Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 19 juin 2017

Les faux savants

Les connaissances en sciences, sciences humaines, politiques, philosophiques sont utiles pour comprendre les principaux clichés de l’espace-temps dans lequel nous nous trouvons et y survivre tant bien que mal. Elles sont cependant souvent partielles, relatives, pesantes et alourdissent l’esprit, encombrent le corps, égarent l’âme. On n’enseigne pas assez la vigilance à l’égard de ces connaissances sacralisées abusivement dans les écoles où elles sont enseignées. D’où la cuistrerie, le pédantisme, la vanité. Ou, dans un autre ordre d’idée, la nervosité, le stress, le burn-out qui règnent dans ces lieux pourtant très prisés.

Rechercher des connaissances ésotériques est pire encor. C’est se charger les épaules de savoirs pour lesquels nous ne sommes pas préparés, s’exposer à des rencontres bien souvent aventureuses, tenir des jugements dont les enjeux véritables nous échappent. Cela revient à porter des responsabilités écrasantes et nous expose à payer des dettes qui ne sont pas forcément les nôtres. Au final, les bribes de vérité conceptuelles ou symboliques que nous croirons avoir conquises durant ces recherches, nous devrons toutes les laisser derrière nous.  

Mieux vaut s’en tenir à l’Évangile, qu’on n’en finira jamais de visiter: « Quel profit peut avoir l’homme à gagner l’univers au détriment de son âme ?», interroge le Christ (Marc, 8 -36). Entendue d‘une oreille, la phrase peut sembler creuse et ressassée, comme un énoncé du Petit Prince. Arrêtons-nous et creusons, justement ; s’y énonce autant la vanité de la recherche spatiale (remise au gout de l’hexagone par Thomas Pesquet), que celle du Grand Architecte de l’Univers et autre maître des Horloges (remise au gout du jour par le président new age Macron). Les deux, précisément, se sont congratulés ce matin, au salon du Bourget. On voit à leurs regards pétillants qu'ils sont contents d'eux-mêmes et de ce qu'ils savent. Mais qu'ont-ils appris? 

cover-r4x3w1000-5947afc7ac815-000-pp2uf.jpg

Quel profit, vraiment ? Il est beaucoup plus difficile qu’on ne le croit de comprendre ce que signifie « au détriment de notre âme » Sans doute n’est-ce vraiment possible qu’en prière, lorsqu’une véritable hiérarchie des valeurs nous est restituée. Nous comprenons alors ce que nous avons besoin de comprendre, avec les ressources qui nous sont adaptées et sans que nous ayons besoin de rechercher plus loin la moindre connaissance, la moindre conquête...

14:45 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : macron, évangile, le bourget, pesquet | | |

samedi, 22 avril 2017

Elections : Ecce Homo

Leur Constitution appelle donc tous les Français aux urnes demain.

Une première chose à faire est de se demander dans quelle estime on tient soi-même cette constitution qui, après le Référendum de 1962, institua le suffrage universel.  Ce dernier est une belle idée en apparence. Il donne à chacun / chacune la liberté de choisir son candidat. Ce qui permet, par un tour de passe-passe qu’on appelle démocratique, de laisser croire que « le peuple est souverain », ce qui est bien souvent discutable et permet à petite oligarchie d’arracher ainsi son consentement pour mieux régner sur lui.

Le Christ Lui-même consentit à révéler aux hommes le paradoxe de toute royauté artificielle, au cours d’un épisode terrifiant : alors qu’il a toujours refusé le titre de roi terrestre qu’on voulut lui donner, au point de fuir à maintes reprises l’empressement des foules, Jésus est présenté à Pilate après la flagellation, revêtu d’attributs royaux dérisoires : la couronne d’épines et le manteau de pourpre, dont les soldats l’ont ironiquement paré.

