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lundi, 15 novembre 2010

Les Jeco à Lyon

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On a rarement l'occasion de parler d'économie sur ce blog. C'est un tort. Mais le taulier reconnaît modestement qu'il n'y connait pas grand chose. C'est pourquoi il a demandé du renfort et est ravi d'héberger ce compte-rendu d'Alain Combes sur les JECO qui viennent de s'achever.

 

Certains, et pas seulement Madame Christine Lagarde, avaient inscrit sur leur agenda de la semaine 45 : «JECO» à Lyon, «G20» à Séoul. En effet, avant le  cinquième G20, s’est déroulée dans la capitale rhodanienne, la troisième édition des journées de l’économie organisées par Pascal Le Merrer, professeur à l’ENS-LSH.
Le point commun de ces deux manifestations?
Dans les deux cas on a discuté de l’avenir du monde et la comparaison s’impose d’autant plus que le thème principal de l’édition 2010 était la gouvernance, nouveau terme à la mode depuis quelques années, utilisé pour désigner la mise en place par les acteurs tant publics (gouvernements, institutions internationales) que privés (entreprises, associations, syndicats,...) de règles, institutions, incitations,... en mesure de gouverner le monde, l’Europe, l’environnement, et, sur un plan microéconomique, les entreprises.
Ce sont près de deux cents intervenants qui ont animé pendant trois jours (du 9 au 11 novembre) quarante-trois conférences réparties dans neuf lieux différents et souvent prestigieux, rassemblant plusieurs milliers de participants. Ces derniers avaient l’opportunité de se restaurer tous les jours à la CCI (haut lieu du «capital» lyonnais, place de la Bourse) ou à l’Hôtel du département (sous les ors de la république).
Le pari de ces journées tel que le formule le Directeur général des JECO - « offrir un accueil convivial dans des lieux qui (vous) permettront de découvrir la ville de Lyon au gré des itinéraires entre les salles des conférences tout en prolongeant les débats entre participants » - est une nouvelle fois gagné. Si on met de côté les étudiants, souvent en licence ou en classes préparatoires, toujours plus nombreux, le public des intervenants et des participants se compose de personnes aux mêmes caractéristiques professionnelles: professeurs, experts, banquiers, chefs d’entreprise, chercheurs, politiques, membres d’associations,... en activité ou à la retraite.
Les JECO réussissent ainsi à mélanger trois générations: des jeunes de 18 à 30 ans, souvent en formation, des actifs de 30 à 65 ans et de jeunes retraités. Tout ce beau monde parvient à échanger soit à la fin des conférences, soit autour des buffets. Le public composé de Lyonnais, mais aussi de participants venus pour la circonstance des quatre coins de la France, a ainsi l’opportunité de pénétrer des lieux qu’il n’aurait pas le loisir de connaître autrement. L’appréciation est unanime: « Lyon est une belle ville ! »
Que retenir de ces conférences? En prenant un peu de hauteur, on saisit les raisons de la modestie des intervenants. Nous vivons dans un monde bouleversé mais nous n’en sommes encore qu’aux prémices de ces transformations. La crise dans laquelle nous sommes plongés, tout le monde en convient aujourd’hui, sera une crise durable.
Vers quel avenir tendons-nous?
D’aucuns pratiquent la « politique de l’oxymore » en parlant de « développement durable », de « croissance verte », de « moraliser le capitalisme », « d’urgence du long terme », «d’apprivoiser le risque»... Mais le discours est aussi guerrier, avec «la grande bataille des matières premières, «la culture, une arme économique?». Si l’on se prépare à devoir affronter des guerres commerciales, d’autres guerres se profilent à court ou moyen terme: des guerres des monnaies, des guerres des générations, des guerres de l’eau...
Ils sont loin les discours lénifiants qui étaient encore de mise il y a peu : on sait qu’on ne sait pas. Ou plutôt, les experts, de l’écologie ou de l’économie, nous disent savoir comment régler les problèmes actuels. Ils semblent penser en même temps qu’il y a peu de chances qu’ils se règlent par la coopération et on est très loin du triomphe d’une quelconque raison mondiale. Les deux branches de l’alternative paraissent se situer soit vers plus de
démocratie (mais les procédures démocratiques sont lentes et il y a urgence), soit vers l’auto-proclamation d’un despote éclairé qui trouverait le moyen d’imposer ses
décisions en incarnant le bien commun.
Cette dernière possibilité est-elle très éloignée du rêve de notre président qui assure la présidence conjointe du G20 et du G8 depuis aujourd’hui?
Au delà de la diversité des thèmes abordés, le retour du politique paraît de rigueur. L’unité obtenue après-guerre par la mise en place des États-providence avait inventé un nouveau type d’État. Depuis la crise de 1974 et ses suites, « les droits de l’homme et l’idéologie économique tendent à réduire l’existence en commun à un monde d’individus régulé par le seul marché et débarrassé de la contrainte publique. Nous avons basculé dans une société anti-politique, et nous en payons le prix » nous dit Marcel Gauchet dans Libération d’aujourd’hui. Nombreuses sont les comparaisons effectuées entre la crise actuelle et la crise des années 1930. L’histoire est capable de balbutier. Il faut donc se méfier de ceux qui répètent à l’envi, « cette fois, c’est différent ».

