Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 21 avril 2010

Bayern-OL

1292628090.jpg

 

Ainsi, Jean-Michel Aulas la tient, sa demi-finale de Champions League ! J’ai lu quelque part qu’en raison du volcan islandais au nom imprononçable qui a contraint son équipe à voyager plusieurs milliers de kilomètres en car (Lyon/Bordeaux, Bordeaux/Lyon, Lyon /Munich), ce diable de la communication se montrait "inquiet de l'à côté" : au cas où son équipe réaliserait un mauvais score sur la pelouse du « Schlauchboot » (canot pneumatique), il pourra toujours faire porter le chapeau au Eyjafjöll (non loin du glacier Eyjafjallajökull), dont les cendres inopportunes  auront saupoudré  le chemin de son club comme ils ont saupoudré celui du Barça hier. Dans le cas contraire, les hommes de Puel n’en retrouveront que plus de mérite à ses yeux. Depuis ce jour de 1987 où Bernard Tapie le parraina dans le monde du foot, le président de l’Olympique Lyonnais vit avec les signes que lui adressent les dieux : s’il perd, c’est donc que les dieux auront été en faveur de l’adversaire munichois; mais pas réellement contre lui ! S’il gagne, c’est que son travail de fourmi aura finalement été capable d’attirer leur faveur. Un vrai boulot de gestionnaire, que la Providence aura finalement gratifié d’un fameux clin d’œil ainsi que d’un joli chèque...

Jean-Michel Aulas n’a-t-il pas cru voir à nouveau un signe dans l’élimination, par ses vaillants mercenaires, du favori madrilène  ? un signe qu'il serait de retour à Barnabéu, le 22 mai ? Il n'empêche que dans le costume du superstitieux président se cache un gestionnaire réfléchi pour qui l’équilibre du budget compte au moins autant que la gagne sur terrain.

graph.png

Or il se murmure que la fortune du président a diminué plus que de moitié depuis 2007 (cf le classement 2009 des fortunes de Challenges). Etrange coup du sort, qui veut que le compte en banque décroît au fur et à mesure que le rêve européen s'avance.

C'est même la raison pour laquelle il aurait bradé Benzema cet été, pour 35 millions d’euros seulement (!!!) afin de ne pas  clôturer l'exercice de l'an passé dans le rouge. Il se murmure également que malgré la manne financière dont le club sera le benéficiaire au terme de son parcours européen, son verteux président s’apprête à sacrifier deux cadres : le rêve a beau n'avoir pas de prix sur la scène, il en a un sacré en coulisses, dame ! Lyon, l’anti-Marseille par excellence, autrement dit : les légendes pagnolesques ont la peau décidément bien dure !

 

Il se trouve que Jean-Michel Aulas a fait ses études dans le lycée où je professe et qu’un conseiller principal d’éducation de cet établissement, vaillant supporter de l’OL depuis ses culottes courtes et ses premières égratignures aux genoux, est allé dénicher le dossier scolaire du boss dans les archives. Qu’en dire de plus sans risquer de s’attirer les foudres des dieux de Gerland ? Rajouter peut-être que ce conseiller principal d’éducation, homme courtois et bon vivant au tact et à la culture assurés, demeure jusqu’à cette heure le seul à être parvenu à me traîner dans un stade un dimanche soir. C’était sous l’ère Houiller, un Lyon-Bordeaux ennuyeux au possible qui (si je me souviens bien), s’était soldé  par un 0/0.

