mercredi, 25 mai 2011
Organes
Notre conscience, bien sûr, avec ça toujours que nous ouvrons les yeux sur la lumière du monde, chatoyante, éclatante, aveuglante, reconnaissons les formes que nous prenons, au fil de l’éphémère, toi, moi, les autres, de proches en lointains, par les routes et les villes, les êtres qu’on y trouve, apparences. Ce prétexte...
Nos organes, nous qui si fermement nous croyions l’ovale d’un visage, la courbe d’un nez, la pénétration d’un regard : foie, cœur, poumons, cervelle, bien plus essentiels, chacun de ces bons potes tapis aux hameaux les plus vifs, eux et les subalternes, viscères et glandes de peu, eux tous que nous promenons en laisse dans le sac sans y songer plus que ça ; sont la race et l'espèce, le domicile fixe, pourtant, la demeure natale, la boite postale indécrottable.
D’eux l’éloignement stérile, vers eux le retour de Troie. D’eux, ni trop locataires, ni trop propriétaires, eux que nous n’appelons jamais nous. En ce lien, l’être et l’avoir hésitent, rapport tenu autant que légitime, acquis et jamais clairement décrété, comme une langue innée dont ne subsisterait que la mémoire de l’avoir chantée. Mes organes et moi ; lequel tient l’autre, consiste en l’autre, là, dans ce flux qui passe et dure de soi hier à soi demain, ce soi que nous aimons, et qui reste notre seul bien, lieu-clôt sur quel cadastre qui ne sera jamais notarié ?
Je suis moi dit cet être en contemplant son visage dans un miroir, quand son visage n’est que le signe qu’il ne comprend jamais, pas davantage que son nom, le mot qu’il prononce dans l’incertain de sa conscience.
Organes : en leur tissu, l'ultime quête de ces mots qui depuis le mythe cherchent à murmurer qui nous sommes ; lequel peut-on m’ôter, me greffer, me troquer contre un autre sans risquer de rompre le souffle de cette ressemblance, de cette imitation, de cette identité ? A partir de la privation duquel cesserai-je d’être moi ? Mais qui affirmera sans rire à l’agent de police : « Je suis ce foie, ce poumon, ce cœur, ce cerveau, cette rate ? »
06:58 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : littérature, médecine, identité |
mardi, 24 mai 2011
Convalescent
Complètement tiré d’affaires mais pas encore rétabli. Une semaine qu’il avait quitté l’hôpital. Drôle d’état, cet entre-deux. « Convalescent ». Ce qu’en dit le Robert : du participe présent latin « convalescens », reprendre des forces. C’est un peu ça, se tâtant le poumon, pensif : de la vigueur, vieille éponge, du punch, sacré vieux pilote.
Il n’était plus là-bas, il n’était pas encore ici.
Là-bas, cet hôpital bâti un peu en hauteur, juste après l’annexion de la Croix-Rousse, ceux sur qui la maladie a mis son grappin pour un jour pour un an pour la vie, ici, cette existence dont il avait été extirpé sans ménagement et dont la vanité de chaque jour, chaque heure, chaque minute lui sautait à nouveau aux yeux depuis. Entre.
Plus ce malade dépendant, pas encore cette personne autonome. Entre hier et demain. Reprendre, se disait-il, c’est prendre à nouveau. Des forces, certes. Et puis quoi d’autre ? Quelle sale autre habitude, quelle autre saloperie, quelle autre illusion de chaque moment ? Trier. Un sacré tri, même. Vigilance, à ce point, est-ce possible ?
Là-bas, cette communauté de soignants, ce cortège de visages, de regards, de mains, de pas, de voix, de gestes, l’un, l’une, dans l’uniforme blanc épousant la forme qu’avait laissée l’autre, le jour passant de silhouette en silhouette, la nuit avec le matin à son bout comme si ni l’un ni l’autre n’étaient plus un mystère, là-bas, cette façon séculaire d’affronter la douleur de tous, de traiter la souffrance pour ce qu’elle est, un simple élément du Réel sans en mythifier ni le moins ni le plus. Ici, ces autres communautés, ces autres métiers, d’autres tâches. Un certain oubli, pour sûr, une sorte d’inconscience nécessaire. La société, la leur, notre, qu’ils disent.
