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dimanche, 12 octobre 2008

Louis Guilloux, franc-tireur

« La trahison, ça commence de bonne heure, si on est capable de la ressentir» C'est Louis Guilloux qui parle. Il aurait eu 109 ans dans deux jours, s'il n'était mort, le 14 octobre 1980. Sur le site de l'INA, je viens de retrouver l'émission Apostrophes que Pivot lui a entièrement consacrée, le 2 juin 1978. Un grand moment de bonheur. Il n'y a que trois écrivains dont je possède toute l'œuvre à la maison. Guilloux est de ceux-là. L'émission est enregistrée à propos de la parution de Coco Perdu; très vite, on parle de La Maison du Peuple. Puis de l'engagement politique. Puis de la littérature. Ce qui frappe dans le regard, le sourire à peine esquissé de cet homme âgé, c'est aussi ce qui frappe dans son écriture : la douceur.  A propos de ce dernier roman, Coco Perdu, Guilloux déclare : 'j'ai voulu donner une signification à une quantité de français moyens qui subissent un dernier coup du sort dans ce qu'on appelle la retraite, et rien autour d'eux, qu'une société inerte, méchante, où ils ne trouvent aucune ressource."

« Littéraire ça veut dire mensonger, ça veut dire arrangé. », déclare-t-il un peu plus tard. Pivot feint de s'étonner. Toute la beauté du regard de Guilloux, soudain : dans cette envie de passer la rive qui l'a toujours séparé de Saint-Brieuc à Paris, de la retraite fertile en province aux honneurs de salons parisiens, d'une culture populaire qui fut celle de son cordonnier de père dans La Maison du Peuple,  à cette culture littéraire que la bourgeoisie, en effet, a annexée, que Guilloux à la fois aime et se défend d'aimer : "Quand j'ai pris conscience de  ma condition prolétarienne, je me suis rendu compte qu'on vivait dans un monde chrétien où personne n'était le frère de l'autre, républicain, où personne n'était l'égal de l'autre." Guilloux explique à petits mots brefs et saccadés, tout comme ses gestes, qu'il n'était pas à l'aise dans les partis, et qu'il n'est resté au parti socialiste qu'un seul jour : « J'étais à l'aise avec les manifestations des rues, avec les hommes, avec leurs idées mais pas dans les partis. » Pivot essaie de lui faire dire : « vous étiez un compagnon ». Il fait une moue. Lui-même s'accorde un seul titre : Franc-tireur :

guilloux.jpg

« J'ai toujours été dans une philosophie de gauche, socialisante, et même communisante, mais il y a un côté anarchisant, lié à l'écriture, qui est vraiment  mien. »

- Le sang noir, est-ce un roman pamphlet contre la bourgeoisie ? demande Pivot.

« On l'a pris pour un livre communiste, ce qui n'est pas le cas, c'est plutôt anarchisant », avoue son auteur en regardant, narquois, le journaliste. On sent que ça l'amuse. « Nous avons juste bavardé », dira-t-il à la fin de l'entretien... Il explique alors que Gide avait trouvé "qu'il y avait de quoi perdre pied dans son livre" et l'avait  invité à l'accompagner en URSS. Pivot s'excite un peu, flaire un scoop, mais à propos de ce fameux voyage, Guilloux rompt très vite : « On bouffait du caviar, on buvait de la vodka, on n'a pas désaoulé ! ». Même Gide ? risque Pivot.  A l'époque, Guilloux avait refusé de raconter ce qu'il va peut-être raconter, et qu'il appelle à présent : André Gide aux bains...  On sent que Guilloux méprise et respecte encore l'ainé et le bourgeois. Il n'en dit pas plus.

Quand Pivot lui demande ce qu'il pense de Staline, il répond : 

« Je ne suis pas un politique. Si j'étais plus violent, je serais volontiers terroriste... » 

Silence de Pivot. Guilloux s'explique :

« Tu n'es pas des nôtres : voilà ce que la bourgeoisie crie au prolétariat, davantage maintenant encore que quand j'étais jeune ... »

  Pivot « Qu'est ce que vous faites du progrès ? »

 Guilloux lance, tout net : « Quel Progrès ? Le frigidaire, la voiture ? Ecoutez, Bernard, quand même ! Ce n'est pas sérieux ! Je ne crois pas au bonheur par la diffusion, la prolifération des commodités, des machines. Ce sont des échappatoires, des fuites. Il n' y a qu'une question qui nous intéresse, ce n'est pas ce qu'est la vie, mais ce que nous pouvons en faire ».

