dimanche, 29 avril 2012
Le dernier abencérage
Plutôt que de nous traiter de noms d’oiseaux, nous devrions profiter avec bonhomie et sérénité de ce qui apparaîtra peut-être un jour comme la dernière campagne présidentielle vieille France. Tandis que Sarkozy jette ses dernières cartouches en faisant monter les polémiques afin de se ménager une sortie honorable, le parti socialiste s’apprête à jouer le pari le plus risqué de son histoire en transformant le pays en champ de tulipes dont il contrôlerait toutes les allées. Pendant ce temps-là, celui qui chantait « qu’il y a du soleil sur la France » passe pour de bon l’arme à gauche. Faut-il y voir un mauvais présage ? Et de quel ordre ? Roland Moréno, le français qui inventa la carte à puces à peu près à la même époque (oui, les années 70 furent très productives, ceux qui les vécurent en savent quelque chose) l'a suivi de peu.
Pour ne pas faire retomber la mayonnaise, le 2ème tour français n’est pas achevé qu’on nous annonce déjà le début du show américain. Ce sera ensuite le tour de l’Allemagne. En perpétuelles élections, le monde ! En perpétuelle crise, pareillement... Je ne sais combien l’UMP + le PS + le FN + les petits candidats auront laissé de pognon dans l’affaire. Réinjecté, me direz-vous. Dans l’industrie du papier, celle des sonos, des locations de salles, des barrières de sécurité et des gradins. Rien ne se perd et tout est recyclé. A ce prix-là, tout de même, le téléspectateur attend un bon spectacle pour mercredi soir. Sous Valéry Giscard d’Estaing, nous n’avions déjà plus de pétrole, mais nous avions encore quelques idées. Depuis, nous n’avons plus ni frontières ni monnaie, et nous n’avons plus guère d’idées. Dettes, en revanche. Dettes. Et grands principes, toujours.
Il paraît que Ségolène Royal s’est tirée de l’anniversaire de Julien Dray dès son arrivée en apprenant que DSK et Anne Sinclair étaient aussi invités. Valls et Moscovici ne se sont pas fait non plus prier pour prendre la tangente. Ambiance du prochain quinquennat. Pendant que Hollande fera son remake mollement mitterrandien à l’Elysée, Fillon fera le sien, chichement chiraquien, à l’Hôtel-de-Ville. La même chose en dégradé. Les ors de la sous-préfecture, disputés par de riches chinois et de non moins riches qataris, brillent donc de leurs derniers feux. Ce sont toujours les plus factices.
Hier, il paraît que Gérard Collomb, le bâtisseur de l'OL. Land, soutenait l'équipe d'Aulas auprès de Hollande au stade de France. Aulas a eu sa coupe, Hollande aura la sienne. Quid de Collomb ? Je ne sais pourquoi la tête de Hollande me fait tellement penser à celle de Louis-Philippe. Sans doute qu’il lui ressemble. « Nous vieux témoins des hauts faits, nous sommes obligés de vous dire que vous n’apercevrez là que de pâles et misérables copies. » écrivait François René en avril 1831. Relire la quatrième partie des Mémoires d’Outre-Tombe, celle où le désenchantement lucide de Chateaubriand devant l’imposture du politique s’exprime avec le plus de causticité mais aussi avec le plus de clairvoyance.
Prunelle, un Collomb du temps de Louis-Philippe
14:58 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : roland moreno, eric charden, royal, valls, dsk, politique, aulas, gérard collomb, prunelle, ol, chateaubriand, littérature |
jeudi, 26 avril 2012
Expliquer Le Pen
Tandis que dans les médias nationaux et régionaux se joue, comme à chaque élection d’importance, le psychodrame franco-français, que les résultats du premier tour sont commentés à l’aune des situations passés, lequel serait Pétain, lequel De Gaulle, et que ça et là fleurissent les noms d’oiseaux, je passe mes journées à écouter des étudiants dans la salle exigu d’un jury d’examen. Sans romantisme, sans excès, sans tromperie, je les aime bien ces étudiants. Je les regarde. J’écoute leur effort. Je jauge leurs lacunes. Parfois ils me surprennent. Souvent, ils m’endorment, comme sans doute, dans l’autre sens, je les ai surpris, je les ai endormis. Un jour, j’étais à leur place. Un jour, je ne serai plus.