Voilà aussi ce que l’on peut tirer de la fréquentation de ces passionnantes  journées de l’économie.

 

Alain COMBES - professeur d'économie

 

18:50 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lyon, jeco, société, économie, politique, crise | | |

Commentaires

A-t-on parlé dans ces journées de la financiarisation excessive (autre oxymore) de l'économie ?
A-t-on parlé des niches fiscales ?

Quelques chiffres :
ensemble des recettes fiscales de 2009 : 365 milliards d'euros
impôts sur le revenu : 59,6 milliards
TVA : 187 milliards

Le coût des niches fiscales (486 niches en 2008) a atteint 73 milliards d'euros (27% des recettes nettes de l'État français).

Une lecture utile :
"Le président des riches" Enquête sur l'oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy
par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
Éditions La Découverte (Zones), Paris 2010

Écrit par : Michèle | lundi, 15 novembre 2010

"D’aucuns pratiquent la « politique de l’oxymore » en parlant de « développement durable », de « croissance verte »,..., « d’urgence du long terme », «d’apprivoiser le risque»... "

comme quoi, même l'économie est capable de se poétiser^^

Écrit par : gmc | lundi, 15 novembre 2010

@ Michèle : Je laisserai Alain vous répondre n'ayant pas été présents dans ces journées.Ce que je retiens pour ma part du billet d'Alain, c'est la relative "humilité" des experts qui concèdent ce que les philosophes proclament eux depuis longtemps : "je sais que je ne sais rien". Le fait que la crise soit annoncée comme durable n'est pas nouveau : mais visiblement ça gagne du terrain. Les deux branches considérées, celle du "plus démocratique" et celle du "despote éclairé" me laissent songeur. Que faire d'une démocratie enlisée dans la démagogie, la massification, la récession et la gestion administrative à court terme ? Que faire du despote lorsqu'il n'est pas éclairé ?

Écrit par : solko | lundi, 15 novembre 2010

La crise n'est pas un état durable (ce qui supposerait qu'elle puisse un jour s'effacer). C'est un principe moteur de l'ultra-libéralisme. L'état de crise, c'est la dimension économique de l'état d'exception politique (et si on va relire Walter Benjamin, puis Agamben, cela ne nous promet rien de très encourageant).