Guilloux avoue que, de moins en moins, il croit que l'écrivain a & aura d'influence sur la société. Pour tout dire, il sait que l'écrivain n'en a déjà plus aucune et regarde l'homme d'Apostrophes avec une sorte d'incrédulité à la fois paterne et jovial :

« On devrait se taire, se foutre en grève », dit-il à Pivot.  

« On devrait dire à ceux qui aiment l'argent : Vous aimez l'argent : mangez le ! Des tartines de billets de mille balles, ça doit pas être mauvais, pour ceux qui aiment l'argent... »

 

Louis Guilloux avoue avoir partagé avec Albert Camus ce qu'il appelle une grande parenté d'esprit : »Sa mère, que j'ai connue était une femme de ménage illettrée. Une grande dame ! (il sourit) Elle avait toute la noblesse qu'on pouvait désirer. Ouais ! (Guilloux ponctue souvent ses phrases d'un de ces ouais, un ouais de ce genre, en rupture avec tout le reste de son phrasé, comme le serait un terme d'argot.) Un jour, Camus m'a raconté une anecdote très jolie. Il m'a dit, tu sais, j'ai dit à Maman : -j'ai été invité chez le Président de la République, à l'Elysée. Ah ! dit sa mère : Qu'est-ce qu'il t'a fait à manger ? - Ben je n'sais pas, parce que n'y suis pas allé... - Ah! réplique-t-elle... - Oui c'est pas des gens comme nous. C'était un homme charmant, rajoute Guilloux, je l'aimais spontanément. »

 C'est Camus qui rédigea la préface de la ré-édition dans Les Cahiers Rouges de Grasset de La Maison du Peuple, récit grâce auquel Guilloux avait fait, en 1927, « son entrée dans le monde des lettres ».

A ce moment-là, Pivot lit la plus célèbre phrase de cette préface : « Voilà pourquoi j'admire et j'aime l'œuvre de Louis Guilloux, qui ne flatte ni ne méprise le peuple dont il parle et qui restitue la seule grandeur qu'on ne puisse lui arracher, celle de la vérité." »Guilloux le regarde, muet.

Guilloux-1a838.jpgDerrière eux, un mur tapissé d'exemplaires de la "blanche" de Gallimard, du temps de sa grandeur et de son rayonnement. Encore que... A propos du rayonnement des livres,  Guilloux de se racler la gorge et de balancer, comme en s'excusant,  à Pivot : « Je ne crois pas qu'un livre puisse changer quoi que ce soit... »

Pivot relance la conversation : eMais alors, c'est avec Sartre et Aragon que vous auriez dû être amis, non ?e. Et Guilloux, en riant  : eEh ben non ! ça parait bizarre, n’est-ce pas... (il s'attarde sur le cas  Aragon) Je ne nie pas son talent, je ne nie pas son charme, grince-t-il. Mais enfin...On aurait pu être ami, on ne l'a pas été. »  (Pour l'anecdote, de retour du Voyage en URSS en 1937, les deux hommes ont participé à la création d'un journal communiste, Ce soir. C'est alors qu’Aragon lui a demandé d'attaquer Gide, qui venait de publier son Retour en URSS. Guilloux refuse. Le 1er septembre, Guilloux rejoint Saint-Brieuc, où il préside en temps que "franc-tireur" un comité de soutien aux réfugiés espagnols.)  Pivot, du coup, tente de revenir à Sartre; mais Louis Guilloux, d'un ton tranché : "Connais pas !" Pivot s'étonne,

« Mais vous aviez le même éditeur, vous auriez pu vous rencontrer dans un couloir...

- Je ne l'ai pas rencontré; il ne m'a pas rencontré non plus."

-Comme c'est dommage, insiste Pivot.

-Pourquoi ? -

Ce qui est bizarre c'est que ni vous ni lui n'ayez fait l'effort de rencontrer l'autre.

Un geste de la main :

-Ben non ! »

 

Louis Guilloux et Malraux : Et avec Malraux ?  Là, le maître de Saint-Brieuc sourit, il hausse les sourcils, déroule une main : "Grand ami, de toujours !". Guilloux explique que l'amitié doit toujours transcender les idées politiques. Il prend le ton de la confidence heureuse :

« Je recevais des lettres de Malraux, quand il était ministre, ses lettres étaient signées d'un petit chat. »

 Pivot, interloqué :

« - ça veut dire quoi, ça ?