On était en décembre. Des congères de neige bordaient le terrain. J’avais passé la soirée non pas à dénombrer les brins du gazon, mais à compter les projecteurs sur les multiples rampes, songeant qu’une époque où le foot était à ce point-là mieux loti que le théâtre ne pouvait qu’être calamiteuse pour tous. Il faisait froid. A mes côtés, je me souviens qu’un type inquiétant commentait pour lui seul et à mi-voix le match qui se déroulait devant nous, imitant le phrasé si caractéristique du journaliste sportif : « allez mon Sydney, oui vas-y, t’as juste encore quelques mètres et c’est dedans mon Sydney, vas-y bon sang, oui, oui… »

Comme il connaissait mon livre Lyon Légendaire et Imaginaire, cet aimable collègue m’avait suggéré (n’y ayant – et pour cause – rien trouvé sur son club de cœur) de m’intéresser un peu plus au football lyonnais sans lequel nulle légende de la ville ne pourrait désormais s’écrire. M'en rendais-je vraiment compte ? Je me souviens cette année-là avoir même rencontré le directeur du merchandising du club, lequel m’avait laissé entendre que pour l’instant, l’OL en était à écrire son histoire ; pour la légende, on verrait plus tard, lorsque le trophée aux grandes oreilles... Collomb qui est un grand rêveur entrevoit les multiples retombées économiques d'une telle épopée.  Mon voisin, plus prosaïque,  voit déjà le tombeur du Real s'affronter au tombeur du Barça le 22 mai. Gérard, Jean Michel, mon voisin ...

C'est dire le poids qui va peser sur les épaules de Puel ce soir.

15:23 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : football, ol, bayern, actualité, société | | |

mardi, 20 avril 2010

Dans les cendres du volcan

20100415PHOWWW00379.jpg

« Qu’on ne me refasse plus le tableau séduisant des voyages poétiques et sauveurs, avec leurs fonds marins, leurs monceaux de pays et leurs personnages étrangement vêtus devant des forêts, des montagnes, des cimes couvertes de neiges éternelles, et des maisons de trente étages… »

Paul Nizan – Aden Arabie, ch. XIII

 

A l'heure où l'on parle d'image de soi, quelque chose d’irritant, quand même, à entendre sur toutes les radios du monde des touristes français incessamment bêler contre les ambassades, geindre devant les sièges de compagnies aériennes et de tour-operators « qu’on ne les prend pas en charge, qu’on ne s’occupe pas d’eux, qu’on ne leur dit rien, qu’ils doivent se débrouiller tout seuls, qu’ils sont laissés pour compte… ». Mais qu’est-donc devenu le voyage ? A faire se retourner dans leurs tombes tous les grands arpenteurs de planète du passé, non ?

 

14:32 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : actualité, société, eyjafjöll, volcan islandais, tourisme de masse | | |

Des nouvelles de l'Hôtel-Dieu

defaut.jpg

 

C’est à mon sens l’argument le plus spécieux, le plus asséné et peut-être le plus performant du « nouveau monde » : le changement est bon. Cette idée, proprement libérale puisque c’est dans le changement que tout marché fait son nid, rencontre aussi dans l’esprit du plus grand nombre je ne sais quelle idée de jeunesse qui la rend sympathique et a priori admissible, quelle que soit la nature du changement envisagé.

Qu’en est-il, dans un tel contexte du patrimoine ? Il est question, à Lyon, de construire un musée et un grand stade qui pour l’instant ne sont, ni l’un ni l’autre, sortis de terre. Et en même temps, il est question d’assigner au vieil Hôtel-Dieu un usage nouveau, hôtel de luxe, usage en contre sens complet, c’est le moins qu’on puisse dire, avec sa fonction emblématique et  séculaire. Et l’idée semble séduire de nombreuses personnes qui vous disent naïvement : mais qu’est-ce que vous avez contre le changement ?

J’ai qu’au nom de ce changement, un bâtiment qui appartient de fait non seulement à l’histoire de la ville, mais par conséquent à chacun des lyonnais, entre symboliquement dans une sphère dont il doit être maintenu à l’écart : celle du privé. J'ai qu'on brade une mémoire, un symbole, une culture. J'ai que c'est idiot. Je renvoie le lecteur à tout ce que j'ai écrit à ce sujet et aux nombreux billets qui sont regroupés ICI.

