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lundi, 18 mai 2009

L'automne

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On se sait pas trop comment la nommer, paraît-il. Grippe porcine, mexicaine, nord américaine... 

 

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dimanche, 17 mai 2009

De l'art de citer

Dans son traité des études monastiques, Dom Mabillon invite tout lecteur assidu à tenir des recueils de citations, pour y écrire « les choses remarquables qui se présentent dans la lecture afin de ne pas les perdre tout à fait, et de ne pas les abandonner à l’aventure d’une mémoire infidèle ou chancelante.» Je ne sais si beaucoup de gens - même parmi les étudiants (…), même parmi les intellectuels ( ???), même parmi les écrivains (!!!)- ont encore le bon heur de suivre cet avis. Il me semble que non, en constatant autour de moi la façon dont beaucoup de contemporains laissent leur mémoire se fragmenter dans les perceptions instantanées d’un monde, fait en seul part d’images et de sons, sans devenir. Montaigne, qui en fit grand usage, voit dans la citation un compagnonnage assumé, pour ne pas dire revendiqué, avec les Auteurs du passé : « Je fais dire aux autres ce que je ne puis si bien dire, tantôt par faiblesse de mon langage, tantôt par faiblesse de mon sens. » (Des Livres - II,9). Il semble bien que Richard Millet ait raison, hélas, qui dans son Désenchantement de la Littérature, a remarqué (p 16) « qu’il n’y a plus dans le monde d’écrivain dont on puisse dire qu’il est une figure », les écrivains « n’étant plus qu’une image, photographique, toujours la même , interchangeable, inévitablement posée, donc putassière… ». Difficile, en effet, de citer une image…

Citer est pourtant une activité d’esprit aussi remarquable que délicieuse. Une habitude perdue ? Si nous ne lisons plus que des images et puisque nous n'avons plus le moyen ni la capacité de nous éprendre de figures, c’est bien possible. Il est convenu de penser aujourd’hui que les auteurs d’avant l’automobile, que dis-je l’automobile, d’avant la télé, que dis-je la télé, d’avant l’Internet, n’ont plus grand-chose à nous apprendre, ayant vécu dans un monde décidément aussi différent du nôtre qu’un corps de fermes rustique l’est d’une cité de banlieue avec barres et supermarché. La plus grande partie de la population, dans l’ignorance où l’a dressée l’école, et le droit proclamé à l’imbécilité qu’autorise les courriers des lecteurs comme les émissions de Delarue ou les micros-trottoirs des JT, a d’ailleurs tourné le dos à la belle langue qui lui aurait permis de comprendre, d’aimer, de citer ces auteurs. A la façon de l’ami Clitandre de Molière, elle voit dans l’habitude de la citation un usage mondain plus pédant que plaisant (Femmes Savantes, I. 4) :

« De son étude enfin, je veux qu’elle se cache

Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache

Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,

Et clouer de l’esprit à ses moindres propos. »

 

Tout ceci est bien dommage. Mais qu’y faire. Certaines citations relèvent du bien commun, d’autres du trésor personnel, et nous devrions à toutes rendre droit de cité, dans nos discours comme dans nos moeurs. Il y aurait donc encore beaucoup à dire de l’usage des citations. Pratique de moine, privilège d'érudit, divertissement de mondain ? Je laisse à d’autres plus compétents que moi le soin d'en décider. Impossible, pourtant, de prendre congé sans au moins une citation : « La vie se passe à regarder d’une main mourir lentement tous ses amis d’un cancer généralisé et à attraper de l’autre un autobus en marche ». Voilà qui est dit. (Alexandre Vialatte, Chronique de la Montagne n° 670, du 15 mars 1966)

samedi, 16 mai 2009

Grevisse et la complaisance

Eventuel du subjonctif : Bien qu’on ait un présent ou un futur dans la principale, lorsque le verbe subordonné, tout en dépendant d’un verbe qui régit le subjonctif, exprime l’éventualité, il se met à l’imparfait ou au plus-que-parfait du subjonctif, ayant la valeur d’un conditionnel. Toutefois de nos jours, surtout dans la langue parlée, on met le plus souvent, dans ce cas, le présent ou le passé du subjonctif, selon le sens. Dans cet éventuel du subjonctif, l’imparfait correspond généralement au conditionnel présent, le plus-que-parfait au conditionnel passé.

