dimanche, 04 novembre 2012
Bien dire
Quand le silence et la pénombre gagnent l’appartement, que le roulement du vent charrie au dehors de similaires instants d'enfance et qu’une pluie légère soulève des relents verlainiens, tu mesures davantage encore ta fatigue, et tout l’espace parcouru, peut-être en vain.
Dehors également, le pas de quelques fugitifs
C’est étonnant comme l’agitation qui a gagné la planète, les images et les heurts s’estompent dès l’électricité ôtée. Les bruits de la maison prennent un sens qui s'éloigne. Le repos commence.
Avec lui, la signification immédiate que tu donnes instinctivement à chaque chose, chaque son, se découvre comme suspendue. Tout ce que tu ne connais pas : C'est l'instant de tout reconsidérer à moindre peine, de respirer.
La malédiction une fois pour toutes désenclavée , il s'agit de bien dire.
21:37 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poésie, littérature |
jeudi, 25 octobre 2012
Le bruit
Je me demande dans quel silence tombait Madame de Chateaubriand quand elle se mettait à prier. Qu’on ne voit dans cela nulle mélancolie, nul regret d’un passé que je n’aurai de toute façon pas la force d’imaginer, mais la vraie interrogation d’un homme assiégé depuis longtemps par le bruit.
Pour avoir, enfant, connu le silence nocturne des pièces et des champs de campagne, j’ai toujours été étonné par ces confidences de certains citadins, par lui, effrayés. Constatant, souffrant aussi de la façon dont nous sommes tous profondément, et de plus en plus, des êtres liés au bruit, je me demande oui, comme à la pensée d’une autre espèce, dans quel silence tombait madame de Chateaubriand quand elle se mettait à prier…
Céleste Buisson de La Vigne (1774-1847)
20:26 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : chateaubriand, céleste buisson de la vigne, littérature, religion |
vendredi, 19 octobre 2012
Éloge de l'automne
« C’est la saison où tout tombe / aux coups redoublés du vent », chantait Lamartine. C’est aussi la saison des peintres. La plus belle à mon goût, et nous voici plongés au cœur de ses multiples cercles. Pour décrire le ballet de feu des feuilles d’automne, Bloy évoque « les anges gardiens d’Octobre à qui fut confiée la douce agonie de la Nature » (1).On a tant parlé de cette saison comme du « soir de la vie » ou de « l’automne des idées » qu’on doit se murmurer à chaque coucher de soi-même quelle chance on a d’en traverser un nouveau, de part en part.
En automne, juge Baudelaire, « les nuages flottent comme des continents en voyage » (2). Prosaïquement, voici donc que le ciel se prend devant nos yeux pour une mappemonde : Tous les voyages demeurent possibles, comme avant Neil Armstrong et l’empreinte profane qu’il posa sur l’imaginaire des ancêtres. Après tout, si un homme a marché sur la lune, nul homme n’a jamais posé le pied sur mes nuages.
Aux variations de l’automne, chacun d’entre nous peut suspendre « la scintillante minute de son choix » (3). Je ne suis pas coloriste. Combien d’aquarelles aurai-je accomplies par les fleuves, les cieux, les étangs qui jaillissent des pochoirs de l’automne ?
« Une feuille qui tombe a divisé l’année / de son événement léger » (4) La sordide propagande ni la rude économie ni la triste technologie des hommes ne sont donc venues à bout des charmes de l’automne, et la parole la plus juste parmi eux demeure pour l’an encore celle, comme lui renouvelée, des poètes. Dût-elle un jour s’éclipser par mauvais sort, les mayas seraient justifiés, et ce serait la fin du monde.
Eugène Brouillard, La fuite des populations devant le fléau (1917), reproduit dans l'ouvrage de D.Ranc et D.Vaginay, Eugène Brouillard, Dialogues avec la modernité, Libel, 2011
(I)Léon Bloy Poèmes en prose, «Octobre »
(2)Baudelaire, Spleen de Paris, « Les vocations »
(3) Je trouve l’expression chez Marius Marmillon, dans un article sur le peintre Ravier publié dans le numéro 61 de la revue Résonances en 1957.
