Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 24 septembre 2012

Hollande en pays bas

On sortira de la crise par l’Europe. Et pour ça, il faut lutter contre Sarkozy Merkel qui ne sait faire qu’une politique d’austérité inacceptable. Et pour lutter contre Sarkozy Merkel, il faut conduire sur le plan national une politique d’austérité comme elle veut le faire sur un plan européen. Et c’est ce qu’on fait, nous, les socialistes français, on conduit une politique d’austérité sur le plan national pour n’avoir plus à en conduire une sur le plan européen, vous suivez ? Tout ça  pour vous sortir de la crise, hein ! Alors si ça ne vous plait pas, on s’en fout. Y’a que les résultats d’élection qui comptent et on vous a bien niqués, on est là pour cinq ans.

08:25 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : politique, france, sondage, europe | | |

samedi, 08 septembre 2012

Entre gens normaux

Arnault fuit la Hollande par la Belgique : itinéraire d'un vilain patron français. On va se retrouver bientôt entre gens normaux, des pauvres égaux et satisfaits. Tout ça promet d'être culturellement gai et enrichissant pour tous. Un humble citoyen de Sa Majesté, Paul Mc Cartney vient, paraît-il, d'être décoré de la Légion d'honneur. On ne sait pas trop pourquoi aujourd'hui, pas de concert annoncé, pas de nouveau disque en vue. 

Hollande a-t-il réalisé qu'il a été élu ? Avec la persévérance du pauvre type traumatisé, il continue à se déterminer par rapport à un Sarkozy que tout le monde a déjà oublié, comme s'il était en campagne infinie. Il demande encore du temps pour trouver son style. A l'âge qu'il a, ça craint. Le vide. Comme si les Français lui demandait du style...  Quelques journalistes tentent de nous intéresser à la vie privée de cette pomme déjà dégonflée en publiant les aventures de Ségolène et Valérie. Bien content de ne pas avoir voté pour lui.

Tout ça fait penser que la Belgique, pour y revenir, a tenu des mois sans gouvernement.  Une manière de leçon donnée au Nord par le Nord.


20:27 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : arnault, politique, france, belgique | | |

mardi, 07 août 2012

Garder le frais

Dans les fermes du Beaujolais, il y avait toujours une pièce close. Les meubles  des beaux parents s’y recueillaient tout l’an, de nombreux bibelots aussi, des tapis, des tableaux. Dans le reste de la demeure vaquaient les vivants. La maîtresse de la maisonnée, dans un haussement d’épaules, veillait non loin de la porte à ce que personne n’y entrât, surtout pas les gosses ni les chats. Il fallait, disait-elle, « garder le frais ». : L’expression m’est restée.

Nous vivons un été clément. Les séquences anticycloniques, comme grimacent les godillots de la météo, ont été suffisamment réduites pour que nos nuits d’été ne perdent pas leur fraîcheur essentielle. C’est quand le soleil dérobe aussi la nuit que les organismes demeurent  démunis, interloqués, suffoquants.  C’est alors qu’il faut garder le frais.

Tout comme garder le silence, ou garder la forme, garder le frais nécessite un réel entraînement. C’est presque un effort, un art. Par temps caniculaire, je songe toujours à la science domestique des fermières du Beaujolais.

Pour garder le frais, il faut tout d’abord être matinal. Quatre heures du matin, toutes fenêtres ouvertes afin de susciter le plus grand nombre de courants d’air. Parfois, l’air ne veut pas, opaque et statique. Le plus souvent, à cette heure, il consent. Chaque pièce de la maison s’emplit alors d’un baume, d’une respiration. Vers sept heures, il faut tout refermer. On peut alors se recoucher.

Pour bien garder le frais, il faut de fermes volets et de lourdes tentures. La fraîcheur et la pénombre sont deux jumelles, parfums qui n’investissent la maison que si on les y invite. Il faut éviter tout instrument électrique. Pour débusquer le chaud, on peut arroser d’eau fraiche les carreaux. Le carreau retient ce qu’on lui donne.