Ecce_Homo.jpg

 Si l’on considère bien qu’il ne fait rien [étant le Verbe  –   c’est à dire la connaissance que le Père a de Lui-même] qui échappe à Sa volonté,  Il nous montre ainsi à quel point, du point de vue de Dieu, toute domination décidée en réalité contre Lui, tout régime politique terrestre, toute église, tout empire auto-proclamés au nom de principes souverains qui ne seraient pas l’application stricte de son Évangile, peuvent en réalité être détournés jusqu’à consacrer un roi aussi carnavalesque que ridicule, du point de vue du peuple contraint de le respecter. La seule royauté, celle de la Charité, se conquierant en effet par la Croix, le seul Elu (oint) véritable, c'est le Christ.

Si, malgré les efforts de quelques saints, papes et rois ont en partie échoué par orgueil et luxure à gouverner les peuples dans un esprit purement évangélique, on peut légitimement se demander si le suffrage universel, qui fait mine d’aller dans le sens de la fraternité mais, en réalité, la parodie pour mieux la détourner, n’est pas la forme la plus aboutie de la perversion du Bien par le Mal. Car une élection aboutissant au gouvernement d’un pitre contraint de devenir bourreau s’il ne veut pas être sacrifié lui-même ne pêche-t-elle pas contre l’Intelligence ?  Et, pour aller au bout du raisonnement, contre le Verbe, c’est à dire contre le Fils Lui-même, qui ne se sera jamais autant abaissé par amour des hommes que dans cet épisode exceptionnel de l’Ecce homo.

La royauté céleste, en effet, avant de commencer son chemin de croix, y débusque la vanité, la fausseté et pour tout dire le ridicule de toutes les aliénations politiques, judiciaires ou religieuses terrestres entreprises par l’homme contre l’homme, dans l’ignorance ou le mépris de la Justice et de la Charité... De péchés contre le Père en péchés contre le Fils et le prochain, l'humanité est décidément fort pécheresse et semble même n’être capable de progresser que dans le mal.

Revenons à la Constitution : Quel que soit votre candidat demain, il (ou elle) ne sera que celui ou celle que vous jugerez le moins bouffon des onze.  On s’en console, me direz-vous, en se disant que son règne, au contraire de celui de Dieu « qui n’aura pas de fin » sera lui, fort heureusement, éphémère.  La royauté du Christ, si vous êtes chrétien, est pour vous une royauté céleste. A l’heure du choix (ou du non choix) il faudra vous souvenir que le seul péché qui ne nous sera pas pardonné, ni dans ce monde ni dans l'autre, sera, dit le Christ, celui contre l’Esprit Saint.

12:27 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : élections, suffrage universel, christ, évangile, république, royauté | | |

mardi, 22 décembre 2015

Thomas

Avec Thomas a débuté l’hiver,

Saint Thomas qui, ne pouvant croire en entendant,

Fut sommé, charmé, de croire en voyant,

Voyageur intégral nous souffle sa Légende.

 

Dans l’église où l’on attend Noël

Furent hier sa fête, sa messe, sa préface,

Et les jours vont pouvoir s’étendre et croître de nouveau,

Lui dont le nom signifie  « abîme » ou « séparation ».

 

Les jours vont s’étendre et nous finirons bien, nous aussi,

Par laisser là nos doutes tout en boule sur un rocher,

Nous finirons bien par abandonner le péché

Pour sortir de l’abîme et de la séparation

 

Pour marcher sur ses pas vers l’Orient de chaos,

Jusqu’à l’été brûlant vers quelle Inde à rebours,

Païenne aux dieux têtus à renverser sans cesse

Et qui sait quel destin au terme nous attend ?

 

« Va en toute sécurité  Car je serai ton gardien »

Lui promit le Christ alors qu’il se mettait en route

Pour chasser le démon, tapi dans des images.