De nombreux lecteurs de ce blogue ont signé, et je les en remercie du fond du coeur, la pétition de protestation pour la promotion d’un centre de santé à l’Hôtel Dieu. Cette pétition ne sauve pas l'ensemble du site, mais seulement 4 à 5000m2, sur plus de 40 000. C'est déjà ça, même si à mon sens il faudrait mobiliser les gens  de façon bien plus radicale pour la création d'un musée qui regrouperait tous les musées épars de la ville et serait un musée, justement, à la hauteur d'une ville qui se veut de dimension internationale.

Entre la plate forme en lien et une autre plate forme, en cumulant également les signatures manuscrites, 5000 signatures ont été recueillies. C’est beaucoup, c’est encore insuffisant pour créer une dynamique sur toute la région. Je retranscris un extrait de la lettre que j’ai reçu de la part de M. J.F.Valette, du Collectif Hôtel Dieu , ainsi que le texte qui l’accompagne :

Lire la suite

07:53 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hôtel-dieu, politique, patrimoine, société, ps, ump, lyon | | |

lundi, 19 avril 2010

Le foot et le cul

Bonne nouvelle : y’a pas que les curés qui sont pédophiles.

 

jeune footballeur.jpg

18:35 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : football, actualité, société, ribéry | | |

dimanche, 18 avril 2010

La Grèce et lui

Me demande abc_rich_080418_mn.jpgà quoi ressemblait cet homme lorsqu’il n’était qu’un gosse, mettons de quatre cinq ans. Arrière petit fils d’un capitaine de marine marchande norvégienne qui épousa la fille d’un ambassadeur français échoué sur les côtes de l’Equateur, cet homme a, disent ceux qui l’admirent, le goût du risque dans le sang. Son job, depuis des années ? En gros, faire du pognon avec les dettes des autres, particuliers, entreprises, états : Qu’importe ! L’argent n’a point d’odeur. L’argent pue, lui aussi.

Et donc, celui que le New York Daily News a surnommé « le sultan des subprimes », un jour de 2008, après qu’il eut raflé 3,5 milliards sur le dos des américains moyens, vient d’en rafler un de plus en conseillant en sous-mains la Goldmans Sachs d’arnaquer joyeusement ses clients en leur vendant des produits financiers bidonnés sur la dette de la Grèce.

Éminence de l’ombre ou saloperie de l’ombre, comme on voudra. : cette sorte de doryphore de l'establishment mondial est consulté comme un oracle à Wall Street, et considéré comme une référence en Europe. Voilà qui en dit long sur les temps que nous vivons.

09:18 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : john paulson, goldmans sachs, grèce, capitalisme, prédateurs | | |

samedi, 17 avril 2010

Paul Jorion

« La socialisation des pertes : Quand on a vu les chiffres qu’il fallait dégager, on s’est aperçu que les Etats eux-mêmes étaient entrainés dans la chute du système. C’est eux qui prenaient à charge les dettes, et ils étaient incapables de le faire. Avec les événements qui affectent la Grèce, le Portugal, les conséquences de cette tentative ratée d’éponger les dettes se poursuivent. »

« Le capitalisme s’effondre tout seul sans que personne ne le pousse, sous le poids de sa complexité, sous le poids de l’invraisemblable tissu de fragilités qui s’est créé avec le remplacement d’un système économique de richesses par un système économique de crédit – c'est-à-dire de reconnaissances de dettes. »

« Les dominos, là, maintenant, ce sont les nations. On se dispute comme des chiffonniers. Les Allemands disent : « C’est pas nous qui paieront », la Grèce dit : « si on ne veut pas nous aider, on se tournera vers le FMI » Le système continue de s’effondrer : il ne s’effondre plus au niveau des entreprises ou de Wall Street, il a entraîné dans sa chute les Etats et c’est à ça qu’on est en train d’assister, et très mal engagé.