Après, c’est une question de mouvement. Eviter de trop remuer, de trop parler, de trop respirer : le mouvement cuit. Retenir son souffle, comme dans le mutisme des profondeurs sous-marines. Le battement de jambes des plongeurs, tel celui d’un cil, qu’à cela soit réduit tout remuement.

On comprend pourquoi les vigilantes fermières du Beaujolais veillaient si vaillamment : c’est le vivant qui chauffe et recuit, pour garder le frais il faut le bannir des lieux. Nous manquons d’espace, tous, pour garder vraiment le frais. Dans une maison à ma guise, il faudrait une pièce pour le frais, une autre pour le silence, une troisième pour le parfum. Et le reste pour nous tous. 

La brodeuse ou Alice cousant 53 x 44.jpg

Jacques Barçat, Alice cousant


18:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature, poésie, lyon, france | | |

jeudi, 05 juillet 2012

Bernanos : Les fantômes de la liberté

« Il n'importe pas de condamner ce monde. Il vaudrait mieux le plaindre. Il a besoin de pitié. Seule la pitié pourrait blesser son orgueil. La psychologie actuelle démontre très bien que l'orgueil n'est qu'une des formes du redoutable complexe d'infériorité. Le monde moderne est un monde humilié, un monde déçu, c'est ce qui le rend furieux. Le sentiment de la ridicule disproportion entre ses réalisations et ses promesses donne à cette fureur un caractère de férocité. Tous les ratés sont cruels. Le monde moderne est un monde raté. Il risque aujourd'hui de se jeter dans le suicide pour échapper à l'intolérable aveu de son impuissance ».

Georges Bernanos (« Le monde moderne est un monde humilié » - interview publiée le 10 février 1939 dans O Journal, et repris dans La France contre les robots)

A quel moment, quelle occasion, ai-je compris que j'avais un besoin pressant, criant, urgent de lire Bernanos, de lire Béraud, de lire Galtier-Boissière, de lire Jean Giono, de lire Louis Guilloux - nés successivement en 1888, 1885, 1891, 1895, 1899 ? C'était il y a dix ans, à peu près, que j'ai ressenti le besoin du témoignage de cette génération, pour me laisser par eux expliquer ce qu'avait été le monde avant que leurs fils ne s'en emparent, et ne se mentent à eux-mêmes, et en fassent celui dans lequel j'étais né.

Je me souviens bien avoir, dans les années soixante-dix, commencé à étudier la littérature latine, la littérature française, dans un vieux bon lycée de province qu'avaient construit des chrétiens. L'héritage... Malheureusement, cet héritage venait toujours buter contre cette date de 45, qu'on nous présentait alors comme un renouveau, un commencement, une ère grandiose, une libération.

Moi, j'étais le témoin de cette modernité-là déjà déconfite quelque trente ans plus tard, vraiment dégradée, de Pascal ou Chateaubriand en Jacques Prévert ou Boris Vian, de Madame de La Fayette ou Juliette Récamier en Benoite Groult ou Juliette Gréco, de Vivaldi en Gainsbourg, et de La Tour en Dali...

Et lorsque je me suis alors franchement posé la question de l'héritage, et de ce que je pourrais, moi, faire - me venait toujours cette sensation que c'était vraiment pitié qu'être né dans ces années 50, à l'heure de Kerouac, d'Edith Piaf et du Coca cola. Pitié. Qu'il n'y avait plus rien à faire, de toute façon, car  quelque chose de diffus, d'inexpliqué, comme une malédiction, mais de bien réel, était .

Et je tournais les yeux vers mes copains, et je les saluais.

Pitié, vraiment, mes copains, ces petits frères des soixante-huitards déjà rangés du bon côté de la barricade, déjà cohn-benditisés à souhait, prêts à voter Mitterrand avant même d'être encartés, vraiment. Un de mes excellents potes à l'époque répétait : "ce qu'il faut garder, c'est la dignité, et le sens de l'humour..." Vite dit. Je l'aimais bien quand même.