- C'était le chat... Il aimait, il adorait les chats, et il signait les lettres à ses amis d'un chat, toujours…

- Mais quand il était ministre du Général De Gaulle, vous deviez être exaspéré? »

  Guilloux s'énerve : « On parlait d'autre chose ». Pivot : « Vous ne lui en avez jamais voulu ? - Mais non», conclut Guilloux, d'un ton las et ferme.

Pivot n'insiste plus...

Lorsque sous la pioche des démolisseurs disparurent les maisons de la rue du Tonneau, à Saint-Brieuc, et l'ancienne échoppe de son père, si magnifiquement décrites dans le Pain des Rêves. Guilloux, qui jouait un rôle de plus en plus important dans la Résistance, se trouva de plus en plus déprimé par le cours des événements. Malgré ses nombreux doutes, il poursuivit néanmoins l'écriture très besogneuse du Jeu de Patience : une prémonition ?

« La reprise de ma Chronique du Temps Passé devenait de plus en plus difficile. Si la peinture que j'avais tentée d'un monde d'autrefois ne semblait plus rien rejoindre de notre monde actuel, à plus forte raison n'intéressait-il pas l'avenir. Les hommes nouveaux ne seraient pas des hommes du souvenir, et même, ils ne voudraient pas en avoir ».

 

« Une année », dira-t-il sans malice à Bernard Pivot, (deux auraient dit les puristes) «  j'ai vécu une année dans le dix-neuvième siècle ! » Cela pouvait-il suffire à faire de lui un homme de ce siècle ? Pivot, avec le ton emprunté d'une fausse congratulation, avec l'arrogance inconsciente d'elle-même du moderne et du vivant fait :

« Mais non, vous êtes un homme du vingtième siècle, par vos engagements, par votre écriture… »

Louis Guilloux branle du chef :

Non, affirme-t-il. Non.

Et puis il résume très vite, avec une pointe de fierté dans la voix, son enfance passée dans la misère certes, mais surtout dans cette France d'avant Quatorze, dans ce monde que Stefan Zweig a génialement appelé Le Monde d'hier...

« Je suis, affirme-t-il sans le moindre équivoque, un homme du dix-neuvième siècle. »

 

Quand on voit, a-t-il écrit dans une page de ses Carnets, ce que les réalistes auront fait du vingtième siècle... 

18:06 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : louis guilloux, littérature, actualité, culture, saint-brieuc, coco perdu | | |

vendredi, 10 octobre 2008

Un billet pour la Paix

B32.jpg

 Il y a dans ce billet de 500 francs que la Banque de France commanda à Sébastien Laurent, le 23 décembre 1938, quelque chose d'extrêmement touchant. Cela tient au fait que le peintre prit ses propres enfants pour modèles : le billet représente une femme en buste, blonde, tenant un rameau de laurier, drapée de bleu et, au verso, les profils superposés d'un jeune travailleur et d'une jeune fille. Rita Dreyfus n'eut que le temps de la graver, le premier alphabet de sortir des presses, le 4 janvier 1940 :  Juin 40, la débâcle survenait. Il fut, curieusement, baptisé La Paix, ce billet à l'image de la jeunesse, de l'espérance, qui circula durant les années sombres de l'Occupation, de février 41 jusqu'au 4 juin 1945, date à laquelle il fut retiré.

Cette jeunesse, donc, qui se tient de profil, à l'esthétique quelque peu soviétique, tournée vers l'avenir, cette jeunesse qui fut celle de France aux années douloureuses, s'apprêtait sans le savoir à rencontrer l'Histoire. La Paix : l'histoire des billets, c'est celle du pays, elle en est indissociable, ce qui donne à ces images toute leur valeur à la fois symbolique et affective. Je songe, en regardant le profil de cette jeune fille, à Madame Denise Domenach-Lallich qui écrivit un très joli petit livre sur cette jeunesse-là durant ces années là, Demain il fera beau, aux éditions Permezel. « Journal, dit le sous-titre, d'une adolescente de novembre 1939 à septembre 1944 ».  Avec beaucoup de justesse, de tact, elle raconte quel fut le choix qui s'imposa à sa génération, alors qu'elle-même venait de passe son bachot. A propos de son engagement progressif dans la Résistance, voilà ce qu'elle dit :

« J'ai cherché loyalement de quel côté était le salut de la France; j'ai essayé de me dégager de toute sentimentalité, de tout préjugé. J'ai vraiment cherché loyalement. Et depuis que j'ai trouvé, je crois avoir trouvé le seul chemin sur lequel la France puisse s'engager sans faillir à sa dignité, sans trahir sa mission, c'est-à-dire avec l'espoir du salut au bout du dur chemin. J'essaye de faire comprendre aux autres, avec prudence, bien sûr, leur devoir. C'est difficile, dangereux surtout. Papa me l'a bien fait remarquer, mais je suis persuadée que nous n'obtiendrons pas le salut de la France sans mettre en péril notre tranquillité, et il le sait bien. »

Le billet est imprimé en quatre couleurs, sur papier de ramie. Le dernier alphabet imprimé de cette coupure date du 8 juin 1944.

