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jeudi, 11 février 2010

Un vers à la craie

J’avais pris la résolution d’être poète.

Poète à la craie, il va sans dire,

Poète des rues, si vous préférez.

Un matin d’avril – avril est un mois parfait pour ça-

Je séchais donc les laids cours

Et sur le trottoir de Bellecour

J’écrivis d’un trait :

« Combien m’achetez-vous ce bel alexandrin ? »

Rien.

Rien, forcément, quand j’y songe à nouveau

Et pourtant, sincèrement,

Je forçais le destin.

Mais le destin a parfois le corps sec.

Ce n’est qu’à la fin du jour

-Une journée, qu’on trouvait ça long à l’époque, n’est-ce pas ?-

Qu’une femme – et je revois encore son sourire,

Son galurin, son nez de clown,

Son imper vert -

S’arrêta devant mon unique vers, lequel n’avait pas d’autre tour

Dans son sac ni de trou dans sa

Culotte, étant pair, et,

Après l’avoir vraiment balayé du regard

Ne laissa rien qu’une enveloppe

Que j’ouvris, peu après son départ.

C’était un mois d’avril de l’an septante-trois

Comme quelques-uns diraient encor par ici

Si l'on était encore en ces temps-là :

« J’espère que tu ne triches pas.

Que tu n’es pas un imposteur ».

Et dans l’enveloppe, CECI.

07:57 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : corneille, littérature, place bellecour, poésie | | |

mardi, 09 février 2010

Les bibliothèques ivres

Il y a des bibliothèques ivres. Comme les hommes, qui ne marchent plus droit. Leurs rayons

Craquent, peu à peu. Ce qu’elles doivent soutenir, elles le laissent aller. Ce qu’elles doivent

Contenir, elles le laissent couler. Elles oublient, à leur façon.

 

Des livres droits, obliques, et puis couchés.

On ne sait du rayon, ou de la haute pile, qui se souvient de l’autre.

Compagnons.

 

Tout livre vient d’un temps multiple.

Or, sur les rayons des bibliothèques ivres,

De l’écrit cette dimension s’étend, vertigineuse.

Une paroi, sans hauteur ni fond.

 

Le désordre des bibliothèques ivres, tel le pas des poivrots :

Assurément, il conduit quelque part son chaland

Et reflète autre chose que sa destination :

Les bibliothèques ivres sont de sacrées contorsionnistes.

 

Cahiers, carnets, feuillets épars, statuettes :

Tout loge dans le ventre immobile des bibliothèques ivres,

Et même des flacons, et même des miroirs :

La plus humble facture y parait devenir  

Indicateur des marées.

 

 

 

06:19 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature | | |

lundi, 08 février 2010

Tout bas

J’ai retrouvé dans ma bibliothèque un exemplaire de la Poétique d’Aristote. J’ai pu constater l’autre mois en allant à Paris que la librairie où je l’avais acheté n’existe plus. Le livre est, lui, toujours-là, encore que quelque peu oublié, sur mes rayons : « Collection Poétique », aux éditions du Seuil, 1980. Des lignes, auxquelles je ne faisais pas attention à l’époque se découvrent. A la page 9, par exemple :

« La publication de ce livre a été facilitée par des aides financières de l’Ecole Normale supérieure et de la Compagnie IBM France. Que MM Jean Bousquet et Michel Hervé, directeurs de l’ENS, et M René Moreau, directeur du développement scientifique à la Compagnie IBM, soient ici remerciés de leur généreux appui. »

 

240_SH20_OU08_.jpgCe n'est qu'alors que je m'aperçois que l’édition est bilingue, ce dont je ne me souvenais pas du tout. Cela fait longtemps que mon regard ne s’était pas posé sur des paragraphes en grec ancien. Je ne saurais dire pourquoi, à cette heure, c’est si reposant. En couverture, le détail d’un bas relief de la cathédrale de Chartres, représentant Aristote. La préface est de Todorov et la traduction de Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot. Le texte et sa traduction occupent très exactement 107 pages (de la page 32 à la page 139). S’y rajoutent 270 pages de notes et une soixantaine d’autres, d’index et de bibliographie.