Nous essayions donc, du haut de nos seize dix-sept ans, de conserver dignité et sens de l'humour, tout en se récitant des pages de Nerval (Ah, Sylvie), comme on se parlerait, sur un terrain vague, du temps d'avant l'explosion d'une raffinerie. En ces années-là, je vis les hommes et aussi les femmes de mon pays commencer à vraiment polluer toutes leurs rivières, se précipiter en hordes dans des centres commerciaux pour acheter des yaourts dans des petits pots en plastique, et chanter La pêche aux moules avec Jacques Martin. Mes copines, alors. Mes copines ?

Pitié, elles aussi. Tragiquement pitié, ces copines, avec leur crédulité de jeunes libérées en mini-jupes, à un point que c'en était ridicule. A dix-huit ans, déjà fatigué d'Arthur Rimbaud comme il dut l'être de  lui-même, je lisais donc Kabîr et Toukaram en me demandant où était passé l'Occident dans tout ça. Déconfiture de la Royauté Technique. Technologique.

L'Occident n'était plus qu'une force technologique, à l'image de ses deux monstruosités : Hiroshima et le premier homme sur la lune. Tout le monde était d'accord pour trouver que la première était monstrueuse. Peu s'aperçurent que la seconde était pire. Mais d'hommes, de spiritualité, point régnant au pays des grandes surfaces et des temples de la consommation. Et certes, ce n'est ni le néant Sartre, ni le néant Beauvoir qui, à l'époque, auraient pu m'expliquer où était passé l'Occident que j'avais appris à l'école. Ces deux là, qui en étaient les fossoyeurs acharnés, avaient déjà décidé de n'avoir aucun descendant. Nada ! Ces deux là, opportunistes sans talent mais roués, étaient fins de race à l'extrême, monstres d'égoïsme et le sachant jusqu'à la moelle, ils appelaient ça existentialisme, deuxième sexe, libération, modernité, littérature et autres conneries mortifères. L'Institution Universitaire faisait alors s'achever la littérature du dix-neuvième siècle grosso modo à Proust, et débuter celle du vingtième à peu près aux alentours de Nathalie Sarraute. Comme s'il n'y avait rien eu entre. Rien. Pas un homme. Que des maudits

Lire la suite

18:17 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (69) | Tags : bernanos, littérature, politique, société, france, béraud, quatorze dix-huit | | |

vendredi, 01 juin 2012

Et toi, tu es de gauche ou de droite ?

SI être attaché à la transmission de la  culture dite classique, y compris – en Europe – celle du catholicisme, si se battre en vain pour qu’un patrimoine historique comme l’ Hôtel Dieu de Lyon ne devienne pas un hôtel de luxe du groupe Eiffage, c’est être un vieux réac de droite voire un facho alors je suis un vieux réac de droite et un facho.

SI s’opposer au principe d’endettement des Etats par la loi de 1973 ou au traité de Lisbonne qui, de Pompidou à  Hollande, a été accepté par tous les présidents de la République sans exception, si protester en vain sous formes de textes de toute nature contre la privatisation éhontée de la monnaie commune, c’est être d’extrême gauche, alors je suis d’extrême gauche.

Si  comprendre le fait que les plus pauvres commencent à flipper de se sentir sans la protection souveraine de leur monnaie historique et de leur frontière nationale et votent Le Pen en nombre croissant face à des marchés dérégulés, des états impuissants et des élites qui se foutent ouvertement ou normalement de leur gueule , c’est être lepéniste, alors je suis lepéniste.

Si critiquer les formes technologiques du divertissement de masses parce qu’on voit  trop à quel point elles servent de rempart contre la transmission de la culture universelle tout en étant attaché à la liberté de chacun, qui se revendique de plus en plus d’une communauté spécifique et des formes technologiques de divertissement, c’est être en contradiction avec soi-même, alors je suis en contradiction avec moi-même

Si considérer que des formes d’artisanat et de pensée reléguées aux oubliettes par le tout technologique furent des facteurs de civilisation autrement plus efficace que l’égalitarisme postmoderne, le consumérisme passif et le multiculturalisme mercantile, c’est être un nostalgique dépressif, alors je suis un nostalgique dépressif.

