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vendredi, 18 décembre 2009

Mes ennemis sont des gens sérieux

On vendait hier soir à l’Hôtel des Ventes de Lyon la bibliothèque du chanoine Jean Vuaillat.  Né le 17 avril 1915 à Lyon ce dernier est mort récemment le 5 mai 2009. Durant la guerre, il avait, sur la demande du cardinal Gerlier, assuré un ministère auprès des jeunes de la STO. A son retour, il était devenu directeur de l’Ecole cléricale de Fourvière et, surtout, le maître de chœur de la Basilique. De 1959 à 1967, il avait été maître de la Chapelle de la Basilique de Lisieux. A Lyon, c’était une figure bien connue, comme on le dit.

Car le chanoine Vuaillat fut aussi un poète, qui vit ses tout premiers textes publiés dès l’âge de  à 17 ans. L’Académie Française le couronna à cinq reprises ; il aura publié en tout plus de 27 recueils de poésie et huit ouvrages de prose, dont principalement des biographies. En 1966, il avait fondé Laudes, une revue poétique qui parut jusqu’en 2006.

Le chanoine Vuaillat fut un bibliophile passionné. Ainsi qu’un collectionneur d’autographes. Hier après midi, ce furent pas moins de 206 lots d’autographes et de manuscrits (dont ceux du poète Pierre Aguétant) et autant de livres rares, qui attendaient un acquéreur sur la banquette. Parmi eux quelques trésors, il faut le dire. La table  des matières de Belluaires et Porchers (de la main de Bloy), une lettre de Chateaubriand au duc de Blacas, une page du Jeu de Patience de Louis Guilloux, une partition manuscrite de Fauré, le poème Heures du soir recopié par Verhaeren lui-même, un dessin de Jolinon… En matière de trésors, chacun aura ses choix personnels, je cite ceux-ci parmi les lettres, billets ou dessins de nombreux rois de France, présidents, écrivains (dont encore Flaubert, Barbey  Cendrars…)

On vit passer quelques livres magnifiques : éditions originales de Molière, Racine, Lamenais, Renard, Rimbaud…. Beaucoup de poètes régionaux, bien sûr, Aguétant, Kowalski, Bécousse, Montmaneix…  Dans la salle peu d’enthousiasme. Peu de portefeuilles suffisamment bien garnis sans doute.  Mais de l’intérêt, comme en ont les simples spectateurs. Un tiers des lots, à peine, trouva acquéreurs. A la fin, plusieurs éditions originales du pauvre Lelian, dont une de Dédicaces, paraphé de l’auteur, eurent du mal à partir.  La nuit était tombée. Les rangs étaient clairsemés. Il neigeait. Leurs yeux ont déjà vu tant de choses et tant de livres, déjà, sont passés par leurs mains. A la table centrale, l’expert, sans de départir de sa courtoisie, s’énervant un peu tout de même : « Vous avez la signature de Verlaine, tout de même la signature de Verlaine… »

 L’exemplaire fut bradé, de mémoire, à 500 euros – un tiers de sa valeur. Cinq cents euros tout de même.

Dédicaces, paru en 1890 comprend 41 poèmes. Je tire cette information ce matin, de ma petite édition de prof (Robert Laffont, Bouquins, septembre 1998) :Quelques hommages (à Villiers de L’Isle-Adam, à Léon Bloy, à Rimbaud) de nombreux pastiches, dont certains sont féroces (Jean Moréas, Jean Richepin Laurent Tailhade…).

Le tout se clôt par une Ballade pour s’inciter à l’insouci, dédiée à Maurice Barrès, une ballade qui vaut le détour :

 

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J’ai cet honneur d’avoir des ennemis

D’ordre privé dont je suis trop bien aise

Et m’esjouis autant qu’il est permis,

Car la vie autrement serait fadaise

Et, parlons clair, une belle foutaise.

Or j’en ai moult, non des moins furieux,

Mais comme on dit, ardents, chauds comme braise :

Mes ennemis sont des gens sérieux.