Ce livre, avant de vous le décrire, je l’ai feuilleté en rêvant. Et puis je me suis demandé – juste à titre de curiosité – combien il coûtait à l’époque. J’aurais voulu comparer avec ce qu’il coûterait à présent. Mes yeux se sont machinalement dirigés au bas du quatrième de couverture, là où il se trouve d’habitude. Surpris, je n’ai rien vu.

                                                                                      

Et puis je me suis rendu compte à quel point j’avais oublié l’état dans lequel se trouvait le  monde dans lequel j’avais grandi. Forcément. Ni l'évolution qu'il a subi.  C’est arrivé peu à peu, tout bas. C’était avant la loi sur le prix unique du livre. Bel apologue, finalement, dont je laisse à chacun tirer la morale.

mercredi, 03 février 2010

Avatars

Par les temps qui courent, c’est pas le genre de pari un peu dingue, une conférence (1) sur la littérature lyonnaise du siècle dernier, par temps neigeux, dans un cinéma de quartier, non ? La société du divertissement manque cruellement de fantaisie, c’est bien cela le problème. Et je maintiens qu’elle a besoin de tête à queue de ce genre pour ne pas sombrer tout à fait dans le pire des conformismes. Le conventionnel absolu. Je ne sais pas pourquoi - et ça n’a semble-t-il rien à voir avec le Schmilblick - mais que Patrick Partouche ait été placé en garde à vue, ça m’a fait très plaisir, même si je ne suis pas dupe de l’info. (Fin de la parenthèse.)

Dans la société du spectacle, donc, on est condamné à se répéter sans cesse. C'est pas une nouveauté. Le spectre de la routine guette et rode. Oh, ce n’est pas l’ennui (le vrai). Mais une sorte de désœuvrement collectif à fleur de peau.

Il s’agit donc de retrouver de l’intérêt, du vrai intérêt, sonnant et trébuchant, pour des idées et des faits qui, sur le marché de la culture et du divertissement officiels, ne valent plus clopinettes.

Léon Boitel & Pétrus Sambardier, je vous dis que ça : des avatars, pour de vrai…

(1) Voir affiche deux jours plus tôt…

 

 

04:35 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, littérature lyonnaise, avatars, léon boitel | | |

dimanche, 31 janvier 2010

Baudelaire et le spleen de Lyon

Le vingt-deuxième poème du Spleen de Paris, titré Crépuscule du soir, présente, dans la troisième version du journal La Presse publié en 1862, deux allusions à des toponymes lyonnais : l’hôpital de l’Antiquaille et la colline de Fourvière.

Dans la version définitive, celle du Figaro, datée de 1864 les deux mots ont disparu, l’un étant remplacé par là-haut.

« Quels sont les infortunés que le soir ne calme pas, et qui prennent, comme les hiboux, la venue de la nuit pour un signal de sabbat ? Cette sinistre ululation nous arrive du noir hospice des Antiquailles perché sur la montagne ; et, le soir, en fumant et en contemplant le repos de l’immense vallée, hérissée de maisons dont chaque fenêtre dit : « C’est ici la paix maintenant ; c’est ici la joie de la famille ! » je puis, quand le vent souffle de Fourvières (là-haut), bercer ma pensée étonnée à cette imitation des harmonies de l’enfer.

Le crépuscule excite les fous. — Je me souviens que j’ai eu deux amis que le crépuscule rendait tout malades… »

Dans la version de 1862, Fourvière porte un s final ce qui est conforme à la graphie des années 1830 : On le trouve dans le titre du livre de Boitel, Lyon vu de Fourvières. Dans l’une de ses études étymologiques de la Revue du Lyonnais (n° 316) datée de 1876, le baron Raverat s’interroge sur ce s final qui est alors en train de disparaître, rappelant que «Fourvière est un de ces mots qui ont le plus exercé l'imagination des archéologues lyonnais. »

En ce qui concerne le s de l’Antiquaille, il s’explique aussi fort bien si l’on se souvient que les Anticailles désignaient la collection d’antiquités (les débris d’objets gallo-romains) que Pierre Sala (1457-1529), ancien maître d’hôtel à la maison du Roi et bourgeois lettré, avait réunies dans la spacieuse demeure qu’il s’était fait construire au milieu des vignes. La villa était devenue le couvent des Visitandines puis, rachetée par la ville en 1806, il devint un hospice dans lequel on hospitalisa les fous jusqu’à l’ouverture, en 1876, de l’hôpital des Chazeaux. Baudelaire n’est pas le seul qu’indisposa le cri des fous quand tombait le crépuscule. Une immense rotonde, nommée « la rotonde des folles », construite de 1812 à 1814 et détruite en 1936 est demeurée légendaire.