Si refuser la confusion entre la morale et le fait politique, et admettre qu'il n'y ait pas de solutions miraculeuses à tous les problèmes que soulèvent la nature humaine et le monde moderne, tout en continuant à les soulever, c'est être un contradicteur inutile ou un fataliste déprimé, alors je suis un contradicteur inutile et un fataliste déprimé. 

Enfin si mettre sur le même plan la démagogie des racistes et celle des antiracistes, qui entretiennent un débat médiatique et juridique incessant sur les valeurs des uns ou les valeurs des autres, si dénoncer les discours sur la repentance comme ceux sur le révisionnisme, l’indignation militante ou l’intégration citoyenne, comme des moyens pour les gouvernants d'éviter de soulever la question économique, c’est-être un inconscient voire un salaud, alors je suis un inconscient voire un salaud.


politique,france,europe,lyon,société,littérature

Photo de Jules Sylvestre

00:00 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : politique, france, europe, lyon, société, littérature | | |

mercredi, 23 mai 2012

De la République et des extrêmes

Les tripatouillages financiers que les divers montages de sauvetage ou de sortie de la Grèce de la zone euro sont proprement incompréhensibles par la plupart des gens appelés à voter dans les divers pays européens. Coup de poker politicien, le catéchisme de la croissance est en train de remplacer dans le discours des politiciens celui de l’austérité ; le monde économique est ainsi peuplé de credo qu’on vient marmonner en groupes devant les électeurs, tel ou tel cierge à la main.  Ici comme ailleurs, les mots sont illusoirement dotés de pouvoirs qu’on croirait magiques : eurobonds, projects bonds. Les chiffres qui s’alignent ne donnent même plus le tournis, tant la disjonction entre économie et raison est accomplie : Jamais l’arbitraire du signe monétaire n’a été aussi palpable et impalpable. Nous vivons dans la dette souveraine, plus dans l’état souverain. Nous vivons dans l’irrationalité de la valeur.

Du coup, les solutions dites politiques : rembourser, ne pas rembourser, mutualiser, nationaliser… échappent elles-aussi à l’entendement. Toutes, semble-t-il, se valent, pour peu qu’elles soient démocratiquement débattues. Illusion dans laquelle prolifèrent les medias. Comme elles voltigent sous la plume des chroniqueurs, on a l’impression que toutes pourraient s’essayer au fil des alternances. Comme la finance est devenue un jeu virtuel avec le porte-monnaie du consommateur, la politique en est devenue un des plus sordides avec la cervelle du citoyen. Dans les deux cas, comment s’étonner que la confiance si scandaleusement hypothéquée du chaland s’évapore comme neige au soleil ?  Car dans les deux cas, la disjonction est telle entre le mot et la chose qu’il n’y a plus guère que des militants pour s’enthousiasmer (ou feindre de le faire) des solutions proposées par tel ou tel parti.

Devant le règne de tant de relatif, partout exposé à l’attention de tous, chacun se prend à rêver d’un pouvoir qui serait à la fois juste et absolu. Rien de plus humain que cela. Qu’est-ce que l’extrémisme, sinon ce rêve là ? Le rêve qu’un dieu, qu’un dictateur, qu’une idéologie, qu'une technologie ou qu’un principe souverain vienne comme par magie rétablir un peu de clarté au milieu de cette confusion généralisée. Un peu de lisibilité au sein d’une telle complexité. Qu’au coeur d’une telle folie, une saisie claire du monde demeure encore possible à ma raison solitaire... C’est la radicalisation des propos engendrée par ce rêve de chacun qui menace le monde, le monde commun, la république.

