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dimanche, 13 octobre 2013

La princesse et le cabotin

Tout en m’ennuyant copieusement devant la lecture de La Princesse de Clèves par Marcel Bozonnet, hier soir au TNP, je me suis pris à rêver d’une autre mise en plateau qui se déroulerait dans un salon de l’époque, car on sait à présent avec certitude que l’œuvre a été composée en un lieu de ce genre vers 1676. La Rochefoucauld, Segrais et sans doute d’autres y ont participé, ce qui ne compromet en rien la gloire de Mme de la Fayette,  la notion d’auteur étant à cette époque un concept bourgeois peu apprécié de son milieu, et la littérature une pratique des plus mondaines.

 Au lieu de l’interminable soliloque de Bozonnet, j’imaginais donc, pour tenir sur mon siège, plusieurs personnages donnant à entendre ce texte à plusieurs voix. Ils se le raconteraient les uns les autres, comme les devisants de Marguerite de Navarre, et  feraient de nous des voyeurs de leur plaisir à le dire. Car là où je rejoins Bozonnet, c’est pour constater que le texte est en effet merveilleux. Un pur joyau de la France monarchique et de la poésie chrétienne. C’est dire la présomption qu’il y a à le lire seul sur un plateau nu, quand tout y réside en la tension permanente entre l’idéal de vertu catholique et la joie déjà libertine de la conversation en salon. Irais-je presque à dire que le lire seul relève du contre-sens ? A mon sens, oui.

Non, cette histoire d’amour, contrairement à ce que semble postuler cette mise en plateau, n’est pas une histoire d’amour comme les autres ; non, contrairement à ce que postule d’ailleurs  l’idéal classique, il n’y a pas un idéal universel de l’homme et de l’amour, et le sentiment est une affaire avant tout culturel. On n’aime plus au XXIe siècle de la même façon qu’au XVII e ou plus encore au XVIe. C’est d’ailleurs ce que postule la lecture très intelligente que Pierre Malandain fit un jour de ce texte étonnant : La Princesse fut pensée comme un personnage de la Cour de Louis XIV, quand le duc de Nemours appartenait encore à celle de Henri II, d’où leur impossible rencontre. La reconstitution d’une époque révolue se donnait alors à lire aux sujets de Louis XIV, comme l’occasion d’une identification critique et la mesure d’un écart. La princesse est donc une action sans maxime. Tout sauf un sentiment : Sur scène, rien de tout cela. Le texte, bien articulé certes, mais plat. Une narration terriblement fossile, parce que sans plus la moindre intériorité révélée dans, par exemple, les si magnifiques monologues du roman et les multiples décrochages énonciatifs qu'ils supposent, ici aplatis.

Il n’y a pas seulement de la présomption à vouloir porter seul un texte pareil et à assumer seul ses différents protagonistes (La Princesse, sa mère, son mari, le duc de Nemours…) habillé en fraise et pourpoint sur scène. Cela relève aussi du cabotinage. Certes, Marcel Bozonnet a du métier, de la technique, et parvient même à laisser transpirer parfois quelque support pour une émotion, ce qui reste la moindre des choses pour un acteur de son expérience. Mais pas assez pour en construire une qui fonde le spectacle. Il se couche parfois sur scène, dans un mimétisme déplacé par rapport à la tonalité générale du spectacle (Nemours à Coulommiers) , puis se relève, animal étrange (il le dit lui-même) « entre le crustacé et le moustique ».  Bien sûr, au dernier mot enfin prononcé, le public applaudit la performance – car c’en est tout de même une – de s’être en quelque sorte avalé tous ces eût et tous ces eussent.  Mais très franchement, que voilà un spectacle inutile ! S’il s’agit d’apprécier la langue, la lecture complète du roman, non coupé de ses digressions dont, très doctement, Bozonnet et son équipe prétendent pouvoir se passer, suffit.