Il est donc presque certain que Baudelaire a réutilisé un texte plus ancien, datant de ses années de collège à Lyon, de janvier 1832 à 1836, plaçant dans son spleen de Paris quelques miettes d’un spleen plus lyonnais. Le dessin d'Hubert de Saint-Didier ci dessous donne une idée du paysage lyonnais de cette époque, et le lavis de Leymarie nous rappelle l'hôpital perché sur la montagne ...

 

 

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Fourvière. Place des Minimes. Hospice de l'Antiquaille, par Balthazar Hubert de Saint-Didier, 1829-1832

 

 

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L'ancien quartier Saint-Georges, à Lyon, vu de la rive gauche de la Saône, vers 1840 [détail de la partie dominée par l'Antiquaille], phototypie d'après un lavis par H. Leymarie, ca 1840

21:01 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : baudelaire, spleen, littérature, fourvière, antiquaille | | |

samedi, 30 janvier 2010

La patrie des mots

A Bertrand

Nous avons, dans la marchandise, désappris le prix des choses.

N’empêche, la distance : les signes que nous échangeons

Ont valeur de réconfort.

L’hostilité des cas nous frappe inégalement.

Or, malgré l’arbitraire d’un tel tournoiement,

Nous connaissons, malgré leur exil, une patrie pour les mots

Où tenir bon, c’est se serrer les coudes.

10:16 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | | |

dimanche, 24 janvier 2010

Chronique du grand style et des transpositions cinématographiques de vies héroïques

C’est un 24 janvier (76) que naquit l’empereur Hadrien, dont Marguerite Yourcenar (1903-1987) dressa bien plus tard la flamboyante chronique. C’est aussi un 24 janvier (1857) que comparut pour « atteinte aux bonnes mœurs » un dénommé Gustave Flaubert, accusé d’avoir écrit Madame Bovary. Quel rapport, me direz-vous ?

Celui-ci : Dans ses Carnets de notes, Yourcenar a confié que l’idée des Mémoires d’Hadrien lui était venue d’une citation lue dans la Correspondance de Flaubert : « Les dieux n’étant plus et le Christ n’étant pas encore, il y a eu de Cicéron à Marc Aurèle un moment unique où l’homme seul a été » L’homme !

Le voilà, le rapport. Le rapport, c’est Alexandre Vialatte, expert patenté  devant l’Eternel du coq à l’âne et spécialiste, s’il en marguerite.jpgest, de la troublante question de l’homme dont les dernières nouvelles sont toujours les meilleures à prendre.

Un hasard heureux fait que la toute première de ses chroniques hebdomadaires qu'il écrivit pour le journal La Montagne un 24 janvier (celle de l’an de grâce mil neuf cent cinquante six) est précisément titrée : Marguerite de la nuit. Il n’y cause point de Yourcenar, mais de Claude Autant-Lara, lequel vient de signer une adaptation cinématographique d’un roman de Mac-Orlan (avec Michèle Morgan et Yves Montand) que le chroniqueur de la Montagne n’a que moyennement appréciée. Le roman de Marc Orlan, une parodie de Faust elle-même datée de 1924 était, nous dit Vialatte, possède « un ton, un style, un accent, une saveur, un goût ». Pour tout dire, c’était une appellation contrôlée. « Que reste-t-il au cinéma de cette appellation contrôlée » ? s’interroge-t-il, tout en jugeant ampoulé et, au final, faussement pathétique l’adaptation d’Autant-Lara : « Le grand style n’est jamais voulu. Il n’est pas nécessairement simple, mais il est toujours naturel ».

