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lundi, 19 décembre 2011

Vanité du Je

Dans le silence de sa solitude, l’écrivain soucieux de style cherche à ne pas inscrire les mots du monde, les premiers à surgir, tout de suite, à s’imposer. Difficile, car tous ceux qu’il entendit depuis sa naissance lui sont venus de là, du monde. A commencer par celui par lequel sans cesse  il s’énonça, et par lequel il se présente encore en levant d’un ongle la visière de sa casquette : celui que tout le monde mâche en bouche pour parler de soi, ce risible, importun, défigurant car si peu figuratif je. Lieu commun, par excellence, territoire de tous.  Le je du simple dire.

Avoir depuis toujours qualifié de ce pronom qu’on affirme personnel et qui est si vain son visage, sa pensée, son récit, sa propre sensation, tel est le propre de chacun. L’avoir, ce mot, si souvent accolé à tant d’éléments disparates qui l’ont traversé, d’émois temporels, oui, ce je fugace qui se proclame permanent : l’écrivain n’a donc fort cruellement que ça pour dire tout ce qui s’est passé ; car même s’il préfère en son for intérieur le silence des chats, le relief des couleurs, la résonance des sons, quel autre choix la parole lui laisse-t-elle que de se qualifier au moyen de ce je ?

 

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Pour aussitôt s’en défaire. Car la parole est un tel édifice qu’il faut abandonner cette première clé pour se frotter au il, au on, au nous ou bien encore comme Kafka le fit à la virtuosité d’une simple initiale. Il lui faut, l’écrivain, laisser ce je au monde comme une sale vitre et pourtant, lorsqu’il ferme ainsi son carreau, les profanes croient déjà qu’il impose un masque et le malentendu se tisse. Tout, dans le langage, est vanité.

Le premier des mots du monde étant celui par lequel ce même monde m’apprit à me désigner face aux semblables, alors oui, on comprend de quelle vanité est faite la pate du langage; et que tout l’arbitraire du signe ne soit que déception à l’écoute attentive, et laisse démuni le visage incliné face à la page blanche. Douces, brutales, lancinantes, mornes, fiévreuses, exaltées, douloureuses sont les absences qui me traversent, et m’ont fait masque, que le murmure des mots, malgré cette malédiction, tente d’à nouveau façonner. Je…

Mon corps a une odeur, ma main a une empreinte, ma voix possède un timbre et mon pas son véritable rythme ; parler n’a que ce je à m’offrir, qui comme ce tu n’est qu’une mécanique sourde et sans relief, entonnoir par lequel se recentre sur l’exaspérant lyrisme d’un constant désaccord l’esprit des sept milliards que nous sommes.

Ecrire.

Quand, tel l’habit ôté pour que la peau frémisse, choit ce premier je trop lisse et trop  douillet, et qu’un autre s’impose (toujours à son désordre reconnu), la vanité du simplement dire cesse-t-elle enfin pour que débute la témérité de l’art ?

20:50 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature, vanité, l'exil des mots, kafka, dire je | | |

dimanche, 18 décembre 2011

Jean Seignemartin

Brève et romanesque existence, que celle du peintre Jean Seignemartin (16 avril 1848, 29 novembre 1875) dont une rue du huitième arrondissement (on ne sait pourquoi celle-ci) conserve le fin souvenir. Fils d’un tisseur, Jean Seignemartin fit tôt le forcing auprès de son père afin d'entreprendre dès 1860 (il avait douze ans) une formation aux Beaux-Arts de Lyon. Il fréquenta ainsi les classes de Michel Gemod et de Charles Jourdeuil, puis celle de Joseph Guichard qui l’intègra dès 1863 à un travail professionnel avec la décoration de l’hôtel Collet (aujourd’hui disparu) dans la rue Impériale (à présent de la République), qu’on venait tout juste de percer et qui servait de vitrine au matois  préfet de Napoléon III, l'autocrate Claude Marius Vaïsse. En 1864, âgé d’à peine seize ans, le jeune Seingemartin expose au Salon de Lyon. Il est couronné l’année suivante du Laurier d’Or, le premier prix de la classe de nature. Tout réussit au jeune prodige, jusqu’à FrançoisVernay qui, ayant remarqué au Salon de 66 l’une de ses natures mortes et l’invite à partager son atelier.