-          Il n’y a aucun de ses sujets qui ne hasardât sa propre vie pour conserver celle d’un si bon roi (Fenelon – Telémaque, t. 1 = tous ses sujets hasarderaient)

-          Où est le poète qui osât proposer à des hommes bien nés de répéter publiquement des discours plats ou grossiers  (Diderot, Paradoxe sur le comédien)

-          On craint que la guerre, si  elle éclatait, n’entrainât des maux considérables  (Littré)

(Grevisse – Le Bon Usage - Eventuel du subjonctif)

C’est une constante, chez Grevisse, après avoir rappelé une règle de bon style, de s’empresser de rappeler qu’on peut toutefois, de nos jours, ne pas l’appliquer.

1936 : Parution du premier Bon Usage chez Duculot. Début de l’ère de la complaisance ?

jeudi, 14 mai 2009

Roger Planchon

Belle mort, que celle de Roger Planchon, finalement. Une crise cardiaque foudroyante, pour en finir avec un monde en train de perdre la boule. Jadis, dans un autre siècle, c’est-à-dire dans les années cinquante, il y a eu une véritable «folie Planchon », dans un ancien atelier de serrurerie au 3bis rue des Marronniers, à Lyon, avec Jean Bouise et sa bande d’enragés. La folie s’est ensuite peu à peu institutionnalisée, labélisée. Mégalomanisée, disent les acides. Jusqu’à ce que le TNP devienne un lieu pour abonnés, au sens le plus trivial et le plus désolant du terme. Un lieu scolaire. L’aventure des CNP en toile de fond.

A Villeurbanne, Planchon, dont le nom-même désignait  la vocation, était devenu une sorte de guru irascible ; mais au fond, comment pouvait-il en être autrement ? On peut reconnaître ce mérite à Roger Planchon, d’avoir maintenu vivante une tradition qui venait de loin, de Charles Dullin et de Jacques Copeau au moins autant que des plateaux de son Ardèche originelle la sciure du bistrot paternel. Et qui, après être passée par Jean Vilar et le théâtre étudiant des années soixante, s'était certes figé peu à peu entre ses mains vieillissantes : Mais n'est-ce pas aussi ce qui est arrivé au pays lui-même ?

Christian Schiaretti, plusieurs fois moliérisé il y a quelques semaines, a repris ce flambeau. Fidèle et sage continuateur de ce qu'on appela un jour la décentralisation populaire et critique. Le TNP est actuellement en travaux, « hors-les-murs » comme on dit. A sa réouverture, à l’heure de couper les rubans, l’une des salles qu'on aménage actuellement portera sans doute le nom de son ancien directeur. Une rue de Villeurbanne, non loin de là, également.  

 Ce qui est justice, car Planchon, qu’on n’aime ou pas, emporte avec lui un style et une époque. Une dimension également. C'est cela sans doute qu'on regrettera le plus.


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09:11 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : théâtre, tnp, villeurbanne, roger planchon, répertoire, actualité, lyon | | |