De nos jours, il semble que les adaptations de grands romans se comptent sur les doigts du pied. A cela, une cause bien naturelle serait qu’il ne s’écrit plus guère de grands romans, et que ceux du passé ont déjà été tous adaptés et pas toujours à la meilleure sauce. L’époque, à la fois amnésique et épuisée, édicte sa loi et d’autres transpositions cinématographiques voient le jour : celles des vies non pas illustres mais médiatiques, les vies de people. Ainsi, celle de Gainsbourg vient de donner matière après tant d’autres à une heure et quelques de pellicule. Inutile de vous dire que cet embaumement héroïque (parait que vivre une existence de peintre raté dans les affres du show-business dans la seconde moitié du vingtième siècle, c’est mener une « vie héroïque ») ne m’inspire guère.

Pourquoi ne ferait-on pas, dans le genre du film sur Gainsbarre, et après celui sur Piaf, Coluche, Mitterrand, De Gaulle (qu’est-ce que le cinéma est original…), une vie de Vialatte ? Non, sérieux. Je lance un appel d’offre à un producteur dont les guêtres traîneraient par là, moi, je veux bien faire le scénariste. On le verrait durant de longs plans écrire interminablement au stylo-plume, penché sur son bureau… Il traduirait Kafka, compulsant on ne sait quel vieux dictionnaire, gommant, raturant… A ses côtés le bruit d’un réveil matin de marque Jaz, qui ferait tic-tac, tic-tac, tic-tac. Il écrirait Battling le ténébreux avant guerre et puis les Fruits du Congo après guerre. A partir de 1952, il deviendrait chroniqueur à la Montagne. On le verrait alors chaque dimanche soir porter le texte de sa chronique, de son appartement au 158 rue Broca, d’où il observerait la cheminée de la Santé fumer à gros bouillons noirs, jusqu’à la gare de Lyon, d’où partirait le train pour Clermont-Ferrand. A la fin du film, il serait opéré de l’aorte à l’hôpital Necker, dans le quinzième arrondissement de Paris. Il ne s’en remettrait pas. Comme Gainsbarre, il fumerait. Mais on n’en ferait pas toute une histoire. Tout un mythe.

Ses Pascal, au lieu de les brûler à l’écran, il les porterait méticuleusement à sa banque. Comme tout le monde. Pour un tel sommet du septième art, il faudrait dégotter un acteur comme l’époque est incapable d’en produire : lent, minutieux, presque muet.

Tout cela, bien sûr, serait tourné en noir et blanc. En noir et blanc, comme les photos de Blanc et Demilly.

Mais je me suis écarté de mon sujet. Quel était-il d’ailleurs ? Le grand style ? Est-ce que cela a une espèce d’importance ? Pour qui donc ?

Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand.

samedi, 23 janvier 2010

Emile Baumann, rêveur et érudit

Né à Lyon le 24 novembre 1868 dans une famille de la bourgeoisie catholique, Emile Gabriel BAUMANN passa son adolescence dans cette ville, alors marquée par la défaite de 1870, et dans l’idée que la France n’avait plus une conscience très définie de ce qu’elle était. Après avoir suivi l’enseignement des jésuites de la rue Sainte-Hélène, il suivit en auditeur libre les cours de la Faculté de Lettres, qui se donnaient alors au Palais Saint Pierre. « Cette bâtisse pompeuse et enfumée, contenait des amphithéâtres vétustes avec de hautes fenêtres assez mornes » (1) Il y reçoit des cours de littérature grecque, latine, française et auprès de M. Régnaut, « un homme hirsute à cheveux blancs, sorte de paysan du Danube qui passait pour un phénomène de science », y découvre avec surprise et avidité le sanskrit.

Après son mariage avec sa cousine Marie Louise Chassaignon (1849-1930), de vingt ans son ainée, Baumann est reçu à l’agrégation de Lettres. Il n'en tire aucun plaisir, aucune gloire. « Je me laissai nommer où le bon plaisir de M. le Ministre, entendons d’un sous-chef de bureau ou d’un plus obscur gratte-papier ,fixa mon sort : venant de Lyon, je fus désigné pour un poste à Roanne, ville insipide, dont j’aimai cependant les entours montagneux ».

