mardi, 08 mai 2012
Le passeport bleu
Je me souviens qu’à l’école, jadis, on nous faisait dessiner des frises chronologiques. Pour le XIXème siècle, par exemple, on traçait clairement des zones franches et déterminées. De 1802 à 1815, c’était l’Empire. Napoléon et tous ses grognards en leur pré carré. A leurs côtés, Louis XVIII et Charles X, chacun avec ses propres dates, formaient un autre colis en deux parties qui nous emmenait jusqu’à 1830. On changeait encore de couleur. 1830-1848 : Ah, 48 ! La fin du grand rêve de 89, nous disait-on, avorté avec la mort de la Seconde République. Le commencement du grand roman hugolien. Le Coup d’Etat du Petit (déjà). Et puis le Second (Empire).Enfin, tout le monde voit le genre. Peut-être pas.
De ces frises colorées, j’ai gardé longtemps sans trop m’en rendre compte une vision niaisement compartimentée de l’Histoire. Comme s’il y avait des époques… Des gens du Premier Empire, puis des gens de la Restauration, des gens de la Monarchie de Juillet… Des personnages de Benjamin Constant, d’un côté, de Stendhal ou de Balzac de l’autre. Puis viendraient les cohortes des républicains, 3, 4, 5 comme au défilé…Comme si l’Histoire, avant ma naissance, avait été composée de diverses séquences et que depuis, en me devenant sensible, elle avait cessé d’être à mon tympan si heurtée. Que seule, ma mienne….
C’est Renan qui, dans ses Souvenirs d’enfance, livre le portrait attachant du « Bonhomme Système », un jacobin de 1793 qui, n’ayant jamais su s’adapter aux séquences suivantes, était devenu la risée de tous et mourut dans la défroque d'un tragique anachronisme.
A en croire le tapage médiatique, nous serions en ce 8 mai 2012, avec nos deux présidents, dans un moment de transition, entre deux séquences. Les socialistes aimeraient faire oublier celle qui s’achève et tentent de ranimer la séquence mitterrandienne du siècle passé, histoire de légitimer ou de colorier leurs futures errances, comme la chiraquie et les sarkozistes l’avaient mise à la trappe pour fonder leur temps à eux. Ils y arriveront. En même temps, l’Europe, le grand « machin », nous pataugeons dans un temps nouveau et un espace remodelé... Et l’on voudrait que notre vie ressemblât au fond à cette frise, que nous jetions les « années Sarkozy » avec le bonhomme, pour s’adonner au « moment Hollande », dans ce temps qui s’annonce.
Pourtant, on ne pourra pas plus jeter ces années-là qu’on n’a pu jeter les autres. Parce que nous vivons, de chair, et qu'elles sont nôtres. Il y en a pour qui ç’aura été les années de l’enfance, d’autres celles de l’adolescence, et ainsi de suite. La vie d’un individu n’est pas « séquençable » comme une frise. Le monde entier nous y pousse et pourtant, nous ne sommes pas « sommés » de nous adapter. Nous cherchons notre fil.
Moi, par exemple, comme le bouquet de fleurs séchées du bonhomme Système de Renan, je traîne encore des années Pompidou la lecture qu'on fait à un âge précis de sa vie de madame Bovary, de Phèdre, des Fleurs du Mal. Des années Giscard, je garde un passeport bleu, qui ne passe pas, c’est ainsi. Qu’est-ce que je peux leur trouver l’air niais, ces euro-touristes qui m’affirment qu’avec leur monnaie unique, ils n’ont plus à faire la queue à la douane ! Comme si passer plus vite devant la caisse d’un supermarché, c’était leur voyage.... Des années Mitterrand, c’est surtout un Pascal que je traîne, un Montesquieu, un Delacroix, parce que c’est cela qu’il fit disparaître en encourageant l’opinion à voter pour Maastricht. Il y a des baumes qui ne nous lâchent pas des années disparues, c’est ainsi. Elle est donc à la fois illusoire et juste, cette démarcation de couleur que nous tracions d’une période à l’autre, dans ces époques irréelles où nous n’étions pas nés. Je me sens le bonhomme Système d’un autre siècle, qui aurait gardé de soi des pans intimes que seule la littérature aurait le pouvoir d’éclairer. Encore faudrait-il qu’on me fichât la paix, ce que le monde et le temps qui passe me refuse.
Alors, durant ces quelques jours, devant ces deux présidents aussi passagers l’un que l’autre, je serai encore un peu avec Pompidou, c’est sûr, et Giscard, et Mitterrand et Chirac… Parce que c’est de moi qu’il s’agit, de ma propre continuité, de mon passeport bleu et de mes anciens francs, de tout ce qui s’est accroché à mon balluchon depuis. Pas d’eux.