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© Elizabeth Carecchio

Salle Jean Bouise, TNP Villeurbanne, jusqu'au 20 octobre, 20 heures

00:02 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : marcel bozonnet, la princesse de clèves, tnp, théâtre | | |

samedi, 12 octobre 2013

Modes de guerre

Remy de Gourmont décrit en octobre 1914 à quoi Paris ressemble, la guerre déclarée.  On se promène « avec autant de tranquillité » avenue de l’Opéra et sur les Grands Boulevards. Les voitures des charbonniers  sillonnent encore les rues, et ni le sucre ni le sel ne manquent. Mais, dit-il, « c’est la main d’œuvre qui fait défaut, pour donner aux matières premières le dernier perfectionnement auquel nous sommes habitués ».  Plus de pain de luxe. Plus de sucre raffiné.  Les brioches sont tolérées, mais les croissants supprimés par les autorités militaires. « Le raffinement, écrit-il, n’est peut-être qu’une manie. »

La Bourse est fermée et « manque aux gens d’affaires ». Les théâtres sont fermés et « manquent aux gens de loisir ». Le soir, cafés et restaurants  sont fermés, et c’est ce qui modifie le plus la vie parisienne. En journée, l’un et l’autre ne peuvent plus servir de l’absinthe. Dans le naufrage des distractions, seul le cinéma a survécu. Gourmont commente : « Comme le sombre drame qui émouvait la foule il y a trois mois lui semble pâle près de celui qui se passe à quelques heures de la capitale ». Le public, de toute façon, ne semble guère s’amuser.  Les tramways ne fonctionnent que dans un sens, de l’est à l’ouest, et les lignes du métropolitain sont encombrées. La plupart des grands hôtels sont fermés et les étrangers, dont Paris tire son luxe, sont absents.

L’absence des hommes, partout : le Quartier Latin a été vidé de ses étudiants et la foire aux livres des galeries de  l’Odéon est déserte. L’étalage n’a pas été renouvelé. « Les quelques hommes sont tous d’un âge raisonnable, et les femmes y semblent désemparées ». Gourmont s’étonne qu’on ait malgré tout pensé à créer une mode pour l’hiver. Ce sera « une mode de guerre » Plus de fantaisies ni d’extravagances, des jupes droites, noires, sans ornements.  Et Gourmont d’espérer qu’à la fin de la guerre, dont il sent, comme tout le monde, qu’elle risque de durer longtemps, « les arts de la paix » refleuriront. C’est, dit-il, ce qui le fait espérer. 

Peut-être, dit-il, « qu’on n’écrit plus beaucoup de romans en ce moment où un si grand nombre d’écrivains sont en villégiature dans les tranchées ».  La partie la plus jeune de la corporation est au feu et se fait tuer. On sait déjà la mort de Péguy. Et l’autre moitié, qui n’est pas mobilisée, est immobilisée. Elle ne publie plus rien, elle attend ou écrit pour elle-même ou « pour l’avenir ».

Pourtant, on bouquine beaucoup et partout, en attendant. Les cabinets de lectures sont dépourvus. Du coup, presque avec un sentiment de culpabilité, Gourmont s’est rabattu sur Romaine Mirmault, un roman d’Henri de Régnier qu’il n’aurait sans cela jamais découpé. Beaucoup de revues ne paraissent plus. Et Gourmont de conclure que le Paris en temps de guerre ressemble à ce qu’est la province en temps de paix : « on y ressent une impression de calme toute pareille » Tenir a-t-on donné comme consigne au Front. Attendre, semble répliquer l’arrière. Ce que ce parisien par vocation ne parviendra à faire. Treize mois après la mobilisation générale, Rémy de Gourmont meurt à l'hôpital d'une congestion cérébrale le 27 septembre 1915.

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16:59 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : paris, guerre1418, rémy de gourmont, littérature, théâtre, front, arrière | | |

jeudi, 10 octobre 2013

Le Pen, forcément Le Pen...