« Mon Seigneur, lui dit-il, mon Seigneur et mon Dieu »

 thomas,solstice d'hiver,noël,foi,

Thomas vu par le Caravage

jeudi, 26 novembre 2015

Être français

Il fallait s’y attendre : après « les attentats », le tricolore et l’hymne national reprennent du poil de la bête, surtout chez ceux qui depuis des années se revendiquent citoyens du monde et vous traiteraient presque de fasciste si vous affichez une préférence trop marquée pour votre propre pays, sa langue, sa culture, sa religion. Mark Zuckerberg, qui n’est pourtant guère français, a initié ce mouvement avec son filtre tricolore que des milliers voire des millions de gens ont adopté sur le coup de l’émotion. Brandir le drapeau français aujourd’hui, c’est donc un peu comme brandir en 2001 le drapeau américain, c’est s’afficher solidaire d’on ne sait trop quelle indignation mondialisée contre des « terroristes » qu'on craint de nommer, et se revendiquer de la plus élémentaire humanité.

Ce raccourci permit à Hollande, habitué des phrases qui ne veulent rien dire en apparence mais relèvent toujours de la même propagande simpliste pour un monde globalisé, d’affirmer ceci à la tribune de l’ONU : « s’attaquer à la France, c’est s’attaquer au monde ». Élément de langage parmi tant d’autres, remake étrange cependant d’une phrase similaire datée de janvier : «S’attaquer aux Juifs, c’est s’attaquer à la République. » Pour ce type qui tient lieu de président, les Français seraient-ils au monde ce que les Juifs sont à la République ? Appelons cela une minorité symbolique ?

Une phrase de Juppé, sur son blog provincial a attiré mon attention. Nul n’ignore plus que le septuagénaire brigue la succession de Hollande. «  Rien n’interdit de travailler en même temps à la réconciliation des Syriens, qui passera par un changement d’équipe à Damas. », explique-t-il, après avoir laissé entendre que se débarrasser de Daech serait un jeu d’enfant. Un changement d’équipe à Damas ?  Réconcilier les Syriens d'un coup de baguette magique ? Ou de Déclaration des droits de l'homme ? Élisons-nous les membres du conseil d’administration de la vaste entreprise mondiale ou, plus prosaïquement, un simple gouvernant français ? Qu’est-ce que la France pour lui, sinon un strapontin lui permettant de prendre place au G 20 et de jouer sa partition personnelle dans les réunions internationales de ces prochaines années ?

Juppé, fan de coaching à l’américaine appelle dorénavant équipe un gouvernement et  parle fort diplomatiquement d’un président étranger (Bachar-el Assad) comme d’un joueur de foot qu’il faudrait remplacer avant le commencement d’une nouvelle mi-temps. Qu’ils aient nom Sarkozy, Hollande, Valls ou Juppé, l’hubris de ces gens se révèle sans limites. Et, malgré tout le respect que je dois à « un homme d’état de dimension internationale » comme des gens de gauche qui étaient prêts à aller voter pour lui à la primaire des Républicains le bramaient un peu partout, j’ai l’impression de mieux connaître la Syrie que lui. Ces gens sont décidément des fous dont on se demande s’ils sont encore connectés à la réalité du pays, c'est-à-dire, excusez-moi l’expression, s’ils sont encore français ?

Être français… Récemment, j’ai trouvé ce titre sur la page d’actualités de Google, qu’en un autre temps on aurait cru tiré d’un cadavre exquis surréaliste : « une famille syrienne porte plainte contre un jihadiste français qui a tué leur enfant» Jihadiste français, cela relève pour moi de l’oxymore, voire de l’insulte. L’oreille s’habitue pourtant à entendre un tel non-sens, pas seulement la nôtre, mais celle de tous les apatrides de ce monde globalisé dans lequel les Obama, Merkel, Hollande, Cameron et autres Juncker rêvent de laisser le souvenir de leur nom, au prix de contorsions aussi inouïes que scandaleuses. Être français, dans leur monde, cela ne veut plus rien dire, et je me sens dorénavant presque un étranger lorsque j'assure à mes étudiants qu’on ne saurait se revendiquer de la France quand on n’a lu ni La Fontaine, ni Chateaubriand, ni Flaubert, ni même Homère ni surtout par ces temps troubles la Bible, les quatre évangiles compris, bien entendu…