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Fleurs, musée d'Orsay

A partir de 1869, Seignemartin s’installe dans ses propres meubles, rue Jean de Tournes, où il peint des portraits et des scènes de genre. Mobilisé en 1870 dans un bataillon d’artillerie de la garde mobile, il part de Sathonay à Paris et réalise là encore plusieurs portraits de ses jeunes camarades. Il se retrouve affecté à la porte Maillot dans des baraquements précaires. L’hiver est rude. Il en revient avec la tuberculose.

 

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Autoportrait

Joseph Guichard l’accueille et le réconforte, François Vernay l’héberge à nouveau. Il peut présenter au Salon de sa ville natale  en 1872 le Ballet de Faust esquissé dès 1868 lors d’une représentation à l’Opéra de Lyon. C’est alors qu’il fait la connaissance des frères Tripier, médecins et amateurs d’art, qui lui achèteront régulièrement ces tableaux dont en 1904, ils feront don au Musée des Beaux-Arts.

 

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Le ballet de Faust

L’un des deux frères,  Raymond, devient son médecin personnel. Pour tenter de raviver santé la santé du jeune homme, il l’envoie à Amélie les Bains Palalda en Pyrénées Orientales. Seignemartin s’y ennuie profondément. Revenu à Lyon, il achève au cours des années 1873 et 1874 plusieurs tableaux de fleurs et de nombreux portraits, avant de partir une première fois à Alger. Son ami le peintre Alphonse Stengelin l’y rejoint en compagnie de sa sœur dont il fait le portrait. Il y rencontre Albert Lebourg, qui y est professeur à l’école des Beaux Arts. Il s’initie à la lumière, à la blancheur, et cherche à renouveler dans plusieurs tableaux les clichés de l’Orientalisme déjà académique. C’est la qu’il meurt prématurément lors d'un second séjour. Son corps est rapatrié et inhumé à Loyasse. Le buste qui ornait sa tombe a été dérobé il  y a peu. 

 

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Paysage d'hiver en Algérie méridionale

 

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Baiser d'adieu

 

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buste dérobé à Loyasse

17:45 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : peinture, loyasse, jean seignemartin, beaux-arts, lyon, alger | | |

samedi, 17 décembre 2011

Le cas Sneijder de Jean Paul Dubois

Monter ou descendre dans la hiérarchie sociale, dans l’estime de ses proches ; être un dominant ou un dominé, ou les deux à la fois ; monter en puissance ou se perdre en chute libre : le dernier roman de Jean Paul Dubois , Le Cas Sneijder mérite d’être lu et relu pour ce qu’il est, une sorte de fable philosophique sur la société post-moderne qu’aura pourrie l’individualisme de ses composants.

Revenu d’un coma après la terrible chute ascenseur du 28ème étage d’un immeuble situé sur Saint-Antoine » (p 42) dans lequel il a perdu sa fille, le narrateur, Paul Sneijder, « soumis à une imperceptible modification » (p 127) et à « une perception plus affinée de la réalité » (p 61) se met à voir « le mécanisme de nos vies d’une autre perspective », à « devenir attentif » des humains, un peu à la manière des chiens qu’il promène dans le cadre de son nouveau job à Montréal (dog walker).  Il sent dans l’air « quelque chose d’enfiévré, d’hystérique », qu’il appelle « une sauvagerie latente, un affolement de la vie » (p 61), dont il tente de se tenir dorénavant écarté.

C’est ainsi qu’il rejoint le point d’observation si historiquement et intrinsèquement littéraire du persan, du naïf, de l'étranger, du candide, du décalé dirions-nous aujourd’hui. Il découvre alors « qu’on ne construit pas un ascenseur autour d’un immeuble, mais un immeuble autour d’un ascenseur »(p 53), et que cet instrument du hasardeux destin est au centre de tout  le dispositif familial et social qui l’entoure.  L’ascenseur, responsable de son traumatisme concret, l’est en effet de façon plus maligne des nôtres, plus diffus : véritables métaphores d’un monde « de ruses, de mensonges, de leurres » (p 172), les ascenseurs « nous élèvent mais aussi nous dressent les uns contre les autres » (p 127). Principe organisateur de la norme urbaine du monde moderne en ce sens qu’il gère sa verticalité, l’ascenseur est bel et bien « un objet sous évalué et sous estimé » (p 109) : grâce à lui, « ce qui était dispersé est désormais concentré » (p 111), sans lui, « plus de verticalité, plus de densité ». C’est lui qui a fait l’agrégat de ce monde déréglé dans lequel on accepte de tenir sur 0,18 m2 pour grimper de quelques étages. Lui aussi, rajoute Sjneider, « qui a tué ma fille » : (p 112)