C’est tout de même assez drôle, que dans un pays ayant en 2005 rejeté en vain un traité constitutionnel,  et après que deux présidents, Sarkozy puis Hollande, ont manifesté l’attitude la plus antidémocratique qui soit en s’asseyant sur le vote des Français l’un après l’autre, il y ait des gens pour s’étonner que le FN arrive en tête des futures européennes. Quoi de plus normal, dès lors qu’il demeure le seul parti à militer ouvertement pour le NON à cette Europe ? Des partisans de Seguin de jadis aux militants du PC, de Fabius à Mélenchon, tout le monde s’est rallié à l’empire. Tout le monde, qui derrière Sarkozy, qui derrière Hollande, comme un seul troupeau bélant.

Il faut bien reconnaître les faits : la génération Hollande est vieille. Son gouvernement est un gouvernement de revenants. Pas de feu, pas de flamme, pas d’utopie, pas d’idéal, rien, le vide, le couac, le néant. En fait le socialisme véritable est mort en France depuis longtemps, avec Bérégovoy, un sinistre premier mai. Ce qui demeure est une machinerie électorale et médiatique bien huilée et des notables municipaux qui la font vivre tout en se faisant vivre eux-mêmes avec une raison désenchantée et grise, un cynisme à toute épreuve et une langue de bois capable de tourner à la vitesse de la lumière (ou des ténèbres, c'est selon).

Tous s’apprêtent à recevoir avec raison la dérouillée de leur vie. Dérouillée qu’ils n’imaginent même pas. Un ami me disait dans le bus tout à l’heure combien l’analyse de Valls, parti à la reconquête « des petites gens » à Forbach (campagne conduite au passage avec les crédits de l’Etat comme le fit Sarkozy pour tenter sa réélection ce qui déboucha sur les 11 millions à rembourser, mais ça, on ne l’entend guère) est fausse. Car me disait-il, ces petites gens qui ne peuvent payer à leurs enfants des voyages linguistiques aux States et  se barrer en vacances aux Baléares,ça fait longtemps qu’ils sont passés au FN. Ceux qui glissent en ce moment, c’est la petite classe moyenne, voire la classe moyenne tout court, des gens normaux exaspérés devant la politique de ce président anormal et son autisme sidérant.

 

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Bulletin de Michel Beregovoy, frère de Pierre, mort trente ans plus tard, en 2011

La capacité de se remettre en cause que les donneurs de leçon de la gogoche et de la droidroite imbéciles demandent avec toujours la même arrogance (au nom des valeurs, de l’intelligence, des droits de l’homme et tutti quanti) aux électeurs de Le Pen, cette capacité, tous ces donneurs de leçons devraient l’appliquer à eux-mêmes. Mais ils se croient en 2002, quand il suffisait d’une bonne campagne de presse anti Le Pen pour calmer les esprits de la Génération Mitterrand, cette trouvaille de Séguéla.  Ils ne voient pas que l’Europe des lobbies, des loges, des banques, de la crise et des blablas a vécu aux yeux de la plupart des peuples. Elle a vécu et n'a rien produit d'historique et de fiable. Et ce, pas seulement en France. Alors, que reste-t-il, quand tous les idéaux ont été trahi,  toutes les crapuleries osées, tous les mensonges révélés au grand jour,?  Il faut vraiment avoir vécu sur la lune pour l'ignorer : On peut s'en indigner, s'en féliciter, s'en foutre, il reste Le Pen, forcément Le Pen....

05:52 | Lien permanent | Commentaires (29) | Tags : sondages, européennes, le pen, hollande, france, politique | | |

mercredi, 09 octobre 2013

S'il pleut à la Saint-Denis, la rivière sort neuf fois de son lit.

Aujourd’hui, saint-Denis, c'est  la Journée mondiale de la Poste. J’ai appris à cette occasion que la poste royale avait été fondée par Louis XI le 9 juin 1464, par l’édit de Luxies. Des échanges de courriers, néanmoins, on en trouvait déjà dans le livre de Néhémie  (ch 2 – 7,8,9) : « Et le roi me donna ces lettres car la main favorable de mon Dieu était sur moi ». Des échanges de courriers, mais pas de poste !