Mark Zuckerberg,drapeau français,marseillasie,hymne national,onu,juppé,daech,damas,syrie,bachar-el-assad,bible,évangile

en sortant de l'école... (ce à quoi Prévert n'avait pas pensé)

Lire ICI & ICI les billets de Ph Nauher et Bertrand Redonnet sur le sujet

mardi, 13 octobre 2015

Neque ex voluntate carnis neque ex voluntate viri

Dans son explication de l’oraison de quiétude, Thérèse d’Avila préconise « de ne pas se préoccuper de l’entendement, qui n’est qu’un importun à la recherche de grandes pensées ».  La phrase d’abord me fit rire, car s’y résument bien la malice et la présomption humaine à l’œuvre dans beaucoup de travaux de l’esprit, puis je me demandai quelles grandes pensées l’entendement de mes contemporains, plus préoccupés de réaliser de grands meurtres ou de grands profits que de grandes oraisons, pouvait bien encore générer. Et moi-même ? Qu’ai-je de grand dans l’entendement, tout pollué qu’il est malgré le grand soin que je prends à les éviter, par les préjugés ou les certitudes de l’époque, tout alourdi qu’il se trouve par des contradictions insurmontables, des paradoxes infranchissables ? Et puis, parvenu au bord du second millénaire, quel grand mystère l’entendement humain, sur un plan individuel ou collectif, croit-il encore être à même de percer ? 7 milliards à brasser du vent sur une planète au bord de l’asphyxie, à survivre dans des fables existentielles dignes de piètres héros de polars ou de bandes dessinées…

Il n’empêche que cet importun, comme le souligne facétieusement Thérèse, dès lors qu’on tente de lui échapper un bref instant, fait grand cas de cette volonté d’en finir, en effet, s’agite en tous sens, et, faute de grandes pensées, engendre un grand trouble.

La patronne du Carmel Réformé conseille tout autant de laisser la mémoire s’agiter dans son coin sans davantage la suivre à la trace: dans l’oraison de quiétude, seule la volonté doit demeurer vive à la conscience, telle une étincelle, la volonté indéfectible de s’unir à Dieu. Voilà diront beaucoup de contradicteurs en souriant un projet bien désuet ! Dieu ?

J’ai à ce propos recueilli cet après-midi dans le prologue de l’Evangile selon Jean une remarque capitale à propos de ceux qui croient en Son nom, et « qui non ex sanguinibus neque ex voluntate carnis neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt » (« qui ne sont nés ni du sang, ni d’un vouloir charnel, ni d’un vouloir humain, mais de Dieu lui-même »). Car sauf le respect que je dois à mes deux parents, je ne suis jamais tout à fait parvenu à croire que je n’étais né que d’eux-mêmes, de leur choix, de leur volonté, de leur esprit, de leur matière ou de leur décision, ce qui a toujours laissé pénétrer dans l’antichambre de mon intelligence une certaine lueur d’espoir quant à la nature véritable de mon être spirituel ; une faille, somme toute, dans l’orgueil de l’espèce qui se veut seule pourvoyeuse de ses gènes.  Cela dit en toute véritable humilité : car on ne peut être humble que devant le Très-Grand, puisque ailleurs, paraît-il, nous sommes malgré nos distinctions tous égaux.

La nécessité de cette lueur d’espoir, de cette faille, de cette fêlure, donc, me fait tenir ce despotique droit à l’enfant revendiqué de plus en plus par tout un chacun dépendant de la loi commune (droit de procréer,  même combat que le droit de vote ? ) pour une ignominie qui masque son véritable visage contre les gens à naître. C’est le triomphe de la voluntate carnis etde la voluntate viri en lieu et place de celle de Dieu, ou même de l’amour. Et j’y lis un des derniers soupiraux qui se referme sur la conscience humaine de ces petits à naître, jusqu’à les emprisonner dans cet humain forever jusqu’à clore le couvercle dans une malédiction satanique et sans borne. Mais revenons à Thérèse.

