en soie, en batiste ou en toile fine ; elle est chargée du finissage, et tout doit se faire à la main. Pour cela elle touchera 0.55 par chemise ; elle obtiendra 0.60 si elle fait des boutonnières. En travaillant de 12 à 13 heures par jour en pleine saison – c'est-à-dire de mars à juillet et de mi-août à octobre inclus, en travaillant de 6 à 7 heures pendant la morte saison, et cela sans s’arrêter le dimanche, elle arrivera à faire en moyenne un peu plus d’une chemise ½ par jour, soit 585 chemises par an. Quand elle était jeune, en restant au labeur 17 à 18 heures, elle confectionnait 3 chemises. Mais cela l’a usée précocement et ce temps est loin.

Quelle peut-être la vie de cette femme ? Elle gagne annuellement environ 336 fr50, dans les conditions que nous connaissons ; il lui faut distraire de cette recette 34 fr.40 pour le fil qu’elle achète par écheveaux de 0.40 et pour les aiguilles. Reste donc 302.10.

Cette femme a quatre enfants ; le mari est parti, il a fui lâchement ses responsabilités de reproducteur imprévoyant. Des quatre enfants, l’aîné reçoit vingt sous par jour comme papetier : il a 17 ans ; les autres ont 13, 9 et 6 ans. De par le travail de l’aîné, 300 francs viennent s’ajouter au budget ; l’Assistance publique  joint un peu d’argent, de pain, de charbon, soir 127 francs, ce qui fait un total de 729 fr.10.

Là-dessus, il faut que vivent cinq personnes. Le loyer est de 14 francs par mois, soit 168 francs à déduire. Et quel taudis ! Une seule pièce dans une courette en contrebas, au rez-de-chaussée, humide, délabrée, mal aérée, mal éclairée, ignoblement insalubre. Le soleil n’y hasarde jamais un rayon. Il faut aller chercher l’eau loin dans la rue. Le soir, une paillasse posée à même le plancher sert de couche aux deux garçons ; la mère et les deux filles reposent dans le lit.

Comme il fait  noir dans la pièce et comme on veille tard, la dépense de pétrole est excessive. La nourriture n’est pas variée : c’est du pain, ce sont des pommes de terre, des macaronis en débris avec quelques condiments, oignons, ail ; jamais de vin, ni de lait, ni de viande, pas de fruits. Et en restreignant à ce misérable ordinaire les appétits de la maisonnée, on arriverait à dépenser, tous calculs loyalement faits, 782 fr.40. Puisque les recettes ne sont que de 729 fr 10, il y a un déficit de 53  fr 30. Ce n’est pas le crédit qui le comble, c’est la privation.

La mère, outre son travail de couture, doit encore faire la cuisine, laver le linge ; elle n’a pas un seul jour de repos, et pour arriver à quel résultat ?

Voilà ce qu’on apprend en descendant à la réalité, en la serrant de près. La publication prochaine de l’enquête permettra d’étaler de semblables tranches de vie, de révéler une infinité de pareils scandales. A ce moment-là, il faudra conclure et indiquer au public quel remède peut être apporté ; car en conscience, il ne saurait profiter plus longtemps d’une pareille exploitation de la main-d’œuvre féminine ; sa seule excuse, s’il en bénéficie, c’est qu’il l’ignore. »

 

Justin Godart – « Travail de femme », Travailleurs et métiers lyonnais (Cumin et Masson, 1909),

 

vendredi, 12 novembre 2010

Remanier, remaniement

Pour un type qu’on dit speed, n’agissant que sur coups de tête, Sarkozy pour le moins prend son temps. On devrait (paraît-il) connaître la semaine prochaine la véritable nature du remaniement ministériel annoncé depuis le printemps. Si l’on en croit les bruits qui courent un peu partout, ça risque en effet d’être un sacré remaniement puisque le même est, par les fameux observateurs, donné reconduit, Fillon devant se succéder à lui-même dans le slip du premier ministre. Ce qui serait quand même une sorte de changement, tant tout le monde s’était fait à l’idée qu’il allait partir : le changement ne serait donc qu’une impression de changement, mais à une époque où seule l’impression compte, au fond quelle importance pourrait-on dire ? Et en effet, quel changement !

Dans le milieu strictement politicien, qui croit encore, de toute façon, qui croit sérieusement à cette idée de changement, un changement qui serait dû à M. Chose ou à Mme Machin ? Rien ne serait même in fine plus conforme à l’esprit de l’époque, que ce nouveau Fillon qui, en reconduisant chaque ministre actuel à son poste exact pourrait à son tour créer dans ce vieux pays un bel effet de surprise, en effet. Un changement à l'identique, au secrétaire d'état près.

En attendant d’en connaître comme tout un chacun la teneur, j’ai eu la curiosité d’aller voir ce que le petit Robert disait de ce substantif assez laid à entendre, remaniement. Le terme date de 1690, du bon siècle de Louis XIV et signifie « l’action de remanier, son résultat ». Remanier, lui, formé en 1300 (le bon temps de Philippe le Bel) de re + manier signifie « modifier un ouvrage de l’esprit par un nouveau travail en utilisant les matériaux primitifs». Je ne sais si un gouvernement est un ouvrage de l’esprit, mais je constate que Sarkozy serait en train, consciemment ou non, de renouer avec le sens primitif du terme s’il conserve bien le matériau Fillon. Comme en toute chose il faut connaître l’étymon, je suis allé voir ensuite manier, terme dont la formation nous ramène à l’an 1160, sous le règne de Louis VII le Pieux, l’époux d’Aliénor d’Aquitaine. Manier (de maneir, main) signifie tâter, palper. On voit que, plus on remonte le temps, plus les choses redeviennent concrètes, et presque sensuelles.

