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lundi, 19 décembre 2011

Vanité du Je

Dans le silence de sa solitude, l’écrivain soucieux de style cherche à ne pas inscrire les mots du monde, les premiers à surgir, tout de suite, à s’imposer. Difficile, car tous ceux qu’il entendit depuis sa naissance lui sont venus de là, du monde. A commencer par celui par lequel sans cesse  il s’énonça, et par lequel il se présente encore en levant d’un ongle la visière de sa casquette : celui que tout le monde mâche en bouche pour parler de soi, ce risible, importun, défigurant car si peu figuratif je. Lieu commun, par excellence, territoire de tous.  Le je du simple dire.

Avoir depuis toujours qualifié de ce pronom qu’on affirme personnel et qui est si vain son visage, sa pensée, son récit, sa propre sensation, tel est le propre de chacun. L’avoir, ce mot, si souvent accolé à tant d’éléments disparates qui l’ont traversé, d’émois temporels, oui, ce je fugace qui se proclame permanent : l’écrivain n’a donc fort cruellement que ça pour dire tout ce qui s’est passé ; car même s’il préfère en son for intérieur le silence des chats, le relief des couleurs, la résonance des sons, quel autre choix la parole lui laisse-t-elle que de se qualifier au moyen de ce je ?

 

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Pour aussitôt s’en défaire. Car la parole est un tel édifice qu’il faut abandonner cette première clé pour se frotter au il, au on, au nous ou bien encore comme Kafka le fit à la virtuosité d’une simple initiale. Il lui faut, l’écrivain, laisser ce je au monde comme une sale vitre et pourtant, lorsqu’il ferme ainsi son carreau, les profanes croient déjà qu’il impose un masque et le malentendu se tisse. Tout, dans le langage, est vanité.

Le premier des mots du monde étant celui par lequel ce même monde m’apprit à me désigner face aux semblables, alors oui, on comprend de quelle vanité est faite la pate du langage; et que tout l’arbitraire du signe ne soit que déception à l’écoute attentive, et laisse démuni le visage incliné face à la page blanche. Douces, brutales, lancinantes, mornes, fiévreuses, exaltées, douloureuses sont les absences qui me traversent, et m’ont fait masque, que le murmure des mots, malgré cette malédiction, tente d’à nouveau façonner. Je…

Mon corps a une odeur, ma main a une empreinte, ma voix possède un timbre et mon pas son véritable rythme ; parler n’a que ce je à m’offrir, qui comme ce tu n’est qu’une mécanique sourde et sans relief, entonnoir par lequel se recentre sur l’exaspérant lyrisme d’un constant désaccord l’esprit des sept milliards que nous sommes.

Ecrire.

Quand, tel l’habit ôté pour que la peau frémisse, choit ce premier je trop lisse et trop  douillet, et qu’un autre s’impose (toujours à son désordre reconnu), la vanité du simplement dire cesse-t-elle enfin pour que débute la témérité de l’art ?

20:50 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature, vanité, l'exil des mots, kafka, dire je | | |

Commentaires

Vous menez le jeu de main de maitre. Je suis,toujours,étonné de cette interrogation banale que chacun subit, vrai tic langagier "Comment vous appelez vous?". Je ne m'appelle jamais, s'il m'arrive de ne pas savoir où j'en suis,je sais où je suis. Ce furent mes parents qui m’appelèrent, si j'avais du m’appeler,je crois bien que je ne serais pas venu. J'ai du très tôt pour que mon "Je" survive,maitriser le langage. Pour des raisons que j'ignore, ma mère tardait à me donner le sein. Je fus obliger de crier,avec véhémence "Qu'est ce que tu glandes,ma mère?" . L'habitude de jouer avec les mots dits était prise.
Le passage de votre billet sur l'odeur du corps est bienvenu. L'odeur est ce qui perdure le plus longtemps après la disparition du corps. Elle est la dernière trace.

Écrit par : patrick verroust | lundi, 19 décembre 2011

L'habitude était prise et bien prise !
L'humour révèle en effet mieux que quoi que ce soit la vanité du langage, le fossé qui s'étend entre le Réel et les mots. Le rire fait place nette.
Vanité du rire : Le rire est un dire à soi tout seul.

Écrit par : solko | mardi, 20 décembre 2011

C'est beau! Merci à Bertrand et Sophie d'avoir réveillé votre "je", cher Solko!

Écrit par : tanguy | lundi, 19 décembre 2011

Voilà qui est pe(n)sé net, cher Solko.
Le "je" intempestif dont il faut se défaire, ou qu'il faut évider pour le remplir autrement (fruit d'un long cheminement), à la manière de Proust, bien plus distant avec le "je" de la "Recherche" qu'avec le "il" de "Jean Santeuil"...

Écrit par : nauher | lundi, 19 décembre 2011

Eh oui, on tombe à chaque fois sur Proust (si j'ose dire, )qui a décrit une bonne fois pour toute cette métaphore du "développement du cliché".