J’ai commencé depuis un bon moment la lecture de sa « Vie écrite par elle-même ». J’y avance à grand peine, car Thérèse, ce n’est ni Leiris ni Rousseau. Sa matière est exclusivement intérieure et l’on ne cesse, du coup, de s’en échapper pour peu que l’esprit ne s’accroche à chaque mot. Ainsi cette phrase, relevée parmi d’autres, à propos de la conscience des conséquences du péché que la sainte rencontra tandis qu’elle atteignait un troisième degré dans l’oraison : « Quand donc, ô mon Dieu, les puissances de mon âme seront-elles unies entre elles pour célébrer toutes ensemble vos grandeurs ? quand donc mon âme cessera-t-elle d’être ainsi partagée sans pouvoir être maîtresse d’elle-même ? »

Ce désir d’unité ainsi soufflé à l’oreille, on reste rêveur, songeur, on pose le livre, on devient facilement méditatif soi-même, à contempler ses propres écartèlements… La plume de Thérèse pousse sans ménagement son lecteur au recueillement, comme un chant venu du dedans, mais sans les boursouflements fumeux du lyrisme romantique ni les à-coups secs du raisonneur empreint de sa logique.

En ce sens, elle est parfaitement désorientante, surtout pour l’époque dont le credo totalitaire dans la machinerie du corps se méfie des volutes de l’esprit et se garde bien d’évoquer les plus subtils encore chatoiements de l’âme. Qu’on puisse consacrer sa vie à « trouver un amour de Dieu dégagé de tout intérêt personnel » est quelque chose qui échappe aussi bien aux sophismes des incrédules qu’aux objurgations des fanatiques. Pourtant, lorsqu’elle dépeint « le peu d’estime que mérite une comédie aussi mal jouée que celle de la vie présente », ne parle-t-elle pas pleinement de notre monde ? La prose de Thérèse est telle une oasis qu’on ressent dans l’intimité vive de soi, et tout en même temps une caresse perdue ou oubliée surgie d’un temps lointain et presque incompréhensible. Elle relate les degrés d’une oraison comme projetée du dehors et du dedans sur un même écran : d’où le charme opérant et toujours difficile de cette lecture. 

thérèse d'avila,carmel,vie écrite par elle-même,saint-jean,évangile,littérature,autobiographie,religion,christianisme,

Les remparts d'Avila

vendredi, 18 septembre 2015

La dernière heure

La nuit tombant, je me dirigeai à pas lents vers l’église. J’avais un peu d’avance. Je décidai de humer l’air un bref instant, le bon air humide et frais d'un jeudi de septembre. Dans cette rue déserte, je me trouvai bientôt nez à nez avec une vieille connaissance avec laquelle je militais dans une association naguère, pour la sauvegarde du patrimoine ouvrier de cette ville. Nous en vînmes assez vite à nous entretenir de nos cheminements respectifs depuis cette époque, et lui, qui avant de rejoindre le parti communiste servit la messe au cardinal Gerlier en tant qu’enfant de chœur, évoqua je ne sais pourquoi cette parabole des ouvriers de la dernière heure, chez Matthieu. En tant que syndicaliste, il trouvait ce propos incompréhensible,  puisqu’il conseillait assez injustement d’attribuer le même salaire à des gens qui auraient produit un travail d’inégale durée. L’Église l’interprète en rappelant que Dieu offrira le même salaire à ceux qui sont venus à Lui, qu’ils soient Juifs des tous premiers temps, ou bien Gentils de la dernière heure. Nous nous quittâmes, tandis que les branches des arbres au-dessus de nous continuaient de céder au vent pourtant léger des feuilles mi sèches et depuis longtemps par lui malmenées, qui filaient ensuite par grappes le long des caniveaux. Je poussai la porte entrebâillée, et traversai la nef obscure jusqu’à la chapelle de la Vierge où se tenait l’adoration.