Quand j’y songe, ma propre frise a commencé avec Coty, dans je ne sais trop quel halo brumeux. Je ne sais trop quand elle cessera. Mais, plus que les démarcations d’une séquence à l’autre, c’est désormais le tracé continu qui les borde qui m’intéresse, en mien propre et comme détaché de ce qui fuse. Je ne serai plus jamais moderne.
10:19 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : renan, littérature, bonhomme système, hollande, sarkozy, passeport bleu |
mercredi, 11 avril 2012
Gazette de Solko n°24
12:36 | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : solko, hollande, politique, actualité |
jeudi, 29 mars 2012
Hollande, Mélenchon et la cour des comptes
06:13 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : hollande, mélenchon, cour des comptes, politique |
lundi, 26 mars 2012
Hollande et le changement: Le passé revient
Pour avoir vécu sous des gouvernements dits de gauche, sous des gouvernements dits de droite, et la plupart du temps sous des régimes de cohabitation, j’avoue que j’ai du mal (sauf à la rapporter aux lois du marché) à comprendre l’effervescence médiatique qui règne autour de cette idée creuse de « changement ».
L’anti sarkozisme sans programme est, depuis l’été 2010, le cheval de bataille de la propagande socialiste, relayée par la plupart des médias. J’avais à l’époque réagi par un billet sur ce blogue pour dénoncer ce vide si caractéristique du PS, qui n’est qu’un parti d’accompagnement de la Réforme, incapable de faire émerger de nouvelles idées et surtout de nouvelles têtes (1) C’est ainsi qu’avant les primaires du PS, nous avions ici dégagé dès septembre 2011 « neuf raisons de ne pas voter socialiste ».
Hollande du fond de sa Corrèze n’ayant trouvé que l’anti-sarkozisme comme motif de campagne, c’est pitié de voir ses équipes remonter jusqu’à 2001 pour contester un vote de Sarkozy sur les contrôles Internet « qui aurait permis l’arrestation de Merah » quand les mêmes sont si prompts à hurler aux lois liberticides dès qu’il s’agit de constituer un fichier.
La stratégie de Hollande s’étant limitée à confisquer l’élection en la transformant en un vote d’humeur borné à un référendum anti-Sarkozy qui jouerait à son avantage (ficelle vieille comme le PS (2)), Jean Luc Mélenchon a su, à coups de symboles, déplacer le débat pour tenter de reconstituer comme au temps de Georges Marchais une esquisse d'affrontement gauche droite. Certains du coup se passionnent à nouveau pour le fait politique. J’aimerais y croire. Mais quelque chose est grippé là-dedans : le fait qu’on retrouve toujours les mêmes têtes, les mêmes motifs, les mêmes chroniqueurs, dans un pays dépossédé de ses frontières et de sa monnaie. La logique du spectacle et de la gouvernance de ces quarante dernières années est plus forte, on le voit bien, celle des traités européens qu'ils ont votés aussi, que celle de tous ces vœux pieux, y compris de ceux de Marine Le Pen ou de Jean Luc Mélenchon, entraînés eux aussi et quoi qu’ils en disent dans le spectacle et sa caricature.
La chose la plus ironique qui pourrait arriver, et sans doute la plus triste, serait l’élection de ce clown sans aura (sans doute le plus conservateur des dix), sur la base éminemment mensongère du changement.
06:45 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : politique, hollande, socialisme |
samedi, 17 mars 2012
Cohabitations, victoires et défaites
Quand on est de gauche, on ne doit pas critiquer son camp. Quand on est de droite, on ne doit pas non plus dire du mal des siens. Bref, qu’on soit d’un camp ou d’un autre, la loyauté en politique impose une éthique. Croit-on.
En conséquence, quand on émet une critique quelconque sur un fait de société ou une décision politique, on se retrouve inévitablement et de toute évidence étiqueté dans le camp opposé de celui qu’on critique. Peut-être est-ce une manière de savoir où l’on se situe sur l’échiquier politique : quel « bord », quel « parti » avez-vous le plus critiqué ? Avec lequel êtes-vous le plus en désaccord ?
A ce petit jeu, je suis quelqu’un de droite, au vu de mon désamour presque clinique avec la gauche contemporaine, qu’elle se proclame rouge, rose ou verte, elle et ses immuables figures (on devrait dire figurines).
