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jeudi, 07 mai 2009

Pollio (1)

Je ne sais pas si c’est le plus grand texte de l’Antiquité, en tout cas je le considère comme l’un des plus grands textes de mon adolescence ; cette quatrième bucolique de Virgile par laquelle je compris quel lien poétique nous liait encore un peu, nous, français décadents, à la langue latine. Cet enfant, cette chimère héroïque en qui certains Pères de l’Eglise ont vu le Christ m’a fasciné comme peu de héros antiques, je dois le dire : cet enfant fut un passeur. Un passeur chimérique, un songe miraculeux.  Et puisque voici venir trois jours « de pont » (quelle expression idiote), je propose qu’on les passe en son auguste compagnie. Je débute ce soir avec les vers 1 à 17.  Le texte latin d’abord, puis la traduction que je propose. Je rappelle que Valery a livré du texte de Virgile une traduction fort célèbre qui fut publiée en 1957. On la trouvera sur ce site, ainsi que de nombreuses considérations de Pierre Campion, fort intéressantes. Pour les amoureux du latin de toute façon, toute traduction est une belle infidèle et le mieux consiste encore à apprendre peu à peu et par cœur le texte original. Belle occupation pour célébrer l’armistice.

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23:02 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature latine, pollio, virgile, bucolique | | |

mercredi, 06 mai 2009

Le banc des philosophes

Rêve-t-on encore sous les tilleuls et les marronniers de l'allée d'Argenson ? Sur le banc des philosophes, on ne s'entretient plus guère avec soi-même, "de politique, d'amour, de gout ou de philosophie". Politique, amour, gout, philosophie sont  devenus trop techniques pour n'avoir pas perdu le rêve. Les comédiens, eux-mêmes, ont remisé la jolie pantomime. Ils ont bouffé le Paradoxe jusqu'à plus soif, jusqu'à plus faim, et jusqu'à plus douleur. Et dans des cours de théâtre aussi techniques que des ateliers d'écriture, fifils et fillettes de famille sont devenus techniques, techniques, techniques jusque dans l'improvisation. N'importe quel oblibrius, n'importe quel olibria, pourvu que son papa ou sa maman lui paye quelque cours et ait quelque entregent, finit ainsi  par se retrouver capable de lustrer son nombril en faisant quelque joli sourire à un parterre désoeuvré qui l'applaudit. La petite Hus et le gros Bertin se seront bien reproduits et les suceurs de micros auront foutrement bien clôné le monde. Les Lumières brillaient jadis par leur liberté de ton ; quelques rayons captés à la va-vite et conservés dans du formol furent suffisants pour bâcler une idéologie du progrès démocratique dont nous crevons tous en baillant, technologiquement vôtre. Rameau, Rameau, nous manquons terriblement d'insolence véritable, nous en crevons même. Méritons-nous mieux que notre président qui ressemble à Louis de Funes et sa première dame dont le postérieur circula par les écrans du monde, aussi vite que la lumière, nous qui défilons en cortèges, sous des ballons ? La politique c'est technique, comme le syndicat, comme le mannequinnat, comme la révolte, comme tout le reste.

"J'entends, dit le neveu de Rameau à la fin du dialogue, la cloche qui sonne les vêpres de l'abbé de Canaye"; Invariablement fixée à six heures, la représentation de l'opéra était, du temps de Diderot, ainsi annoncée dans les jardins du Palais-Royal, une demi-heure avant le lever de rideau. C'était aussi l'heure des vêpres que, selon Louis Sébastien Mercier, le beau monde appelait "l'opéra des gueux" : entre les deux, cet abbé avait fait son choix. Hélas, à l'opéra comme à la basilique, j'ai peur de ne trouver à présent que les colifichets de la société du spectacle : à l'heure des pandémies intellectuelles annoncées, tout se transmet et se retransmet, et l'on n'entend plus guère sonner les cloches au pays des écrans, pas plus qu'on n'entend venir les virus dans celui des masques en cellulose. Dans la pâleur du lieu commun, nos pensées ne sont plus nos catins, mais nos légitimes.

lundi, 04 mai 2009

Victor Serge & les procès de Moscou

Entre Victor Serge (1890-1946) et Jean Galtier-Boissière (1891-1966), je n’aurais à priori jamais cru qu’il y eut le moindre lien. Or en feuilletant les Mémoires d’un Parisien (tome II, chapitre 44), je découvre que Galtier-Boissière rapporte assez longuement la relation épistolaire qu’il a nourrie avec Victor Serge, alors réfugié à Ixelles en Belgique, durant l’année1936, lorsqu’il confia à ce dernier la rédaction d’un numéro du Crapouillot, « De Lénine à Staline », qui parut en janvier 1937.