La carrière de chevaucheurs, au Moyen Age, devait être fort agréable. On s’imagine volontiers, parcourant des forets, de relais en relais, durant des lieues, je veux dire de vraies forêts comme il s’en rencontre dans les romans de chevalerie. Un peu comme les premiers aviateurs du courrier postal, ces personnages porteurs de nouvelles étaient tout puissants, il paraît même qu’en cas de retard, ils pouvaient réquisitionner les chevaux des particuliers.

Les postillons portaient de jolies bottes. Des bottes faites de bois et de cuir, qui pesaient environ trois kilos et remontaient jusques aux genoux pour les protéger en cas de chute. A cause de la distance entre les relais, le populaire les surnomma les bottes de sept lieues.

Pendant très longtemps, la distribution du courrier se fit d’une ville à l’autre, mais rien n’était prévu à l’intérieur d’une même ville. C’est Louis XIV qui ordonna un service de distribution dans Paris intra-muros, ce qui généra l’invention de la boite aux lettres et du même coup du facteur à tricorne, employé de la petite poste de Paris.

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Dans un autre registre, on célèbre aussi aujourd’hui la naissance de Lennon et la mort du Che. Incroyable, tout ce qu’on apprend d’un seul clic sur une page wikipedia.  Lennon et le Che, deux icônes de la société warholienne, qui firent vendre au moins autant de posters que Le Chat Noir de Toulouse Lautrec et la photo de Rimbaud en communiant réunis. C’est aussi l’anniversaire de la mort de Brel. Et je pense à chaque fois à ce bel hommage que Barbara lui rendit dans Gauguin, d'une voix déjà fort éraillée par la maladie qui allait à son tour l'emporter. Gauguin, cette chanson à tiroirs tout en aimante nostalgie, comme beaucoup d’autres de la dame en noir. Il pleut et les Marquises sont devenues grises...




05:07 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : saint-denis, louisxi, john lennon, barbara, brel | | |

lundi, 07 octobre 2013

La mort et Chéreau

Il va falloir, quand on pense à Chéreau, penser à la mort. Association à la fois irréelle et logique. Irréelle parce qu’à 68 ans, toute une mythologie jeuniste désormais bien installée dans la société contemporaine nous ferait presque croire qu’on est encore un jeune homme. Logique, parce que depuis toujours, la mort est au cœur des productions de Chéreau. En 1998, par exemple, Chéreau signe un film,  Ceux qui m’aiment prendront le train. Le personnage principal, Jean Baptiste, déclare : « Je veux être enterré à Limoges ». Et quand son interlocuteur lui demande : « Pourquoi Limoges ? », il répond que ça sera plus pratique, parce qu’il y a un caveau de famille. » Alors l’autre lui fait remarquer que, pour ceux qui l’aiment, ce ne sera pas pratique de se rendre à l’enterrement. Et Jean Baptiste réplique : « Eh bien ceux qui m’aiment prendront le train, ce n’est pas si compliqué que ça »

Des trains des gares… C’est dans la gare des Brotteaux tout juste fermée au trafic, à Lyon, que Chéreau tourna son troisième film en 1983, L’homme Blessé. L’un des premiers grands rôles de Jean-Hugues Anglade. On y meurt à la fin, déjà. Gisants pré sidaïques et déjà post-modernes. Tout comme, sur un autre ton, en  75, dans la Chair de l’Orchidée, d’après le roman de Chase qui fait suite à Pas d’orchidées pour Miss Blandish.