Je les regarde donc. Je sais que ceux qui sont d’une famille, d’une communauté, d’un clan, ceux qui ont des parents s’en sortiront. Que les autres, auront du mal, dans la France de Hollande comme dans celle de Sarkozy, parce que la société est la société et qu’au contraire de ce que professèrent les Lumières, elle ne sera jamais bonne. Parce que dans la société, c’est l’entourage proche qui compte, parce qu’il n’y a désormais d’entourage lointain que médiatique, et que les déshérités, quelle que soit leur origine, seront toujours à la traîne et à la peine. Parce qu'ils auront besoin de toute leur force individuelle, il est criminel de les illusionner. C'est pourquoi le fait politicien n’est qu’un mensonge, spécialement en temps de crise, un leurre qui n’engraisse que ceux qui l'ont jeté. En vérité, c’est l’éducation qu’on a reçue, c’est l’entourage proche, c’est les moyens qu’on se donne ou non pour accéder à la culture, qui assurent ou non une survie. Tous ces étudiants que j’écoute, en rêvant souvent à autre chose, l’ont en partie compris. En partie, seulement.
Et c’est dans cette marge que se jouera chacun de leur destin. On ne peut compter que sur soi-même : à quelle vitesse ouvriront-ils les différentes portes qui se dressent devant eux ? C’est ça qui sera déterminant, ça qui au fond leur appartient, qu'au fond, nul n'a le droit de toucher.
Des idéologues parfois fumeux peuvent bien me rejeter dans les cordes de la droite, je le maintiens : je n’aime pas la gauche qui vient. Je crains sa morale à trois sous, la toute puissance qu’elle va offrir à des notables roués et à leurs enfants héritiers, les leçons qu’elle donnera partout à tous les extravagants, son désir de faire nager tout le monde dans les mêmes eaux, son égalitarisme insensé, sa haine viscérale de tout élitisme, de toute culture du passé, sa revanche à prendre sur je ne sais quel ennemi, son désir de réparer je ne sais quelle blessure : Non, je n’aime pas cette gauche qui vient, et cela ne me rejette que dans les cordes de ma foi dans l’individu.
On peut toujours aller chercher des référents historiques dans les années trente, ces référents sont anachroniques car la situation a changé. Le nazisme est né de la Guerre de Quatorze, de la crise de 29, du fait que l’Allemagne ne possédait aucune colonie quand la France et l’Angleterre étaient encore des empires… Hannah Arendt (encore elle), l’a très bien expliqué. Il s’est de surcroit développé avec et contre l’URSS qui n'est plus. Ce qui naîtra du désarroi des plus pauvres et des laisser-pour-compte dans cette Europe inédite et son système financier sans précédent dans l’histoire de l’humanité, ce qui brûlera le torchon dans cet ensemble de nations qui n’en sont plus vraiment, dans cet empire contrôlé par le FMI, l’OCDE et la BCE, en train de se rêver confédération des peuples quand elle n'est qu'une coagulation de consommateurs endettés, cela, nul ne peut le dire.
J’entendais Calvi dire tout à l’heure, la lippe entrouverte : « Mais Marine Le Pen ne peut prendre le pouvoir, elle est contre l’Europe, elle est contre l’euro, elle est contre les immigrés, elle est contre tout, elle n’est pour rien ». Je laisse chacun décoder les implicites de cette extraordinaire assertion.
Ceux qui comparent Marine Le Pen et ses électeurs à des fascistes ne font que réciter des leçons apprises. Ce sont des gens du passé, des gens d’un autre siècle qui égrènent leurs litanies apprises comme d’autres des chapelets. La vérité est qu’ils ne savent pas plus que les autres où nous conduisent la montée de cette « extrême-droite » et surtout le soutien qu’elle reçoit des couches populaires, montée qui, chronologiquement suit à pas lents la croissance du monstre qu’est cette création européenne chimérique, dans des sociétés que la technologie, la mondialisation libérale et le multiculturalisme sans relief ont remodelé de pied en cap, avec tous les dégâts collatéraux qu’on sait, et auxquels je pense souvent en écoutant et en aimant – encore une fois sans excès ni romantisme – ces étudiants qui parlent devant moi, tous plus stressés les uns que les autres. Et si je me fous de la gueule de Hollande et de tous ses militants qui ont déjà breveté la solution pour eux tous, d’eux, croyez moi, je ne me fous pas.