Écrit par : nauher | lundi, 15 novembre 2010

Je réponds ici à plusieurs commentaires. La financiarisation excessive? Je ne vois pas où est l'oxymore. La finance est nécessaire à une économie de marché. A peu près tout le monde est d'accord. Je peux développer mais cela nous amènerait très loin. La dénonciation du caractère excessif? C'est devenu l'antienne de tous ceux qui ont vite compris que sauver le capitalisme, à défaut de le moraliser, supposait au moins de trouver au plus vite un bouc-émissaire. F. Lordon, non invité aux JECO (je vous conseille la lecture de son dernier ouvrage où il convoque Spinoza et Marx pour penser le capitalisme) dédouane largement les "pauvres" traders pour montrer en quoi les logiques du capitalisme financiarisé conduisent à des comportements qui n'ont plus rien à voir avec la rationalité individuelle. A. Orléan, invité tous les ans aux Jeco (avec successivement un retour à Keynes, un retour à Marx et, cette année, Walras, un économiste à redécouvrir) parle d'un "aveuglement au désastre", titre d'un excellent article prémonitoire de la revue Esprit et expression qu'il a reprise ce mercredi dans la conférence "crises financières, les leçons de l'histoire). Il n'empêche, on a affaire à un bras de fer entre les politiques qui tentent de réglementer la finance et les lobbies financiers qui n'ont pas vraiment perdu de leur pouvoir de nuisance.
Les niches fiscales? Bien sûr que l'on a parlé de cet aspect des inégalités. T. Piketty, un des plus grands spécialistes français de la question, ancien conseiller de S. Royal, a animé deux conférences sur la fiscalité. Sur le cas français, il montre comment le caractère de moins en moins progressif de la fiscalité est à l'origine de la réouverture de l'éventail des inégalités de revenu disponible. Ill est l'auteur avec E. Saez d'une étude qui fait référence sur la fiscalité et l'explosion des inégalités de revenu aux États-Unis.
Quant aux experts, j'ai dû mal m'exprimer. Je préciserai en me fondant sur l'impression que j'avais retiré d'une des grandes conférences des JECO 2009. D'abord les experts du climat nous ont dit que leurs modèles d'il y a deux ou trois décennies avaient été vérifiés : les atteintes à l'environnement correspondaient aux résultats validant leurs hypothèses. Ensuite les experts de l'économie, ceux d'une école qui rivalise avec la Paris School of Economics, la Toulouse School of Economics, nous disent que les économistes savent comment faire pour lutter contre ces problèmes (cela relève d'une branche qui s'est le plus développé en économie depuis vingt ans, la théorie des incitations). Nous étions à quelques jours du Sommet de Copenhague et ces économistes étaient certains qu'il n'en sortirait rien de notable. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que ce sommet a été un vaste échec. Je me souviens (à peu près) d'un exemple choisi par un économiste de Toulouse, la taxe carbone. La France, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, envisageait, je crois, une taxe de 35 euros la tonne. L'économiste disait qu'il fallait aller rapidement vers une taxe de plus de 100 euros la tonne. Depuis le principe de la taxe a été abandonné sur la pression des lobbies industriels. La démocratie paraît donc avoir été définitivement phagocytée par les lobbies, et pas seulement de la finance. Notre avenir est entre leurs mains. Avant même l'élection de B. Obama, R. Reich écrit tout un chapitre sur la puissance des lobbies aux États-Unis (cf. Supercapitalisme). On comprend déjà comment les lobbies des assurances et de la santé ne pouvaient que parvenir à déshabiller la réforme de la santé du nouveau président. Mais il n'y a pas que les lobbies des "gros",... J'en reste là pour ne pas m'attirer les foudres de ceux qui pensent que les "petits" oeuvrent dans le sens de l'intérêt général. Restons dans le politiquement correct...

Écrit par : Combes Alain | mardi, 16 novembre 2010

Merci de cette indication des derniers ouvrages de Frédéric Lordon :
# Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, La fabrique éditions, 2010
# Et...Fermer la bourse ?, Editions La Découverte, 2010

Vous dites : "La démocratie paraît donc avoir été définitivement phagocytée par les lobbies, et pas seulement de la finance. Notre avenir est entre leurs mains."

J'ai un peu de mal à entendre cela. Il faudrait donc baisser les bras, s'incliner, se taire, ne rien faire.
Les lobbies, des "gros" ou des "petits" (lobbies des petits, là serait l'oxymore, financiarisation excessive est un pléonasme, pas un oxymore bien sûr) dirigent le monde et c'est ainsi ?

Merci en tout cas de votre réflexion et du partage. Ces journées de l'économie devraient s'étendre dans le temps et dans l'espace. Il y faut les hommes et les moyens, c'est toujours pareil.
Des Actes de ces 43 conférences seront-ils publiés en interne ? en numérique ou papier ?

Écrit par : Michèle | mardi, 16 novembre 2010

Quand je dis que notre avenir est entre les mains des lobbies, cela ne veut pas dire qu'il faille baisser les bras. Mais que les gouvernements et modes de représentation nationaux paraissent inappropriés pour faire face aux enjeux biosphériques et internationaux. Lors des JECO on a cité à plusieurs reprises les travaux de Dominique Bourg qui paraît représenter une référence incontournable sur ces questions. Il y a une demi-heure j'ai commencé la lecture de son petit ouvrage écrit avec Kerry Whiteside, Vers une démocratie écoloqique.
Pour le reste, certaines conférences des jeco 2010 se trouvent déjà en ligne sur le site teco. En outre certains étudiants ou journalistes (je ne sais pas) proposent un compte-rendu de ces conférences. Mes propres étudiants ont commencé à mutualiser les notes qu'ils ont prises.
D'autres conférences ont lieu tout au long de l'année. Il suffit de fréquenter le site des jeco (très bien fait) pour se tenir informé.

Écrit par : Alain Combes | mardi, 16 novembre 2010

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