« L’écrivain qui pose la plume est mort ». Parlait en médecin-sentinelle, le bon docteur Reverzy, du corps et de l’esprit. En habitué du lieu et coutumier du fait. Poser la plume, l’ordre intimé chaque instant à tout citoyen. Taire la bouche, le cœur, tout le reste. Tous égaux et pareils, vieil agneau, mouton officialisé. Toujours tant d’autres trucs à faire.
Si la maladie peut être une grâce, c’est qu’elle est le contraire du social, ça qui est bien avec elle, garanti ! Nous ne serons jamais malades ensemble, tout au plus côte à côte, pour quelques paroles de réconfort. Chacun sa viande, fanfaronnait Céline. Bien raison. Retrouver sa frontière et tremper sa plume dans le temps qu’elle octroie. La viande qu’elle laisse. Le corps, ce vieux compagnon, se peut-il qu’il t’ait lâché ?
Oui, ça se peut. Plus une simple idée, une formule, ni un raisonnement, non. Failli, il n’en est devenu qu’un meilleur encrier, avec son bout, bref et sûr, qui a point là-bas.
Cette force, cet alphabet, cette miséricorde, cette commune merci, à reprendre, convalescent.
08:55 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, jean reverzy, écriture, hôpital de la croix-rousse |
lundi, 23 mai 2011
Laplaper
Achèvement brusque de l’aube : déjà moite, comme l’aurait décrété ce vilain mai-ci. En mastiquant une chips rance, il reluqua d’un œil morne la salopette bleue de la journaliste de LCI. Un tsunami japonais, un printemps arabe, une guerre civile ivoirienne, des frappes en Lybie, un Ben Laden à la mer, un Stauss-Kahn au placard, à présent la Palme d’or, and so, and so…
Ma vie, pensait-il, ma vie… Quelle info décisive, pour captiver vif un jour neuf, un jour de plus de sa vie ? Pour avaler le défilé d’une autre semaine, le cortège de tout un mois, tout l’an. Jusqu’à quand, tout l’an ?
Au 71 Broadway Street, la fortune d’Anne Sinclair, la quéquette de Dominique ? Las, déjà, de leurs frasques, pas dignes même d’un Second Empire. S’en ficher d’eux, comme ils s’en foutent bien de nos pommes, la bonne consigne.
Fifille Aubry récitant « que la France souffre », « que la politique n’est pas une carrière » et « qu’elle prendra ses responsabilités » ? Telle son Delors de père jadis, 94, les responsabilités en héritage, déjà l’autre siècle.
Ce que ça tourne, dis, ce que ça tourne. Tu ne dis rien ?
Un volcan au nom imprononçable, vomissant un panache de cendres ? On ne décroche pas de l’écorce terrestre comme ça, décidément. Craque d’un côté, crache de l’autre. Vrombit. Un nuage islandais, déjà l’an dernier. Et celui de Fukushima, combien de fois silencieux, circulé sur leurs têtes, en boucle, depuis ? Disent plus.
A Madrid, les djeunes campant à leur tour sur une place, tels ceux de Tunis et du Caire quelques semaines auparavant ? Bon courage, les Ibères ! Plus frondeurs que les Grecs ? Serait suffisant pour enflammer l’Europe consumériste, ces campements ? Voire… L’homme, un animal simplement mimétique. Comme des chats, se méfier.
Tandis que, les résultats de Cannes déclamés, l’écran se passionne pour ceux de Roland Garros… Ah, ah ! Noah, leur personnalité encore préférée combien d’années après ! Pfff… Même le regard bleu batracien de Jean Michel Aulas, ne comprenant pas pourquoi les virages étaient si durs avec Claude Puel à Gerland, ne le déridait plus. Même plus : à cet instant précis, tout juste songeait-il que Picard, c’est bien meilleur que Carte d’Or pour la glace au chocolat, mais que rien ne vaut quand même Häagen Dazs. L’Europe glacée.
Maintenant, un bon café.
Son regard chuta en plein dans la litière du chat, tout sauf nickel. Une grosse crotte parmi les grains blancs et bleus. Il fendit sèchement un brin de sopalin, s’accroupit pour ramasser l’excrément du félin gris dansant la queue raide, d’un coussin sur l’autre. Lui jaillit en mémoire le commencement de la deuxième partie d’Ulysse, ce dialogue entre Bloom et sa chatte pour une affaire de rognons ou de bol de lait. A la vitesse de l’embolie. Qui disait quoi, déjà ? Chercher le volume au bureau.
