mercredi, 06 janvier 2010
Vieilles serres
La neige tout autour d’eux, fins flocons sur la place, nous enrobe :
Lendemains de fêtes, peu de maraîchers au matin.
Sous l’auvent de la remorque, une vieille emmitouflée, le regard vif et rond, qui s’attarde. Le fromager (la soixantaine), la fromagère (itou), leur fils (la trentaine), eux s’activent : Chaussée de bottes à longs poils dans lequel disparait son pantalon-fuseau, elle pointe du doigt à travers la vitre tel fromage qu’elle gouterait bien, tel autre, sera-t-il à la hauteur de ses espérances ?
« Un peu de celui-ci – un peu cet autre-là », qu’elle montre de ses vieux doigts très bagués, tels ceux des vieux pigeons.
Et derrière, ça poireaute.
Vieilles griffes diamantées … Vieilles serres.
Le fromager est déjà passé à une autre cliente, pendant ce temps.
Au suivant.
La fromagère, très professionnelle, sa lame instruite, qui luit de ci de là – un fin morceau de ceci, un fin morceau de cela… La nonagénaire fait la moue, toute emmitouflée sous une large casquette de marque, revient à ses problèmes de santé.
Le fils, à mon intention : « Monsieur ? »
La nonagénaire aux yeux de faucon, qui jusqu’alors ne parlait qu’à sa mère, les plante férocement dans ceux du fils à cet instant :
« Mais pour vous c’est formidable ! » lui lance-t-elle…
La voix, d’une extrême dureté, est aussi d’une extrême suavité : A quelle cochonnerie pense-t-elle en le dévisageant ?
Lui, hésitant…
Beaucoup de choses traversent leur regard à tous deux.
Le temps qui file chez l’une. L’argent qui manque chez l’autre. Beaucoup d’humanité, en somme.
Un clin d’œil en ma direction : « Oui, dit-il, c’est formidable ! ».
Ses deux parents, qui s’activent sous l’auvent :
Le père, sous la casquette élimée, est en train d’enfoncer un large couteau dans un morceau de comté.
La mère, dans son tablier blanc, attend qu’enfin la nonagénaire, qui a dû déjà enterrer pas mal de monde à ce rythme là, on le sent tous, se décide.
Derrière ça s’impatiente.
Il neige et l’auvent n’est pas bien large.
C’est formidable, grince-t-il.
(Le temps, disaient les anciens, n'est-ce pas de l'argent ? ...)
Et Bonne année, lance Vieilles Serres à la cantonade, avant de revenir à ses fromages.
06:16 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : voeux, bonne année, 2010, société, france, nouvel an |
mercredi, 23 décembre 2009
La tête des poissons et tout le reste...
19:42 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (3) |
samedi, 19 décembre 2009
Moment de lire
Je ne sais pas quelle donne change la neige dans nos esprits saturés d’images et de mots. Elle apporte en effet de la fantaisie. Du silence également. Un doux acharnement (parfois dramatique pour eux) à remettre en cause les entreprises des hommes. 2400 personnes bloquées sous la Manche, apprend-on aujourd’hui. Nouvelle qui aurait stupéfié le quidam du dix-neuvième siècle et nous laisse de glace. Ce qui semble surtout déranger celui du vingt-et-unième, c’est l’annulation des sacro-saintes rencontres sportives de son week-end à la télé. On n’arrête pas le progrès.
Pendant ce temps, à Copenhague, on n’arrête pas non plus le progrès. Il y faudrait des siècles de neige ! Cela, c’est plus inquiétant. Mais inquiétant de manière diffuse. On s’habitue à ce qui est diffus. Vous verrez. Les écolos sont, paraît-il, en colère. Ils ne devraient pas. Ils vont se refaire une petite santé électorale avec l’échec de Copenhague. Et nous, nous ne sommes pas sortis de l’auberge.
Ah ! Si on avait dit à nos grand-mères que, par temps de grand froid, 2400 personnes seraient bloquées sous la Manche. Je n’attendais rien, pour ma part, de cette rencontre de chefs d’Etat. Sérieusement, qui attend quoi que ce soit de ces représentants des instances, sociétés, entreprises et institutions aux intérêts encore si liés à tout ce qui depuis un siècle a pollué à mort – c’est le moins qu’on puisse dire – la planète.
Il neige donc.
Salut des hommes, en quelque sorte. Les anciens parlaient de trêve hivernale, prélude à Noël.
Temps de s’offrir, sur papier, de beaux et grands moments de lecture.
20:55 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : météo, littérature |
mardi, 15 décembre 2009
Nouveaux pauvres et matériel humain
"La LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) est un fléau pour l'enseignement supérieur. Les professeurs n'ont plus le pouvoir. Il est progressivement accaparé par les services centraux (administration, compta, achats) qui eux seuls décident de ce qui est bon ou pas pour l'université.
Par exemple, le service comptabilité de Lyon 3 a décidé qu'en vertu de ses pouvoirs et de son logiciel de gestion des paies, les salaires des vacataires de l'université, constituant l'essentiel des effectifs seraient versés tous les 6 mois à compter de l'année à venir.
Les vacataires enseignants constituent l'essentiel des effectifs enseignants à Lyon 3. C'est-à-dire que sans eux, l'université ne tournerait pas rond. Les cours ne seraient plus assurés.
Un mouvement de résistance se serait organisé pour faire pression sur le président, qui n'y est pour rien et sur les services centraux. Cette affaire est grave : elle jetterait dans la précarité des centaines de personnes. Qui a les reins assez solides pour tenir 6 mois sans être payé ? Le fait n'est pas isolé, il concerne d'autres universités..
J'ai la chance d'y échapper pour le moment, je suis un administratif, contractuel mensualisé, mais je soutiens pleinement l'initiative contre cet absurdité de rémunération semestrielle.
Aussi, si quelqu'un peut relayer cette information et faire « buzzer », ce serait sympa et gentil. Merci.
Décidément, la journée se termine très mal..."
Message relayé du blog (Des) Illusions
Charlie Winston : Like a hobo
Me rappelle cette page de Béraud, puisée dans son témoignage Ce que j’ai vu à Berlin.
« A ce moment, un vieux couple digne et râpé entra dans la brasserie. Il salua et s’assit en face de moi, selon la mode allemande, bien qu’il y eût autour de nous des tables libres en grand nombre. L’homme, ayant tiré un livre de son antique redingote, si bien brossée, commanda deux soupes et un verre de bière. Ils avalèrent les soupes en gens qui jouissent amèrement de leur propre faim et partagent le verre de bière. On eût dit que le vieux et pauvre monsieur devinait mes pensées. Au lieu de lire, il me regardait. Nous liâmes conversation. Il parlait un français excellent. Avant « tout cela », il avait, avec son épouse visité Paris, dont il connaissait parfaitement les musées et la Sorbonne. Et soudain, sans élever la voix, il me cloua par ces mots :
Monsieur, j’étais professeur en retraite. Maintenant, nous sommes mendiants.
(…)
Parfois, le soir, aux angles des rues les plus solitaires du Tiergartenviertel (1), le passant se sent frôler par un couple d’ombres honteuses et chétives. S’il s’arrête au lieu de presser le pas, ces êtres noirs s’approchent et lui demandent la charité ; et si levant les yeux, le promeneur cherche à voir la mine de ces étranges quémandeurs, sa surprise est grande de trouver non des mendiants, mais des personnes convenables, trop convenables, désespérément convenables, des personnes mises avec cet excessif scrupule de correction dans la misère qui trahit les suprêmes efforts de la dignité bourgeoise. Lugubre spectacle. »
Béraud écrit cela en 1926. Dans un chapitre intitulé « nouveaux pauvres et matériel humain »
Brrrr.
07:27 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lyon3, lru, henri béraud, pauvreté, université |
vendredi, 27 novembre 2009
Vache qui rit
Vaut mieux faire rire les vaches que chier les étudiants
( proverbe d'un saignant)
11:04 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (5) |
jeudi, 26 novembre 2009
Lu & cru dans "le Progrès"
1. Le réchauffement climatique est pire que prévu et pourrait atteindre 7 degrés en 2100 affirment 24 climatologues de renom, qui soulignent, avant le sommet de Copenhague, la nécessité d'actions rapides et efficaces.
2. Christine Boutin, présidente du parti chrétien-démocrate, a déclaré qu’elle n’était pas défavorable à la réouverture des maisons closes afin de « protéger » les prostituées, dans un entretien au mensuel de mode masculine Optimum
3. Carla Bruni-Sarkozy a accepté sans même connaître le rôle qu’il lui réserve, la proposition du cinéaste Woody Allen de tourner dans son prochain film. L’épouse du chef de l’état l’a annoncé lundi soir sur Canal. Et de confier : « Je ne suis pas du tout actrice. Peut-être que je serai absolument nulle mais je ne peux pas, dans ma vie, louper une occasion comme ça. »
4. L’Olympique Lyonnais a désormais sa monnaie de collection. Cette monnaie de 1,5 euro est la première d’une série conçue, sur plusieurs années, pour commémorer les grands clubs sportifs français.