mercredi, 13 mai 2009

Les vingt cinq francs de Flaubert

La mobilisation de 1870, puis la sévérité des premiers revers militaires provoquent  une vive panique chez le public, ainsi que la décision de la Banque de France d’abaisser à 25 francs sa plus petite coupure.  A partir d’un projet abandonné d’un billet de 50 francs déjà gravé mais non imprimé, elle improvise ce billet historique, qui offre au recto une allégorie de l’industrie dessinée par Chazal, très classique, dans un cadre de feuillage, et au verso, une femme symbolisant la Banque. Le siège de Paris et la Commune  en suspendent l’impression après 875 000 billets, et c’est à Clermont, où s’ouvre une imprimerie « délocalisée », que s’achève le tirage. Clermont a été choisi en raison de sa proximité avec Thiers, d’où provenait le papier vergé. Cette valeur faciale est unique et ne sera jamais ré-utilisée par la Banque, après son abandon le 5 décembre 1870 ; d’où l’attrait pour les collectionneurs  de ces quelques alphabets  (un 25 francs 1870 se négocie, dans un état de conservation fort quelconque (il n’en existe aucun de conservé dans un état neuf), aux alentours de 2500 euros.

25 francs ! A quoi correspondaient 25 francs en 1870 ? Il faut rouvrir de vieux livres, chercher. Dans l’Argent, Zola évoque les coups de Saccard à cette époque où les titres font du yoyo et, lorsqu’ils tombent à leurs cours les plus bas, valent précisément entre quinze et trente francs. Le Desespéré de Léon Bloy se conclut par une aumône de vingt francs de la baronne de Poissy à Marchenoir, aumône que ce dernier confesse à son ami Leverdier. Daniel Eyssette, le héros du Petit Chose d'Alphonse Daudet, aux alentours des années 1865, est embauché dans un théâtre pour un salaire mensuel de cinquante francs.  D’après Alphonse Allais (A se tordre, 1891, quelques vingt ans plus tard, vingt-cinq francs, c’est à peu près le prix d’une montre. Mais la valeur exacte, précise, irréfutable -on a envie de dire éternelle -  de vingt-cinq francs, à quelques années près (1857 ), c'est bien l'ironie flaubertienne qui, dans le célèbre passage des comices agricoles de Madame Bovary, nous la rappelle

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lundi, 11 mai 2009

La tête dans le miroir

Peu importe qui c’était. Moi, je ne le connaissais pas. Vous non plus. Son nom, brutalement a fait par deux fois la une des journaux. Cela s’est passé à Lyon. A  Lyon-Vaise plus précisément. Vers 2h 30, une nuit, un homme est réveillé par des cris provenant de l’appartement du dessus, au 12ème étage. Il dira, plus tard : « Les cris sortaient de sa gorge ». Evidence, pour dire ce qui le dépasse, et de loin. Et puis aussi : « je n’ai pas osé monter, des bruits pareils, ça fait vraiment peur ». L’homme, donc, appelle la police ; vérification d’identité. Ils frappent au-dessus, ça ne répond pas, ils s’en retournent. Routine ? « Je suis persuadé que la police a raté l’assassin à cinq minutes près », dira l’homme. « Juste avant que la police arrive, j’ai entendu la porte du-dessus se refermer, l’ascenseur descendre. » Ambiance. Ambiance Derrick, n’est-ce pas ?

Là il faudrait presque un intermède. Une pub, comme il y en a après Derrick, vous savez ? Une pub pour les vélos d’appartement ou les barres de baignoires qui aident les personnes âgées à se relever dans l’eau glissante. Mais la maison n’a pas ça. On s’en passera. L’épisode reprend.

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Larry Clark, Tête coupée  (2003)

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dimanche, 10 mai 2009

Le sourire d'une mère (Pollio IV)

Le Pollio de Virgile pose à ses traducteurs un ultime problème,  avec une incertitude sur les mots «cui» et «parentes», lesquels pourraient être une altération de «qui» et de «parenti». « Cui non risere parentes » se traduit par « celui à qui ses parents n’ont pas souri » ; « qui non risere parenti » par « celui qui n’a pas souri à sa mère » (parent, au singulier, pouvant être l’un ou l’autre). La tradition manuscrite a longtemps privilégié la première version (celui à qui n’ont pas souri ses parents), la tendance moderne préfère la seconde (celui qui n’a pas souri à sa mère), en s’appuyant sur une citation du texte de Virgile par Quintilien (mais Quintilien, le citant de mémoire, a pu se tromper). D’autres solutions font alterner le datif (cui) et le singulier (parenti).