Écrit par : solko | mardi, 20 décembre 2011

"Je" est-il "moi" ? Vanité que de le prétendre, et pourtant ! Vous le dites bien, ici, "je" est une technique du langage. Mais une technique reste une technique...L'art change de véhicule avec le "il" ou tout autre vocable, mais pas de technique, au fond.Et pas de parole non plus.
Hugo ne pouvait pas écrire en disant"je", du moins dans ses premiers recueils, alors il disait "Olympio". Mais Olympio restait profondément" je". Certainement" moi" aussi.
Dans Les MAuvais coups, Vailland cache le "je" sous "Milan"..On pourait multiplier les exemples à l'envi, tant, en écriture, et en matière d'art en général, c'est le "je" qui cause et qui compte. toujours. Alors vanité, oui..Mais je crois que j'ai eu tort de prendre ce mot en mauvaise part. Sans vanité pas de prise de parole ni de prise de risques, donc..Rempart sublime.
En revanche, j'ai rencontré une foule de gens, et vous aussi sans doute, qui, en prenant la parole, orale, pour contester un propos précédent d'un autre souvent, commençaient toujours par :
- Moi, je pense que...
Et j'ai toujours pensé, justement, qu'il y avait là, non pas redondance vaniteuse, mais une dichotomie. Un gros malaise entre le "je" et le "moi". Un "je" qui avait du mal à habiter son propriétaire.

Écrit par : Bertrand | mardi, 20 décembre 2011

Mais comme le disent les grammairiens, "moi" n'est qu'un "je" renforcé. Les vrais problèmes d'écriture commencent quand on passe la frontière du pronom (mis pour) pour aborder celle des noms,des adjectifs, des verbes, donner corps, matière, chair à tout ça -même si c'est toujours "mis pour"...
C'est là qu'on s'aperçoit qu'on n'est pas vraiment propriétaire mais, toute plaisanterie mise à part, tout juste locataire dans ce fourbi du langage. Dans le langage (je ne pas parle pas du langage du quotidien), dans le langage réfléchi, nous ne faisons que passer. Voilà pourquoi ce "je" qui nous fixe, nous épingle, a toujours pour moi quelque chose de vaniteux et de dur à manier.

Écrit par : solko | mardi, 20 décembre 2011

Bertrand:

Vous venez d'énoncer une idée subtile avec votre dichotomie contenue dans le "moi je". J’acquiesce à l'idée de malaise. Je crois que, parfois, le "moi, je pense,personnellement" cache un vaniteux désir d'exister,de s'affirmer. Je suis frappé des discussions interminables dans lesquelles les protagonistes sont d'accord mais ils ne peuvent pas l'admettre,dressés sur leurs égos. Dans la vanité, je mets une part de pleur, celle du bébé qui crie son être au monde, le besoin d'être une goutte d'eau individuée dans le fleuve bouillonnant des humains au passage provisoire.

Écrit par : patrick verroust | mardi, 20 décembre 2011

Dressés sur leurs égos...Z'avez-vu mon coq, sur L'Exil, Patrick ? Dans cette vanité, il y a effectivement, Sophie le disait, un besoin fort humain d'être aimé. La vanité du désespoir existe aussi..Celle de la solitude et celle de briser cette solitude par, entre autres, l'écriture.

Locataires du langage. Oui.Mais locataires qui ne payent pas de loyer. Squatteurs, quoi. Squatteurs quand on fait parler le narrateur d'un récit avec un "je" qui n'est pas "moi".Est-ce que vous avez remarqué, Solko, comme c''est confortable de faire un récit que vous n'avez pas vécu, inventé si on veut, en faisant parler un "je". Proximité confortable et distance en même temps. J'ai éprouvé ça en rédigeant, par endroits, " Le Théâtre des choses".

Écrit par : Bertrand | mardi, 20 décembre 2011

C'est en effet très confortable.Heureusement puisque que ce confort est bien souvent le seul salaire...

Écrit par : solko | mardi, 20 décembre 2011

être ou ne pas être....histoire de synthétiser.
comme personne vient de l'étrusque personna, masque de théâtre, pourquoi donc ne pas considérer le personnage comme ce qu'il est, c'est-à-dire un personnage, et donc opérer une distanciation de facto.
à dire vrai, la phrase de shakespeare mène au constat que ne pas être tient aussi bien debout qu'être, encore faut-il essayer de ne pas être pour pouvoir le constater.

Écrit par : gmc | mardi, 20 décembre 2011

« Dépositaire » plutôt que « locataire », ce qui éclairerait beaucoup.

Écrit par : ArD | mardi, 20 décembre 2011

Oui, dépositaire dit mieux la chose. Pourvu que ce ne soit jamais un dépôt de bilan

Écrit par : solko | mercredi, 21 décembre 2011

Ard:

Dépositaire....j’adhère avec regret mais l'idée que mes mots eussent pu être loués me plaisait assez. Plutôt que de me payer de mots, recevoir des compliments avec de l'argent comptant m'aurait rendu content. Si un levantin me donne quelques pièces d'or, je lui écris la très jolie histoire de la chèvre de son enfance, celle qui tirait sa charette, la chèvre de Monsieur Sequin, point vénal!

Écrit par : patrick verroust | mardi, 20 décembre 2011

le mot charrette a un drôle d'air, elle va chavirer!

Écrit par : patrick verroust | mardi, 20 décembre 2011

Bertrand:

J'ai lu "le coq". J'y ai laissé un commentaire, une "dissert" sur les impressions qui naquirent mot après mot.

Écrit par : patrick verroust | mardi, 20 décembre 2011

Et quel!(suis passé le lire)

Écrit par : solko | mercredi, 21 décembre 2011

Solko:

Merci

Écrit par : patrick verroust | mercredi, 21 décembre 2011

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