« Jamais, écrit Galtier-Boissière, je n’ai eu affaire à un collaborateur aussi ponctuel et aussi maître de sa plume. Il tint exactement ses engagements et le numéro parut à l’heure dite ». En raison de cet article qui dénonçait la dictature stalinienne, les purges et les exécutions arbitraires de 36 (Zinoviev, Kamenev, Smirnov…), le projet totalitaire de Staline (déjà dénoncé tel un fou, un dictateur et un sanguinaire), l’Humanité de l’époque mena contre Victor Serge une de ces campagnes dont ce journal, au même titre que d’autres, eut le triste secret lorsque ses intérêts idéologiques étaient en jeu.

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Victor Serge

 

 

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samedi, 02 mai 2009

Des programmes en littérature

Il y a, dans la notion pourtant indispensable de programmes scolaires, quelque chose qui doit glacer le sang de chacun dès lors qu’il s’applique à ce qu’on appelle sans plus trop savoir de quoi il s’agit à la littérature française. Car un programme a pour premier objectif, quel  que soit son contenu, d’être compréhensible et assimilable par tous. Et pour second, qu’il l’avoue ou non, de satisfaire les enjeux idéologiques de ceux qui l’ont conçu: ainsi l’OCDE a-t-elle averti dans l’une de ses brochures déjà ancienne (1998) que désormais, le classicisme,  jugé par elle « trop français » devrait être progressivement retiré des programmes au profit de l’Humanisme et des Lumières, mouvements culturels plus nettement européens. Les réformes des programmes de français de lycée adoptées dans la foulée ont vu dès lors une révision significative : on mettrait l’accent en classe de seconde sur le romantisme et le naturalisme, en classe de première sur l’humanisme et sur les Lumières, évacuant sans trop le dire le classicisme et ses auteurs soudainement considérés comme subversifs autant que réactionnaires pour avoir eu le malheur de vivre au siècle de Louis XIV.

 

Il faut se rappeler que le contenu d’un programme, lorsqu’il est question de littérature, ce sont les œuvres, les auteurs. Or il se trouve qu’une œuvre, un auteur, c’est exactement ce qui échappe de façon irréductible aux programmes et aux objectifs plus ou moins sains qui les gouvernent. La plupart du temps, dès lors, le sale boulot du prof de français, c’est d’une part de ramener à du commun ce qui n’est pas commun et  à du systématique ce qui échappe au système (afin de remplir la première formalité – rendre une œuvre assimilable par tous),  et d’autre part d’adapter à l’idéologie des temps présents ce qui appartient à celles des temps passés, et qu’importent les multiples contresens. Cette double entreprise de simplification et de travestissement des œuvres littéraires est ce qui  sous-tend depuis toujours l’élaboration d’un programme de lettres.  C’est ainsi, par exemple,  que Montaigne se retrouve dans la peau de l’homme qui doute, Montesquieu dans celle du penseur ironique, Voltaire dans celle du tolérant de service (ce qui est assez comique), tandis que Rousseau endosse la défroque du paranoïaque officiel. De ces quatre-là ne seront commentés que quelques textes devenus les timbres postes d’une République aphone et paradoxale, dont les élites refusent avec un aveuglement stupéfiant d’admettre qu’elle a cessé d’être un modèle pour le reste du monde.