 

21:13 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : billets français, domenach-lallich, sébastien laurent | | |

Sully Nobel Prudhodommisé...

20933-004-BE1DB136.jpgLe prix Nobel (200 000) francs est acquis à Sully-Prudhomme, envisagé par les académiciens de Stockholm, luthériens dessalés et moralistes perspicaces, comme l'ouvrier de "la plus belle oeuvre idéaliste". Le patriotisme en personne est forcé d'en convenir, même à Paris, on n'est pas plus bête que ça. L'heureux vainqueur à déclaré son intention d'employer cette somme à venir en aide aux poètes pauvres, sans se réserver un centime ( Blague idéaliste, dont la dérision n'a pas tardé à éclater).

D'après le Journal, Sully-Prudhomme fonde simplement un prix annuel de 1500 francs pour les jeunes poètes, à décerner par la Société des gens de lettres. C'est à cela que vient d'aboutir l'immense réclame d'immolation pour les pauvres. 1 500 francs, c'est à dire le quart du revenu de 200.000 à 3 pour 100 francs de bénef et le capital dans la profonde, sans préjudice  d'une réputation d'holocauste. L'idéalisme est plutôt une bonne affaire.

( Léon Bloy, 18 décembre 1901 /5 mars 1902  - "Quatre ans de captivité à Cochons-sur-marne"  (Journal, Bouquins, 1999)

PS. :  Ci-dessus, on reconnait Sully, pas Léon.  "La profonde", c'est la poche  (ah! les ressources inépuisables de l'argot ... )

jeudi, 09 octobre 2008

Oublier Le Clezio

La dernière fois que j'ai lu un Le Clezio, je l'ai même pas acheté. C'était il y a quelques années, à la Fnac. Son autobiographie. C'était si mal écrit, ou si pas écrit, ou écrit de façon si plate, que je me suis assis sur une chaise, j'ai commandé un petit café dans le coin buvette du centre de distribution d'objets culturels indéterminés et je l'ai -comme on dit d'une vitre quand on voit le jour à travers -, traversé. C'est la France qui va être contente : elle a pas eu les prochains Jeux Olympiques, on s'en souvient, c'est Londres qui a tiré le gros lot, ben elle a le Nobel de littérature. Remarquez, quand on pense que Pierre Perret est Chevalier des Arts et des Lettres, Le Clezio peut bien être labellisé, pardon javellisé, merde, je vais y arriver, nobélisé. Javellisé, il l'est déjà, depuis longtemps, bien propre sur soi et tout et tout, c'est pourquoi il a empôché le pâctole, le foutu cléziô. Il faudra que je retrouve ce soir en rentrant chez moi ce que Léon Bloy a écrit le jour où il a su que l'immortel Sully Prudhomme l'avait empoché, le premier Nobel de littérature. Je le retrouverai, promis.

En attendant, le français Yves Bonnefoy, qui a écrit une véritable œuvre littéraire, pour ne citer que lui, ne sera pas nobélisé. Une question : ce jury de Stockholm, il a appris à lire dans un cabinet d'expertise du genre de ceux qui font les classements des villes européennes, ou quoi ? Mais bon, on va pas s'indigner outre mesure, on va pas s'énerver pour autant. Louis Guilloux, qui a lui tout seul vaut quinze Le Clezio, n'a jamais eu le Nobel. Henri Béraud non plus. Je parle de ces deux-là, parce qu'ils sont tous les deux morts un mois d'octobre. L'un (Guilloux) fut président des écrivains anti-fascistes. L'autre (Béraud) fut le premier sur les listes des procès de l'épuration: La Gerbe d'Or, Le Sang Noir, Ciel de suie, Le Pain des Rêves, des livres de l'un, des livres de l'autre... Durant ce mois qui s'avance, de saines lectures, pour oublier Le Clezio...