Le pays a beau semblé partir à la vau-l’eau entre les mains de ceux qui le gouvernent, le doux Christ y loge encore, silencieux, dans tous les tabernacles de ses églises. La densité du silence du Christ m’impressionne de plus en plus, tant depuis deux mille ans qu’Il est ressuscité, il se maintient ainsi présent au cœur du monde et en retrait de lui, en cette hostie distribuée incessamment depuis à des milliards de Fidèles, morts et vivants. La clé de son action demeure ainsi autant opérante qu’invisible, au risque peut-être de l’oubli d’un peuple négligent ou endoctriné ailleurs. Léon Bloy remarqua quelque part dans son Journal qu’on ne peut continuer à se plaindre du déclin de l’Occident et se refuser au geste fondateur de la Chrétienté, qui est précisément celui de l’Eucharistie, dont écrivit pour sa part Jean Paul II «les générations chrétiennes ont vécu au long des siècles. » (1)  Et c’est bien vrai que cet Occident qui s’effrite sous nos yeux est celui de l’apostasie de nombreux baptisés inconscients des enjeux religieux qui se trament, et que si ses habitants avaient été plus fidèles à la communion, la décomposition atroce qui le guette et que semblent appeler de leurs vœux nos infâmes dirigeants n’aurait pu advenir. 

Devant moins de fidèles que deux mains n’ont de doigts, deux prêtres préparaient l’autel pour y déposer le Saint-Sacrement. Après une brève lecture, débuta la méditation de chacun. Il faut véritablement parvenir au vide de tous mots vains pour aborder le silence du Christ. Celui-ci est dense et épais, vraiment, comme une pierre vivante et chaude, et ne se laisse ressentir que dans un recueillement à sa mesure, peu à peu, et pénétrer que pas à pas, tandis que la foi, comme le souligna admirablement Thomas d’Aquin, « prête supplément à la défaillance des sens » (2). C’est alors que se présentèrent à nouveau, mais cette fois-ci comme imagés, les vignerons de la parabole, ceux de la première, de la troisième, de la sixième, et ceux de la dernière heure dont, plus que jamais, au vu du peu d’efforts que je fis dans ma vie pour travailler la vigne du Seigneur, je me sentis parmi tant d’autres faire injustement partie. Certes, en tant que syndicaliste, mon bonhomme avait raison : la parabole paraît injuste, puisqu’elle se propose de donner le même salaire à des ouvriers qui ont produit un travail d’inégale durée. Mais la penser ainsi revient à raisonner comme s’il ne s’agissait que d’une somme finie d’argent, à partager équitablement. Devant la merveille du saint-Sacrement blanchâtre dans la pénombre, et in saecula saeculorum répandu à travers le monde, je comprenais pour la plus grande joie de mon âme que la parabole devait s’entendre sur un autre plan : le salaire versé étant infini, et l’infini ne pouvant se partager [ou alors dans une profusion inimaginable pour nos esprits bornés],chaque ouvrier le reçoit également tout entier, à quelque heure de la journée [ou de l’histoire du monde] qu’il fût arrivé. Pour la plus grande joie de mon âme, dis-je, car je la sentis tressaillir, comme à chaque fois que - dans ce siècle affairé et tout peuplé d'illusoires propos - je la laisse tendre vers le Christ pour lui permettre de saisir une miette infime de la grâce sans limites de son baptême.

 

koninck 01.jpg

 

Salomon Koninck, parabole des ouvriers dans la vigne, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

 (1)                Jean Paul II, (ECCLESIA DE EUCHARISTIA, avril 2003)

(2)                « Praestet fides supplementum, sensuum defectui » (Tantum ergo)

dimanche, 21 juin 2015

Dans les griffes de Satan

On ne croit plus guère à Satan. On a tort. Car les trois tentations qu’il a adressées au Christ dans le désert dit depuis de la Quarantaine, au Nord de Jéricho, (Mathieu – IV, 1-11) sont d’une actualité effrayante.