Après s’être disputé assez vertement avec son proviseur au sujet d'un discours de remise des prix, il est envoyé l'année suivante à Alger, où il se lie d’amitié avec le jeune professeur de rhétorique et écrivain  Louis Bertrand (1866-1941). « Où nous restions sûrs de nous accorder, c’était dans l’horreur du milieu que notre carrière nous forçait de côtoyer chaque jour, sinon de fréquenter. Parmi nos collègues, il y avait plusieurs grotesques, deux ou trois hommes intelligents et surtout de plats fonctionnaires » 

Après une représentation de Samson et Dalila à Alger, Baumann entre en relation avec Camille Saint-Saëns (1835-1921), dont son père, violoncelle solo à l’Opéra de Lyon, lui avait fait découvrir le talent dès sa treizième année : « En apprenant que Saint-Saëns venait passer l’hiver à Alger, je fus enivré de cette perspective ». Baumann rend plusieurs visites au compositeur, dans la villa que ce dernier a louée à la Pointe-Pescade.  En 1905, il publiera un essai sur le musicien.

On le retrouve à Nice en 1894 où il fait la connaissance du poète Joachim Gasquet qui y effectue son service militaire et de l’historien René Schneider, puis à Macon. Baumann est un solitaire, un mélancolique, et ses relations avec ses collègues ne s’arrangent guère : « Ces gens à notions parlaient un langage qui n’était pas le mien ; et mes enthousiasmes les irritaient comme une pose insupportable. Un point plus grave nous divisait : je m’affirmais catholique, la plupart étaient foncièrement irréligieux. En ces années 1899 et 1890, les Loges déchaînaient une explosion de fureur anticléricale. »  Eclate l’affaire Dreyfus. Baumann séduit par Barrès adhère à la campagne de la Patrie Française. Il prend une année de disponibilité et rejoint Lyon où il loue « un appartement  sur le quai de la Charité, au bord du Rhône, près du pont du Midi. » C’est alors qu’il commence son roman L’Immolé, qui paraîtra en 1907.

L’année suivante, il est réintégré à La Roche sur Yon (Vendée) où il enseigne jusqu’à la mort de son fils Henri, en 1907. « Péguy, écrira-t-il, rêvait d’être professeur de philosophie dans un petit lycée de province. Ce bonheur j’eus le courage de m’y tenir sept ans. » Il publie deux romans, l’Immolé (1907) et la Fosse aux lions (1911) le roman, écrira-t-il, « d’une maturité réfléchie ».  1914 survint, la mort de Péguy le bombardement de la cathédrale de Reims et  la rencontre de Léon Bloy dont il avait  découvert la Femme Pauvre en 1897 et avec lequel il entretenait depuis 1909 une relation épistolaire. A propos de L’Immolé Bloy avait noté dans son journal le 9 janvier 1910 : « Lu L’Immolé de Baumann, l’un des rares livres chrétiens de ce temps. On pourrait demander plus de style et même plus d’Absolu dans la pensée. Mais quelle hauteur, par comparaison. » Les deux hommes se rencontrent au Mans, le 28 septembre 1914 : « Je ne connaissais Baumann que par ses livres et par ses lettres. L’hospitalité qu’il nous donne est une occasion de causeries qui me font mieux apprécier cet excellent artiste à l’égard duquel je me reproche quelquefois d’avoir manqué de justice » consigne Bloy en date du 29. Et le 1er octobre : « Il faut partir. Je dis adieu à mon ami qui va tristement reprendre ses cours ».

Quant à Baumann, voici ce qu’il écrit : « Je les verrai toujours (lui, sa femme et sa fille) encombrés de paquets comme des bohèmes. Bloy, la cigarette aux lèvres, portait un feutre de rapin un ample pardessus déboutonné. Sa figure de vieux grognard à la moustache hirsute, avec des cheveux blancs mal tondus autour des oreilles respirait plus de bonhomie que de méfiance agressive. Les globes en saillie des ses yeux exprimaient de l’ahurissement, mais ne lançaient point de foudre (…). Un des premiers mots de Bloy fut :  J’ai soif ».

 

En 1922, Emile Baumann partage avec Giraudoux le prix Balzac pour Job le prédestiné et connait un franc succès. De plus en plus engagé dans un catholicisme militant, il se fâche avec les milieux anticléricaux et maçonniques qui peuplent sa hiérarchie et obtient une retraite anticipée en 1924. Il part alors visiter la Palestine et écrit un livre sur saint Paul qui parait l’année suivante et lui vaut une large audience.