 

I live in a Very Important City

 I live in a very important city. C'est moi qui suis fier. Pas peu fier ! Thank you to Gérard who made it possible, avec ses feuilles de route. Thank you Vincent Rocken , le journaliste du Progrès, sans qui on ne serait pas informé de l'importance qu'on a dans le monde. Thank you also to Jean Michel. Non, non, Jean Michel, ne t'en vas pas : tu as, tu as, toujours de beaux yeux... Thank you Juni, thank you Cris, Govou and Benzema.  Thank you, thank you, thank you  !!!! Il parait qu'une grève de footballeurs s'annonce. Les gars, déconnez pas. Cette putain de Coupe européenne, il nous la faut cette année, sur le bureau de l'Hôtel de Ville, nom de Dieu. Et les Marseillais, les Stéphanois, les Girondins, et tout et tout, faut les niquer. C'est nous, les champions. J'ai placé tout mon portefeuilles d'actions sur vous, si l'OL aussi suit le chemin des banques américaines, qu'allons-nous devenir ? On ne peut plus compter sur la parole de Nicolas Chauvin, bordel ? C'est un peu grâce à vous qu'on était passé, en 2007, au dix-septième rang européen, faut voir à le conserver, son rang !

Pauvre Nicolas ! Dix-sept blessures, trois doigts amputés ! Au joli temps de l'Empire, le chauvinisme était sans doute un sentiment encore assez simple : il n'y avait qu'une forme de chauvinisme, un chauvinisme un peu brut et paysan, franc du collier, made in mon clocher, le contraire du modèle citadin, bien plus tordu, lui, bien plus alambiqué. Ce chauvinisme rural avait peut-être encore un certain sens, remarquez bien. De la signification. En tous cas, il n'était pas un marché et personne n'aurait eu l'idée de le coter en bourse. Moi, tout ce qui a du sens, j'essaie de comprendre, je suis preneur. Le sens, c'est de l'histoire. Et l'histoire, c'est des hommes. Des siècles d'hommes. Le chauvinisme d'à présent, c'est plus compliqué. Un chauvinisme fabriqué en séries, un chauvinisme manufacturé à coup de hit-parades et de statistiques... Chacun a le sien : son club, sa marque, son genre, son label, sa cité. Du chauvinisme libéral. Toujours aussi identitaire, et donc toujours aussi bête. I live in a very important city. Du mauvais chauvinisme. Il fait mine de ne pas détruire le sentiment d'appartenir à un monde universel commun, rien qu'en surface. En profondeur, il brise les communautés, dissout les solidarités, place les particules en compétition, transforme chacun d'entre nous en une petite entreprise. 

Quand, dans l'esprit des hommes, la Cité n'est plus qu'un label, comment s'étonner de la mort du politique ? Quand, dans le cœur des hommes, le sentiment de l'Universel vacille, qu'est-ce qui est le mieux, le pire : le trou, le bled, ou bien la marque, le style ?  Sonia Rykiel, Calvin Klein ou Ploumschtroumpf les Bains, Montcalm les Jonquilles ?

 

 

08:24 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : europe, lyon, actualité, société, politique, chauvinisme | | |

mercredi, 08 octobre 2008

Common Indecency

En couverture de la feuille de chou local (Le Progrès) aujourd'hui, le clocher de la Charité. Forcément, ça m'interpelle, à cause de mes fantômes. Assis (malgré la pluie) sous l'auvent d'une terrasse de café, je découvre : « LYON peine à s'imposer parmi les villes d'Europe. »

Il existait donc sans que je n'en sache rien un top 20 des villes européennes ? La belle info... Question qualité de vie, Lyon serait (le journal, qui ne s'emmerde pas avec la modalisation, dit est ) la septième ville d'Europe (Devant Madrid et Londres !!!!).

Ah ?

Au classement général, toutes catégories confondues, Hambourg vient de doubler Lyon.  Vous aviez remarqué ? Par rapport à l'an dernier (le hit est donc annuel ?) Lyon a perdu une place. Les stars du classement sont Paris, Londres et Francfort.

C'est le cabinet Cushman et Wakefield qui a réalisé l'étude. Un cabinet aux States, of course. On ne précise pas qui l'a payée, cette étude... Le journaliste ignore les vertus du conditionnel : tout est à l'indicatif, comme dans le récit d'un match ou d'une étape du Tour de France. Sous le règne de la statistique et du bureau d'étude, tout est réel (ou n'est pas), gobable à merci. Comme je lape le fond de mon verre, je bois sans m'en rendre compte ces conneries que je lis. Mais tant pis.