D’où le cas Sneijder ou la folie Sneijder, qui rêve un instant de créer « une thrombose » afin d'arrêter le flux de ces ascenseurs qui «transportent tous les cinq jours l’équivalent de la population de la planète » (p 55). Et qui s’observe jour après jour, non sans délice, en train de mettre en scène sa propre dégringolade sociale, au grand dam de sa femme qui passe son temps à lui conseiller « d’aller voir quelqu’un» et de ses fils, deux jumeaux aussi vaniteux qu'insignifiants, que leur mère a castrés. Devenu à la fin de cette vertigineuse dégringolade un « minable », Paul Sneijder «déclaré inapte» et placé sous tutelle par ces trois personnages pour lesquels à aucun moment le lecteur n’est invité à ressentir la moindre empathie envisage de rejoindre enfin sa fille.

« Ce sont les gens, bien plus que les immeubles, qui me posent problème» (p 61), confesse malicieusement ce héros narrateur au détour de l’une de ses introspections ceux qui « puisent dans leur vie comme dans une caisse à outils », à l’image de sa femme qui, chaque fois qu’elle « se fait baiser par son amant » lui «ramène un poulet fermier » (p 49). Parmi eux, il n’y a d’autre recours semble-t-il,  que de mordre ou d’être mordu, de monter ou de descendre, à moins de passer « par perte et profits » comme Nicholas White, ce journaliste à Business Work de 34 ans oublié durant un week-end entier dans un ascenseur .

Paul Sjneider, soixante ans, n’oublie rien de ce qu’il a vécu parmi eux, et à plusieurs reprises se rend compte que c’est bien ça le fond de son problème : il voudrait « trancher dans le passé avec un hachoir de boucher » (p 33), il « aimerait appartenir à une espèce amnésique»  (p 62) mais sa mémoire est  hélas « ignifugée » depuis l’accident du 4 janvier 2011.

Le cas Sjneider s’ouvre et se ferme sur les cadavres de cinq mille oiseaux (des carouges à épaulettes) et ceux de cent mille poissons (des tambours ocellés) qui firent récemment l’actualité : c'est une comédie noire sur la vie familiale en occident post-moderne, une fable caustique sur la place précieuse tout autant qu’insignifiante qu’occupe parmi tant d’autres une seule vie humaine, une méditation nostalgique sur la part d'étrangeté meurtrière contenue en chacun d'entre nous. A plus d'un titre, un livre à lire.

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19:48 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : le cas sneijder, jean paul dubois, montréal, ascenseur, littérature, actualité | | |

mercredi, 14 décembre 2011

Berlioz et l'inflation fantastique

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C’est du portrait peint par Emile Signol en 1832 que Lucien Fontanarosa  (1912-1975) s’inspira en 1969, lorsque la banque de France lui passa commande d’une aquarelle pour figurer sur  son dernier billet de dix francs à l’effigie d’Hector Berlioz. Lucien Fontanarosa avait déjà été sollicité en 1964 pour le 500 f (Pascal), en 1965 pour le 100F (Delacroix) et en 1967 pour le 50 F (Quentin de la Tour).

Les quelques mots qu’Hector Berlioz eut pour ce portrait non signé dans le chapitre XLII de ses Mémoires permirent d’en connaitre l’auteur : Berlioz et Signol avaient emporté le Prix de Rome la même année (1830), l’un en musique, l’autre en peinture : « Je pose pour mon portrait qui, selon l’usage, est fait par le plus ancien de nos peintres et prend place dans la galerie du réfectoire 3 », écrit-il. Mais le séjour mouvementé du musicien en Italie (interrompu par une escapade à Nice) diffère plusieurs fois la réalisation du tableau. Le 7  avril 1832, Berlioz écrit : « Le peintre qui l’a commencé ne sera libre d’achever que dans quinze jours. »

Sur le billet, Fontanarosa (qui fut, lui, prix de Rome en 1936) a coupé la lavallière rouge et bouffante qui évoquait le gilet rouge de Gautier à la bataille d’Hernani. Mais il a gardé l’ambiance de la génération des Jeunes France, avec la crinière d’un roux flamboyant et les traits acérés du visage, le verso du billet représentant Berlioz en chef d’orchestre.