 

 

L’appréciation de son proviseur en 1921, quelques trois ans avant sa retraite, sonne comme un épitaphe à la fois lucide et caustique, et finalement très flatteur, de cet écrivain austère et attachant : « Si M. Baumann est par vocation, un écrivain de  talent, il paraît être professeur par accident. »

Après la mort de sa femme en 1930 Emile Baumann a épousé Elisabeth de Groux (1894-1949), la fille du peintre belge Henry de Groux (1866-1949) et la filleule de Léon Bloy.

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En 1934, il publie un ouvrage sur sa ville natale (Lyon et le Lyonnais), illustré par des clichés de Blanc et Demilly. « Lyon, écrit-il, parait une des villes les plus énigmatiques du monde. Un lyonnais, mieux qu’un autre, a chance de savoir déchiffrer le visage du Sphinx puisqu’il a été nourri à son ombre, qu’il a respiré son haleine et qu’il a senti le poids de son mystère incorporé pour jamais à ses conditions et humeurs. »

Je me contenterai de recopier quelques lignes du chapitre IV, entièrement consacré à l’hôpital de la Charité, que le maire Herriot vient de destiner à la pioche des démolisseurs :

« Un des plus vénérables hospices lyonnais est la Charité, celui qu’on va détruire pour édifier sur ses ruines un hôtel des postes. Les vandales prétextent que ces vieux bâtiments ne répondent plus aux formules modernes de l’hygiène. Tout au moins devrait-on en sauver les parties les plus belles, le dôme du clocher nécéssaire à la perspective de Bellecour, la chapelle, la cour d’entrée, les galeries et les cloîtres. La salle des archives, les merveilleuses boiseries de ses armoires seront transportées à l’Hôtel-Dieu, jusqu’au jour où l’Hôtel-Dieu lui-même sera exterminé. La Charité, l’Hôtel-Dieu, ces noms périmés sonnent mal aux oreilles des philanthropes laïcisateurs et des apôtres de la solidarité. » (2)

 

Il est mort en 1941, laissant ses Mémoires (sous-titrés Infortunes et fortune d'une génération), lesquels sont publiés en 1943. Son recueil de promenades dans les quartiers et rues du Lyon historique, recueil rêveur et érudit, demeure l’un des chefs d’œuvre du genre.

 

(1)  Toutes les citations du billet sont tirées des Mémoires de Baumann, hormis la dernière.

(2)  Emile Baumann, Lyon et le Lyonnais, 1934

11:11 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, émile baumann, léon bloy, saint-saëns, de groux | | |

jeudi, 21 janvier 2010

Lyon, mon pays (Henri Béraud)

(re)Voici un document rare. Exceptionnel : la voix d'Henri Béraud lisant son texte « Lyon, mon pays ». L'enregistrement, chez Columbia, date de 1928 et, grâce au succès de La Gerbe d'Or et du Flaneur Salarié, l'écrivain vit alors ses meilleures années. Il lance d'entrée un "Ici Lyon" tonitruant. Voici tout d'abord une photo du 78 tours où l'on peut lire  « Lyon, mon pays, Propos de Henri Béraud sur Lyon et les chants ».

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Le disque tourne : « Lyon sur le Rhône, Lyon les brumes, Lyon les canuts, Lyon la mystique, Lyon la gourmande, Lyon la pluvieuse, Lyon la cendrée. Parfaitement : c'est mon pays ! » Le phrasé est impeccable, la voix est encore jeune, le texte prononcé sans emphase, l'accent, malgré les r grasseyés, maîtrisé, le ton vif et soutenu :  « Il faut s'attarder un peu pour comprendre la poésie de nos beaux soirs lyonnais, à l'heure où les cantiques de Fourvière s'enlacent à la chanson des métiers, tandis qu'un beau rayon suspend au-dessus des rues bleues les caresses de sa lumière mouillée »  Pour en savoir plus sur Henri Béraud, cliquez ICI ;  

pour écouter l'enregistrement, cliquez sur la flèchen au centre de la photo ci-dessous.

mis en ligne par six février

20:28 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (39) | Tags : béraud, littérature, lyon, enregistrement, mémoire | | |