dimanche, 05 décembre 2010
Les nains de Disney
C’est aujourd’hui l’anniversaire de Walt Disney. S’il n’était mort en 1966, le souriant moustachu aurait l’âge hautement respectable de cent neuf ans. Walt Disney Company est devenu un tel empire étendant sur les cinq continents ses ramifications qu’on est en droit de se demander, si le patriarche n’était né, à quoi ressemblerait le monde aujourd’hui : outre un catalogue de 700 films, les studios et la chaîne ABC, onze Disney on Ice, quatre bateaux de croisières de 1000 places, un théâtre à Broadway, 140 oscars et 10,6 milliards de bénéfice annuel avec la totalité des parcs d’attraction… Et depuis peu, Raiponce, la princesse à la chevelure de vingt mètres de long.
Si Disney n’était pas né, ni Mickey ni Donald n’auraient, évidemment, vu le jour. Du moins sous cette forme. Sans cette représentation parodique de l’américain moyen, les années trente auraient-elles eu le même visage aux USA ? Et les années cinquante en France ? On peut parier que d’autres créatures auraient été promues à leur place par d'habiles managers afin d’occuper la même fonction.
Sans la presse du bon Walt, une certaine couleur des jeudis puis des mercredis de nos enfances aurait sans douté été différente. Mickey, pourtant, n’était bien vite devenu à mes yeux qu’un fade logo dans son propre journal, une sorte de manager dynamique qui coachait des figures plus hautes en couleurs : Guy l’Eclair, Pim Pam Poum, un certain homme préhistorique dénommé Onkr, dont on suivait les aventures grotesques et palpitantes de numéro en numéro.
Sans Disney, une chose aurait cependant, j'en suis sûr, fait défaut à cette France de la seconde partie du XXème siècle, et c’est les nains de jardin.
Certes, direz-vous, la coutume est ancienne et remonte à l’Allemagne du XVIIème siècle. Mais comment ne pas penser qu’elle ne parvint jusqu’au XXIème siècle que parce qu’elle fut portée par le grand vent des studios Disney ?
Un qui ne s’était pas trompé fut Alexandre Vialatte qui, dans sa chronique des nains en céramique publiée en 1967, affirmait déjà que « le nain de faïence sort de Blanche Neige avec la barbe en cœur, surmonté d’un capuchon rouge, et remonte plus anciennement aux opéras de Wagner, aux contes de Grimm, aux Nibelungen. » Depuis les nains de jardins connurent leur front de libération : « Si je tenais l’enfant de gredin / qui m’a volé mon nain jardin » chanta Renaud en 2002…
Disney, grand fécondeur devant l’Eternel de nains de jardins par milliards : l’image est parlante. « Notre but, c’est de brouiller la frontière entre l’art et l’entertainment, et nous imaginons ici à la fois de vraies pièces de théâtre, des parades, des spectacles en marionnettes, des feux d’artifice, des événements larger than life », explique Anne Hamburger, la présidente de Disney Creative Entertainement, à Frédéric Martel, l’auteur de Mainstream. Ce sont d’ailleurs ces mêmes nains, pères Noël miniatures devenus cariatides, qui soutiennent le toit du siège de la Walt Disney Company à Burbank en Californie. Larger than life : Sur la photo, face au boss qui tient par la main sa créature, tout au sommet de la pyramide, les bras en l'air tel un leader des temps nouveaux : le géant Simplet… Prémonitoire, ce formidable Walt...
21:36 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : walt disney, disney, nains de jardin, raiponce, alexandre vialatte, mainstream |
samedi, 04 décembre 2010
La nounou d'Helena
« Nous réussîmes à trouver une femme très gentille pour garder notre fille et entretenir l’appartement. Dans un régime comme celui sous lequel nous vivions, avoir chez nous une femme qui nous aidait à élever notre fille et à faire le ménage était une chose non seulement rare, mais périlleuse, voire illicite. D’ailleurs, son statut manquait même de dénomination. D’aucuns l’appelaient la « nounou », mais d’une voix timorée, comme si cela ajoutait encore au danger, car cela faisait partie des anciennes pratiques, autrement dit de celles par quoi on exploitait la force de travail d’êtres humains.