Le billet fut imprimé du 23 novembre 1972 au 6 juillet 1978 : en tout, 306 alphabets, répartis en 24 dates d’impression, qui circulèrent dans une France giscardienne en passe de se fiancer longuement avec la crise. Il naquit l’année du serment des 102 au Larzac,  du suicide de Montherlant, du Bloody Sunday en Irlande du Nord et de la spectaculaire prise d’otage de sportifs israéliens à Munich. La durée de vie du 10 francs Berlioz (1972-1978) équivalut  à celle du «  serpent monétaire européen », dispositif économique destiné à limiter les taux de change entre monnaies européennes.

Il fut le billet de l’inflation par excellence ; la preuve : l'auteur de la Symphonie Fantastique céda la place à un rond de métal de 10 francs, ayant perdu une bonne moitié de sa valeur en quelques années. Que vaudrait-il, à présent ? A peine plus d'un euro : La chance d'avoir du talent ne suffit pas, avait écrit le Maître. Encore faut-il avoir le talent d'avoir de la chance...

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mardi, 13 décembre 2011

L'homme au manteau vert

Je croise en salle des ventes un type au regard clair et déterminé. L'euro, m’assure-t-il, ne passera pas le mois d'avril. C’est donc le moment d’acheter de l’or. Car  même avec ce qu’il a pris depuis le printemps dernier, il va encore grimper de 15 à 20 % d’ici le prochain. Inévitable, lâche-t-il dans son manteau vert. Tout ça m'a rappelé ce qui se passait avant le passage à l'euro, ces conversions du papier au métal pour ensuite repasser du métal au papier selon la loi financière du chiasme qui permet aux plus entreprenants et aux mieux lotis de rafler en tout 40%, crise ou pas crise, sur le gros des électeurs

Il y a dans ces pronostics quelque chose de fébrile, qui me laisse songer à ceux des turfistes de PMU. Sauf qu’ici, c’est une autre ambiance. J’ai vu partir hier un lingot à 36930 euros (+14,5% de frais de vente, faites vous-même le compte). Les maigres économies d’un type bourlingueur et distrait au monde ne m’offrent que les moyens de regarder les courses. Je regarde. Comme au casino. Toujours instructif de savoir ce qui se passe sur la pelouse.

Les 20 francs or, les 50 pesos, les demi-souverains mis successivement à l’encan trouvent preneurs à plein tarif, tout comme les débris d’or (y compris d’or dentaire). Mon bonhomme a sans doute raison : dans les milieux « informés », on anticipe sur la fin de l'euro comme il y a peu on anticipait sur la fin des monnaies nationales. Pendant ce temps, des politiciens disent au bon peuple qu’il va falloir « réguler les marchés financiers qui imposent leurs règles anti-démocratiques aux peuples ».

Cause toujours.

L’Histoire est bien un cirque, peu de progrès moral depuis l’empire d’Akkad. La monnaie ne vaut rien en soi, y’a qu’à voir le regard repu de ceux qui remportent la mise. C’est sur leur sourire qui ne fait qu’effleurer la surface des lippes que se jouent le cours et l’avenir des monnaies. Franc, euro, qu’importe ; l’homme est l’homme et les affaires sont les affaires. Seul prévaut l’adage souverain de l’homme au manteau vert : la monnaie appartient aux riches et ne survit que le temps qu’elle leur permet de faire des affaires. 