« Les idées sur ce qu’il faudrait faire pour passer à autre chose ne sont pas encore là. Il ne faut pas se contenter de phrases en l'air, il faut venir avec du solide... »

Paul Jorion - 19 mars 2010


Paul Jorion - Le temps qu'il fait le 19 mars 2010
envoyé par PaulJorion. - L'info video en direct.

Voilà qui me rappelle, à nouveau, Musset; cet extrait de la première partie de La Confession d'un enfant du siècle : "Mais si le pauvre, ayant bien compris une fois que les prêtres le trompent, que les riches le dérobent, que tous les hommes ont les mêmes droits, que tous les biens sont de ce monde, et que sa misère est impie ; si le pauvre, croyant à lui et à ses deux bras pour toute croyance, s’est dit un beau jour : Guerre au riche ! à moi aussi la jouissance ici-bas, puisque le ciel est vide ! à moi et à tous, puisque tous sont égaux ! ô raisonneurs sublimes qui l’avez mené là, que lui direz-vous s’il est vaincu ?"

20:21 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : jorion, capitalisme, musset, littérature, économie, société, crise, grèce | | |

vendredi, 16 avril 2010

L'ère du foot

546x273_1571580_0_0abb_ill-1334332-66be-blanc.jpg

Sur cette photo, tout le foot actuel : Une cage vide, à prendre d’assaut. Derrière, une foule anonyme, des visages fondus, une simple muraille de spectateurs. Un entraineur en costume cravate, mains dans les poches, décontracté & speedé juste ce qu’il faut, l’homme moderne, quoi, comme on dit dans la pub. En pleine crise. Entre la  muraille de spectateurs et l'entraineur stressé, une muraille de pubs, justement. L’air du temps. Au sol, du gazon. Important, le gazon, dans le foot. Quand on s'emmerde, on compte les brins.


Sur cette vidéo, tout le foot également : le capitaine de l’Olympique de Marseille Mamadou Niang sortant de l’entrainement où l’attendent depuis deux heures des supporters. Il est multimillionnaire. Ils sont pauvres. Comme il passe d’un trait en feignant de les ignorer, l’un d’entre eux botte en touche sa bagnole. Son carrosse. L’idole descend, et, sans faire dans la dentelle, l’insulte, le gifle. Escarmouches. L’air du temps à nouveau. L'ère du foot

post-1-1217000506_thumb.jpg

Voilà qui rappelle une page de Musset dans la Confession d’un enfant du siècle. Les pauvres de Ménilmontant regardent passer les calèches des aristocrates à l’occasion d’un carnaval. La farine manquant (cruauté du jeux de mots), la boue vint à pleuvoir. Que dire ? Au moins les aristocrates de ce temps-là avaient-ils plus de tenue que ceux d’aujourd’hui. Et les pauvres étaient quand même moins abrutis.

Ci-dessous, le texte de Musset L’un de ses plus beaux. Dédié à l' Eventail. Et aussi à la mémoire de Jacques Seebacher , qui nous commentait si intelligemment cet extrait de Musset au premier étage d'une tour de Jussieu il y a fort longtemps - un siècle autre - mais les paroles demeurent.

Lire la suite

A propos de Jacques Seebacher

Je place en ligne l'article de Francis Marmande (Le Monde, 24 avril 2008), en hommage à Jacques Seebacher (10 avril 1930 - 14 avril 2008), ainsi que le billet que j'avais édité sur ce blog le mardi 22 avril 2008 lorsque j'avais appris son décès. A l'attention de tous ceux qui, comme moi, ont eu la chance d'être l'un ou l'une de ses étudiants et de croiser les lumineuses explications de ce très grand professeur.  ICI, l'hommage que lui rend Guy Rosa dans la Revue d'histoire littéraire.  Et ICI, une biographie détaillée.