 

Ils ont passé ma substance au tamis,

Argent et tout, fors ma gaîté française

Et mon honneur humain qui, j’en frémis,

 Eussent bien pu déchoir en la fournaise

Ou leur cuisine excellemment mauvaise

Grille et bout pour quel maux injurieux ?

Sottise, Lucre et Haine qui biaise !

Mes ennemis sont des gens sérieux.

 

Ils iraient bien jusqu’au crime commis.

Satan les guide et son souffle les baise.

Prière au ciel d’en garder mes amis.

Caïn certes était dans leur genèse

Et son péché forme leur exégèse.

Leur discours va flatteur et captieux :

Tel un serpent rampe en un plant de fraise.

Mes ennemis sont des gens sérieux.

 

ENVOI :

Prince des cœurs que rien ne déniaise,

Mon cœur tout rond, tout franc, tout glorieux

De battre et d’être, et d’aimer qui te plaise,

Mes ennemis sont des gens sérieux.

19:28 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : dédicaces de verlaine, chanoine jean vuaillat, littérature, lyon | | |

mercredi, 16 décembre 2009

Jeune Paysan

« Ils quittent un à un le pays, pour s'en aller gagner leur vie,

Loin de la terre où ils sont nés. Depuis longtemps qu'ils en rêvaient,

De la ville et de ses secrets, du formica et du ciné… »

 

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Jeune paysan, 1964 : Lorsque Jean Ferrat créait La Montagne, cela faisait déjà dix ans que sa coupure était retirée de la circulation. Celui qu’on voit sur la vignette fut donc un ultime résistant avant le progressif démantèlement de l'agriculture du pays. La « date de création » de la coupure, comme il est d’usage de le dire, fut le 7 novembre 1945.  Quelques trois mois plus tôt (le 6 août et le 9 août), le bon Truman avait largué ses bombes atomiques sur Hiroshima puis sur Nagasaki. Dans les mémoires de Truman, je relève au passage cette phrase assez succulente : « Le 24 juillet à Potsdam, je signalai en passant à Staline que nous possédions une nouvelle arme dont la puissance de destruction était exceptionnelle mais le chef soviétique ne parut pas s’intéresser vraiment à cette nouvelle. Il se contenta de dire qu’il était heureux de l’apprendre et espérait que nous en ferions « bon usage contre les japonais. »

Le pays se trouve alors en plein Gouvernement Provisoire de la République Française, lequel dure depuis un an ( juin 44) et en durera encore un autre (jusqu’en janvier 46). Période que dans ses Mémoires de Guerre, De Gaulle nomma celle du Salut. Et dans le Salut le chapitre Discordances. Sous l’égide de René Pleven le ministre des finances,  on venait  de procéder entre le 4 et le 15 juin, à l’échange des billets dans plus de 34 000 guichets (banques, bureaux de poste, caisses d’épargne, perceptions) : « L’opération visait écrit De Gaulle, à révéler l’avoir de chaque français. Déjà l’administration connaissait la valeur des fortunes en biens immobiliers, rentes, actions, obligations nominatives. Il lui restait à savoir comment était répartie la masse des titres au porteur : billets et bons à court terme. Les propriétaires avaient à présenter et par là même, à déclarer leurs titres. On les leur remplacerait franc pour franc, par des nouvelles vignettes. Du coup devenaient caduques les coupures qui n’étaient pas remises aux guichets publics, celles notamment, que les Allemands avaient emportées chez eux, celles aussi que leurs possesseurs préféraient perdre plutôt que d’en avouer le total (…) Cette photographie de la matière imposable allait permettre au gouvernement d’établir sur une base solide la contribution qu’il méditait de lever.»

Pour remplacer au plus vite les coupons anglais et américains qui avaient été distribués en masse (voir video ICI ), et dont les contrefaçons se multipliaient, on confia donc à Robert Pougheon (1886-1951) , ancien directeur de l’Académie de France à Rome, la création d’une série homogène : le 500 francs Chateaubriand, le 50 francs Le Verrier, et ce Cent francs jeune paysan.