06:18 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (32) | Tags : yves calvi, politique, société, marine le pen, présidentielles |
mercredi, 25 avril 2012
la gazette de solko n°26
22:58 | Lien permanent | Commentaires (2) |
dimanche, 22 avril 2012
Flamby face à lui-même
Au vu des estimations, le second tour demeure ouvert : Hollande + Mélenchon + Joly, ça reste trop juste pour faire passer Flamby. Il faudra donc que la gôgoche aille grappiller le reste chez Le Pen et Bayrou, et là, dur, dur…
Ce 2ème tour rassemblera donc, si l’on se souvient de Versailles 2008, les deux tristes sires qui avaient tiré une croix sur les résultats du référendum sur l’Europe pour bricoler le traité de Lisbonne, et montré leurs derrières à ce qu’on appelle, ici, la démocratie. De celui qui a fait le sale boulot ou de celui qui l’a laissé faire pour tenter de ramasser la mise ensuite, lequel est le pire ? (1) Les Français décideront, comme on dit…
Pour moi, ce ne serait pas un luxe qu’ils leur montrent leur derrière à tous les deux.
(1) Rappel : « Notre électorat comprend parfaitement qu'il faut voter oui au traité de Lisbonne » avait déclaré François Hollande…
20:01 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (54) |
vendredi, 20 avril 2012
Dans le fond...
Un commentaire du billet précédent m’invite à réfléchir sur mes billets à propos de l’élection en cours, que je cite d’abord avant d’y répondre : « Un président de la République ne devrait pas être élu au suffrage universel. Cette élection personnalise ce qui ne devrait pas l’être. Vous ne parlez jamais du fond, des grands enjeux, de tout ce qui nous a amenés à la situation que nous connaissons. Vous restez au cœur de ce spectacle que vous dénoncez. »
Comme il émane d’une lectrice fidèle de ce blogue, et que nous avons souvent eu des gouts et des points de vue communs, je tiens à y répondre plus longuement que par un simple commentaire.
Tout d’abord, je suis tout à fait conscient que je ne parle pas du fond, pour une raison évidente, c’est que je ne le connais pas, ne le vois pas, ne le sais pas. Comment pourrais-je en parler au su et au vu des informations dont je dispose, à la télé, sur le net et ailleurs ? Je suis conscient du fait que je suis désinformé, caractéristique première des « citoyens » de la société du spectacle que nous sommes. Les grands enjeux, me dites-vous, mais quels sont-ils ? Prenons en un dont tous les candidats causent et sur lequel je serais en théorie plus à même de dire quelque chose qu’un autre : l’éducation nationale. Lorsque j’ai écrit l’Ecole vendue, j’ai commencé à m’y intéresser et j’ai voulu toucher le fond, et je dois dire que ce que j’ai découvert en lisant les rapports de l’OCDE m’a convaincu de la sagesse du vieil adage populaire : « mieux vaut rester ignorant, hein »…
J’ai découvert en détail ce dont je ne me rendais compte que grossièrement et en surface jusqu’alors : c’est qu’effectivement, des grandes instances internationales avaient décidé que l’éducation des gens serait désormais un marché comme un autre, que tout ça ne posait aucun problème au gouvernement de gauche de l’époque, cette même gauche et ces mêmes politiciens (Hollande, Aubry, Royal, Mélenchon…) en laquelle je vois tant de gens placer à nouveau leurs espoirs, ce même SNES qui, au-delà de ses défilés aussi spectaculaires que ridicules sous des ballons gonflés et avec ses chansons de colonies de vacances dignes des pires karaokés, négociait ses privilèges avec le ministre de l’époque, et est prêt à recommencer dès l’élection de leur mentor sans scrupules.
Or vous savez comme moi que ce qui est vrai dans le domaine de l’éducation (grand enjeu) l’est aussi dans celui de la santé (autre grand enjeu). J’ai été saisi d’une sorte de vertige en pensant à ce qui devait en être dans les domaines que j’ignorais : industrie, banque, nucléaire, armée… Non, je ne sais rien du fond de ces dossiers, rien de rien.
Ne parlons pas de la crise, ah, la crise… J’ai commencé à travailler en 1973, j’avais dix-huit ans et j’ai commencé à en entendre parler dès l’an suivant. Depuis, ça n’a pas arrêté. Les socialistes comme les chiraquiens ont précarisé le monde du travail et la jeunesse tant qu’ils ont pu, sous couvert d’établir une « société des loisirs » qui est devenue la société du titty entertainment c’est à dire celle de l’abrutissement des masses. Mais là aussi, que dire et que faire ? Une fois que vous avez posé le diagnostic, quelle solution ? Je reste au cœur du spectacle que je dénonce, bien sûr ! Que puis-je faire d’autre ? Est-ce moi qui m’y place ? Non.
On peut toujours se réciter nos vieilles formules, elles sont inopérantes dans la société technologique moderne, qui se passe d’elles depuis longtemps, Hannah Arendt l’a fort bien démontré de son temps. Si bien que ce qu'il faudrait changer, ce n'est pas le président, c'est les gens eux-mêmes, mais ça...