Dans la traduction de Larbaud, un néologisme afin d’exprimer au mieux le son de la langue d’un chat à la surface du liquide ; ça y est : « il l’écoutait laplaper». Un peu de ça à la télé, le laplap du sur-monde. Ou du sous. Du para-monde. Pas d’ici, en tous cas. Evénements défilants, qu’on finit forcément par remiser aux chiottes de l’oubli, pourquoi tant regardés ? Comme ça, se dit-il, laissant glisser la merde dure du chat dans la cuvette.
Cela fit un petit ploc, un ploc sourd, que le vacarme de la chasse engloutit.
Une histoire de viol, n’en avait-il pas entendu causer il y a de ça peu, dans le quartier de la Part-Dieu ? Une gamine que de sales collégiens avaient contrainte à plusieurs fellations non loin de la gare, à deux pas du trafic. Sous des escaliers en béton. Caillera, se répétait-il en trainant les sandales sur les tomettes du corridor, le président du FMI comme ces mômes de banlieues. La société caillera. Pas les mêmes moyens, non plus. Pas le même retentissement. Ni la même éducation, sûr ! Mais la même échelle. Morrouark, susurrerait le chat. Des crottes.
Quel sens, ces étages ou ces degrés, d’un événement, d’une petite phrase, d’un fait-divers à un autre ? Du local à l’international, comme à la carte, quel sens, leur hiérarchie, ces strates disposées d’infos, de monsieur Tout l’Monde à monsieur Plus Personne, quand les faits et les hommes qui les commettent appartiennent au même Réel, bien dense, bien compact ? Ce monde, qu’il découvrait par ses fenêtres, et qui débute tout le temps au ras de l’asphalte, cette place faite de certains bancs, certains platanes, sur laquelle trainaient quelques badauds, et que la vue étirait par-delà les laides banlieues jusqu’au loin, vers les Alpes… Se forcer à les admirer, les sommets, tenir le coup, bon sang ? Là-bas, de l’oxygène ! Ouf, pleines narines ! Mais du danger, conséquemment, oui, des crevasses, des pentes à gravir. Avalanches. Insolations. Vertige. La nature, d’avant l’environnement, le monde d’avant Hulot. Depuis Neandertal, les siècles filés sur la prudente horloge des ancêtres. Bigrement, pour ses pauvres épaules civilisées.
Epaules basses, il se fit la réflexion qu’il préférait passer la journée sur un crapaud au salon. A relire quelque Maigret. Trop tôt pour le courrier, tout ça - des prospectus ou des factures -, attendrait bien jusqu’au lendemain. Il décida de ne risquer que quelques pas sur le gravillon, maigres parmi ceux des autres, le long de la place décidément trop tôt caniculaire.
08:37 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, politique, 71 broadway street, martine aubry, roland garros, cannes, häagen dazs, ulysse |
samedi, 07 mai 2011
Français, vieux et moyen
Dans le bœuf, le morceau qu’il préférait était le manteau, le nom qu’on donnait dans son quartier à la hampe. Comme le morceau n’est pas si gros, il se rendait chez le boucher dès l’ouverture, pour assurer sa part du jour avant que les mères de familles nombreuses ne fassent la razzia.
Il ne ratait jamais le tirage de l’Euromillions. Parmi les dates des grandes victoires napoléoniennes, il avait choisi plusieurs numéros pour figurer les chiffres et les étoiles à cocher sur les grilles. Comme il ne jouait jamais, il guettait toujours sur l’écran la chute des boules, avec au ventre la peur que sa martingale sortît. A la fin, il poussait toujours un ouf de soulagement en constatant que sa combinaison n’était pas tombée. Ne l’ayant pas jouée, il s’estimait remboursé. Et le lendemain, buvait un verre de Viognier à la santé de cette putain de Française des Jeux, heureux, au PMU du coin.
Sitôt quitté le collège, il n’avait plus lu aucun roman. Durant son existence, il n’avait d’ailleurs terminé que peu de livres : quelques essais de libres penseurs l’avaient intéressé dans les années soixante, mais à présent qu’il s’approchait de la vieillesse, il songeait qu’il était inutile de se brûler les yeux pour si peu.