Le dessin de Poughéon symbolise d’une part le monde agricole, avec ce jeune héros aux blondes boucles  et aux joues roses, précédant une paire de bœufs, et d’autre part l’univers de la mer représenté au verso par une famille de marins dans le décor cinématographique d’un port.  L’homme assis, coiffé d’une casquette et en tricot de corps, rêve au large,  là où sont les mats des cargos. La femme en jupe et en fichu, accoudée à une amarre, regarde dans la direction opposée vers les terres en tendant un crabe à l'un de ses trois enfants nus qui jouent entre eux. Entre eux, précisément, ça n'a pas l'air d'aller très fort. Les regards des personnages ouvrent le billet en tous sens. On dirait bien que ce vieux pays, "cet antique pays que vous ne comprenez pas", disait De Gaulle à Truman, veut quitter une terre et des frontières dont, à tort ou à raison, il est las.

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 La dernière émission de ce billet de cent francs qui fut, parait-il, l’un des plus populaires de cette valeur faciale, date du 1er avril 1954. Il ne valait alors quasiment plus rien et fut remplacé par une simple pièce après son retrait.

La Banque de France ne réédita à nouveau cette valeur faciale de cent francs que le 5 mars 1959, lorsque le 10 000 AF Bonaparte fut changé en 100 NF. Pour une quarantaine d’années, le franc allait se donner l’illusion de vivre encore.

12:47 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jeune paysan, billets français, libération, de gaulle, pléven | | |

mardi, 15 décembre 2009

Nouveaux pauvres et matériel humain

"La LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) est un fléau pour l'enseignement supérieur. Les professeurs n'ont plus le pouvoir. Il est progressivement accaparé par les services centraux (administration, compta, achats) qui eux seuls décident de ce qui est bon ou pas pour l'université.

Par exemple, le service comptabilité de Lyon 3 a décidé qu'en vertu de ses pouvoirs et de son logiciel de gestion des paies, les salaires des vacataires de l'université, constituant l'essentiel des effectifs seraient versés tous les 6 mois à compter de l'année à venir.


Les vacataires enseignants constituent l'essentiel des effectifs enseignants à Lyon 3. C'est-à-dire que sans eux, l'université ne tournerait pas rond. Les cours ne seraient plus assurés.

Un mouvement de résistance se serait organisé pour faire pression sur le président, qui n'y est pour rien et sur les services centraux. Cette affaire est grave : elle jetterait dans la précarité des centaines de personnes. Qui a les reins assez solides pour tenir 6 mois sans être payé ? Le fait n'est pas isolé, il concerne d'autres universités..

J'ai la chance d'y échapper pour le moment, je suis un administratif, contractuel mensualisé, mais je soutiens pleinement l'initiative contre cet absurdité de rémunération semestrielle.

Aussi, si quelqu'un peut relayer cette information et faire « buzzer », ce serait sympa et gentil. Merci.

Décidément, la journée se termine très mal..."

 

Message relayé du blog  (Des) Illusions  

 

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Charlie Winston : Like a hobo

 

 

Me rappelle cette page de Béraud, puisée dans son témoignage Ce que j’ai vu à Berlin.

« A ce moment, un vieux couple digne et râpé entra dans la brasserie. Il salua et s’assit en face de moi, selon la mode allemande, bien qu’il y eût autour de nous des tables libres en grand nombre. L’homme, ayant tiré un livre de son antique redingote, si bien brossée, commanda deux soupes et un verre de bière. Ils avalèrent les soupes en gens qui jouissent amèrement de leur propre faim et partagent le verre de bière. On eût dit que le vieux et pauvre monsieur devinait mes pensées. Au lieu de lire, il me regardait. Nous liâmes conversation. Il parlait un français excellent. Avant « tout cela », il avait, avec son épouse visité Paris, dont il connaissait parfaitement les musées et la Sorbonne. Et soudain, sans élever la voix, il me cloua par ces mots :

Monsieur, j’étais professeur en retraite. Maintenant, nous sommes mendiants.