(4) Paul Valéry, Poésies, « Equinoxe »
10:12 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, poésie, léon bloy, paul valéry, baudelaire, eugène brouillard |
jeudi, 18 octobre 2012
Pour peu
Ce qui compte tient en peu de paroles, peu d’êtres, peu d’objets.
Superflu, redondance n’ont pas de sens quand le nécessaire est si rude à conserver.
L’art est la bonne attitude
08:00 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, poésie |
samedi, 06 octobre 2012
La théorie de l'information
L’idée de La Théorie de l’information était pourtant alléchante : à travers l’itinéraire d’un de ces golden boys de l’informatique, ces «garçons solitaires qui s’étaient faits peu d’amis pendant leur scolarité et qui avaient finalement révolutionné le monde sans vraiment sortir de leur chambre d’enfants » (p 94) écrire le roman de ces trente dernières années, du désir et de l’ambition qui parcoururent ses principaux dirigeants, qui virent l’échec du Minitel français et l’avènement du Web 2.0. : « Grâce au Web 2.0., l’homme, être égoïste et borné était devenu un animal intrinsèquement social » (p 364).
Aurélien Bellanger, son auteur, a déjà été comparé ici ou là à Houellebecq, voire même à Balzac. Dans les colonnes des Inrocks, lui-même s’avoue scientifique contrarié : « A 8 ans, j’étais abonné à Science et vie junior ; à la bibliothèque, j’empruntais toujours des livres sur les robots, et plus tard, j’ai envisagé un deug de physique. J’ai toujours été pris dans une opposition très forte entre le champ artistique et le champ scientifique. D’un côté, je rêvais d’écrire de longs poèmes en prose remplis de métaphores, et de l’autre, je m’intéressais à des questions mathématiques ou épistémologiques. La Théorie de l’information est né de l’idée qu’avec la forme romanesque, je pouvais enfin concilier la poésie et les sciences dures. »
Manque pas d'air, le bonhomme ! Bien de son temps, qui postule comme il le dit lui-même que « dans le monde de l'information, la copie pouvait valoir beaucoup plus cher que l'original» (p. 178) Son écriture besogneuse rappelle plutôt celle du terminal et ennuyeux Zola qui commit le docteur Pascal, théorisant avec fatuité sa théorie de l’information comme l’auteur des Rougon Macquart théorisa celle sur l’hérédité. On s'y ennuie ferme, et l'on finit par se demander si la science et le roman, dès lors que ce dernier se borne à raconter une histoire sur le ton du magazine, sont capables de faire bon ménage.
Pour que cela fonctionne, il y faut une science du roman, au sens balzacien du terme : de la création, du style. En racontant la Comédie Humaine, Balzac (auquel le jeune Aurélien dans un élan de mythomanie furieux se compare) inventait le réalisme et ses principes structurants, dont le fameux retour des personnages. Ou alors il y faut de l'imagination, de l'audace, une fiction véritable, comme dans la science-fiction, précisément
Bellanger, lui, ne créée rien, n’invente rien. Il ne parvient pas même à imiter Houellebecq, auquel certains critiques héberlués l’ont comparé, Houellebecq dont les personnages - si typés soient-ils - existent réellement dans une trajectoire, quand son Pascal (non, pas le docteur, l’informaticien) Ertanger (anagramme loufoque et maladroit ?) n’existe que sous la forme d’un prétexte à une laborieuse dissertation sur le sort de l’humanité livrée aux dures lois de la pornographie facile et de l’entropie.
Au mieux, ce pavé indigeste de 485 pages servi par Gallimard cette rentrée est-il, comme certains critiques l'ont suggéré, un document éclairant sur cette France mitterrandienne puis chiraquienne déclinante, qui se dilua dans un rêve proprement venu d’ailleurs ? Même pas. Car l'échec du Minitel n'est qu'un épiphénomène ici surévalué. Ce n'est que l'échec d'une technique, quand le mal profond demeure depuis ces années là, comme Finkielkraut l'établit alors, et comme ce long roman donné comme une révélation littéraire en témoigne, la défaite de la pensée. Ce qui est bien plus dérangeant.