Déjà la recherche de cette nounou avait été toute une histoire. Par bouche-à-oreille, comme dans les réseaux clandestins, on pouvait finir par en dégotter une à condition de ne pas le crier sur les toits. Le Comité de quartier veillait, les Anciens Combattants veillaient, les militants du Front démocratique veillaient. Ils montaient la garde avec zèle, comme ils le faisaient aussi contre ceux qui installaient en cachette des antennes sur leur balcon pour tenter de capter les chaînes de télévisions italiennes. Ces femmes de ménage, seules y avaient droit les familles de dirigeants. Dès que ces familles constataient que quelqu’un d’autre disposait de ce qu’elles pensaient être les seules en droit de posséder, leur amour-propre maladif crevait les yeux »*
Helena Kadaré, Le temps qui manque, Mémoires, Fayard
* La situation rapportée se situe bien sûr en Albanie, vers l’année 1965. La photo ci-dessous est d'Elliott Erwitt
16:17 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : elliott erwitt, helena kadaré, littérature, photographie |
vendredi, 03 décembre 2010
La "gallaire" Houellebecq
Florent Gallaire, le blogueur juriste qui avait mis à la disposition des internautes une version numérique de La Carte et le territoire de Houellebecq l’a finalement retirée, suite aux injonctions de Flammarion, tout en maintenant pourtant la "pertinence" de son analyse juridique sur la première page de son blog. Pour lui, le fait que Houellebecq ait inclus dans son texte plusieurs articles de wikipédia transformait ipso facto le texte entier (428 pages) en œuvre libre, par conséquent téléchargeable à volonté.
Le roman aurait été téléchargé plusieurs milliers de fois.
A y regarder de près, ces quelques milliers d’exemplaires qui se baladent dans la nature virtuelle auront surtout constitué un double instrument de promotion :
-pendant une dizaine de jours, on aura ça et là continué à parler du Goncourt 2010.
-ceux qui l’ont téléchargé l’auraient-ils acheté ?
Il me semble que Florent Gallaire, qui vient d’accéder à une éphémère notoriété grâce à sa confusion (sans doute volontaire) entre « libre de droits » et « licence libre » pourrait être un personnage de cette comédie décomposée, de ce monde où on survit par à-coups médiatiques, et qui constitue le monde romanesque de Houellebecq.
Je ne suis ni houellebecquophile ni houellebecquophobe. Il est cependant clair que Houellebecq avait les moyens de masquer ses quelques emprunts en soignant les raccords narratifs avec le reste du texte. Pourquoi a-t-il pris grand soin, au contraire, de les rendre visibles en créant même un effet de rupture de ton assez saisissant ?
A la première lecture du texte, il m’a semblé évident que Houellebecq se situait davantage dans une volonté de collage et de parodie que dans un souci de plagiat : ces interventions, qui miment assez lourdement (1) les interventions d’auteurs des vieux narrateurs omniscients du temps des Goncourt, n’amènent rien au roman, sinon un effet comique et un certain discours en creux sur la culture en toc d’aujourd’hui, lequel rejoint d’ailleurs le propos global de l’œuvre entière du romancier. Comme Houellebecq lui-même s’invite dans son roman en tant que personnage, il y fait entrer Frédéric Nihous et quelques autres notices de wikipédia. Manière d'évoquer la pauvreté et la tristesse du réel dans lequel évolue Jed Martin et ses comparses.
Florent Gallaire, ainsi qu’Eric Cantonna et ses déclarations aussi fracassantes que vaines sur la révolution du 7 décembre, pourraient tout aussi bien devenir les particules élémentaires d’un prochain roman. On voit bien, in fine, qu'ils ne valent guère mieux que ça. Personnages de leur temps, emblématiques de son dérisoire.
Une question, cependant, demeure pendante :
Ce roman, quel romancier aura à coeur de se donner encore la peine de l’écrire ?