(…)

Parfois, le soir, aux angles des rues les plus solitaires du Tiergartenviertel (1), le passant se sent frôler par un couple d’ombres honteuses et chétives. S’il s’arrête au lieu de presser le pas, ces êtres noirs s’approchent et lui demandent la charité ; et si levant les yeux, le promeneur cherche à voir la mine de ces étranges quémandeurs, sa surprise est grande de trouver non des mendiants, mais des personnes convenables, trop convenables, désespérément convenables, des personnes mises avec cet excessif scrupule de correction dans la misère qui trahit les suprêmes efforts de la dignité bourgeoise. Lugubre spectacle. »

 

Béraud écrit cela en 1926. Dans un chapitre intitulé « nouveaux pauvres et matériel humain »

Brrrr.

07:27 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lyon3, lru, henri béraud, pauvreté, université | | |

lundi, 14 décembre 2009

Cellule 2009

Fendons-nous de quelques banalités bien tranchées, puisqu’une nouvelle semaine nous montre impudiquement le bout de son lundi : j’ai du mal à croire, pour rien vous cacher, que nous allons  bientôt pénétrer, comme un couteau de boucher à l’intérieur d’une viande saignante, dans le vif hasardeux d’une toute nouvelle décennie.  On me le dit pourtant un peu partout, d'almanachs en calendriers, sans compter les Pères Noëls comme des sacs qui déjà trainent leurs guêtres au milieu de sapins abattus sur les places et dans les grandes surfaces : tel serait bien le cas. Et que ce serait même foutrement irrémédiable... Bon sang, j'aurais donc pas vu défiler les neuf fois douze mois des premières années du troisième millénaire ? Où étais-je donc ?

Guère plus que le cortège de tous ceux des dernières décennies du deuxième, d’ailleurs. Ils sont passés, les gueux, goutte à goutte, d’un geste imperceptible. C'est rien du tout un mois, pas plus qu'un moi.

Du coup, j’aurais envie d’écrire 09 partout, ce matin, sur les murs à la peinture blanche, sur les abribus au feutre noir, sur tous les visages que je croise, et sur les dernières feuilles des platanes qui cèdent à l'hiver, finalement, sur chaque flocon de neige et sur le vent.

Et je me console en me disant que si je vois si peu les ans passer, c’est à cause du calendrier uniforme de la société du spectacle qui a tout fait tout pour qu’ils se ressemblent tous les ans, nos ans, c'est sûr. Rien ne ressemble plus à la mort de Mickael Jackson que celle d'Edith Piaf ou que celle de Johny Halliday, vous allez voir. Rien ne ressemble plus à une fête des Lumières qu'une fête de la musique, et qu'une guerre en Irak qu'une guerre en Afghanistan.

Fut un temps, je m’étonnais toujours, quand une année tirait à sa fin, de demeurer là, moi aussi. Encore là !, me disais-je en me rasant, un beau matin de décembre. Avec cette tête changeante qui avait l'air de ne pas bouger d'un iota. Et je sortais pour humer l’air des rues. J'aurais avalé le monde.

Maintenant, même plus.

J’ai pris l’habitude de vivre.

Et cela ne m’étonne plus d’avoir des mains, des pieds, un regard. De tous ces organes depuis si longtemps explorés, de tous ces petits rites sans surprises, de toute cette peau, ces ongles, ces cheveux, est-il vraiment sage d'attendre pourtant quelque étonnement ?

Qu'avons-nous le droit d'espérer, franchement, de l’an prochain ?

C’est l’instinct seul, qui s’oppose. L’instinct finit toujours par récupérer la pensée sans fondement du calendrier du spectacle, par lui trouver non pas un sens, mais au moins une direction, et le soumettre à sa volonté de perdurer. Alors le locataire de sa propre viande se rassure, se conforte, vous savez.

Quelques jours jours encore dans la cellule 2009 du temps qu'il fait, puis l'an neuf, au gué, au gué. Champagne pour tout le monde. Il suffira de passer le pont.

 

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Sisley -  Le pont d'Argenteuil - Orsay.