Se retrouver ou non dans de grands textes, des idées, des idéaux ou des figures fut longtemps une autre façon de se situer dans l’un ou l’autre camp. A ce petit jeu, même si certains auteurs de droite (Léon Bloy, Chateaubriand, Bernanos, Raymond Aron) ou certains grands textes (Tocqueville) me parlent, c’est vers la critique du capitalisme libéral et de la société du spectacle que me portent à la fois ma formation intellectuelle et mes intérêts de classe (ça se dit encore des trucs pareils ?).
Je crois que je n’aime pas les hommes politiques, même si parfois me fascinent ou m’étonnent leur rouerie, leur obstination, leur versatilité. Mais ceci n’est qu’une parenthèse. Ces gens là ont bien trop besoin de leurs Cours en tous genres pour m’impressionner vraiment. Mon modèle, c’est le solitaire, moine, écrivain ou savant, et je ne sais pourquoi, c’est ainsi.
Pour les raisons que j’ai dites plus haut, beaucoup de gens de gauche me croient à droite, et beaucoup de gens de droite me disent à gauche.
Cela compte peu. Je sais la droite, du moins dans ses idéaux, beaucoup moins liberticide que ne l’est la gauche, et la gauche – toujours dans ses idéaux – beaucoup plus fraternelle que ne l’est la droite. Je serais donc finalement pour un individu de droite vivant dans une société de gauche, mais ce n’est qu’une formule, une formule à la Bayrou, impuissante à prendre corps dans le Réel.
De la gauche ou de la droite, la vraie question reste de savoir laquelle, durant ces quarante ans faits de cohabitations et de gouvernements plus ou moins communs (Europe oblige) - est demeurée la plus fidèle à elle-même ? Laquelle, durant ces quarante dernières années, s’est le moins reniée ? Et ce faisant, laquelle a fait le moins de mal au pays ? SI vous avez la réponse à ces questions, vous avez presque le nom du vainqueur de l’élection prochaine.
S’il fallait parier, je crois pour ma part que Sarkozy joue sur du velours, surtout face à un candidat si peu neuf et si médiocre que Hollande. Si malgré tout le socialiste était élu, la droite gagnerait quand même, car au petit jeu énoncé plus haut, c’est elle qui l’a emporté, dans la construction européenne comme dans la création de l’euro fort et indépendant. Comme Mitterrand, Hollande serait donc obligé de tenir une politique de droite malgré ses postures et ses ronds de jambe actuels. Ce qui ferait les beaux jours du Front National. En guise de changement, on serait pour le coup loin du compte, n'en déplaise aux faux-jeunes communicants du PS.
19:01 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : politique, socialisme, sarkozy, hollande |
dimanche, 11 mars 2012
Supprimer le mot "Hollande" des bulletins de vote
Supprimer le mot race de la constitution. Telle est la dernière trouvaille du candidat socialiste qui, faute d’être capable de s’en prendre au Réel, s’en prend à la langue. Et voici donc une nouvelle fois le mot amalgamé avec la chose, dans une sorte d’hypocrite ingénuité qui est la marque de fabrique du bonhomme, comme du parti dont il est issu. Et pourquoi, selon ce sage énarque devrions-nous taire ce mot honteux, ignoble, injurieux de race ? Au nom de « la grande famille humaine »…
Je ne sais trop ce qu’il entend par « grande famille humaine ». Ayant déjà connu pas mal d’ennuis avec ma propre famille, je n’ose penser ce qu’il en serait à l’échelle de cette « grande famille ». Il est cependant heureux que cette grande famille humaine soit composée de peuples, de races, de cultures différentes. A quoi je rajouterai, car un homme de culture se doit de ne jamais oublier les morts, d’époques différentes. J’appartiens à une génération qui, pour ne pas être pour autant crépusculaire, a connu une France où l’on ne parlait pas toute la journée de races et de racisme. L’émergence parallèle du Front National et de SOS Racisme s’est faite dans les années 80/90, durant un double septennat socialiste et dans un air du temps pourri par la dichotomie de plus en plus prononcée entre l’enrichissement éhonté de certains et leurs discours parallèle sur l’égalitarisme. L’aveu ridicule du catastrophique ministre de la culture de l'époque, Jack Lang, affirmant de son appartement place des Vosges (dans lequel on le soupçonne d’en écouter toute la journée) que « le rap est une culture » (je dis catastrophique pour les professeurs et leurs élèves, spécialement les plus défavorisés), cet aveu en fut le symptôme le plus parlant.
