samedi, 11 août 2012
16 & 16 = 32
Emplir presque à ras de café noir un bol tout blanc
Sans savoir si on l’engloutira tout entier
Puis des murmures familiers : tu ne vas pas dormir ce soir
Leur opposer qu’avec ce bol s’apprête à l’envol
Sa propre plume sur quelque feuille blanche
Car le vol de la nuit qui débute
Se soucie comme d’une guigne des tableaux où s’affichent
En linéales rouges telle ou telle capitale
Non, ignorance même de ce que je veux dire
Ni peux lire en cette mare ronde de café
Qui a quelque chose à dire né dans ce fief sans relief
Juste envie d’essayer tel Michel en sa librairie
La jeunesse instantanée demeure le privilège de l’écrivain
Pharmacopée de son imaginaire
Tirant pied de nez à tous les dogmes
Tout comme la première fois
De laquelle toi parles-tu il y en eut tant
Première fois que tu perçus la lenteur en parfum de la Saône
Que le jus de pêche engloutie à l’arbre s’égoutta à ton palais
Que malgré le midi vif le soleil cessa de t’éblouir -oh c’est toujours
La première fois quand tu l'écris tel ce legs
« O mon crâne étoile de nacre qui s’étiole »
Et comme elle ou comme lui tu souris sûr que Saussure
Aima Rrose Sélavy le pauvre Lelian et son impair aussi
Qui s’éteignit au 39 rue Descartes chez une ouvrière de la Belle
Jardinière non loin de la cloche de la Sorbonne ce bol
Fol « Qui toujours à neuf heures sonne
Le salut que l'ange prédit»
Un adieu digne de François dont le lent Lais clamait déjà
Ce qu’aucun né d’ensuite ne parvint à mieux clamer
Qu'assigner sens au dire n’est guère plus sain qu’y mettre fin
Ce dont nous sommes malades autant que vierges et heureux
22:19 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : verlaine, villon, desnos, rrose sélavy, poésie, littérature |
mardi, 07 août 2012
Garder le frais
Dans les fermes du Beaujolais, il y avait toujours une pièce close. Les meubles des beaux parents s’y recueillaient tout l’an, de nombreux bibelots aussi, des tapis, des tableaux. Dans le reste de la demeure vaquaient les vivants. La maîtresse de la maisonnée, dans un haussement d’épaules, veillait non loin de la porte à ce que personne n’y entrât, surtout pas les gosses ni les chats. Il fallait, disait-elle, « garder le frais ». : L’expression m’est restée.
Nous vivons un été clément. Les séquences anticycloniques, comme grimacent les godillots de la météo, ont été suffisamment réduites pour que nos nuits d’été ne perdent pas leur fraîcheur essentielle. C’est quand le soleil dérobe aussi la nuit que les organismes demeurent démunis, interloqués, suffoquants. C’est alors qu’il faut garder le frais.
Tout comme garder le silence, ou garder la forme, garder le frais nécessite un réel entraînement. C’est presque un effort, un art. Par temps caniculaire, je songe toujours à la science domestique des fermières du Beaujolais.
Pour garder le frais, il faut tout d’abord être matinal. Quatre heures du matin, toutes fenêtres ouvertes afin de susciter le plus grand nombre de courants d’air. Parfois, l’air ne veut pas, opaque et statique. Le plus souvent, à cette heure, il consent. Chaque pièce de la maison s’emplit alors d’un baume, d’une respiration. Vers sept heures, il faut tout refermer. On peut alors se recoucher.
Pour bien garder le frais, il faut de fermes volets et de lourdes tentures. La fraîcheur et la pénombre sont deux jumelles, parfums qui n’investissent la maison que si on les y invite. Il faut éviter tout instrument électrique. Pour débusquer le chaud, on peut arroser d’eau fraiche les carreaux. Le carreau retient ce qu’on lui donne.
Après, c’est une question de mouvement. Eviter de trop remuer, de trop parler, de trop respirer : le mouvement cuit. Retenir son souffle, comme dans le mutisme des profondeurs sous-marines. Le battement de jambes des plongeurs, tel celui d’un cil, qu’à cela soit réduit tout remuement.
On comprend pourquoi les vigilantes fermières du Beaujolais veillaient si vaillamment : c’est le vivant qui chauffe et recuit, pour garder le frais il faut le bannir des lieux. Nous manquons d’espace, tous, pour garder vraiment le frais. Dans une maison à ma guise, il faudrait une pièce pour le frais, une autre pour le silence, une troisième pour le parfum. Et le reste pour nous tous.
Jacques Barçat, Alice cousant
18:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature, poésie, lyon, france |
mercredi, 11 juillet 2012
La promesse de l'aube
La perfection n’est pas d’ce monde : ainsi s’exprime le bon sens des vieux. Le parfait, l’accompli, c’est pourtant ce vers quoi nous aspirons tous dans la fraîcheur, le silence, la contemplation ravie, la promesse de l’aube. La pulsation parfaite nous maintient ensuite à travers tous les désagréments de chaque jour.