07:32 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : an 2009, littérature | | |

dimanche, 13 décembre 2009

Les hiéroglyphes de la pensée

Lit-on encore beaucoup au Père Lachaise ? Du temps que j’étais parisien, j’allais très souvent m’y promener. Des dix années que j’ai passées là-bas, ce sont ces promenades et les lectures qu’elles suscitaient qui me manquent le plus, dorénavant.

Il est rare, en effet, de trouver une aussi vive adéquation entre les pages d’un livre et celles d’un site : je me souviens tout particulièrement de celle entre plusieurs romans de La Comédie Humaine - au premier lieu desquels Séraphita & Louis Lambert, et le relief cabossé, la statuaire tourmentée des hôtes célèbres ou anonymes du Père Lachaise, l’obstination têtue du vivre encore qu’on y ressent devant certains épitaphes, certains gisants, certains bustes, lorsqu’on est assis sur certains bancs. (1)

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dessin de Bertall (edition Furne de la Comédie Humaine)

Louis Lambert passe pour être une autobiographie romancée d’Honoré de Balzac. On a retrouvé, parmi les camarades de ce dernier au lycée Vendôme un certain Louis Lambert Tinant, fils d’un inspecteur de marine à Dunkerque. Mais cela ne prouve rien. Rien du tout. D’ailleurs à quoi bon prouver ? Louis Lambert, c’est avant tout l’histoire d'une Idée, celle de l’individu, telle que le romantisme encore teinté d’aristocratie de la Restauration de Charles X s’est plu à l’inventer pour faire mine de donner une âme à la haute-finance : c’est aussi une rêverie sur la naissance du langage et sa concomitance avec la naissance du sentiment de soi : « Quel âge a donc la parole humaine ? » se demande Louis en contemplant le bref instant de sa vie. Sur les traces du Lyonnais Ballanche, et du rouergat de Bonald, il lui assigne alors une naissance divine, que son catholicisme déjà malade pressent de nature orientale. Et comment passe-t-on d’un ressenti qui nous trouble jusqu’au plus profond de l’être, à un texte achevé ?

 

445991.jpg« Qui nous expliquera philosophiquement la transition de la sensation à la pensée, de la pensée au verbe, du verbe à son expression hiéroglyphique, des hiéroglyphes à l’alphabet, de l’alphabet à l’éloquence écrite, dont la beauté réside dans une suite d’images classées par les rhéteurs, et qui sont comme les hiéroglyphes de la pensée… »

Un jour que je lisais je ne sais plus quel roman de Balzac infiniment plus prosaïque que Louis Lambert, assis contre la grille sur le rebord de sa tombe, un octogénaire au regard vif et beau me demanda d’un ton très humble si j’étais balzacien, ce qui je crois, signifie thésard ou doctorant –. Dieu m’en garde, pensai-je à l’époque. Non, je n’étais qu’amateur de Balzac et encore, amateur assez perplexe et perdu dans le foisonnement de cette malheureuse Comédie que chacun, de Bardèche à Wurmser, avait, depuis plusieurs décennies, proprement tirée dans tous les sens !

Le vieux monsieur se présenta, lui, comme un amoureux de Nerval (2). Car depuis la fin des années soixante-dix – date à laquelle, m’avoua-t-il, la lecture de Gérard lui avait sauvé la vie –, il fleurissait sans avarice aucune le rectangle de sa tombe. Nous engageâmes la conversation, - une conversation très douce et fort érudite, qui rompait rudement avec l’odieuse sécheresse de ces années mille neuf cent quatre-vingts durant lesquelles le socialisme matois et décomposé de quelques rusés dirigeants français avait commencé à dresser la table dans le pays au libéralisme sauvage et mondialisé qui triompha depuis -. Il me proposa, puisque j’aimais l’auteur de Louis Lambert, de me faire découvrir la tombe d’Esther, celles de Lousteau, de Goriot, de Nucingen… L’idée, partout, bien sûr, l’Idée partout survivant aux tristes faits, sa gentillesse fut prompte à les dénicher parmi les reliefs amassés, les dernières demeures de ces mélancoliques personnages, même celle de la pauvre Coralie morte en 1822 ! Car chaque vestige, précisait-il, chaque tombe est telle un hiéroglyphe de la pensée. Il plissait les paupières humides de quelque réminiscence :

« -quelle pitié, l’abandon de ces travées... L'abandon de ce siècle…

-1822... Deux ans avant Louis, fis-je alors remarquer.