Laquelle est la bonne ?  Nul ne le sait. Laquelle est la meilleure ? 

Celui qui n’a reçu aucun amour de ses parents prend dans la vie un bien mauvais départ, c’est bien connu. Le sourire de la mère, notamment (que Romain Gary appela ironiquement « la promesse de l’aube »)  toute une tradition judéo-chrétienne en fit le prélude aux grands destins, à commencer par celui du Christ lui-même. Les partisans du second choix préfèrent que l’enfant prenne les devant et sourie le premier. Ils s’appuient sur de vieilles chansons de nourrice dans lesquelles on invite le nouveau-né à faire risette pour devenir méritant :

 « Celui qui n'a pas fait risette à maman,

le dieu ne l'a pas pris à sa table,

ceux qui n'ont pas fait risette à maman,

la déesse ne les a pas pris dans son lit. »

 

De la mère ou de l’enfant, qui invite l’autre à sourire ? On ne va pas organiser un concours, et le mystère virgilien reste entier.  Voici deux solutions contraires, la première de Cabaret-Dupaty (1878), la seconde de Paul Valéry :

 

Commence, jeune enfant, à reconnaître ta mère à son sourire.

Ta mère, pendant dix mois, a souffert de longs ennuis.

Commence, jeune enfant. Celui à qui ses parents n'ont pas souri

ne fut jamais trouvé digne de partager la table d'un dieu, ni le lit d'une déesse.

 

Sache par ton sourire accueillir cette mère

(Qui, durant dix longs mois, t'a porté dans son sein) ;

Pour sa mère, celui qui n'eut pas ce sourire

N'aura les mets des dieux, ni le lit des déesses.

 

Pour finir, voici celle qui me semble convenir (vers 48 à 63)    

 

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09:40 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pollio, virgile, bucolique, littérature latine | | |

samedi, 09 mai 2009

Virgile et l'esprit prophétique (Pollio 3)

Le Pollio de Virgile, l’un des textes les plus importants de l’Antiquité ? La question reste pendante, en raison surtout de la double lecture qu’il a occasionnée, presque sitôt qu’il fut connu. La première, romaniste, fait de l’enfant le fils du consul Pollio, Asinius Gallus. Celui-ci, grandissant dans un monde « qu’auront apaisé les vertu de son père », verra au fur et à mesure de sa croissance refleurir sur terre l’âge d’or, placé dès le vers 6 sous le signe de la vierge Thémis, fille de Zeus et déesse de la justice. Les crimes des temps passés, par deux fois évoqués (sceleris vestigia nostri , vers 13 & vestigia fraudis, vers31), se comprennent fort bien comme des allusions aux crimes que représentent aux yeux de Virgile les guerres civiles et le déchainement de cruautés auquel elles ont donné lieu, pour la troisième fois en mois d’un siècle. Quant à la promesse en un âge d’or imminent, il se comprend comme une transposition poétique de l’espoir suscité par la paix de Brindes. L’allusion à la Sibylle de Cumes et à ses prophéties a cependant très tôt nourri une autre lecture, dite orientaliste, car le christianisme antique, puis médiéval, a très vite a reconnu le Christ lui-même dans l’enfant de la quatrième églogue : c’est cette interprétation qu’officialisera en quelque sorte l’empereur Constantin dans son fameux Discours des Saints, vraisemblablement prononcé le 7 avril 323, dans lequel il énumère, parmi les prophètes du Christ, à côté des Saints de l’ancien Testament, les oracles de la Sibylle d’Erythrée et surtout les espérances qui parsèment la quatrième Bucolique de Virgile. Virgile, prophète du Christ, l’idée est reprise par Saint-Augustin dans la Cité de Dieu (livre X, chapitre 27) : «Que Virgile, en effet, ne parle pas ici de son propre chef, c’est ce qui ressort du vers quatrième de l’Eglogue : Voici désormais venu le dernier âge de  l’oracle de Cumes.  Et donc  il saute aux yeux que c’est d’après la sibylle de Cumes qu’il a dit cela. »