(1) Voir le billet consacré au roman ICI
12:38 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : florent gallaire, michel houellebecq, prix goncourt, littérature, société, wikipédia |
jeudi, 02 décembre 2010
Collomb aux deux ânes
Gérard Collomb était vendredi 26 novembre l’invité des chansonniers des deux ânes ; ou les chansonniers des deux ânes étaient les invités du maire de Lyon, on ne sait, puisque Jérôme de Verdière le remerciait de son accueil à la fin de l’émission. L’émission a été rediffusée hier soir sur Paris Première. Sous prétexte de se « prêter au jeu » des chansonniers, jusqu’à quel point un homme politique peut-il se prêter à la démagogie graveleuse, au degré zéro de la communication ? Quelques moments de ce spectacle affligeant :
16:04 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, gérard collomb, socialisme, ps, lyon, paris première, théâtre des deux ânes |
mercredi, 01 décembre 2010
Ce que la neige ramène aux hommes
Louis Antoine BEYSSON (1856-1912)
Locomotive dans la neige
18:14 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : peinture, neige, littérature, louis antoine beysson |
Au commencement était la neige
Si Jean Giono est le romancier de la neige, Yves Bonnefoy en est bien le poète. Le titre du recueil qu’il publie en 1991 (Début et fin de la neige) l’annonce comme une évidence : avec son commencement, sa durée, sa disparition, la neige possède bien, comme les mots, une histoire dont l'incarnation éclipse toute autre que la sienne. En quinze poèmes, Bonnefoy s'aventure à la déchiffrer
Première neige tôt ce matin. L'ocre, le vert
Se réfugient sous les arbres
Seconde vers midi. Ne demeure
De la couleur
Que les aiguilles de pin
C’est bien cela, tout d'abord, la première sensation de la neige : cet effacement progressif qui prend la forme d'une restriction du visible, immobilisant, dit le poète, le fléau de la lumière. Mais en même temps sa blancheur, qui rend le miroir vide donne à nos gestes, nos pas, nos paroles, une nouvelle lisibilité. L’enfant, dit Bonnefoy « a toute la maison pour lui », puisque les temps de neige permettent une exploration de l’instant différenciée de celle des jours ordinaires :
A ce flocon
Qui sur ma main se pose, j’ai désir
D’assurer l’éternel
En faisant de ma vie, de ma chaleur,
De mon passé, de ces jours d'à présent,
Un instant simplement : cet instant-ci, sans bornes
Illusion fugace, bien sûr. Mais illusion ô combien légitime ! Car elle assure la venue, concomitante à la sienne, de l’expérience poétique. Voilà pourquoi, en lieu et place de la construction d’un conventionnel bonhomme de neige, qui signerait une action humaine, l’enfant préfère s’enchanter de l’image qu’il saisit du manteau d’une « Vierge de Miséricorde » de neige :
« Contre ton corps
Dorment, nus,
Les êtres et les choses et tes doigts
Voilent de leur clarté ces paupières closes. »
Le monde est comme re-dit par cette neige. Le moindre accroc au silence de celui qui marche briserait la sérénité de cette comparaison. « J’avance », dit plusieurs fois le poète ; et « on dirait ». Voilà que cet enneigement du monde semble, à celui qui en écoute la chute, un art poétique. Moment de dévoilement :
« On dirait beaucoup d’e muets dans une phrase.
On sent qu’on ne leur doit
Que des ombres de métaphores. »
La neige sur laquelle nous avons avec le poète cheminé est ainsi devenue l'incarnation même du langage poétique. Sa matière visible. Nous voici à l’avant-dernier poème, à l’arrivée de la lumière. Soudainement christique, la neige, dont la présence pareille au verbe eut un commencement, va gouter dans sa chair l’expérience de la fin. Nous en serons le spectateur. Ou, plus poétiquement, l'auditeur :
« Et c’est comme entrerait au jardin celle qui
Avait bien dû rêver ce qui pourrait être,
Ce regard, ce dieu simple, sans souvenir
Du tombeau, sans pensée que le bonheur,
Sans avenir
Que sa dissipation dans le bleu du monde.
Non ne me touche pas, lui dirait-il,
Mais même dire non serait de la lumière. »
09:25 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : yves bonnefoy, poésie, neige, littérature |