Chéreau a dû être l’un des plus jeunes directeurs du TNP tout juste décentralisé, de 1971 à 1981. Il essuie les plâtres, comme on dit, auprès de Planchon, place Lazare Goujon . Période faste pour le théâtre à Lyon, avec Maréchal au théâtre du Huitième. Une période dont il dira, je crois sans coquetterie, qu’elle fut artisanale. Massacre à Paris, de Marlowe, et sa scénographie monumentale, la scène croulant sous les eaux, les noyés, les fusillés de la saint Barthélémy, la mort comme un moteur de l’histoire, le cadavre comme un objet esthétique. « La mort au théâtre, on n’y croit jamais beaucoup, dit alors Chéreau. Alors qu’en fait quelqu’un qui disparait dans l’eau, qui glisse, ça donne une chose plus inhabituelle, plus rare… ». On s'en souvient, en effet.

La victoire de Mitterrand l’enlève de la capitale du saucisson pour les Amandiers à Nanterre. Chéreau devient peu à peu un personnage incontournable de la Mitterrandie. Un théâtreux de gauche sculpté dans la cire de l’Etat, un officiel du Régime, pendant masculin de Mnouchkine, porteur déjà fané des mythes de 68. Ce sera son côté générationnel agaçant au fil du temps qui passe. Comme les autres, il s’institutionnalise et l’engagement devient une posture nostalgique. Il n’empêche. La mort est toujours là, au cœur de sa création, comme le rappelle l’intermède Koltès. Elle persiste et signe.  Comme dans un dispositif à jamais bi-frontal.

Si l’actuel défenseur de la politique de Filipetti n’était plus guère intéressant, l’homme de théâtre un peu fourvoyé dans une sempiternelle nostalgie continuait de l’être. Chéreau a donc fini par mourir ce matin d’un cancer au poumon. Façon de payer le tribu de sa génération aux industriels du tabac. Les hommages vont pleuvoir, avec ce qu’ils ont de fourbes, et parfois d’irréels. Libé fera sa une. On ne pourra plus dire à quel point on a détesté Dominique Blanc braillant de façon hystérique le rôle de Phèdre, sous le prétexte fallacieux que l’alexandrin classique ne devait plus être un vers après les barricades de 68. Il ne faudra plus  se souvenir que de la scène si inventive, si réussie dans son formalisme glaçant du récit de Théramène, dans la même Phèdre de Chéreau. Car Chéreau, c’était le pire et le meilleur de ce que la scène française de ces quarante dernière années, étudiante jusqu’à l’académisme, obstinée et légère, révoltée et conventionnelle, oublieuse et érudite, a produit avec l’argent du contribuable. Un  théâtre qui devrait se méfier des hommages, s'il veut rester vivant...

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Chéreau et Planchon en 1972, Les barbus du TNP © PINAUD / AFP

22:40 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : théâtre, patrice chéreau, tnp, amandiers | | |

dimanche, 06 octobre 2013

Le Président de Michel Raskine

Au centre du texte  du Thomas Bernhardt et dans les propos du président lui-même se niche la comparaison entre l’art politique (le premier dans sa hiérarchie) et l’art dramatique (celui qui vient juste après, avant les Beaux-Arts et tous les autres): Le dispositif  imaginé par Raskine pour la mise en scène du Président, actuellement au théâtre de la Croix-Rousse, tient tout entier dans cette assimilation d’un art par un autre : le trône et l’estrade, lieux symboliques du pouvoir, se dressent devant les spectateurs entre deux vestiaires où deux comédiens (Marief Guittier et Charlie Nelson) vont endosser les peaux successives de leurs deux personnages : la Présidente, le Président. A leur côté, un troisième officiant, régisseur à la fois du palais et du théâtre, comme l’indique sa tenue. Et une multitude de petits pantins hauts de quelques centimètres afin de figurer les personnages secondaires, parmi lesquels la bonne de la présidente, le colonel victime du premier attentat et le masseur. Ce parti pris de théâtre dans le théâtre  culmine lors du dénouement lorsque, vêtu du même tee-shirt que le régisseur, Charlie Nelson contemple la mise en bière de son personnage sur l’estrade en bois comme s’il la mettait en scène, tout en jouant du saxo.

Le texte de Bernhardt n’a rien perdu de sa force depuis 1975, bien au contraire : «En chaque individu, il y a un anarchiste », y compris dans le Président et la Présidente, qui ont enfanté le Fils qui menace de les tuer. Y compris chez les militaires, les domestiques. Y compris chez les curés et les médecins, dont il est vain de croire qu’ils pourraient former un rempart contre  les risques galopants qui menacent le pouvoir. « Ambition, haine, rien d’autre » : c’est le fameux leitmotiv, auquel se rajoute « la peur » dans la bouche du président, qui hante la scène comme le palais et court d’un bout à l’autre du texte de l’auteur autrichien : survivre aux attentats qui déciment peu à peu le Régime et ses dignitaires, tel est donc l’enjeu de ce couple présidentiel qui justifie leurs monologues successifs, lesquels s’énoncent devant le spectateur telles deux longues phrases ponctuées autant que hachées par les répétitions : manière pour les personnages de communiquer leur isolement, leurs obsessions de se dire, et surtout leur incapacité à communiquer entre eux.

Survivre et non pas vivre, non pas régner : Jadis tragique, la figure de l’ordre est devenue comique, car la classe dirigeante, nous apprend le texte, meurt finalement d’elle-même, de son exposition et de sa corruption. De son auto-érosion.

« On oublie souvent, déclara Raskine dans un interview, que Thomas Bernhardt est un survivant. Il aurait dû mourir à 18 ans dans un sanatorium ; les médecins n’ont jamais compris comment il a survécu à tant de difficultés d’ordre médical. Il a survécu. Je pense qu’il a mis la barre à une telle hauteur d’exigences qu’on est tiré vers le haut ».

Dans Le Président, en effet, la survie est à la fois un thème burlesque et le moyen de la satire. On répète souvent que la pièce a été montée pour la première fois au Schauspielhaus de Stuttgart en 1975, alors que s’ouvrait le procès de la bande à Baader. On se souvient moins souvent que cette année 1975 fut aussi celle où Thomas Bernhardt entreprit le premier volume de sa longue suite autobiographique avec son premier volet, L’Origine :

« Lui-même est incapable de transformer même en un seul instant de sommeil son état d’épuisement encore bien plus grand, l’état d’un blessé perpétuel », peut-t-on lire dès les premières pages de ce récit. Or c’est bien cette rencontre entre la comédie du pouvoir et la tragédie de la survie qui confèrent aux deux personnages de la pièce leur épaisseur toute particulière, toute bernhardienne, mais aussi plus classique, plus universelle qu’une simple pièce au motif politique : c’est ce que soulignent la mise en scène de Raskine, comme la performance des deux comédiens, sur le fil d'un bout à l'autre du spectacle. Un beau et vrai moment de théâtre, en ce moment-même à la Croix-Rousse.

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Marief Guittier  Photo © Loll Willems

Théâtre de La Croix-Rousse, jusqu'au 11 octobre 2013

mercredi, 02 octobre 2013

Petites histoires stupéfiantes

Première soirée de la nouvelle saison, aux Ateliers, en plein cœur du quartier Mercière., Le soir, il fait encore doux. A 20h 30, badauds et touristes se lantibarnent. Pendant ce temps  Chavassieux en personne explique à son public la situation du théâtre. Depuis des mois qu'il a perdu son co-directeur, Simon Délétang, ,la municipalité ne se presse pas pour lui trouver un successeur. Depuis juillet, on attend sa nomination. Et en attendant, plus le moindre financement public. Chavassieux explique qu'il paye ses artistes à la recette. Et ça tombe bien : voilà que Jean-Paul Bolle-Reddat descend la travée centrale en prévenant : « J’arrive les mains vides » Puis grimpe sur le plateau. Vide, presque. Un tabouret, un caddy, un aspirateur pour le ménage. Soudain, tout ça prend du sens, entre réel et fiction. 

Le comédien a choisi de raconter les Petites histoires stupéfiantes. C'est, une création de la Cie Drôle d’équipage en résidence au théâtre de Givors (voir extrait ICI). A l'origine, un texte de 18 heures jamais monté, pensez donc, plus long encore que Le Soulier de Satin !  Ma Solange, comment t'écrire mon désastre, Alex Roux, de Noëlle Renaude. L'auteure a accepté que le comédien en picore une heure et quelques dix minutes, comme un moineau, et nous avec. Bolle-Redat est, on le sait, un amateur de Pierre Michon comme de Karl Valentin, qui a frotté son talent à Jean Louis Martinelli, Didier Besace, Jerôme Deschamps et a donc rejoint à présent Charly Marty pour sa première mise en scène. 

L'histoire ? Celles des vrais gens, comme on le répète depuis Robert Park et l'invention de la sociologie. Ceux, par exemple, qui travaillent dans la moquette, écoutent Iglésias, et dont les existences à jamais floues posent un problème à la société. Là où ils sont, là d'où ils postent leurs cartes postales, c'est toujours nulle part. Noëlle Renaude ne travaille pas le non-sens, mais plutôt le petit sens. C'est d'ailleurs pourquoi des extraits de son texte sont travaillés souvent dans des cours de théâtre ou des compagnies amateurs. Instants choisis où se croisent parfois  les fameux passés simples fautifs, le boucher venda, prena, disa... C'est l'expérience et le talent de Bolle-Reddat qui assurent le lien. Pour nous entraîner d'un prodigieux numéro de marionnettistes, à deux mains (vides) à un duo avec Salvatore Adamo au portable. On pense à Pierre Autin Grenier et Toute une vie bien ratée, A notre époque, personne ne fait son âge, lance, par sa bouche, un personnage. Celui qui meurt après tout le monde, lance un autre, finit quand même par mourir. Impossible de ne pas tomber en empathie avec eux, puis de s'en distancier l'instant qui suit pour en sourire. Le premier invité de cette saison aux Ateliers, aussi spéciale que neuve parce qu'elle devrait être celle de sa renaissance, éblouit finement mais surement. Il est donc à ne pas rater.

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Petites histoires stupéfiantes, Les Ateliers, d'après Noëlle Renaude, ms Charly Marty, avec Jean-Claude Bolle-Reddat, du 1er au 19 octobre 2013 à 20h30, samedi à 19h, 1h10

mardi, 01 octobre 2013

La brume lyonnaise est un empire

Lyon s'est réveillée ce matin sous des vapeurs brumeuses, celles qui conviennent à ses reliefs, ses pierres, ses toits. C'est un beau début d'octobre, prometteur. Les vieux Lyonnais savent que c'est là son visage instinctif, le nordique, le celtique, le romantique également, qui ne pisse pas de sueur salée, mais se délecte de ses humides enchantements. Le moindre pavé devient alors propice au souvenir, dans l'épaisseur du sentiment.

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Jadis, des poètes locaux un peu bourrus avaient fait de ce gris l'âme de leur ville, brume qui convient autant à l'effort de vivre qu'à la reconnaissance d'exister. A elle seule, elle donne sens aux carreaux des maisons, patine aux grilles des caves et pose d'inimitables reflets sur les croix de nos églises. En fermant l'horizon extérieur - et l'on voudrait presque que ce soit pour jamais - elle ouvre aux risques de l'âme l'aventure de sa vapeur et celle de son humidité. La brume lyonnaise est un empire. Chambre de chacun calfeutrée sur la pierre, enrobant mystère de sa toison bouclée répandue autour des branches, prometteuse caresse ivre de ses fleuves et filant par nos narines, joie fusant en cris suraigus par la gorge des gones qui courent dans les préaux.

photo Blanc Demilly

10:16 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lyon, poème, littérature, brume d'octobre | | |