-C’est exact, me dit mon spirituel guide, retroussant contre sa nuque son col de fourrure de martre élimé. Puis, comme si ma remarque l’avait ramené à la réalité :

-Nous ne trouverons pas Louis parmi ces allées… »

Il eut l’air presque désolé. Le pavé est froid soudain. Rentrons.

Je le quittais un peu plus tard, devant une colonne Morris de la rue des Pyrénées.

Et jamais ne le revis, bien que, à chaque fois que je passais devant la tombe de Gérard, s’y lût encore la trace du soin que cet étonnant et chimérique ami y avait déposé.

 

 

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Photos : tombes de Gérard de Nerval et d'Honoré de Blazac, Père Lachaise à Paris

(1) L’épitaphe d’Anna de Noailles (extrait des Eblouissements), particulièrement poignant : Hélas, je n’étais pas faite pour être morte !

(2) Tous les amants du Père Lachaise savent qu’Honoré et Gérard se font face. Honoré et Mme Hanska d’un côté. Gérard seul de l’autre.

 

 

Voir sur Vaste Blogue un billet de Tanguy Simon sur Balzac, lequel à vrai dire, motiva l'écriture de celui-ci.

 

ICI : toute la Comédie Humaine...

15:38 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : père lachaise, littérature, louis lambert de balzac | | |

vendredi, 11 décembre 2009

CapharnaHome

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Imaginez que vous vous installez sur le divan de votre psychanalyste, lequel, au lieu de vous suggérer de vous parler de votre mère, vous murmure : « parlez-moi de votre maison ». Vous allez dire que cela revient au même et certains auteurs, parmi tous ceux qui ont participé à l’écriture de ce recueil, vous donneront raison. Sans divan ni objectif thérapeutique,  ils ont creusé et mis au jour des vieilles bâtisses où flottent des odeurs d’enfer ou de paradis perdu...

 

 

 

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aNTIDATA, CapharnaHome   ( Nouvelles de Michel Besnier, Isabelle Doleviczényi, Christophe Esnault, Malvina Majoux, Gilles Marchand, Charlotte Monégier, Benjamin Peurey, Bertand Redonnet, Olivier Salaün, Roland Thevenet

A paraître le 15 décembre

 

14:20 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : capharnahome, andidata, littérature, nouvelles | | |

jeudi, 10 décembre 2009

Les mémoires de Sarkozy

Pal Sarkozy de Nagy-Bocsa, le père de Nicolas, s’est rendu à 81 ans dans le petit village de Alattyan en Hongrie. C’est ce village qui abritait l’ancien château familial à 100 kilomètres à l’est de Budapest. Cette visite est destinée à affiner son autobiographie, laquelle devrait paraître en 2010

Nul doute qu’un mémorialiste hors pair est né. Nulle doute qu’une plume exceptionnelle et qu’un destin digne d’intéresser l’Histoire se sont soudainement ensemble dévoilés.

En attendant le premier roman de Jean ?

07:24 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : sarkozy, alattyan, littérature | | |

mardi, 08 décembre 2009

Le 8 décembre du temps des OTL

On ne me refera pas : je suis ainsi. J’ai besoin du recul et de la distance. Une sorte de presbytie intellectuelle fait que je ne comprends la qualité des choses que de loin, et que je ne n’accède à l’appréciation de leur juste valeur qu’à travers le souvenir. L’instantané, en trois mots, me casse les pieds. L'ici et maintenant, érigé en système, l'éphémère en figures, ou en langage, me glacent le sang. J’ai donc besoin du temps qui a passé et de sa valeur accomplie, comme un ivrogne de son alcool ou le funambule du fil sur lequel il chemine, en équilibre. Comme d'une véritable perspective. Les choses ne me paraissent magnifiques et belles que vues de loin. Il en va ainsi de ces 8 décembre anciens, sur lesquels le grand vent du tourisme mortifère et de la globalisation commerciale n’avait pas encore soufflé, comme du reste. Dame, la ville ne possédait alors même pas son métro ! Songe-t-on que, dans nombre de rues quasiment vides (de piétons comme d'automobiles), la véritable marche à pied était alors encore de mise ?