Sa vie professionnelle avait filé sans brio, lui assurant juste la possibilité de traverser les temps de crise sans trop manquer, comme disaient jadis les braves gens qui l’avaient élevé et qui tous étaient morts. Mais sans non plus lui permettre de se mettre à l’abri. Le soir, avant de s’endormir, il entendait les quelques piétinements de Milou parmi la paille, dans le vieux fourneau qui lui servait de table de nuit et se murmurait en lui-même qu’au fond, ça n’avait pas été si mal d’être un rond de cuir, que ça aurait pu être pire.
Lorsque durant ses promenades, il croisait une bande de jeunes, il s’étonnait formidablement du fossé vaste qui désormais le séparait d’eux. Les vieux de sa jeunesse ressentaient-ils cet écart aussi vivement ? Ce qu’il avait pris jadis pour de la morgue ou du dédain, il comprenait à présent à quel point ça tenait de quelque chose d'imperceptiblement métaphysique : n'était-ce pas lié à cette chose que sans se l’avouer, depuis la disparition de sa vieille cousine (dernière de la famille à l’avoir ainsi quitté) il attendait à son tour ?
Les milliards de petits pas qu’il avait effectués sur l’asphalte chaque jour de sa vie compteraient-ils beaucoup plus que ceux de Milou sur la paille ? Savoir ! Au fond, l’existence de cet homme avait quelque chose de romanesque qui lui appartenait en propre mais que ni lui, ni aucun de ses semblables n’écrirait jamais. Ce romanesque tenait certes du désenchantement qui s’était saisi de toute sa génération vers la fin du siècle dernier, devant la fadeur décrétée du Réel. Mais aussi, sans doute, d’une capacité inébranlable à maintenir vivant en lui une sorte d’illusion de grandeur, qui le rendait au soir de sa vie aussi imbécile qu’heureux.
00:45 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, france, société, politique |
lundi, 21 mars 2011
Qu'as-tu fait de tes frères ?
Des personnages qui sont « profondément de ce moment »[1], c'est-à-dire de ces années 70, années « qu’une malédiction littéraire a longtemps poursuivies »[2] et « une masse de clichés » recouvertes : on pourrait prendre le récit de Claude Arnaud pour un roman générationnel ; Qu’as-tu fait de tes frères ? me semble davantage être, tout compte fait, l'autopsie d’un moment, le constat des effets différents qu’il provoqua chez des individus de sexes et de générations différents. Il tient de ce fait davantage du genre des mémoires que de celui de l’autobiographie.
« Les Evénements » (un bref chapitre), scinde en deux les parcours romanesques du personnage principal, de ses deux frères ainés, de sa mère, de son père, et de tous ceux dont le lecteur va croiser la route. Avant la déflagration se situait l’idéal des années 50, l’époque de la Reconstruction. Après se décline cette période de quelques années dont ce livre a fait son sujet, cette époque excessive, que « nos vieux pays n’ont plus les moyens ni même l’envie de vivre»[3]. D'où la malédiction schizophrénique qui constitue la trame de fond : ces années qui furent celles de la jeunesse de l'auteur, qui n'ont pas réussi à balayer la nécessité d'un vieil ordre auquel on est resté viscéralement attaché, ces années dont on brûle encore et dont on affirme pourtant avec passion ne pas porter la mélancolie.
La réussite principale de ce livre repose sur la tonalité sobre, minutieuse, savante, grâce à laquelle l'écrivain ressuscite la chronologie des mutations intérieures de chaque personnage ; Arnaud parle toujours au présent de l’indicatif. Cela confère une lisibilité apparemment facile à son phrasé, qui entraîne le lecteur d’une étape à l’autre, dans ce qui se veut une odyssée historique à échelle collective et individuelle.