 

Le plus regrettable dans tout cela, c’est que la langue et la littérature françaises, faites l’une pour être parlée, l’autre lue, toutes deux pratiquées, s’échappent de nos mémoires et de notre pratique. J’en veux pour preuve un fait assez étonnant : deux films, coup sur coup, prétendent de manière fort péremptoire poser « les problèmes de l’école » devant le public : L’Entre les Murs de Bégaudeau, et L’Année de la Jupe de Lilienfeld.  Ces deux films ridicules sont censés poser (pour l'enrichir) le débat sur l’école, les élèves des cités, leur insertion, l’autorité des adultes, la conduite d’un cours, blablablabla… Qu’ils posent, qu’ils posent. Et que leurs producteurs gagnent au passage quelques millions d’euros. Je remarquerai néanmoins une chose, que tout le monde semble oublier : c’est dans les deux cas au cours de Lettres qu’on s’en prend, sans ménagement, comme s'il était, ce malheureux cours de lettres, un simple prétexte d’une part, et puis l’affaire de tous, d'autre part…  Je ne dirai pas à quel point Bégaudeau et sa démagogie obscène me répugne, je l’ai déjà fait savoir publiquement. Je pose cette simple question : pourquoi est-ce le nom de Molière, cette fois-ci encore, que Sophie Marceau (1) demande à l’immigré de service, un flingue au poing ? Pourquoi Molière et pas la formule du sodium ? Pourquoi prof de lettres, et pas de maths ou de gestion ?

Voilà que par deux fois - pour mettre en scène le malaise qui a gagné l'école depuis que libéraux puis socialistes, socialistes puis libéraux, n'ont cessé de lui faire subir les réformes préconisées par des instances internationales -, on montre, sans le dire vraiment, que l'enseignement d'une "matière" (la littérature) est bien mal adaptée aux délectables temps post-modernes dans lesquels nous croupissons : Qu’on ne s’étonne pas, dès lors, que les professeurs de lettres soient, comme le disent certains, pessimistes, comme le disent d’autres, réactionnaires. Je veux bien endosser ces deux défroques, dès lors que mon métier est de permettre aux élèves qu’on me confie de lire aussi bien Louis Guilloux, président des écrivains anti fascistes, que Henri Béraud, prétendument collaborateur. Jules Valles que Charles Péguy. Diderot que Bossuet. André Gide que Maurice Barres. Nous parlons bien de littérature française, n’est-ce pas ?

 

 (1) : On me fait remarquer en commentaire que, par inadvertance, j'ai confondu Adjani et Marceau. Je précise que c'est un vrai lapsus. Si, pour céder à un freudisme de bas étage, j'analysais son "rapport avec l'inconscient", je crois pouvoir dire qu'il est révélateur de la grande estime dans laquelle je tiens ces deux dames; en tout cas de la manière dont je les trouve, comme tous ces êtres aussi étranges qu'erratiques qui flottent sur nos écrans, interchangeables : donnez quelques kilos à l'une, vous obtenez l'autre. Notez bien que ce que je dis des dames est tout aussi vrai des messieurs : on passe de dutronc père à dutronc fils, de delon père à delon fils, de bruno masure à laurent delahousse avec la même consternante facilité que de claire chazal à laurence ferrari; ce monde désolant fait de copies m'en fait oublier les majuscules...

vendredi, 01 mai 2009

L'Appel d'Alceste

Premier mai : tout simplement le premier jour d’un nouveau mois. Quoi d’autre ? Rien. Rien de plus, assurément.

 

Le monde approximatif continue de tourner sur l’axe du mensonge, et s’y grippe. Les générations successives s’époumonent en vain, les plus jeunes y laissant désormais la syntaxe de leurs pères  : l’ignorance tourne en leurs viscères, telle une toupie géante qui les épuise en les défigurant. Chacun, emporté par la creuse rotondité de son propre nombril vers la fin de sa ridicule course, consumé par les cercles qu’il aura accompli dans le vide et dans le vide en vain dessiné, sur le trottoir grimaçant de son idiotie, de sa démence, par tous les autres applaudies. Rien de plus. On appelle cela la fête ! Laissez rire Alceste ! Un simple mouvement de cil, pour fermer la paupière sur cette raréfaction de l’esprit, le temps de reprendre son souffle. Plonger le cœur en un appel misanthrope et souverain.

17:58 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alceste, poèsie, littérature, premier mai, néant, bétise | | |