Le plus captivant, et c’est triste à dire, demeurerait presque les intermèdes de vulgarisation durant lesquels l’auteur rappelle à son lécteur assoupi les grandes dates de la théorie de l’information et de son développement chaotique, des suppositions du botaniste Robert Brown observant des grains de pollens aux nombres oméga de Grégory Chaitin, en passant bien sûr par le trop fameux article de Claude Shannon. Pas besoin d’avoir lu la Peau de Chagrin ni les Particules Elémentaires pour comprendre que cela ne suffit pas à faire le commencement même d'un véritable roman. Car nulle théorie, pas plus celle de l'hérédité que celle de l'information, sans le génie de l'invention et la technique qui créée le style, n'est en soi romanesque. Un siècle après Zola, Bellanger en administre ici la preuve à ses dépens.
15:53 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : minitel, la théorie de l'information, aurélien bellanger, gallimard, inrocks, littérature, france |
mercredi, 26 septembre 2012
L'étang me dure
Après, tu n’auras rien à dire. Tu te répètes beaucoup, en attendant. Mots, comme des petits pas. Combien, prononcés ?
Ca te fera tout drôle, quand tu n’auras plus rien à dire. En fait, c’est déjà le cas. Plus rien à dire ou personne à qui parler ? Cela revient au même, au fond. Silence dans un caisson.
La jeunesse, disions-nous l’autre jour à la cantine, ne supporte plus la lenteur. Ni dans les livres, ni dans les films, ni dans l’existence réelle. Mais elle s’accommode étonnement bien de la répétition. Nous de même, qui avons vieilli.
La répétition serait-elle moins ennuyeuse que la durée ? Sévère question de point de vue. La répétition fait en tout cas plus illusion que la durée. Intermittence, prisme affecté du postmoderne. Les hachures de l’instant qui font mine de. La durée, elle, jamais rien. Je préfère la durée.
Jadis, j’ai appris à vivre, à lire, à penser dans son étang. Je ne me figure pas la durée autrement que comme un étang. L’étang me dure, faute d’éclair.
Pauvre drôle, quand cesseras-tu de répéter par-dessus ton épaule ceux que tu as lus ? Ils se sont beaucoup répétés avant de cesser de durer. La littérature serait une sale farce, tu vois, si tout n’était l'énigme…
Aldine, Canal à Venise
06:33 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie, rené char |
vendredi, 14 septembre 2012
A nul autre objet que celui-ci
Cela faisait longtemps qu’il n’en avait pas tenu un entre les mains, ni que son regard n’avait glissé dessus. Il en avait cherché un specimen heureux dans tous les magasins de la ville, avec tout d’abord une avidité de bonne augure, laquelle s’était muée lentement en une sorte de désarroi fatigué, trop long, trop dur, trop nombreux à se ressembler, à lui masquer la pièce unique. Il crut qu’il avait paumé le flair de chien qui le tenait des heures entières à la chasse jadis, jusqu’à la débusquer, la rareté, sans même avoir à trop tripoter ces piles ni croiser ces rayons uniformes Peut-être aussi l’usure du désir, de la connaissance, de la volonté, de la vie…
L’objet n'était-il par ailleurs en train de se métamorphoser sous leurs yeux à tous, tout comme la cire aurait dit Descartes dénonçant les pièges de la sensation ? Changeant de forme, l’objet changeait de rythme : Et si, se disait-il comme une excuse à sa paresse, tout n’était que affaire de pulsations ? On avait beaucoup annoncé la fin, prédit ce qui arriverait, et qu’un silence opaque finirait par recouvrir la lande déconfite ; l’objet en question, n'était-il pas plus adéquat de lui refuser pour quelque temps encore son attention, son regard, son esprit ?