Dans cette optique, l’ancienne malice responsable des anciens crimes se lit telle une trace du péché originel, l’antique faute comme celle qui fut commise par les premiers parents dans le Paradis Terrestre, et l’enfant associé, dans une œuvre de circonstance, à la descendance de Pollion, devient une annonce de la venue du Christ, dont Virgile aurait eu vent grâce aux rumeurs issues d’Orient sur l’avènement d’un roi à venir et le rétablissement un nouvel ordre des siècles.

La double lecture de l’églogue de Virgile devint rapidement une controverse au fil des siècles, ce qui explique sans doute que dans l’article Sibylle de son Dictionnaire Philosophique (1764), le déiste Voltaire lui consacre un long développement :

« Enfin ce fut d’un poème de la sibylle de Cumes que l’on tira les principaux dogmes du christianisme. Constantin, dans le beau discours qu’il prononça devant l’assemblée des saints, montre que la quatrième églogue de Virgile n’est qu’une description prophétique du Sauveur, et que s’il n’a pas été l’objet immédiat du poète, il l’a été de la sibylle dont le poète a emprunté ses idées; laquelle, étant remplie de l’esprit de Dieu, avait annoncé la naissance du Rédempteur.  On crut voir dans ce poème le miracle de la naissance de Jésus d’une vierge, l’abolition du péché par la prédication de l’Évangile, l’abolition de la peine par la grâce du Rédempteur. On y crut voir l’ancien serpent terrassé, et le venin mortel dont il a empoisonné la nature humaine entièrement amorti. On y crut voir que la grâce du Seigneur, quelque puissante qu’elle soit, laisserait néanmoins subsister dans les fidèles des restes et des vestiges du péché; en un mot, on y crut voir Jésus-Christ annoncé sons le grand caractère de fils de Dieu. Il y a dans cette églogue quantité d’autres traits qu’on dirait avoir été copiés d’après les prophètes juifs, et qui s’appliquent d’eux-mêmes à Jésus-Christ; c’est du moins le sentiment de l’Église. Saint Augustin en a été persuadé comme les autres, et a prétendu qu’on ne peut appliquer qu’à Jésus-Christ les vers de Virgile. Enfin les plus habiles modernes soutiennent la même opinion. »

Plus tard, dans le « Onzième entretien » des Soirées de Saint-Pétersbourg,(1809) et dans le contexte contre-révolutionnaire, Joseph de Maistre ne peut ignorer la question à son tour : « Remontez aux siècles passés, transportez-vous à la naissance du Sauveur: à cette époque, une voix haute et mystérieuse, partie des régions orientales, ne s'écriait-elle pas: L'orient est sur le point de triompher; le vainqueur partira de la Judée; un enfant divin nous est donné, il va paraître, il descend du plus haut des cieux, il ramènera l'âge d'or sur la terre...?  Vous savez le reste. Ces idées étaient universellement répandues; et comme elles prêtaient infiniment à la poésie, le plus grand poète latin s'en empara et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans son Pollion, qui fut depuis traduit en assez beaux vers grecs, et lu dans cette langue au concile de Nicée par l'ordre de l'empereur Constantin. Certes, il était bien digne de la providence d'ordonner que ce cri du genre humain retentît à jamais dans les vers immortels de Virgile. Mais l'incurable incrédulité de notre siècle, au lieu de voir dans cette pièce ce qu'elle renferme réellement, c'est-à-dire un monument ineffable de l'esprit prophétique qui s'agitait alors dans l'univers, s'amuse à nous prouver doctement que Virgile n'était pas prophète, c'est-à-dire qu'une flûte ne sait pas la musique, et qu'il n'y a rien d'extraordinaire dans la quatrième églogue de ce poète; et vous ne trouverez pas de nouvelle édition ou traduction de Virgile qui ne contienne quelque noble effort de raisonnement et d'érudition pour embrouiller la chose du monde la plus claire. » Et plus loin :