Ce présent de narration suit tantôt le regard naïf de l’enfant découvrant le Paris d’alors : « Je sors d’un univers figé dans son insignifiance pour entrer dans un monde vivant, contemporain excitant »[4] ; « Je découvre enfin Paris et Paris, par un hasard troublant, est en révolution »[5]; tantôt il introduit le regard ironique du narrateur d’aujourd’hui : « Je m’entends exiger la démission des ministres de l’Education et de l’Intérieur dont je ne connaissais pas le nom la veille ».[6] « Suis-je prêt à payer mes convictions de ma liberté ou de ma vie ? J’ai dix-sept ans, je prends pour la première fois le temps d’y réfléchir » [7]
La rencontre de cet enfant avec « la capitale » et avec « l’Histoire » ne constitue pourtant pas non plus un roman d’apprentissage, au sens que le XIXème siècle donna à ce terme. La déconstruction, précisément, est passée par là : Claude Arnaud évoque ce « sentiment d’être inachevé », [8] lorsqu’il s’agit, précisément, de s’engager dans une «relation ». Ou pour « n’avoir pas fait khâgne ». Mais, dit-il tout autant, « j’acquiers l’impression étrange de devenir un peu tout »[9] et « il y a foule en moi »[10] , « je suis tout le monde et personne à la fois »[11]. « J’ai vingt ans je suis dépassé, Les composantes de ma personnalité flottent, faute de noyau dur capable de les fédérer »[12] C’est en ce sens qu’on peut parler de roman générationnel : « Je suis l’otage d’un monde tout près de s’éteindre, vidé de l’intérieur, résigné à sa propre fin »[13]
[1] A propos d’Arlette Donati, p220
[2] p 360
[3] p 362
[4] p 89
[5] p 97
[6] p 90
[7] p 181
[8] p 235
[9] p 158
[10] p 258
[11] p 276
[12] p 251
[13] P 236
06:04 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : claude arnaud, qu'as-tu fait de tes frères, littérature, villa gillet |
vendredi, 18 mars 2011
Vingt et unième siècle
12:06 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : japon, nucléaire, tokyo, catastrophe |
mercredi, 02 mars 2011
Nouvelle (3)
Suite et fin de cette nouvelle qui, sans être un chef d'oeuvre, reste un précieux document. Il s'agit d'une oeuvre de jeunesse de Henri Béraud, L'Initiation de Nicolas Sylvain, du recueil Les Morts lyriques, publié en 1912 chez l'éditeur E. Basset. Derrière les traits du héros, Nicolas Sylvain, se reconnaît le vieux paysagiste François Vernay, dont Béraud venait de publier, pour L'Art Libre, une courte mais retentissante biographie.
La mort réelle de Vernay; comme il le dit dans cette plaquette fut « atroce et symbolique », puisque le vieux peintre chuta dans son atelier et se brisa le fémur. On le transporta dans son domicile du 120 rue de Sèze où le docteur qui l’examina pronostiqua « un accès de rhumatismes ». Son état empirant, Vernay fut conduit à l’Hôtel-Dieu, la jambe enflée et « horriblement tuméfiée ». Les quelques amis, raconte Béraud, qui le veillèrent dans la nuit du 5 septembre « assistèrent à une douloureuse agonie ». Il exigea le matin venu d’être reconduit chez lui et « retourna à la terre par une triste après midi de septembre ».
Rien à voir, on le voit, avec la mort symbolique et sublimée de Nicolas Sylvain, qui meurt dans « l’ivresse de la grâce », les yeux illuminés « d’antique divination ».
12:18 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, henri béraud, françois vernay, les morts lyriques |
mardi, 01 mars 2011
Nouvelle (2)
Fréquentant peu ses confrères, Sylvain ne les rencontrait guère qu’aux séances du jury, où l’avait rendu populaire sa simplicité. Son ignorance mettait la troupe des peintres en belle humeur. Chacun d’entre eux s’ingéniait à le complimenter en termes sibyllins pour jouir de son ébahissement. Il avait là des critiques, des reporters, des politiciens, des gens du monde. Tous connaissaient Sylvain. Il parlait au milieu des silences subits qui achevaient de le décontenancer ; on faisait cercle autour de lui, et le ridicule dont l’entourait cette clientèle de boulevard ménageait un engouement dont l’origine tenait à la rusticité du paysagiste.
Soudain une clochette retentissait. Chacun gagnait sa place dans un rang de fauteuils disposés en cercle. La séance commençait et Sylvain, attentif, mettait un grand soin à lever sa canne avec la majorité. La plupart des tableaux lui paraissaient exécrables. Mais il se méfiait de son jugement.
Par instant, des discussions s’élevaient entre les peintres, où de hauts problèmes d’esthétique se trouvaient résolus. De grands mots, des noms illustres retentissaient mêlés à d’abscondes théories. Et dans ce chaos, les idées du bon Sylvain tournoyaient. Le soir venu, il regagnait son logis, envahi d’une incertitude douloureuse. La pauvreté de son labeur lui apparaissait vaguement ; il passait des heures, les bras paresseux, à regarder ses petits tableaux riants et léchés, se demandant si des journalistes qui le traitaient de photographe n’avaient pas raison. Mais sa bonhommie et sa confiance ne tardaient pas à revenir, et il recommençait sa haie de noisetiers, toujours la même avec la même bonne foi têtue.