La société du spectacle ? Mélenchon et son show grotesque à la Bastille n’y est-il pas, bien plus que moi, et au même titre que Le Pen qu’il dénonce ? Et ce après avoir copiné comme je l’ai vu faire un jour sur le plateau de Ruquier avec ce même d’Ormesson que Patrick Verroust et Bertrand vouent aux gémonies ! Au-delà du y’a ka, faut qu’on, de quels enjeux dont il connaîtrait le fond nous parle ce sénateur ?
Tous les gens sérieux, c'est-à-dire qui ne sont pas politiciens, le disent : les marchés sont incontrôlables à cause de la technique qui délivre des ordres de vente de façon autonome et supranationale. Le fond ? Je suis dans la situation où leur société me place : incapable d’en dire quoi que ce soit de pertinent, du fond ! En situation de regarder des opportunistes se saisir des strapontins qui se libèrent pour y poser leurs croupions et s’emplir les poches ! (Au fait, à propos du salaire de président, je vous ferai remarquer qu’en ne le baissant que de 30%, le Hollande si vertueux garde les autres 70% d’augmentation due à Sarkozy – ce n’est qu’un détail) Donc qu’on ne me dise pas qu’Hollande est plus honnête que Sarkozy sur ce terrain ! Ce haut-fonctionnaire teint est du même acabit, de la même taille. Il y a même une chose que Sarkozy aura faite de bien : désacraliser la fonction présidentielle qui n’est qu’une posture, vous en conviendrez ! Eh bien l’autre, qui se prétend normal, avec toute sa cour, va s’empresser de la restaurer dans sa dignité républicaine, vous verrez ! Tant il est tout prêt de reprendre ce visage de cire à la Tonton (spectacle, spectacle…) et entrer en je ne sais quel Panthéon, une tulipe ridicule à la pogne. Voter pour ça ? Réchauffé, tout ça. Faux. Mauvais spectacle.
Il n’y a qu’un domaine où je pourrais parler du fond, parce que je le connais bien, c’est le domaine littéraire. Mais la belle langue n’est pas bienvenue dans le monde moderne qui se gargarise de sigles, d’abréviations, de parler des banlieues, d’une syntaxe démembrée et approximative sur laquelle je me suis abimé les yeux pendant des années en corrigeant des copies. Parler du fond, ce serait peut-être m’en tenir à ça, en effet. Tel est mon fond, ma bonne Etiennette ! Il n’y aurait donc de vrai que la vie spirituelle…
Mais ce blog est littéraire et polémique, et vous savez à quel point, en bon béraldien que je suis, je considère la polémique comme un genre littéraire au même titre qu’un autre.
Elire un président au suffrage universel est une erreur, dites-vous ? Je n’en sais rien. Peut-être, dans un pays où tant de gens à qui on donne le droit de vote ne lisent plus rien, ne comprennent qu’un langage rudimentaire, et pour certains ne font plus la différence entre un député élu et un ministre nommé… Il faudrait alors revenir au système des grands électeurs… Mais qui fera le tri entre ceux qui seront dignes ou pas de voter ? A vrai dire, je n’en sais rien.
Un dernier mot, sur la dénonciation. Je ne suis pas dans une posture de dénonciation, non pas, ce serait ridicule vu le peu d’influence que j’ai. Je me maintiens en bonne santé avec ces billets polémiques, c’est tout. Me tiens à l’écart des postures que je vois d’autres prendre, cette foire électorale que la gogôche est en train de nous faire vivre et dont j’ai peur qu’on en paye le prix fort rapidement. Hollande ne vaut pas ce prix.
Gardons notre bonne et joyeuse santé intellectuelle. En amical partage avec les quelques uns et quelques unes qui, s’ils rendent visite à Solko, y trouvent un peu leur compte.
Amicale pensée à vous, Michèle, et à tous. Et bonne journée.
13:00 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (33) | Tags : politique, société |
mercredi, 18 avril 2012
La gazette de Solko n°25
09:17 | Lien permanent | Commentaires (38) | Tags : londres, fadela amara, fmi, politique, société, gaette de solko |
lundi, 16 avril 2012
Étiennette Chillet
Etiennette Chillet aimait ces jours d’avril, quand au plus fort de la journée, le thermomètre de la remise grimpait quelques heures à 13°. Cette fraîche douceur lui paraissait donner sens aux bas de laine et à la longue jupe de coton qui recouvraient depuis longtemps ses jambes été comme hiver. C’était un temps pleinement pascal, comme si longtemps encore après le Samedi saint, les minutes de tous les hommes eussent dû encore s’étirer dans l’absence et dans le gris, et comme si le curé n’avait pas retiré les longs draps des statues des chapelles, ni distribué à larges brassées son buis béni, et qu’il faille en son cœur attendre et attendre encore l’improbable retour d’un Amour Tout-Puissant, sans être dupe de la feinte des bourgeons, du pépiement matinal des oiseaux et du rougeoiement de la chair des filles et des garçons.