 

J’apprends avec beaucoup de tristesse la mort de Jacques SEEBACHER. Dans le tintamarre médiatique, les grandes intelligences et les beaux esprits s'en vont fort discrètement. Jacques Seebacher a été mon professeur à Paris VII pendant plusieurs années. Je lui dois, comme beaucoup d'autres de ses étudiants, des centaines d'heures d'un plaisir exquis, rare, indicible : celui de comprendre un grand texte auquel on consacre, pour rien, quelques heures de sa vie. Et cela chaque semaine. Et cela durant plusieurs années. Jacques Seebacher qui prit la succession de Pierre Albouy était un spécialiste de Victor Hugo  (il dirigea l'édition du centenaire dans la collection Bouquins). 

seebacher.gifC'était un dix-neuvièmiste complet, si une telle expression a du sens, un homme réellement cultivé, attaché à la transmission comme un paysan à sa terre. Je me souviens d'explications de lui de Michelet, de Renan, de Sainte-Beuve, de Musset, de Baudelaire, de Lamartine ou de Sand, bien sûr, mais également de Ronsard, de Racine, De Pascal, de Montesquieu, d'Apollinaire, de Valéry... Des explications scrupuleuses et lumineuses, au sens propre.  Des explications généreuses, qui donnaient à leur auditeur l'impression d'être intelligent... Il était un professeur à la fois plein d'humour, de rigueur et d'intégrité, capable d'être cassant lorsqu'il se trouvait devant une personne qu'il jugeait malhonnête sur le plan intellectuel, heureux lorsqu'il apprenait qu'un de ses étudiants avait réussi quelque chose. La dernière fois que j'ai parlé avec lui, c'était de Béraud, par téléphone, il y a quelques années déjà. Je n'ai eu que très peu de véritables professeurs dans toute ma scolarité, déjà ancienne. J'en dénombre trois, tous de lettres : il était l'un deux. Il était parti à la retraite au tout début des années quatre-vingt dix.

L'époque, déjà, n'était plus trop littéraire, et avec son départ, j'eus l'impression, oui, qu'un siècle, qui jusqu'alors avait été mien, avait été nôtre,  commençait à s'en aller aussi.  Voici quelques lignes de lui que je tire de la préface qu'il avait alors rédigée pour Victor Hugo ou le calcul des profondeurs (PUF écrivains, 1991) :

« Voilà un peu plus d'un demi-siècle, en un Noël de guerre, un enfant de neuf ans commettait sa première inconvenance littéraire en demandant qu'on lui offre Les Misérables, pour en avoir lu un fragment dans ce merveilleux livre de lecture de l'école publique qui s'intitulait Une heure avec... Ce fut un couple d'Anglais, que l'invasion nazie allait bientôt contraindre à l'exil dans leur propre pays, qui consentit à ce caprice, avec les quatre volumes de la collection Nelson.  « De l'Angleterre, tout est grand », dit l'auteur de L'homme qui rit. Peu importe de combien d'exils se compose toute pairie et de combien d'escarpements se conquiert le plain-pied quand on a compris comme Romain Gary et Ajar réunis qu'avec Hugo, l'éducation européenne consiste à avoir la vie devant soi ».

 

Le jour où Le Monde annonce la mort de Césaire, 18 avril 2008, on enterre Jacques Seebacher (1930-2008) du côté d'Amboise (Le Monde du 23 avril). Jacques Seebacher était un professeur de littérature de ce style disqualifié par la vulgarité qui règne : flamboyant, magnifique, contestataire, consentant à tous ses désordres et à toutes ses fidélités, amoureux du plaisir, désinvolte sur la forme et d'une exigence terrible sur les principes, dandy très capable de remplir la nuit des milliers de fiches érudites. Pour qui, ces fiches ? Certainement pas pour sa gloire, non : pour les groupes, les bandes, les tribus qu'il aimait susciter. Découvrant de très précieux secrets touchant à un manuscrit de Victor Hugo, assez en tout cas pour bétonner trois carrières universitaires et toute sorte de livres inutiles, il en fit des petits paquets soigneusement annotés de sa main, qu'il offrit en partage aux hugoliens de ses amis.