Je connaissais les hit parades, les meilleurs ventes, les top ceci, cela, classements des clubs de foot, des plages, des crèches, des établissements scolaires, des personnalités préférées des Français... Tout ce qui a une particularité est ainsi fictivement placé en compétitivité avec tout ce qui en a une autre, dans  la novlangue du marché par ses dévoués sbires. J'ignorais que les "villes européennes", comme les entreprises, l'étaient aussi. Les Lyonnais distanciés par les Hambourgeois, quelle horreur. Il faut faire quelque chose et vite ! Gérard ! Un nouveau parc de vélov, une autre tour à la Part-Dieu, un second musée aux Confluents, un nouveau Benzema ! 

N'importe quoi, Gérard, mais vite... Lyon peine à s'imposer, tu te rends compte ? Je ne sais toujours pas par qui nous sommes ainsi placés en compétition les uns avec les autres : Autrement dit, qui paie le cabinet Cushman et Wakefield ?  Bravo et merci le Progrès pour la une. Une étude de marché bidon, un journal qui a besoin de titrer sur du local, un passage indu du conditionnel à l'indicatif : Il va falloir les doubler l'an prochain, ces putains de Hamburgers, pardon, de Hambourgeois, parce que sinon... 

Noyés, sommes nous, dans ce discours : common indecency - L'indécence désormais commune, du marché, si omniprésente qu'elle passe, partout - non, pas inaperçue, mais c'est pire - pour normale.

 

 

En couverture de la feuille de chou local (Le Progrès) aujourd'hui, le clocher de la Charité. Forcément, ça m'interpelle, à cause de mes fantômes. Assis (malgré la pluie) sous l'auvent d'une terrasse de café, je découvre : "LYON peine à s'imposer parmi les villes d'Europe." Il existait donc sans que je n'en sache rien un top 20 clocher_charite_300p.jpgdes villes européennes ? La belle info... Question qualité de vie, Lyon serait (le journal, qui ne s'emmerde pas avec la modalisation, dit est ) la septième ville d'Europe (Devant Madrid et Londres !!!!). Ah ? Au classement général, toutes catégories confondues, Hambourg vient de doubler Lyon.  Vous aviez remarqué ? Par rapport à l'an dernier (le "hit" est donc annuel ?) Lyon a perdu une place. Les "stars" du classement sont Paris, Londres et Francfort. C'est le cabinet Cushman et Wakefield qui a réalisé l'étude. Un cabinet aux States, of course. On ne précise pas qui l'a payée, cette étude... Le journaliste ignore les vertus du conditionnel : tout est à l'indicatif, comme dans le récit d'un match ou d'une étape du Tour de France. Sous le règne de la statistique et du bureau d'étude, tout est réel (ou n'est pas), gobable à merci. Comme je lape le fond de mon verre, je bois sans m'en rendre compte ces conneries que je lis. Mais tant pis.

Je connaissais les hit parades, les meilleurs ventes, les top ceci, cela, classements des clubs de foot, des plages, des crèches, des établissements scolaires, des personnalités préférées des Français... Tout ce qui a une particularité est ainsi fictivement placé en compétitivité avec tout ce qui en a une autre, dans  la novlangue du marché par ses dévoués sbires. J'ignorais que les "villes européennes", comme les entreprises, l'étaient aussi. Les Lyonnais distanciés par les Hambourgeois, quelle horreur. Il faut faire quelque chose et vite ! Gérard ! Un nouveau parc de vélov, une autre tour à la Part-Dieu, un second musée aux Confluents, un nouveau Benzema !  N'importe quoi, Gérard, mais vite... Lyon "peine" à s'imposer, tu te rends compte ? Je ne sais toujours pas par qui nous sommes ainsi placés en compétition les uns avec les autres : Autrement dit, qui paie le cabinet Cushman et Wakefield ?  Bravo et merci le Progrès pour la une. Une étude de marché bidon, un journal qui a besoin de titrer sur du local, un passage indû du conditionnel à l'indicatif : Il va falloir les doubler l'an prochain, ces putains de Hamburgers, pardon, de Hambourgeois, parce que sinon...  Noyés, sommes nous, dans ce discours : common indecency - L'indécence désormais commune, du marché, si omniprésente qu'elle passe, partout - non, pas inaperçue, mais c'est pire - pour normale.