« Et vous pouvez voir dans plusieurs récits, notamment dans les notes que Pope a jointes à sa traduction en vers du Pollion, que cette pièce pourrait passer pour une version d’Isaïe. Pourquoi voulez-vous qu’il n’en soit pas de même aujourd’hui ? L’univers est dans l’attente. Comment mépriserions-nous cette grande persuasion ? et de quel droit condamnerions-nous les hommes qui, avertis par ces signes divins, se livrent à de saintes recherches ? »

La réception de ce texte, de siècle en siècle, épouse ainsi les contours de l’histoire de la spiritualité en Occident. Le héros de la quatrième bucolique témoigne de la puissance de la littérature : car il fait figure de passeur, de passeur poétique et si l’on veut chimérique, mi païen, mi chrétien, et déjà  humaniste. Héros littéraire, et non idéologique : J’ignore quel avenir lui réserve la société post moderne, bizarre alliance de superstitions malsaines et de rationalisme corrompu : L’enfant de la quatrième bucolique pourra-t-il survivre encore longtemps dans un univers qui traite aussi mal ses rivières, ses hommes et ses livres, et sera-t-il à même, sans parler d’instaurer un nouvel ordre des siècles, de faire rentrer le monde dans  ses gonds ? 

Ci-dessous, suite de la traduction en cours (vers 31 à 47)

 

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vendredi, 08 mai 2009

Pollio (2)

Si les Grecs faisaient déjà référence au mythe de l’âge d’or, et en tout premier lieu Hésiode, ce sont les Latins et, en tout premier lieu Virgile, qui l’ont inscrit avec enthousiasme dans une perception déjà expérimentée de la nature et du temps, du déroulement raisonné des saisons dans lequel ils ont conçu l’histoire de leur développement technique comme celui de leur rayonnement intellectuel. Le trait de génie de Virgile, dans cette Quatrième Bucolique, c’est bien de transformer un mythe de la déchéance (l’âge d’or est derrière nous) en mythe de la résurrection (l’âge d’or est devant nous) ; voici donc que l’Age d’Or n’est plus un âge perdu, mais un âge à venir qui s’inscrit dans un calendrier des saisons immédiates parfaitement identifié ; avec lui, le temps de l’humaine condition n’est plus, comme chez les Grecs, marqué par la précarité et la fragilité de ce qui est périssable, mais par la confiance dans le devenir futur d’une civilisation capable de se rêver immortelle.

C’est ainsi que d’un point de vue poétique, la description de cet âge d’or à venir se fond dans celle d’une expérience sensuelle – et par-là purement bucolique – de la nature telle que l’enfant la découvre au présent : belle, colorée, odorante, soumise au désir de bonheur du poète inaugural. L’enfant, quittant son berceau, rencontre un monde sans danger, c’est-à-dire civilisé, sans ronces ni serpents. Un monde à sa convenance. Dans ce monde là, la jeunesse est studieuse et l’éducation se déplie autant à l’ombre des grands récits que dans les travaux des champs. La réussite exceptionnelle de ce texte tient ainsi au lien harmonieux qu’il crée entre la perspective de la civilisation humaine et  celle du cours de la nature, du déroulement des saisons et du déroulement de l’histoire humaine soudainement confondus. A la subtile et harmonieuse correspondance qu’il institue entre ce qu’Hannah Arendt appellera bien plus tard notre concept d’histoire et notre concept de nature, pour démontrer à quel point la crise de la culture et la disparition des humanités tiennent précisément au divorce que les temps modernes prononça entre les deux. Je poursuis donc ma traduction (vers 18 à 30).

 

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