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06:34 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : crise, euro, politique, société, actualité, franc | | |

dimanche, 11 décembre 2011

Le peintre et le feu

Il y a tout juste 45 ans et 2 jours,  le 9 décembre 1966, on enterrait à Saint-Nizier le peintre Pierre Combet Descombes, mort asphyxié dans l’incendie de son petit appartement de la rue Ruplinger, sur les pentes de la Croix-Rousse. Lui qui se disait « un romantique impénitent » y vivait en reclus depuis la disparition de son amie Henriette Morel qui n’était que d’un an son ainée, et dans l’atelier de laquelle il travaillait au 1 rue Mazard. Parlant de la reconnaissance de leur œuvre commune, il écrivait  peu de temps avant sa mort  à Suzanne Michel : « Tout est resté au plaisir de travailler heureusement et de voir ». Dans cette même lettre du  17novembre 1966, il soulignait « J’ai eu à Lyon de bons amis ou amies, du soutien, oui.  Heureusement. Beaucoup sur le petit nombre sont disparus .Mais le souvenir profond et reconnaissant me reste,  cela me suffit quand même. Quand aux divers salopards, c’est oublié »

Onze ans plus tôt, le 9 décembre 1955, un incendie provoqué par le poêle à gaz avait déjà dévasté son  propre son atelier situé au 22 rue Thomassin.  Le peintre avait  dû lutter seul, avant de contempler, impuissant, les pompiers se démenant  « comme dans une scène de la Walkyrie ». Dans cet incendie, il déclara avoir perdu environ soixante-dix tableaux,  dont vingt de grandes dimensions et des centaines de dessins. Sans compter les notes, journaux, livres, châssis qui encombraient l’endroit.  Quelques souvenirs morbides de ce tragique instant, suivi de la ré-édition d’un billet consacré ici-même à Pierre Combet Descombes  en 2009 :

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11:00 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : peinture, lyon, pierre combet descombes, feu, incendie, saint-nizier, chasse sur rhône | | |

vendredi, 09 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (7)

Voilà, finit par murmurer Polo, c’est ce matin là  que je l’ai vu la dernière fois. J’ai trouvé son message le lendemain, dans lequel il me confiait son billet sans autre explication. Très souvent, il m’avait dit que le plus difficile n’était pas de vivre ou de mourir, mais bien proprement, de disparaître. Ils ont la manie du recensement, mais avec les disparus, ils sont bien emmerdés : c’est le nombre le plus difficile à établir, disait-il. Celui des disparus.

«J’ai attendu toutes ces années pour vous porter le porter, son billet, parce que je savais pas trop si on pouvait compter sur vous. Comment dire ? Un trois cents francs Clément Serveau dans cet état de conservation, vous comprenez,  je sais combien ça coûte, même un peu gribouillé. »

A présent, le conserver intact, ça devenait difficile. Trop durs, les temps, pour un vieux pauvre comme lui. Et on risquait de pas en voir la fin. A travers la vitre fumée du bureau, les yeux baissés, Polo contemplait les jolis escarpins de Rita, qu’elle croisait comme sur une affiche. «On risque bien de pas en voir la fin, répéta-t-il d’une voix plus sourde.

 «Il faudrait ne jamais le vendre, vous comprenez. On ne sait jamais ce qui peut arriver par la suite. Je veux dire : il n’est pas mort, il est simplement disparu. Il faudrait pouvoir conserver ce billet, quoi qu’il arrive.  »

Rita contemple ce vieil homme à la bille ronde, aux yeux plissés, au  galurin cabossé sur la tête. Quand il lui a demandé si elle se souvenait de Patrick, et du plus beau billet du monde, elle n’a hésité que peu de temps. Bien sûr, bien sûr. Ce Patrick un peu romanesque. Elle se souvenait l’avoir attendu longtemps un matin à l’agence. Il lui avait promis de passer, en effet. En effet.

 

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Du temps encore a filé, depuis. Du temps. Chaque soir en rentrant chez elle, Rita passe devant les vitres propres de la brasserie d’Alésia. Beaucoup sont attablés seuls, leur portable à portée de main.  Elle ne peut s’empêcher d’y jeter un œil, si jamais quelqu'un... En quelques décennies, les gens ont-ils tellement changé ?

 Depuis peu, cependant, elle évite. On gagne correctement sa vie, c’est sûr, dans la numismatique. Pour cette raison, elle n’a pas encore eu besoin de s’en séparer, du joli cadre en verre qui trône sur une étagère, dans la cuisine du petit appartement de Montparnasse, dont elle aura fini de payer les traites dans dix-sept ans. Elle se le dit souvent, pour s’empêcher de croire qu’elle le conserve par superstition. En même temps, depuis peu, le secteur aussi connait la crise. Putain de Maastricht. Putain de pognon. Putain d’époque. Ridicule, la superstition. Mais c’est une vraie question : Que vaut Montparnasse, sans Mercure et Cérès ?