 

21:06 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : common decency, lyon, gérard collomb | | |

COMMON DECENCY

 Orwell est, décidément, fort à la mode. Après Jean Claude Michéa, Bruce Bégout lui consacre un essai que l'excellente maison Allia vient d'éditer. Le petit livre est tout entier consacré à l'analyse du concept (mieux vaudrait dire, d'ailleurs, la notion, car Orwell avait en horreur ces échafaudages intellectuels qui font le bonheur des conversations de salon) - de la notion, donc - de common decency. De la décence ordinaire : Tous ceux qui souhaitent se familiariser avec la pensée d'Orwell - complexe, sur cette question - trouveront là, pour 6,10 euros, un bon guide. « La décence ordinaire est le revers de l'apparente indécence publique » (citation de Bégout en quatrième de couverture).  Mieux vaut, évidemment, lire directement les textes que Michea et Bégout commentent, à savoir les Essais, publiés par l'Encyclopédie des Nuisances. Et parmi eux ce très beau texte, au titre si évocateur : Tels étaient nos plaisirs.  Je ne remets nullement en doute la probité des critiques et des commentateurs. Mais enfin, qu'une notion si longtemps méprisée comme  la décence commune devienne peu à peu le concept phare d'une société qui érige aussi indécemment - et ce depuis tant d'années - l'opportuniste Noah, par exemple, en modèle national absolu, ou le trou du cul Bégaudeau  (tiens, j'ai appris ce matin qu'avec les entrées de  Entre les Murs, il songeait à racheter le FC Nantes en péril  : n'est-il pas ce Bégaudeau, comme un parfait Zidane de la littérature, un héros décent, fort justement adapté, lui aussi, à l'époque ? )  - voilà de quoi méditer pour la journée !

 

 

07:35 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : orwell, littérature, bruce bégout, bégaudeau, actualité, common decency, allia | | |

mardi, 07 octobre 2008

Débat de singes

"Le mot ne se négocie pas, il est simplement polysémique" : tel était le commentaire laissé par un anonyme "lexique en folie", à l'occasion de la première publication de ce texte, que je publie à nouveau, influencé (excédé ?) sans doute par ce que j'entends partout (radios - même dans le bus -on n'y échappe pas, c'est la crise, c'est la crise ! ..., TV, presse gratuite...). Si, hélas, les mots se négocient : Ils se vendent et s'achètent comme des putes, et ce depuis longtemps ; cela s'appelle lieux communs ( débités en campagnes de pub, de comm', et campagnes électorales) cela s'appelle rentrée littéraire, bande-annonce de films, clips, et bientôt dans certains cas, conversations du genre je t'aime moi non plus, savez ? ...) Si, hélas, bien sûr que le mot s'est vendu, et ce, je répète depuis longtemps. Ce n'est rien d'autre que ça, ce que de beaux esprits appellent "le déclin de la langue française".  En rapport, sans doute, avec le déclin du signe monétaire. Crise des signes en pays de singes, donc, telle pourrait être la manchette du journal de Solko, ce matin :

Ils n’étaient que signes, et le savaient tous deux :

la lettre et le nombre,

la syntaxe et la monnaie,

la métaphore et le commerce.

Quand la valeur de l’or

Ne s’énonça plus que sur le papier,

Le mot fit remarquer à la monnaie :

Tu n’as fait qu'imiter mon arbitraire;

L'homme, c’est par moi qu’il lui revient de s'exprimer !

 

Sans broncher, la monnaie répondit  :

"Ils sont bien trop nombreux, désormais ,

Pour entendre de ta bouche

Ce qui n’a que du sens :

J’ai moi de la valeur !

Quelles sont tes autres armes ?"

Le mot découvrit alors

L’éclatement sidéral de son être,

La signifiance, à l’infini,

A profusion, silence,parfum, musique,

Pensée, engagement, littérature...

 

Studieuse et très cynique,

La monnaie observait ce gueux tout en sueur.

"Ta parole n’est qu'une ruse,

Ricana-t-elle enfin :

Mon règne est ce qui vaut!"

Que dire, qu'écrire, que rire, depuis ?

Ce qui n’a plus, nulle part, de sens

Mendie sur les affiches un peu de sa valeur !

"C’est moi qui  te possède!"

Déclare,  souverainement prostituée,

Cette monnaie, singe fait signe,

A cette lettre, signe fait singe.

08:39 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : crise, monnaie, actualité, poésie, langue française, poèmes | | |

lundi, 06 octobre 2008

Passe des Cordeliers.

Des places de villes aux contours flous, il en existe un certain nombre un peu partout; cela s'appelle place, mais à bien y regarder, c'est au mieux un quelconque carrefour, lieu fade où le promeneur solitaire, comme le piéton contemplatif, ne trouve plus sa place. Il faudrait retirer une lettre aux plaques bleues de ces ronds-points, et les nommer passe, symbole de notre temps pour gens multipressés, qui ne font que passer.