La première, qui est de changer les pierres en pains, semble ne rien contenir de démoniaque, au contraire. Jésus ayant jeûné quarante jours, ce propos fait mine de s’adresser à sa propre faim, mais de manière plus large, il représente aussi une tentation humaniste et généreuse qui passe même de nos jours pour être hautement morale : se proposer de nourrir tous les hommes, puisqu’on prétend en avoir le pouvoir. Or Jésus la rejette d’un coup, alléguant l’Ecriture : « L’Homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». S’il avait prêté l’oreille à cette tentation, il aurait en effet subordonné sa puissance divine aux besoins matériels humains, sa puissance éternelle aux besoins immédiats des vivants, sa puissance spirituelle à des nécessités économiques, car nourrir les corps est censé n’être que le boulot du politique. On voit ici comme Satan tente de pervertir la mission même du Christ, en lui proposant de définir son action au sein du champ borné de ce qu’on appelle aujourd’hui l’humanisme, voire l’humanitaire, lequel occupe pourtant beaucoup de belles âmes

Mais le Christ lui rappelle que la source de toute nourriture authentique demeure, selon l’Ecriture, la Parole, qui incarne face aux propositions du diable le seul réconfort, le seul véritable pain spirituel ; lequel préfigure d’une certaine façon l’hostie. Par ce refus très net, Satan, qui tentait d’arracher le pain spirituel des générations futures à Celui venu le leur apporter, est une première fois vaincu, et le Sauveur pose la première pierre de son magistère divin.

La deuxième tentation vise à fixer des limites politiques et religieuses à ce magistère : « Jetez-vous en bas [du pinacle du temple de Jérusalem], car il est écrit : Il donnera pour vous des ordres à ses anges, et ils vous prendront sur leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre une pierre. »  Par un aussi éclatant prodige, le Christ aurait été immédiatement reconnu par les Juifs comme le Messie qu’ils attendaient (attendent encore ?). Ceint de l’épée ce dernier devrait abattre toute puissance rivale et faire régner sur la terre de Juda une abondance matérielle et charnelle sans égale, instaurant ainsi la Jérusalem terrestre. En repoussant un tel projet (on dirait aujourd’hui un tel story-telling présent dans tous les programmes électoraux), le Christ heurte tous les préjugés des Juifs, qu’ils soient Pharisiens ou Sadducéens, et soulèvera toute leur haine. Il ne sera pas tel jadis David ou tel plus tard Mahomet un prince conquérant, car le propre fils de Dieu ne tente pas en vain son Père. Le miracle chrétien est celui de l’Incarnation, pas celui de la conquête ; il tient dans la raison, et pas dans le spectaculaire.

Avec sa troisième tentation, Satan se découvre totalement. Puisque le Christ refuse de tenter Dieu, le diable se propose de lui offrir lui-même le règne sur le monde terrestre : « Je vous donnerai tout cela si, tombant à mes pieds, vous vous prosternez devant moi ». C’est la proposition adressée jadis à Eve puis, par son intermédiaire, à Adam : « Vous serez comme des dieux ». On peut dire sans rire que c’était bien tenté, puisque d’Adam à Faust, tous les hommes marqués par le péché originel ne peuvent – à moins de sainteté - que céder à cela. Or Jésus n’est-il pas un homme ? La stratégie de Satan se découvre ainsi d’une nature, il est vrai, guère originale. Mais le démon se découvre surtout d’une nature qu'on dira soit ignorante (du fait que ce fils de l’homme auquel il s'adresse cette fois est aussi le propre Fils de Dieu, venu précisément contrer ses projets sur les hommes), soit naïve (car comment penser que le Fils de Dieu accepterait de lui ce qu’il vient de refuser de son Père ?).

Et c’est à ce moment-là que le Christ-Roi se découvre, le tutoyant et, pour la première fois, lui donnant un ordre : « Retire-toi », ce qu’il ne peut que faire aussitôt. D’un point de vue théologique, les trois tentations étaient inutiles devant le Fils de Dieu et elles n’auront servi qu’à démasquer en le ridiculisant l’Ange déchu, pour l’édification morale et spirituelle des hommes. A la fin du récit de Mathieu, on voit ces mêmes anges, qui avaient fermé sur lui les portes du Ciel, les rouvrir aussitôt, devant Celui qui vient de le vaincre.