Le journal dans lequel j'ai eu l'heur de lire tout ça s'appelle Le Progrès. Stupéfiant, non ? Qu'est-ce qui pourra enfin faire comprendre à tous ces abrutis qui ne jurent aujourd'hui encore que par leur croyance dans le Progrès que c'est cette idéologie insane qui aura foutu le monde, et nous tous qui vivons dessus, dans la merde ? Le monde, écrivait Rémi de Gourmont, n'est guère qu'une église de truands qui tient à la fois de la maison de prostitution, de l'étable à cochons, et de la chambre de rhétorique (1) Je trouve, du même, dans le recueil qui a pour titre Epilogues, et qui date d'août 1898 ces quelques lignes :
« Il semble que tout progrès soit fatalement compensé par un recul : n’est-il pas banal de dire : ce que l’on gagne en vitesse, on le perd en sécurité ? Cet aphorisme, naïf à force d’être évident, s’applique aux actes de tous ordres et, finalement, la notion de progrès n’est qu’une illusion. Pour la conserver intacte, il faudrait l’identifier à la notion de nouveau. Le nouveau est toujours meilleur, perce qu’il est nouveau, voilà tout. »
Pour décérébrer la plus grande part d’un peuple entier, il n’aura fallu finalement guère plus d'un demi-siècle. Le jour où on a commencé de dire que la publicité (on parlait de réclame, du temps de Rémy de Gourmont) était une culture, un grand pas fut franchi.
Rémy de Gourmont, Ironies et Paradoxes, Epilogues, (La culture des Idées, collection Bouquins)
09:45 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : actualité, rémi de gourmont, littérature |
vendredi, 20 novembre 2009
C'est une vraie question ...
Comment peut-on raccourcir une bûche sans la blesser ?
15:33 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : fendre une bûche, bucheron, devinette |
samedi, 14 novembre 2009
L'indécence Ndiaye
Il y a une véritable indécence à prolonger une polémique sur « la France de Sarkozy, pays monstrueux», alors qu’on vient d’empocher un Goncourt et qu’on mène, de Berlin, une carrière d’écrivain à Paris somme toute assez fructueuse. Une indécence de baronne parvenue, à provoquer ainsi la victimisation. Une indécence d'imbécile.
« Je regrette » dit la dame « que le Ministre de la Culture ne prenne pas position sur le sujet ». (le sujet = ses propos) Mais qu’est-ce que c’est, encore, que cet ego surdimensionné ? La dame, qui a bien l’air d’appartenir à son temps tout de lieux communs tissé, ne me donne guère envie de fréquenter sa prose, à vrai dire. En ai quand même feuilleté quelques pages, tout à l’heure, dans le coin best-sellers d’une grande surface. Rien de bien neuf visiblement. Rien que du très convenu, du très bobo- banlieusard, dont seuls les medias comme les inrockuptibles ou Libé sont encore friands. Rien que du très bête, chez cette dame, à vrai dire. Et j’ai laissé tout ça sur le rayon best-seller d’une grande surface. Comment ne pas voir qu'ici encore, comme toujours, l'indécence et le commerce se rejoignent ?
Hélas, l’indécence est devenue dans ce pauvre pays un argument de vente. Depuis longtemps. Et chez certains, ça fonctionne et ça tourne comme la planche à billets en période de faillite.
Jusqu’où la littérature va-t-elle dégringoler entre les mains de ces gens ?
Jusqu’où l’esprit ?
La pensée ?
16:29 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : édition, marie ndiaye, prix goncourt, littérature, gallimard |
jeudi, 05 novembre 2009
Onze, pas un de plus
Quelle est la nécessité d’un tel livre ?
Un mauvais rébus (rebus)...
Une farce pour cuistres et pour académiciens.
Les Onze…
Une écriture sèche, nous en parlions à l’instant,
Le livre de trop qu'aura écrit Michon.
J’ai noté page 123 : « Les douze pages de Michelet sur Les Onze dans le chapitre III du seizième livre de l’Histoire de la Révolution Française, ces douze pages extraordinaires… »,
Suis donc allé dans ce chapitre III du seizième livre...
Chapitre qui se clôt par une allusion au fameux décret Lyon n’est plus,
Seule chose qui m’ait fait rire (sourire plutôt).
C’est peu.
Comment se fait-il que cette époque aille s’enticher de ce genre de livres, canular d'un potache vaguement érudit, rien de plus...
Où s'est perdue la littérature ?
22:12 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : pierre michon, les onze, littérature |