Dans le premier arrondissement de Lyon se trouve ainsi la passe des Cordeliers. Elle fut ouverte en 1557, sur le cimetière des religieux qui, moyennant une redevance annuelle de cent livres que la Ville s'engageait à leur payer, lui ont alors cédé le terrain. Le Consulat a fait abattre les murs du vieux cimetière, vider les tombes, aplanir le sol bossu et, du nom des Cordeliers installés là depuis 1220, baptisé le funèbre enclos ouvert au trafic urbain. Un Turc installa là le premier café lyonnais, en 1660 (on écrivait alors caffé.) Cet antre prit naturellement le nom de Caffé Turc.

Au centre du cimetière se dressait jadis une très ancienne croix gothique. On la laissa presqu'un siècle au centre de la place. En 1748, comme elle tombait de vétusté, le Consulat la remplaça par la colonne du Méridien. Vingt mètres de haut : longtemps, affairistes & amoureux, qui la repéraient de loin, s'y donnèrent rendez-vous; si bien que les Cordeliers faillirent céder leur nom à ce qui, dans les conversations, devenait peu à peu « la place du Méridien ». Au-dessus de la colonne trônait une statue, celle d'URANIE, la muse aujourd'hui manquante sur le fronton de l'Opéra où n'en trônent que huit. Une Maison de Concert bâtie sur la place eut son heure de gloire puisque le jeune Mozart en personne s'y fit applaudir le 13 août 1766.

 

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La Colonne d'Uranie et la Maison du Concert firent les frais du ré-aménagement du Quartier par le préfet Vaisse, le Hausmann local de Napoléon III de triste mémoire puisqu'on dit qu'il ouvrit la Rue Impériale (future rue de la République) pour réprimer au canon plus facilement d'éventuelles émeutes de canuts. La place qu'on voit sur la gravure perdit peu à peu son caractère historique. On édifia à la gloire du Tout Puissant-Commerce le Palais de Dardel, flanqué du bas-relief assez mastoc représentant le Rhône et la Saône qu'on peut toujours y voir. Tony Desjardins planta juste à côté à côté ses fameuses Halles en 1860, dans le goût métallique de son époque. Ces Halles furent ratiboisées un siècle plus tard,  et installées à la Part-Dieu, dans un bâtiment sans originalité auquel on donna le nom de Paul Bocuse : sur la place des Cordeliers s'est dressé à leur place un magnifique parking qui fait la joie des touristes du monde entier attirés à Lyon par son classement UNESCO. On le voit, pour les bâtiments aussi, cette drôle de place ne devait être surtout que le lieu d'un passage éphémère. Les Grands Magasins Sineux, devenus Grands Magasins des Cordeliers, puis succursale des Galeries Lafayettes parisiennes-  et désormais de Planet Saturn- furent construits sur les plans de l'architecte Prosper Perrin. Un modeste bazar polonais qui avait ouvert au début du dix-neuvième siècle vola bien vite en éclat pour céder la place à une autre enseigne "A la Ville de Lyon", qui devint bien vite le fort populaire "Grand Bazar," depuis peu reconverti en un banal aquarium du label  Monoprix. Certains jours de juillet, quand il fait très chaud sur la vieille capitale des Gaules, le toit de ce machin-là s'avance sur le chaland de façon incroyablement menaçante.

Seule demeure, en place et au coeur de tout ce qui passe (et ne sait faire que cela), seule demeure et comme en apnée, tant l'espace s'est amenuisé et pollué autour d'elle, la vieille église dédiée à Bonaventure, l'italien séraphique au si joli nom, venu mourir à Lyon le 15 juillet 1274, lors du Concile Oecuménique convoqué par Grégoire X. Si vous passez par la passe des Cordeliers, entrez-y. Vous y trouverez d'abord du silence, de la fraîcheur et des bancs. Ce n'est pas négligeable par les temps qui courent. Puis vous ferez face à l'un des plus beaux orgues de la ville. Des rangées de lustres qui s'alignent là tombe un clair-obscur comme méditatif. Tous les anciens corps de métiers avaient jadis regroupé autour de l'autel de Saint-Bonaventure leurs chapelles latérales, dont les vitraux restaurés -la plupart s'étaient effondrés  lors du bombardement du pont Lafayette - étincèlent. Asseyez-vous. Laissez, à la lueur d'un cierge, à la note de l'orgue, le sanctuaire  s'animer dans la pénombre : le cœur du Moyen-âge, dans la bourrasque de la modernité, livre son premier et simple éclat. Sur la passe, enfin, le badaud trouve sa place.

 

19:37 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cordeliers, lyon, ville, grand bazar, société | | |