Mais, et c’est alors que commence la Passion du Christ, les hommes, eux, n’ont pas vaincu Satan, loin de là. Et le Christ devra endurer – prendre sur Lui – leurs péchés, traverser leur mort et contredire son action maléfique jusque dans les conséquences du péché Originel. Mourir sur la Croix. Là se découvrent les preuves de sa Royauté divine sur le simple chef humain qu’il serait devenu s’il avait suivi les projets diaboliques proposés par le cornu : céder au pragmatisme de l’humanisme, céder à l’intimidation du spectaculaire, et au programme du faux messianisme religieux. Jésus ne sera pas, comme Krisna ou Mahomet, un simple chef de guerre ni un simple chef religieux, ni comme Bouddha, Socrate ou Lao Tseu, un simple éveillé ou un simple philosophe. Une Royauté divine qui, depuis 2000 ans, aura agacé et continue d'énerver beaucoup de gens, athées mais le plus souvent croyants.

Car ce qu'on apprend en lisant saint Mathieu, c'est que la contemporanéité véritable de Satan avec le XXIe siècle ne réside pas dans les rituels de gothiques originaux qui auraient vu trop de films gore dans leur enfance, ni dans les faits divers épouvantables dont la presse aime nous abreuver, crimes de masse et attentats sanglants. Elle réside au cœur des projets même que Satan proposa au Christ et que la Divinité de ce dernier rejeta sans ambages : le pragmatisme humanitaire, le story-telling politique, le faux messianisme religieux. Notre monde qui fête en ce premier jour de l’Eté 2015 sa musique en toute ingénuité est bel et bien pris dans les griffes de Satan. Et la juste compréhension par le plus grand nombre de la Divinité Incarnée du Christ se révèle, plus qu'en aucun autre temps d'obscurantisme, d’actualité. Sans doute est-ce pour la contrer que les ennemis du Christ n'ont jamais été si divers et si nombreux. 

satan,christianisme,Christ,Adam,Faust,tentation,Mathieu,évangile,humanisme,

 

Duccio di Buoninsegna. Maestà.

Tentation du Christ sur la montagne. c. 1308-1311. Frick Collection, New York, USA.

 

dimanche, 31 mars 2013

La peur et l'étonnement

Quoi de plus lyrique, quoi de plus rationnel également, que cette découverte du tombeau vide, tel que le texte de Luc le relate ? Les femmes, tout d’abord, le découvrent. Elles sont perplexes, puis saisies d’effroi. Exhortées par les anges qui apparaissent, elles se souviennent alors des paroles du Christ : « il faut que le Fils de l’Homme se relève de la mort le troisième jour ». Elles se souviennent de ces paroles et elles sont rassurées.

Alors elles vont voir les apôtres.

Les Onze qu’elles rencontrent pensent qu’elles radotent. Ils sont incrédules. Peut-être même moqueurs. Pierre se rend à son tour au tombeau et le découvre vide : il en revient étonné.

En quelques lignes, les sentiments humains fondamentaux sont ainsi égrenés.

Devant l’inconnu, la perplexité.

Devant l’effroi, le souvenir, le recours à la parole, l'amour.

Devant l’irrationnel, la moquerie.

Devant l’incompréhensible, l’étonnement.

Ce récit, indépendamment de ce qu’il conte, ordonne les instants de la vie intérieure, en en fixant les seuils et les passages de l’un à l’autre. C’est pour cela qu’il est un acte de raison. En son centre, un grand absent, celui qui, métonymiquement, n’a laissé que des « linges » et qui, à partir de ce jour, parce qu’il devient vraiment un mystère, domine la scène en devenant le grand présent.

520px-Resurrection_of_Christ_and_Women_at_the_Tomb_by_Fra_Angelico_(San_Marco_cell_8).jpg

Fra Angelico, La Résurrection du Christ 

(couvent de San Marco, Florence.)