Supprimer le mot race, donc. Hollande, comme beaucoup d’énarques de gauche, est un fin praticien de la nov’langue orwelienne. Plutôt que d’affirmer haut et fort que parmi toutes les races, toutes les cultures, toutes les couleurs de peau, il n’y en a pas une qui soit supérieure à l’autre, plutôt que d’énoncer le problème, plutôt que de raisonner, il préfère ne pas voir, ne pas dire, ne pas nommer. Or ne pas nommer, c’est ne pas penser. Et ne pas penser, c'est jeter de l'huile sur le feu. Je ne suis pas en train de dire que M. Hollande ne pense pas. Je suis en train de dire qu’il ne veut pas qu’on pense. En digne représentant d’un mouvement de masses, il veut plutôt que les think tanks, clubs, et autres loges pensent à la place du bon peuple crétinisé façonné depuis plusieurs décennies par la culture Lang. Il suffirait donc de retirer le mot race de la constitution pour éradiquer le racisme, Voilà qui promet une jolie gouvernance si le triste sire est élu. Retirons aussi le mot violence et le mot banlieue des dictionnaires, afin de mener une saine politique de la ville, les mots musulman, juif et chrétien pour fabriquer une démocratie apaisée, les mots riches et pauvres pour assainir l’économie. Et embrassons nous Folleville, d'une fête de la musique à une autre... ? Dieu que la grande famille humaine, dirigée par ce genre d'autocrate promet d'être humaine ! Car comme disait Rabelais, si les signes vous trompent, combien vous tromperont les choses signifiées.... Pour ma part et pendant qu’on y est, je propose qu’on retire le mot Hollande des bulletins de vote : ça réglerait peut-être un problème à venir, des plus épineux…
16:30 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : race, constitution, politique, hollande, socialisme |
mercredi, 22 février 2012
Gazette de Solko n°19
09:59 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : hollande, changer de destin, dsk, allègre, ferry, politique |
lundi, 20 février 2012
Mensonge et politique
Accuser Sarkozy d’avoir menti en 2007 ou Hollande de mentir à présent, c’est faire preuve d’un manque d’audace et d’esprit à première vue étonnant : L’art du mensonge n’est-il pas en effet une vertu cardinale communément admise en politique ? On ne le sait que trop depuis Machiavel qui ne cesse d’insister sur le rôle des apparences dans la constitution de la panoplie du Prince. Tout mensonge est le prélude d’un retournement de veste, et sans retournement de veste, un politicien ne vit que l’espace d’une saison, qu’on songe à De Gaulle et l’Algérie, Mitterrand ou Chirac et l’Europe.
La dénonciation par les gens de gauche comme par ceux de droite du mensonge de l’autre camp est ainsi la meilleure façon de débusquer chez l’adversaire une faiblesse politique : surprendre ce dernier est train de mentir revient en effet à dévoiler le fait qu’il ment mal, puisque le propre du bon mensonge serait de passer inaperçu. Et s’il ment mal, il a été ou sera un mauvais prince.
De ce point de vue, on peut dire que nos modernes en sont de piètres ; Rien qu’hier, j’ai entendu Nicolas Sarkozy prétendre à Marseille que grâce à lui «nous avons échappé à une catastrophe », et François Hollande lui répliquer dans les studios de BFMTV que « jamais il ne prendrait une décision injuste ». Courage et Justice : droite hargneuse et gauche vertueuse tentent de manière aussi grotesque que malhabile d’incarner un lieu commun face à l’opinion. Et faute de mieux, le spectacle s’en contente. C'est tout dire.
« La vérité, quoique sans pouvoir et toujours défaite quand elle se heurte de front avec les pouvoirs en place quels qu’ils soient, possède une force propre ; quoique que puissent combiner ceux qui sont au pouvoir, ils sont incapables d’en découvrir ou inventer un substitut viable. La persuasion et la violence peuvent détruire la vérité, mais ils ne peuvent la remplacer. »
Hannah Arendt - « Vérité et Politique », La Crise de la Culture
13:49 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, mensonge, hollande, sarkozy |
lundi, 13 février 2012
Le torchon brûle
Tandis que le candidat du PS, avec sa gueule de monsieur Homais et son « rêve français » tente d’investir je ne sais quel « pôle républicain », tandis que le candidat président, avec sa gueule de hussard et son « combat pour les valeurs » part en chasse sur « les terres du front national », il est des images qu’on ne peut ni cacher ni montrer : celles de la réalité des incendies à Athènes, ceux qui sont spontanés comme ceux qui sont provoqués. On ne peut les cacher, on les montre donc, furtivement, entre deux actualités, le « froid polaire » et les agitations des sieurs Hollande et Sarkozy qui s’en vont en campagne, comptant sur ces deux non-événements pour détourner l’attention du torchon qui brûle.
Cela n’empêche pas, évidemment, le torchon de brûler.
07:20 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, ps, sarkozy, hollande, athènes, grèce, crise de la dette, euros |