 

 

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Et cette espèce de disponibilité absolue que l’on demande à présent aux transports en commun eût semblé incongrue ; les lignes OTL (Office des tramways lyonnais) ne pratiquant l’abonnement que ligne par ligne, accordant à la limite un abonnement groupé pour deux, on était voyageur autorisé sur la ligne 13 ou sur la 28, et pour le reste, basta ! Le moyen de transport le plus efficace pour qui voulait arpenter les quartiers demeurait encore ses deux jambes. C'est comme ça que je les ai arpentées, les rues de Lyon, en même temps que, des deux yeux et de tout mon imaginaire, les pages de mes livres. Car Lyon tout autant devenait, au gré d'un détour, le Paris de Balzac, le Dublin de Joyce, le New York de Dos Passos. Le grain de la pierre ne figurait rien d'autre, en ces temps non dysneylandisés, que la rêverie que le promeneur projetait dessus.

 

 

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Quant aux Illuminations… Nulle fourmilière, nulle ruche, nulle rue ou place congestionnées. Je crois bien qu’une ou deux étoiles accrochées à une guirlande aux ampoules globuleuses suffisaient à notre enchantement de mioches. C’était un monde qui ne se représentait encore qu’en noir et blanc et se serait affolé d’une débauche de lumière aussi surnaturelle qu'inconsistante. Il se trouvait pourtant, ce monde là, déjà moderne et démesuré par rapport à un autre, perdu, & dont nous entretenaient de vieux peintres qui posaient au matin leurs chevalets, sur la pierre d'un quai pour s'y laisser raconter des histoires par les pierres des ponts, tout en captant de leurs pinceaux  la fugacité d'un rayon de lumière qu'ils gravaient sur la toile.

Cliché : La rue Edouard Herriot, Blanc & Demilly

 

07:33 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : fête des lumières, lyon, 8décembre | | |

lundi, 07 décembre 2009

Procedo, cessi, cessum, ere

Procedo, cessi, cessum, ere : aller en avant, s’avancer – faire des progrès réussir… Pour comprendre un phénomène, toujours revenir à l’étymologie. C’est une règle d’or. La notion de la procession, avant même d’imposer celle d’un regroupement collectif, insiste sur l’idée d’une progression, les deux termes possédant un étymon commun.

La manifestation, du latin manifesto, vise quant à elle à rendre palpable, à montrer (ou encore, dans un sens théologique à révéler). Dès lors, au contraire de la procession qui met l’accent sur un but, une direction, la manifestation vise au déploiement ostensible du nombre de la force.

S’il est aussi une marche organisée, le cortège (de l’italien corteggio, faire la cour) l’est autour de quelqu’un (une mariée, un leader…). On se forme en cortège autour d’un haut personnage, ainsi mis en valeur. Tout autre est le défilé, issu du latin filum, et du franc fil, lequel ne semble prendre en compte que l’aspect formel des choses, encore que devenu militaire, il soit capable de prendre un sens plus démonstratif..

Le mot marche signifie tout à la fois l' empreinte et le fait de marcher. C’est donc sur l’idée de mouvement collectif que le mot marche insiste, qu’elle soit militaire ou funèbre. La marche est, par ailleurs, volontiers identitaire. La déambulation, la promenade, l’errance, autres termes qui suggèrent une certaine nonchalance, un plaisir pris, seul ou en petits groupes. Le dernier terme suggérant, par ailleurs, l’idée d’une quête ou bien celle d'une aventure.