Mais chaque année, dès la venue de juin, il mettait la clef de son logis dans sa poche et, sans prendre congé de personne, il partait au paysage. Là seulement il se trouvait parfaitement heureux. Du petit vieux, la campagne faisait un être tout neuf, qui grimpait aux arbres, sautait les claires-voies, buvait sec et chantait des romances. Le soir humide le surprenait au milieu des luzernes. Alors il pliait bagage. Et, reprenant la route, il revenait en silence. La campagne violette fumait comme une cassolette. Un mystère émanait de toute chose, jusqu’à ce que la lune, montant dans le ciel, éveillât le chant des cri-cri. Le cœur plein du bruit de ses pas, il se hâtait vers, au bout du village, une maison dont les fenêtres luisaient dans le soir. L’hôtesse l’attendait sur le seuil ;
Il soupait, bavardait une heure en fumant sa pipe, avant d’aller dormir du gros sommeil des enfants.
(A suivre - On n'a toujours pas trouvé le nom de l'auteur)
12:48 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, nouvelle |
lundi, 28 février 2011
Nouvelle (1)
Ce peintre célèbre vivait comme un petit rentier. Il rentrait tous les jours aux mêmes heures, ayant suivi le même chemin. Il habitait depuis 1875 un petit appartement au cinquième, rue Saint-Jacques, et la plupart de ses voisins ignoraient jusqu’à son nom. D’ailleurs, ils se défiaient de cet homme qui, indifférent aux événements du quartier, faisait lui-même ses provisions, ne saluait personne et opposait aux curieux un silence de maniaque.
A l’heure des maraîchers il quittait son logis, un cabas à la main, allant de son pas de vieil ingénu à travers les ruelles toutes bleues et bruissantes de rumeurs matinales. Les venelles familières dont chaque fenêtre s’éveillait à la même heure, les vieux hôtels aux façades ennoblies par les ans, l’air léger courant dans les arbres d’un petit jardin, tout le quartier enfin, par son existence intime et quotidienne, lui rappelait sa province.
Les boutiquiers, cognant le volet, le suivaient du regard. Son air et sa mine excitaient leur curiosité. On supputait pour des légendes le vague de ses allures ; et son ruban rouge étonnait le populaire, e principalement les paysans du marché avec qui il disputait en patois.
Quand il avait rempli sa filoche, il rentrait tout doucement parmi le tohu-bohu du faubourg au réveil, où des chars-à-bancs se croisaient avec des fiacres attardés. A la terrasse d’un cabaret, il demeurait une heure ou deux entre deux caisses de laurier, allumait une pipe, lisait le Petit Journal ; après quoi, il regagnait son atelier.
Ce lieu épousait le silence maussade d’une sacristie. Des portraits de famille ornaient les murs. Sur les meubles polis par l’usage on voyait de ces vases à fleurs qui sont dans les chambres des vieilles filles en province ; des branches de lunaire s’y consumaient. Il y avait encore un bénitier en vieille faïence, du buis et un grand chapeau de pêcheur. Sur toutes ces choses l’ordre régnait semblable à une poussière, et il semblait que le soleil du matin prît lui-même un air de proprette vieillerie en entrant dans cet intérieur.
Nicolas Sylvain était connu comme paysagiste. Il faisait de mauvaises peintures qui obtenaient un grand succès. Sa réputation tenait à une singulière patience, qui l’incitait à copier la nature à la façon des imagiers du vieux temps. Il peignait des ruisseaux des sous-bois des vergers, des cours et des fermes ; mais il triomphait surtout dans le portrait d’une haie de noisetiers, toujours la même, où son ordinaire patience confinait au miracle. Ce tableau avait fait la popularité de Sylvain qui depuis vingt-cinq ans le rééditait sans parvenir à en épuiser le succès. Dans les intérieurs bourgeois, ce tableau occupait une place d’honneur, au-dessous des portraits de famille ; certaines maisons en possédaient plusieurs reliques, une par ménage.
(A suivre)
Voici le début d'une nouvelle, dont on publiera demain et après demain la suite. D'ores et déjà, vous pouvez essayer de retrouver le nom de son auteur.
22:08 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, nouvelle |