Mais au fond, que peut bien nous importer les tripatouillages de la sous-préfecture élyséenne ? Sarkozy « président du G20 » depuis aujourd’hui va nous jouer à nouveau la carte de l’hyperactif omniprésent sur tous les fronts, comme si en bon VRP il faisait à nouveau peau neuve. Je me souviens de sa bobine au JT de mai 1993 lorsque, ministre du budget et porte parole du gouvernement Balladur, il quitte l’école maternelle de Neuilly avec un chiard dans les bras, cerné de micros et de caméras. Changement ?

C’est plutôt bien une lente décomposition, dans la perpétuation spectaculaire d’une même crise, qu’un changement. Nos espérances de changement, qu’elles soient de droite ou de gauche, s’enlisent au fil de septennats devenus quinquennats dans le spectacle du non-changement européen, et dans la pratique généralisée de l’illusion du changement, gestion de crise oblige : pensez que Martine Aubry, fille de Delors, incarne aux yeux des gens un espoir d’alternance

Remaniement, changement, alternance : me vient à l’esprit ce paragraphe de Chateaubriand qui date de 180 ans.

La bonne littérature, c’est comme le bon vin ; nous sommes alors en 1830 et Charles X, le vieux légitimiste chassé de Paris part en exil à Prague, laissant le trône à Louis Philippe. Ni Sarkozy, ni Aubry, ni Fillon, ni vous ni moi n’étaient encore nés. Ni Debord qui théorisa la société du spectacle, ni Brzezinzski qui théorisa le divertissement. Pour parler de changement, on ne disait pas remaniement ou alternance, on disait Révolution. Et pourtant, déjà :

 

« Maintenant, qu'était devenu Charles X ? Il cheminait vers son exil, accompagné de ses gardes du corps, surveillé par ses trois commissaires traversant la France sans exciter même la curiosité des paysans qui labouraient leurs sillons sur le bord du grand chemin. Dans deux ou trois petites villes, des mouvements hostiles se manifestèrent ; dans quelques autres, des bourgeois et des femmes donnèrent des signes de pitié. Il faut se souvenir que Bonaparte ne fit pas plus de bruit en se rendant de Fontainebleau à Toulon, que la France ne s'émut pas davantage, et que le gagneur de tant de batailles faillit d'être massacré à Orgon. Dans ce pays fatigué, les plus grands événements ne sont plus que des drames joués pour notre divertissement : ils occupent le spectateur tant que la toile est levée, et, lorsque le rideau tombe, ils ne laissent qu'un vain souvenir. Parfois Charles X et sa famille s'arrêtaient dans de méchantes stations de rouliers pour prendre un repas sur le bout d'une table sale où des charretiers avaient dîné avant lui. Henri V et sa sœur s'amusaient dans la cour avec les poulets et les pigeons de l'auberge. Je l'avais dit : la monarchie s'en allait, et l'on se mettait à la fenêtre pour la voir passer. »

 

Il est indéniable que le rideau finira par tomber sur ceux qui nous gouvernent aujourd’hui, sans qu’il y ait besoin de tirer la ficelle plus que ça. Laisser simplement du temps filer : comme le temps vint à bout de ceux-là, il viendra aussi à bout de ceux-ci. Indéniable, également, que ceux-ci sur lequel le rideau se lèvera pour que le show continue ne produiront à leur tour qu’une impression de changement, puisque c’est malheureusement la nature même du spectacle de continuer, et que, mine pour mine et masque pour masque, faux-semblants pour faux-semblants, remanier un gouvernement reste plus faisable que remanier le spectacle tout entier.

 

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 Louis VII, dit le Jeune ou le Pieux 

jeudi, 11 novembre 2010

Guerre et Censure

Deux documents sur la censure pendant la première guerre mondiale : le premier, que je dois à la gentillesse de Dominique Rhéty, est une lettre manuscrite rétablissant le passage censuré entre les deux extraits du texte ci-dessous tirés de l'œuvre de Paul LINTIER, Le Tube 1233. Le second est un extrait des Mémoires d’un Parisien de Jean Galtier-Boissière, fondateur du Crapouillot :

 

 

« Oui, dit-il, c’est arrivé ce soir. La pièce a éclaté… J’étais là, à côté… Je suis tireur. Le grand Louis a été tué sur son siège… il n’a pas bougé… Les morceaux de la jaquette lui ont labouré le flanc… Le chargeur et le chef de pièce ont été tués aussi. Le chef de pièce a reçu la culasse dans le ventre… Lui non plus n’a pas fait ouf…

 

CENSURÉ

 

Francis pleure, pleure comme un enfant. Il m’a pris le bras :

-Viens les voir, murmure-t-il. Viens voir le grand Louis… La tête a été épargnée.»

 

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Et il ajoute : - quand je pense que ce sont ces lâches là qui l'ont tué : ces lâches ! ces infâmes !  J'écoute en silence ces propos étranges. La voix de Francis monte à des accents de colère vibrante. - J'en connais, et toi aussi sûrement tu en connais,, des notaires, des avoués, des avocats, qui se sont embusqués dans les usines... Ils nous tournent des obus qui font sauter nos pièces. C'est eux qui les ont tués les trois... les trois qui sont là sous la casemate... Les assassins... !  Je voudrais tous les voir à la gueule de ma pièce et moi sur mon siège de tireur... Je les tuerais tous ! ... de ma main... Ils pourraient demander grâce... Ils me le paieraient tous !  Un sanglot étouffe cette voix de haine.

Paul Lintier - Le tube 1233, souvenir d'un chef de pièce - Plon -

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11:02 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, jean galtier-boissière, paul lintier, crapouillot, censure | | |