Il rentra chez lui les mains vides.
Sébastien Stoskopff, Nature morte
20:58 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, poésie |
dimanche, 02 septembre 2012
De la normale anormalité et de l'anormale normalité de l'Eloge gallimardeux
Fnac de Lyon Part-Dieu, vers 18h30 : survol rapide des livres en piles, quelques vendeuses plaisantent. Pardon mesdemoiselles, le dernier Millet dont tout le monde parle ?… « En rupture, monsieur, en rupture de stock, l’Eloge littéraire d’Anders Breivik ». Escalator du dessus, Decitre : tu apprends là que l’ouvrage déjà sulfureux est en réimpression.
Comme l’a ahané Antoine Gallimard, « la liberté d’expression personnelle ne gène pas son travail d’éditeur ». Un truisme, ça. Derrière lequel miroite la préservation de la poule aux œufs d’or. Car enfin si un éditeur, aujourd’hui, c’est un type qui sait vendre, alors Antoine en est un excellent. La preuve : allez vous enquérir du fameux Eloge en librairie, vous allez voir.
Tout ça finit par interroger sur l’air du temps de ce pays « normal » dans lequel presque tout le monde parait-il aurait perdu le moral, et dans lequel Millet serait un soudain « anormal » (c’est vrai, ça, faire l’éloge d’Anders Breivik au lendemain de son procès tsss !)…
S’interroger sur tous ces éditeurs normaux qui se donnent le droit d’éditer des auteurs anormaux, tout en désavouant leurs anormales idées entre deux réimpressions. Et sur tous ces gens normaux lecteurs de livres anormaux dont bien sûr l’auteur et le contenu leur paraissent ignobles mais visiblement pas la lecture. Le plus comique demeurant la réaction des bons collègues de la maison : Annie Ernaux ou Tahar Ben Jalloun sont normalement indignés, était-ce autrement possible ?
On notera pour finir la courageuse réaction d’Alexis Jenni, lequel doit à Millet son Goncourt de l’an passé, et qui a déjà tout compris d’une carrière normale en république des Lettres hollandaise : « Les choses sont claires, je comprends ce qu’il dit, mais je ne suis pas de son avis ». Prochain roman normal, garanti...
00:02 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : richard millet, éloge littéraire d'anders breivik, gallimard, alexis jenni, littérature |
samedi, 01 septembre 2012
La clé
De toutes leurs habitudes, ils constataient que l’une des plus difficiles à « faire passer », comme disent les faiseuses d’anges, c’était celle de conserver des objets dans des tiroirs, des placards, voire des recoins plus extravagants, pour le cas où…
Ils s’étaient dit que, dans la société du tout jetable, cela tenait peut être du reflexe familial, un résidu du comportement des grand-mères de l’ancien temps programmées pour recycler jusqu’à la croute des fromages émiettées pour des oiseaux sur le rebord de la fenêtre, et conserver leurs voiles de mariées sur le dernier rayon de hautes armoires aux senteurs de romarin.
Eux, en quelques décennies et avec l’insouciance du pas de marelle, ils étaient passés d’un temps où l’usage des choses fondait des coutumes à un autre où il faisait tourner le commerce en brassant du folklore. Et parmi ces objets conservés sans qu’on sache pourquoi, le plus remarquable restait la clé.
Les clés de tous les anciens appartements qu’ils avaient tour à tour habités au fil de leurs déménagements intempestifs dus à une vie professionnelle fort agitée - clés dont les locataires postérieurs avaient probablement changé les serrures - reposaient tels de poétiques trophées au fond d’un aquarium au centre du salon.
Des clés qui n’ouvraient plus rien et qu’ils n’osaient cependant jeter, parce qu’ils se murmuraient au fond d’eux-mêmes qu’elles demeuraient les objets les plus poétiques de leur traversée de l’ennui en ce bas monde, de leur existence aussi incomprise qu’incompréhensible à l’heure de fermer les yeux.
09:55 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie |