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samedi, 12 octobre 2013

Modes de guerre

Remy de Gourmont décrit en octobre 1914 à quoi Paris ressemble, la guerre déclarée.  On se promène « avec autant de tranquillité » avenue de l’Opéra et sur les Grands Boulevards. Les voitures des charbonniers  sillonnent encore les rues, et ni le sucre ni le sel ne manquent. Mais, dit-il, « c’est la main d’œuvre qui fait défaut, pour donner aux matières premières le dernier perfectionnement auquel nous sommes habitués ».  Plus de pain de luxe. Plus de sucre raffiné.  Les brioches sont tolérées, mais les croissants supprimés par les autorités militaires. « Le raffinement, écrit-il, n’est peut-être qu’une manie. »

La Bourse est fermée et « manque aux gens d’affaires ». Les théâtres sont fermés et « manquent aux gens de loisir ». Le soir, cafés et restaurants  sont fermés, et c’est ce qui modifie le plus la vie parisienne. En journée, l’un et l’autre ne peuvent plus servir de l’absinthe. Dans le naufrage des distractions, seul le cinéma a survécu. Gourmont commente : « Comme le sombre drame qui émouvait la foule il y a trois mois lui semble pâle près de celui qui se passe à quelques heures de la capitale ». Le public, de toute façon, ne semble guère s’amuser.  Les tramways ne fonctionnent que dans un sens, de l’est à l’ouest, et les lignes du métropolitain sont encombrées. La plupart des grands hôtels sont fermés et les étrangers, dont Paris tire son luxe, sont absents.

L’absence des hommes, partout : le Quartier Latin a été vidé de ses étudiants et la foire aux livres des galeries de  l’Odéon est déserte. L’étalage n’a pas été renouvelé. « Les quelques hommes sont tous d’un âge raisonnable, et les femmes y semblent désemparées ». Gourmont s’étonne qu’on ait malgré tout pensé à créer une mode pour l’hiver. Ce sera « une mode de guerre » Plus de fantaisies ni d’extravagances, des jupes droites, noires, sans ornements.  Et Gourmont d’espérer qu’à la fin de la guerre, dont il sent, comme tout le monde, qu’elle risque de durer longtemps, « les arts de la paix » refleuriront. C’est, dit-il, ce qui le fait espérer. 

Peut-être, dit-il, « qu’on n’écrit plus beaucoup de romans en ce moment où un si grand nombre d’écrivains sont en villégiature dans les tranchées ».  La partie la plus jeune de la corporation est au feu et se fait tuer. On sait déjà la mort de Péguy. Et l’autre moitié, qui n’est pas mobilisée, est immobilisée. Elle ne publie plus rien, elle attend ou écrit pour elle-même ou « pour l’avenir ».

Pourtant, on bouquine beaucoup et partout, en attendant. Les cabinets de lectures sont dépourvus. Du coup, presque avec un sentiment de culpabilité, Gourmont s’est rabattu sur Romaine Mirmault, un roman d’Henri de Régnier qu’il n’aurait sans cela jamais découpé. Beaucoup de revues ne paraissent plus. Et Gourmont de conclure que le Paris en temps de guerre ressemble à ce qu’est la province en temps de paix : « on y ressent une impression de calme toute pareille » Tenir a-t-on donné comme consigne au Front. Attendre, semble répliquer l’arrière. Ce que ce parisien par vocation ne parviendra à faire. Treize mois après la mobilisation générale, Rémy de Gourmont meurt à l'hôpital d'une congestion cérébrale le 27 septembre 1915.

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16:59 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : paris, guerre1418, rémy de gourmont, littérature, théâtre, front, arrière | | |

Commentaires

Je repensais récemment à tout ça en regardant le calvaire que mon arrière-grand père avait sculpté après son retour du front. Il y avait perdu son frère, et beaucoup de proches...
Merci pour ce partage.

Écrit par : Sophie K. | dimanche, 13 octobre 2013

Pourquoi le nom de Francis de Miomandre figure-t-il entre parenthèses après celui de Remy de Gourmont ?
Cette remarque mise à part, c'est toujours avec grand plaisir que je me presse à la lecture de votre blog.

Écrit par : Arno Dill | dimanche, 13 octobre 2013

Vous avez raison, c'est inutile et cela prête à confusion. J'avais trouvé dans La Culture des Idées ainsi que dans un papier sur Miomandre la matière de ce billet. Mercie de votre remarque.

Écrit par : solko | dimanche, 13 octobre 2013

Les commentaires sont fermés.