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Ces subtils distinguos sont d’actualité à Lyon, où quatre millions de marcheurs  aussi désoeuvrés que bon enfant emplissent jusqu’à saturation les rues de la ville et les chambres de ses hôtels : autre visionnaire, Philippe Muray (à lire, Désaccord parfait, Tel Gallimard n°305), créateur de « l’homo festivus » dont voici un extrait franchement savoureux :

« Le touriste cherche à voir les choses comme elles étaient avant le tourisme, autrement dit avant lui-même. Il souhaite qu’on lui offre à contempler ce qui n’existe plus du fait de sa présence. L’une des particularités d’Homo Festivus est de se nier en tant qu’Homo Festivus, de refuser de se concevoir dans son environnement disneylandisé, pour mieux s’imaginer vivant et évoluant dans un univers de toujours un décor pittoresque infantilement authentique. D’où lui-même serait absent, puisque c’est lui-même qui le voit. Cette négation est à elle seule un facteur de comique sans fin. »

 

Le soir du 8 décembre, à Lyon, il y aura probablement peu de manifestations, puisque l’heure n’est plus aux démonstrations de force pour ou contre la calotte. Peu, également de cortèges. Les défilés, les déambulations, les marches et les processions seront multiples, hasardeuses et improvisées. Dans certaines rues et places, il risque d’y avoir de véritables engorgements de moutons (de Panurge aurait dit Rabelais.)  Car de toutes les marches, celle des troupeaux de touristes, adeptes forcés du parcours fléché et de la signalétique municipale, est la plus étrange à regarder et, surtout, la plus facile à manipuler.

Pour réagir face au caractère mercantile de la fête, l’Association Les Petits Lyonnais – laquelle s’est donnée pour but de ne pas égarer l’histoire de la ville en chemin – organise le 8 décembre à 21 h, place Antoine Vollon (2ème arrondissement) une montée aux flambeaux traditionnelle de la colline de Fourvière, qu’elle a intitulée LUGDUNUM SUUM, suivie d’une dégustation de vin chaud devant la plus belle vue de Lyon. Tout comme les Lyonnais éclairant ce soir-là leurs lampions, il leur sera sans doute difficile à eux aussi d'échapper au spectacle collectif et à la grand-messe médiatisée et, comme il se doit, sous contrôle, puisque la plus grande partie du centre-ville est sous surveillance video.  Mais le coeur, dirons-nous, le coeur et la jeunesse y seront.

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De fait, tous les gens qui sont passés par ici le savent, avec ses deux collines et ses deux fleuves, ses raidillons, ses ponts, Lyon est une ville conçue pour la marche. L'on regrette qu’il faille l’arrivée juteuse de tant de touristes pour que la municipalité en interdise l’accès aux automobiles.  Que de merveilleuses  et nonchalantes promenades dois-je à ses quartiers et ses rues !  Devant les cartes postales anciennes, j’ai souvent rêvé aux errances qui s’accomplissaient jadis en ces rues vides d’automobiles, errances à deux ou promenades de solitaires dont on trouve encore trace dans ces romans ou récits qui ne s’achètent plus que chez les bouquinistes : Tancrède de Visan (Sous le Signe du Lion), Joseph Jolinon (Dame de Lyon), Gabriel Chevallier (Chemins de solitude)… Les marcheurs qui apprécient la fête en cours ont besoin d'une gouvernance. Aussi seront-ils plus sensibles à la poésie du guide touristique et à la dramaturgie du syndicat d'initiative qu'à celle de ces vieux livres Qu'ils trouvent, après tout, leur compte, dans cette débauche de technologie et de non-sens. Car nous pataugeons réellement dans du non-sens, et si quelqu'un n'est pas d'accord, qu'il parvienne à me prouver le contraire avec des arguments véritables, autres qu'économiques. Mais le technicien qu'on a implanté en nous est toujours satisfait, autant qu'un aveugle, d'être ainsi pris en charge. Le rêveur, le poète, qui logeait là avant l'atroce greffe, c'est une autre affaire.

 

Photos : Le pont Bonaparte et le côteau de Fourvière, avant (cliché de Domini) et après (cliché de Dutey) le passage de la basilique, collections de la bibliothèque municipale de la Part-Dieu... Sur les deux photos, la primatiale, chapeautée de son vieux toit, heureusement disparu.

06:57 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : fête des lumières, illuminations, philippe muray, 8décembre | | |