L’extrémisme, au contraire de ce qu’on veut nous faire croire, ne réside pas dans un parti clairement identifié à un extrême ou à un autre de l’échiquier politique : ce serait bien trop beau ! bien trop simple ! cela satisferait certes notre goût malsain pour les boucs-émissaires ! l'extremisme rode dans tous les partis, comme une tentative absurde en chacun d'entre nous de renouer le lien toujours perdu entre les mots et les choses, devant l'angoisse suscitée par ce qu'est au fond cette crise dans sa version culturelle : l'exhibition permanente et subie de l'arbitraire de la valeur, celle de la parole politique comme de la monnaie fiduciaire. 

cordonnier des rues,ukraine, 1925.jpg

Cordonnier des rues, Ukraine, 1925


09:47 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : politique, littérature, france | | |

mardi, 22 mai 2012

Etiennette Buisson

On ne sut trop pourquoi le fils d’Etiennette épousa une Etiennette. Le vingtième siècle étant passé par là, d’aucuns pourraient aujourd’hui alléguer un motif de divan. A consulter les registres d’état-civil de Saint-Symphorien et du département du Rhône en général, on découvre pourtant que ce prénom y fut beaucoup porté sous l’Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet. La proximité de Saint-Etienne y était-elle pour quelque chose ? En ces temps fort lointains, on était encore soit Marie, soit Claudine, soit Etiennette, par là. C’est ainsi.

Un soir, elle lui avait glissé quelques mots de son père. On l’avait retrouvé pendu à Saint-Pierre la Palud en juin 1825. Que faisait-il en cette grange, le boulanger de Bessenay ? Sa mort avait causé grand bruit et frappé bien des esprits dans le pays, celui de sa mère, en particulier. Jean Antoine avait alors quatorze ans. Son père à lui, son propre père allait mourir quelques semaines plus tard au bord d’un champ, laissant les paysages qu’il avait connus jusqu’alors comme frappés de stupeur. C’est ce soir-là, non loin de la rue des Chevaucheurs, qu’il avait en la serrant dans ses bras porté sur Etiennette Buisson un autre regard. Il s’était souvenu de cette fillette croisée à l’enterrement, qui le contemplait à présent, les yeux humides de désir. Comme elle avait poussé ! Obéissant à de secrètes voix, c’est donc lui qu’elle l’avait choisi ?

Sa mère s’était faite domestique à Sain-Bel et l’avait placée rue des Farges, au 117, chez un ami de son oncle qui taillait des habits rue de Trion, voyait-il ? Si, si, il voyait très bien l’échoppe au tournant. Elle, alors, se souvenait-elle de La Chivas, de sa mère Etiennette, de l’odeur des granges qui suintait encore de ses paumes, quoiqu’il eût beau tisser ? Car ils avaient beau loger en ville, tout ça qu'ils étaient au fond restait dans l’air du soir à portée d’horizon, leurs paroles non loin des heures de naguère, dès qu’ils s’accoudaient à un muret. C’est comme ça que Jean Antoine s’était épris d’Etiennette. Fallait entendre comme elle embobelinait son patron pour remonter au petit trot toute la rue des Farges puis toute celle de Trion jusqu’aux Grandes Terres, jusqu’à lui, quand il avait fini son jour et que, les naseaux humant les senteurs de l’Ouest dont ils venaient, ils rêvaient l’un contre l’autre aux promesses de la ville. Maitre ouvrier tisseur en fil d’or et d’argent, comme on nommait jadis la corporation. Le chouïa que ça gagnait à présent, y’avait de quoi chevrer disait-il, mais retourner à la ferme, non jamais ! Non, jamais, renchérissait-elle.

