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dimanche, 13 octobre 2013

La princesse et le cabotin

Tout en m’ennuyant copieusement devant la lecture de La Princesse de Clèves par Marcel Bozonnet, hier soir au TNP, je me suis pris à rêver d’une autre mise en plateau qui se déroulerait dans un salon de l’époque, car on sait à présent avec certitude que l’œuvre a été composée en un lieu de ce genre vers 1676. La Rochefoucauld, Segrais et sans doute d’autres y ont participé, ce qui ne compromet en rien la gloire de Mme de la Fayette,  la notion d’auteur étant à cette époque un concept bourgeois peu apprécié de son milieu, et la littérature une pratique des plus mondaines.

 Au lieu de l’interminable soliloque de Bozonnet, j’imaginais donc, pour tenir sur mon siège, plusieurs personnages donnant à entendre ce texte à plusieurs voix. Ils se le raconteraient les uns les autres, comme les devisants de Marguerite de Navarre, et  feraient de nous des voyeurs de leur plaisir à le dire. Car là où je rejoins Bozonnet, c’est pour constater que le texte est en effet merveilleux. Un pur joyau de la France monarchique et de la poésie chrétienne. C’est dire la présomption qu’il y a à le lire seul sur un plateau nu, quand tout y réside en la tension permanente entre l’idéal de vertu catholique et la joie déjà libertine de la conversation en salon. Irais-je presque à dire que le lire seul relève du contre-sens ? A mon sens, oui.

Non, cette histoire d’amour, contrairement à ce que semble postuler cette mise en plateau, n’est pas une histoire d’amour comme les autres ; non, contrairement à ce que postule d’ailleurs  l’idéal classique, il n’y a pas un idéal universel de l’homme et de l’amour, et le sentiment est une affaire avant tout culturel. On n’aime plus au XXIe siècle de la même façon qu’au XVII e ou plus encore au XVIe. C’est d’ailleurs ce que postule la lecture très intelligente que Pierre Malandain fit un jour de ce texte étonnant : La Princesse fut pensée comme un personnage de la Cour de Louis XIV, quand le duc de Nemours appartenait encore à celle de Henri II, d’où leur impossible rencontre. La reconstitution d’une époque révolue se donnait alors à lire aux sujets de Louis XIV, comme l’occasion d’une identification critique et la mesure d’un écart. La princesse est donc une action sans maxime. Tout sauf un sentiment : Sur scène, rien de tout cela. Le texte, bien articulé certes, mais plat. Une narration terriblement fossile, parce que sans plus la moindre intériorité révélée dans, par exemple, les si magnifiques monologues du roman et les multiples décrochages énonciatifs qu'ils supposent, ici aplatis.

Il n’y a pas seulement de la présomption à vouloir porter seul un texte pareil et à assumer seul ses différents protagonistes (La Princesse, sa mère, son mari, le duc de Nemours…) habillé en fraise et pourpoint sur scène. Cela relève aussi du cabotinage. Certes, Marcel Bozonnet a du métier, de la technique, et parvient même à laisser transpirer parfois quelque support pour une émotion, ce qui reste la moindre des choses pour un acteur de son expérience. Mais pas assez pour en construire une qui fonde le spectacle. Il se couche parfois sur scène, dans un mimétisme déplacé par rapport à la tonalité générale du spectacle (Nemours à Coulommiers) , puis se relève, animal étrange (il le dit lui-même) « entre le crustacé et le moustique ».  Bien sûr, au dernier mot enfin prononcé, le public applaudit la performance – car c’en est tout de même une – de s’être en quelque sorte avalé tous ces eût et tous ces eussent.  Mais très franchement, que voilà un spectacle inutile ! S’il s’agit d’apprécier la langue, la lecture complète du roman, non coupé de ses digressions dont, très doctement, Bozonnet et son équipe prétendent pouvoir se passer, suffit.

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© Elizabeth Carecchio

Salle Jean Bouise, TNP Villeurbanne, jusqu'au 20 octobre, 20 heures

00:02 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : marcel bozonnet, la princesse de clèves, tnp, théâtre | | |

Commentaires

La princesse et le duc de Nemours, une histoire de "générations" différentes, comme dirait Thibaudet ?

Écrit par : Sophie | dimanche, 13 octobre 2013

Malandain est fait même une question politique ; Louis XIV, en retenant à Versailles les aristocrates, les neutralise. La Princesse incarnerait donc cette noblesse coupée de l'action, tandis que Nemours appartiendrait à l'ancienne cour et à l'aristocratie de la Renaissance et des Valois,encore libre. Il imagine le récit comme une uchronie faisant se rencontrer un personnage du XVIe (temps de l'histoire) et un personnage du XVIIe (temps de la narration). C'est une lecture originale et très intéressante, qui transforme le salon de l'hôtel de Liancourt en lieu de contestation feutrée de Louis XIV

Écrit par : solko | dimanche, 13 octobre 2013

Il n'est point de société sans un clivage gauche droite...

Peux-t-on encore comprendre, aujourd'hui, le clivage de l'ancienne France : le Roi et son peuple, à droite, et l'aristocratie à gauche.

La Princesse est née au coeur des remous "bobos" où se concevait la Franc-maçonnerie.
Mais qui en fera l'analyse ?
Il faudrait, n'est-ce pas Solko, un éditeur de taille...

Écrit par : tamet de Bayle | dimanche, 13 octobre 2013

Un auteur de taille également.

Écrit par : solko | dimanche, 13 octobre 2013

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