Elle non plus n’avait plus jamais eu la moindre nouvelle de Patrick. Est-il même encore de ce monde ? Et depuis, aucune de Polo. Drôles de gars, ces deux là. Et leur plus beau billet du monde, auquel elle a fini, elle aussi, par s’attacher. Un spécimen, disait-il, oui, maintenant, elle comprenait.  Surchargé, ça c’est un comble ! Elle comprenait, à force d’y lire chaque matin, tandis qu’elle vidait son café au lait en grignotant du muesli, écureuil tragique et post-moderne, ces trois mots là rédigés à l’encre bleue : je vous aime.

Fin

jeudi, 08 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (6)

 Le  lendemain, ce serait déjà lundi. L’histoire, le temps passent trop vite. Et souvent comme sans moi, sans nous. J’ai toujours été coupé en deux avec ça. Une part qui veut régner dans le monde des hommes, inscrire sa marque, être aimé des femmes. L’autre qui surtout veut s’en garder et rester méconnu de tout ce beau monde. Discret comme le souffle. Noli me tangere.

Le bout de cette nuit viendrait, c’était inévitable, et j’avais promis de porter mon billet à Rita. Quelques gouttes de pluie tombaient sur la verrière, imitant des pas d’oiseaux. Passants, nous sommes. A l’idée que j’allais bientôt m’en défaire, je me mis une fois encore à penser à la silhouette élancée de Saint-Pierre du petit Montrouge, ce dimanche de juillet 1950.

Sébastien n’aurait jamais dû se rendre à la brocante d’Alésia ce matin-là, s’il n’y avait eu cette histoire de commode à retaper de toute urgence pour une baronne neurasthénique de Neuilly. Mais Gaby n’avait rien en stock et lui avait demandé de repasser en fin d’après-midi. Il avait remonté toute la rue des Plantes, puis l’avenue du Maine, puis avait achevé de se vider la tête en se prenant pour James Stewart devant les images de La Flèche brisée. C’était l’été, la rue de la Gaité était quasiment déserte au sortir du cinéma.

Habitué à traîner ainsi dans Paris, de longs dimanches comme celui-ci durant les cinq ans qui venaient de s’écouler, arpentant aussi bien la rue Monge que celle des Pyrénées, la rue de Courcelles que celle de Vaugirard, après une nuit parfois passée à moitié blanche, parfois à l’heure de midi, Mercure indécis ne devant plus compter désormais sur le seul  hasard pour retrouver Cérès égarée, piégé par la dimension de Paris et les cataclysmes du siècle.  

Il était revenu finalement à la brocante d’Alésia et avait conclu avec Gaby d’une date de livraison. Gaby avait tenu à lui montrer une collection de sabres dont il venait de se porter acquéreur. Sans plaisanter, le coup de fusil de la semaine. Les deux hommes avaient plaisanté un moment, discutant westerns tout en fumant du gris.  Bientôt, il fut huit heures à l’horloge de Saint-Pierre. C’est comme ça que tout est arrivé, je murmure. Polo opine du galurin.

Sébastien est finalement entré dans la brasserie. Il est entré juste pour passer un coup de fil à la concierge et lui demander de laisser la porte d’entrée entrebâillée comme elle le fait souvent, en  glissant dessous une page pliée du journal de la veille. C’est au moment où il dit ça qu’il la voit dans un miroir, qui le regarde.

Quand il s’est attablé face à elle, pourquoi aurait-elle eu le moindre mouvement de surprise, le moindre geste de recul. Au contraire. A l’un comme à l’autre, rien ne parut aussi évident que l’un, que l’autre. Et les conversations autour d’eux continuèrent comme si de rien n’était. Gauthier conserverait-il longtemps son maillot jaune ? La Seleçao KO devant l’Uruguay ! L’entrée de la RFA au Conseil de l’Europe. Fallait bien finir par le boucler, le grand cercle de la paix.