L’écran du ciel brumeux se fermait derrière les granges de La Chivas, celles-là même derrière lesquelles toute la nuit avait roulé un vent qu’elle avait senti meurtrier, malgré la chaleur de l’édredon. L’herbe sentait bon la pluie, et la pluie, bon l’herbe. A son carreau, Etiennette Chillet emplissait d’air ses poumons, et sous son tablier bleu nuit, ses maigres côtes formaient comme un relief heureux.
Et puis qu’aurait-elle été faire à la ville, de toute façon ? A force d’écouter mugir la violence des saisons, n’avait-elle pas compris qu’elles seraient jusqu’au bout le seul changement notable, et que celui des hommes était aussi méprisable que leurs opinions ? Tenter fortune pour le bonheur des marchands comme ses deux aînés qui se rompaient la colonne sur des métiers treize heures par jour avaient appris à le faire à leurs propres enfants, quelle vanité ! Son instinct n’avait toujours prétendu qu’au solide, et la ville n’avait à offrir que de l’éphémère.
Là, veilleuse au hameau, elle se sentait de la chair des escargots en leurs coquilles, une de sa race et fière de s’être entêtée. « Le roi Philippe, c’est ainsi qu’avec mépris l’avait nommé le bon curé d’Aveyze, le roi Philippe ne sentira jamais l’honneur de la France et la cire vive dont son peuple est bâti. » Rien, dans cette verte et tendre nature, ne présage l’égalité. Elle le voyait bien, Etiennette, sans même avoir à le théoriser comme un monsieur en habit noir. Tout, au contraire, est variété. Laisser espérer cette sotte chimère, aux citadins naïfs que sa lignée deviendrait à force par la lecture des journaux et l’écoute des discours politiques, telle est la tromperie de Philippe, que les politiciens les plus dangereux ne cesseront d’imiter. Le pisé de sa bâtisse formait bonne coquille. Combien tout cela prendrait-il pour s’effondrer ?
Etiennette Chillet ferma les paupières. Que lui importait, après tout, la marche de ce monde ? Elle était de mil sept cent quatre vingt-huit, d’un autre temps. L’empereur qui était passé sur leurs rêves ne leur avait rien appris, et le neveu qui l’avait imité non plus, tous dorénavant, galopaient en troupeaux furieux vers leur perte. Jadis, il y a si longtemps, le monde était empli de vivants qu’elle avait vu filer, à petits feux parfois, ou d’autres brusquement, comme ce boulanger de Bessenay qu’on avait découvert pendu dans sa grange à foins, et qui n’avait que trente quatre ans. Ses doigts avaient beau être raides, elle les sentait encore alertes et glissant sur le chapelet. La brume qui s’apprêtait à enserrer leur monde serait d’une étrange matière, opaque et gluante telle un songe confus. Au-delà, malgré l’acuité de ses pupilles et l’appréciation de son âge avancé, elle ne voyait pas, elle ne savait plus. Là où tous projetaient de stupides espoirs, elle n’éprouvait que les morsures de l’attente.
17:45 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, présidentielles, bessenay, etiennette chillet, littérature |
vendredi, 13 avril 2012
Comme un point, disait Musset
Chercher la lumière du soleil vers ce qui ne fait que la refléter
S’abuser
Etre las de la nuit des hommes
La conquête de l’espace par l’homme a-t-elle augmenté ou diminué sa dimension ?
Hannah Arendt fait du premier pas de l’homme sur la lune la fin définitive de l’humanisme. Elle ne le dit pas, mais ça revient à ça.
Ma grand-mère n’a jamais voulu y croire. On posait un pied sale sur un rêve à la suavité millénaire
La lune, disait Musset, comme un point sur un I
Songe combien de générations d’hommes ce spectacle a pu lier
Relier dans un seul livre
Cyrano de Bergerac se prenant pour Hercule
On a marché sur la lune, génie d’un album en 1954
Et maintenant, sur quelle terre marche-t-on ?
Quelle déception, cette Terre des hommes
Qui aura bouffé jusqu'à la lune
C'est une toile sur panneau
Une école de Daumier
Fuir loin du siècle imbécile
12:58 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : musset, daumier, hannah arendt, lune, conquête de l'espace |
mercredi, 11 avril 2012
Gazette de Solko n°24
12:36 | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : solko, hollande, politique, actualité |