Il pratiquait l'amitié, la musique, le jardin, la conversation avec ce soin dilapidateur que d'autres mettent à naviguer sur MySpace. Jouait-il d'un instrument ? J'ai oublié de le lui demander. Il jouait de sa voix, sa voix grave, sa voix de viole de gambe, sa voix suave soudain cassante, sa voix aussi riche d'harmoniques que les vins dont il savait d'un coup de nez identifier les arômes. D'une intelligence féroce, soudain insupportable, cinglant, drôle, charmeur, méprisant, communiste et puis plus communiste sans en faire tout un plat mais sans se renier, constant de l'inconstance, il parlait sans notes, ne laissait jamais une phrase cul-de-jatte, ses mains alors semblaient des mésanges, un étudiant lui avait dit : « Nous, nous écrivons comme nous parlons, vous, vous parlez comme sont écrits les livres. » Ah oui !, Seebacher laissait tomber sans même y songer : « L'intelligence, ça s'apprend. »

Voilà, adieu berceau, cuillère en or dans la bouche en naissant, sapin de Noël, non, la vérité, c'est que l'intelligence, ça s'apprend. Ça ne tombe jamais du ciel. D'ailleurs, sauf pour les vélivoles et Galilée, le ciel n'existe pas. L'intelligence n'a rien d'un don, c'est une pratique.

Quels points communs entre Seebacher et Césaire, en dehors de ce 18 avril, jour de la Saint-Parfait ? Intermittents du communisme ? Bonne piste. Violemment autonomes ? Pas mal. Normaliens ? Soit. Mais l'Ecole normale, c'est bien joli, y entrer est à la portée de tous, le seul point qui compte, c'est de savoir en sortir. Ne pas s'y enterrer, il sera toujours temps au soir de la vraie mort. Ah oui, leur point commun : Hugo, la langue, le peuple, tout Hugo, le tendre comme le Hugo de La Bouche d'ombre. La langue, la farouche exactitude de la langue, seul accès à soi, au désir, donc aux autres, à la règle, à l'Histoire.

Seebacher, inconnu de tous, sauf de ces chercheurs aux mains nues en voie de disparition, et Césaire, le cri noir, la révolte, l'éloquence de la Révolution mâtinée de palabre, sortaient du peuple et s'en trouvaient gaillards. La colère noire chez Césaire, rien de cet "humanisme", cette "tolérance" dont se gargarisent tous les couteaux châtreurs de la classe politique (droite de droite et droite de gauche pour le coup confondues), répond à voix haute à l'intransigeance de Seebacher. La colère poétique. La colère théâtrale du Nègre. Nègre ou juif, disait-il, on ne naît pas nègre, on le devient. Nègre, ça sonne péjoratif ?  Mais c'est pas nous qui l'avions inventé. La négritude, c'était une réponse à la provocation." Aujourd'hui, on veut imposer la sale habitude de mettre une feuille de vigne au racisme ambiant en disant "black".

Décidément, Guy Rosa, professeur lecteur de Hugo, Césaire et Seebacher, a raison : « Il est des morts qui meurent plus que d'autres. »

Francis Marmande, Le Monde,24 avril 2008.

00:23 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (28) | Tags : jacques seebacher, littérature, paris7, enseignement, université | | |

jeudi, 15 avril 2010

Gunther Anders 56

 

anders.jpg

 

Il est des textes qui laissent songeur. Ainsi celui-ci, de Günther Anders : « Le monde comme fantôme et comme matrice – Considérations philosophiques sur la radio et la télévision » Il a été publié en 1956. J’avais un an. Et vous, combien ? Tout ceci me laisse songeur. Devant tous les fadas de la responsabilité, de la culpabilité, je me demande : quelle chance, déjà, nous laissait ce brave new world qui nous mordait au vif avant même que nous ne sussions parler…

Lire la suite

11:04 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : gunther anders, philosophie, littérature, post-modernité, images, écrans | | |