Cette jeune femme qui n’était attablée que depuis dix minutes, on aurait tout simplement dit qu’elle ne l’avait attendu que dix minutes, et qu’ils s’étaient quittés au matin. Au matin même. Le garçon venu prendre leur commande, sûr que c’est ça qu’il s’était dit, dès qu’il vit Sébastien assis face à elle. Un peu comme ces volutes de fumée qui se stabilisent au-dessus des têtes en un beau plafond de nuage gris, tout rentrait dans l’ordre ; comme si rien jamais n’avait été diverti, comme si l’errance et ses arabesques par les rues de Paris n’étaient plus de mise. Autour, on ne les remarquait, on ne les voyait plus, qui commençaient à s’aimer sous un plafond de lumière art-déco, dans le brouhaha diffus de cette fin de dimanche à la brasserie d’Alésia. 

Qu’a-t-il pu lui dire à cet instant ? Elle seule l’a su, hein !

Elle seule l’a su, reprend Polo.

Ils sont restés tout le temps d’un premier repas face à face. Et le temps qu’ils se dévisagent comme des amants déjà, la brasserie se vidait. La brasserie se vidait peu à peu. Il y avait des tables qui restaient sans clients, dont on avait retiré les couverts et mis les nappes en boule. D’autres désertes pareillement, mais dont les couverts sales demeuraient encore sur des nappes un peu tâchées, avec des serviettes pendant dans le vide. Les forcenés du dernier métro qui occupaient les dernières banquettes commençaient tous à fatiguer. 

Forcément, à un moment, il a dû lui parler du turban qu’elle portait, ce turban magnifique aux épis d’or qui semble tenir tout seul sur ses tresses, mais qu’une large broche nacrée maintient sur le bandeau du devant. Mauve, le bandeau, mauve. Forcément, il lui a parlé de la beauté extraordinaire de ses yeux. Des yeux de braise, oui, tout à fait.

Quand on glisse le billet sous une lampe, on la voit bien poindre, cette lueur orangée plus vive dans le regard. De braise scintillant. C’est comme ça qu’il la regardait, ce dimanche de juillet. C’est dans ce chatoiement qu’elle l’a toujours vu aussi, reprit Polo.

Nous nous taisons un moment.

Et puis, oui, oui, je fais.

L’ovale de son visage était impeccable. Le nez parfaitement droit. La peau toute lisse. Ce jaune orangé qui point dans son regard, n’est-ce pas tout autant celui des épis, des épis de blés dont Cérès est couronnée ? C’est le même or. Cérès, qu’avait enfin connue Mercure.

A force de se vider, ne resta bientôt plus qu’eux dans la salle. Et le billet, je dis. Le temps passe. Le billet ?

T’inquiète pas, je me souviens de tout encore, fait Polo. Je me souviens.

Quand le garçon est venu avec l’addition, ils en avaient chacun un en main à s’offrir. Et flambant neufs encore. Chacun tendit le sien comme un trophée, levant très haut le bras, en ne se quittant pas des yeux, riant même, un peu. Cela faisait des années qu’il n’avait pas ri un peu. Un seul suffisait à payer les deux repas. Le garçon a pris celui de Sébastien et ne lui a rendu que quelques pièces. Alors, comme elle tenait encore le sien entre ses doigts fins, il l’en a retiré doucement, il a demandé au garçon un stylo bleu. Tout ce manège, elle l’a suivi d’un air émerveillé, comme si vraiment elle avait su ce qu’il allait faire. Des yeux de braise. Et forcément, elle le savait, puisqu’elle était venue là elle aussi par hasard, après des mois et des années d’attente, après avoir tant sillonné la ville, et que cela faisait des années que Cérès n’avait pas ri un peu.

Alors il a écrit ce que tu vois sur le billet d’un seul trait, conclut Polo, d’un seul, au dessus des signatures, ces mots dans l’emplacement que la Banque de France n’avait laissé blanc que pour ça.

Il raconte bien, Polo. Il est bon, Polo. Elle a éclaté de rire, littéralement. Je suis certain qu’elle était vraiment heureuse. « Je le conserverai toujours auprès de moi, a-t-elle dit. C’est le plus beau billet du monde. »  Après, dis-je d’une voix de plus en plus douce tant elle me paraît lointaine, et j’entends alors les gouttes qui tombent comme des pas d’oiseaux sur la verrière, après ça leur appartient.

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 A suivre

mercredi, 07 décembre 2011

La gazette de Solko n°12

solko,politique,actualité

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07:32 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : solko, politique, actualité | | |