C’est comme ça que le 17 novembre 1841 à midi, « par devant nous maire de Lyon » comparurent Jean Antoine et Etiennette et que mademoiselle Buisson devint Madame Meyrieu. Venue d’Aveyze pour la première fois à Lyon, Etiennette mère avait versé ses gouttes de larmes devant ces deux beaux enfants. Auquel des deux pères avait-elle songé précisément ? Claude Buisson, s’était pendu de désespoir et Jean-Claude, son époux, était mort quelques semaines plus tard.  S’ils pouvaient, ces deux là, au moins les conserver au cœur, ce bonheur du moment, cette senteur du bâtir commun… Car toute paysanne qu’elle fut, elle n’ignorait pas que la Fabrique allait mal, que les hommes au pouvoir étaient mauvais, et que les nuages s’accumuleraient sur leur France. Croyait-il, le Jean-Antoine, que posséder un métier, c’était comme posséder une charrue ? Eh ! Le métier à tisser ne labourerait jamais la terre du Bon Dieu, mais la commande des marchands seule. Les fruits que finissaient toujours par donner la charrue ne les avaient jamais liés, comme ça, à la production et à la dépendance organisée par autrui. Mais la liberté dont cette jeunesse avait plein la bouche les fagotait à  trop de monde ! Voyaient-ils pas ?  Comment le lui parler, et contenir ce flux qui les emportait tous si loin du sillon natal ? Leur République ! La mort  qu’ils gagneraient en ville, la mort ! Elle le savait d’instinct, tournant ses yeux sauvages comme les grains de son chapelet, les regardant qui se murmuraient oui, robustes et fragiles tels, au soir, deux bêtes d’étables rompues des champs, trouvant leur place l’une contre l’autre dans le foin sec, comme séparés du vrai monde...

etiennette buisson,littérature,lyon,canuts,france,aveyze,grandes terres

Edwin Holgate, Le Labour, Gravure sur bois, 1928

Les noms en rouge renvoient aux textes précedents


07:29 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : etiennette buisson, littérature, lyon, canuts, france, aveyze, grandes terres | | |

mercredi, 16 mai 2012

Gazette de Solko n°27

gazette-de-solko-27.gif

Cliquez sur la photo pour agrandir

20:37 | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : solko, politique, france | | |

mardi, 15 mai 2012

Une journée normale

 

hollande,ps,politique,président normal

Un soleil normal s’étant levé en plein centre d’un ciel normal, la journée qui s’annonçait promettait d’être des plus normales. C’est donc très normalement vêtu d’une cravate normale qu’un homme normal s’apprêtait à entrer pour cinq dans un palais on ne peut plus normal.

Entouré de ses amis normaux, cet homme normal échangea quelques mots normaux avec son prédécesseur anormal, avant d’aller rendre un hommage normal à deux figures normales de la légende nationale, de nommer un Premier Ministre normal et de s’envoler dans un avion normal pour échanger quelques paroles normales avec une Chancelière dont on ne savait plus trop si elle était normale ou non.

C’était, il faut l’avouer, une curieuse époque sur ce vieux continent. Une époque où l’on ne savait plus trop, justement, ce qui était normal et ce qui ne l’était pas, tant chacun avait pris l’habitude de se considérer, lui-même et rien d’autre, comme le centre autour de quoi tout rassemblement normal devrait s’effectuer, tant tout ce qui n’était pas soi apparaissait à chacun comme anormal.

 Jamais on n’avait tant parlé de VALEURS avec de telles lettres capitales, c’est dire si ce qu’on taisait depuis des lustres aux électeurs devait être gravissime. Sur sa porte d’entrée normale était placardé un avis d’enquête, au sujet d’un assassinat normal qui s’était perpétré en pleine rue sur un citoyen normal. Cela aussi était normal. La violence était normale. L’endettement était normal. La propagande était normale.

En rentrant de son boulot normal, il alluma sa télé normale. A l’image, le président cligna de ses yeux ronds, semblables à ceux de pigeons des rues, des yeux ronds et normaux, avant de s’engouffrer dans son avion. Le président était normal. Tout était normal. Il put donc s’abandonner à un sommeil normal, comme si la statistique partout régnante était à même de rassurer jusqu’aux fibres les plus inquiètes de son corps. Ah, c’était quand même bon de sentir autour de soi, et jusqu’au fin fond de l’univers, tant de normalité dorénavant régnant sur le monde, tant de justice et tant d’égalité. Il poussa un soupir de contentement, roulé en boule comme un gros chat entre quatre planches en sapin, et commença à ronfler.

07:50 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : politique, président normal, france | | |