Toute journée qui se déroule n’est que la réduction progressive des virtualités offerte par chaque aube. Les pêcheurs le savent mieux que quiconque, dont les pas solitaires et bottés frappent les premières minutes de chacune, à l’instant qu’ils s’éloignent des demeures pour gagner sans bruit les berges des torrents.
Sur les places, le soir, hommes et femmes s’amassent et boivent. La chaleur restreinte du jour les a cuits, ils ne sont plus que vide. Dans la démence de l’alcool ou du rut, leurs cris cherchent de l’absolu, comme si c’était matière. Mais ils ne trouvent que nuit.
L’aube reviendra. Un chat errant le pressent sur les toits, le corps tendu vers cette lueur qu’une lune moqueuse – oui, c’est bien l’astre travesti par excellence – lui renvoie lorsqu’il galope sur les toits.
06:58 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, poésie, aube |
lundi, 02 avril 2012
Aube d'avril sur la ville
06:08 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : aube, poésie, littérature, ville |
mardi, 14 février 2012
Etre à la glace
Solidité trompeuse de cette glace qui, au moindre redoux, fuitera. Dureté fausse. La pierre, elle, demeurera, qui n’est prise dans d’autre rétraction que la sienne. Fidèle à sa matière, pas à l’instant. Porteuse de jours anciens et de morts passés. Illusion de cette glace, qui feint de prendre mais se retirera tantôt.
fontaine Bartholdi, Lyon
Demeurer de glace, à fixer le monde et sa dureté, yeux dans les yeux. Privilège de la blancheur et de la solitude. Littré dit que la glace est le froid intérieur causé par des impressions morales, par l'äge. Qu'entend-il exactement par impressions morales ? Etre à la glace, disait-on jadis, et non pas de glace, pour exprimer cette insensibilité feinte avec résolutiuon et maladresse. Pour un coeur sensible, l'insensibilité qui est son contraire peut-elle être autrement que feinte ? Un coeur sensible se protège avec cette matière qu'il a appris à secrèter avec le temps : la glace, dont s'enrobe sa nudité aussi blessante que blessée.
On dit aussi rompre la glace, lorsque l'estime, la sympathie, l'amour s'écoulent à nouveau.
Mais on ne peut feindre ni fondre la pierre. La pierre, tout ce qu'on peut faire d'elle, c'est la sculpter. Ce n'est déjà pas si mal. L'hiver, l'eau eternellement frimeuse, s'accroche à la pierre et joue la forme. Mais elle ment, nul n'est dupe. La pierre et la glace, tout comme la pierre et la chair, n'ont jamais la même chance.
11:46 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : fontaine bartholdi, être à la glace, de glace, littérature, poésie |
mardi, 27 décembre 2011
L'huis de l'huitre
« Loin de la mer, je n’ai pas envie d’huitres. C’est comme ça. ! »
Si c’est comme ça, se dit-on, mieux vaut ne pas en discuter. En même temps le contraire pourrait aussi fonctionner très bien. Pour ma part, je n’ai jamais tant avalé d’huitres qu’une certaine année à Paris, alors que je n’avais pas quitté la capitale depuis je ne sais plus combien de temps, et qu’à chaque mollusque avalé c’est l’Atlantique tout entier qui me coulait en gorge.
La grosse dame véhémente s’en est donc allé loin des bourriches, à pas qui trainent.
J’ai toujours pris Francis Ponge pour un imposteur. On a eu beau m’expliquer son parti pris des choses en long, large, travers, son « monde opiniâtrement clos » qu’on peut « pourtant ouvrir » comme métaphore des étages de la signifiance, du brusque dévoilement, etc, etc… Ponge m’est toujours tombé des mains, comme tout ce qui se la joue trop simple pour faire en fin de compte très compliqué.
Je préfère dans Le Rat et l’Huitre, celle, épanouie de La Fontaine. Au moins trouve-t-on là un parti pris affirmé, celui du personnage. Celui de la musique, aussi : Quand je lis « Il laisse là le champ, le grain, et la javelle, Va courir le pays, abandonne son trou. », je me dis que toutes les syllabes d’avant la dernière ont été choisies pour mettre en valeur ce trou paternel trop brutalement abandonné, pas le moindre ou et pas le moindre t avant, avez-vous remarqué ?
Quant à cet autre alexandrin qui dit la marche faussement précautionneuse du Rat vers le piège de l’Huitre : « approche de l’écaille, allonge un peu le cou », il contient juste ce qu’il faut d’insouciance et de fatalité pour être à la fois drôle et tragique, héroï-comique disait-on. Grand art.
Tristan Bernard a défini le comble de l’optimisme dans le fait « de rentrer dans un grand restaurant et de compter sur la perle qu’on trouvera dans l’huître pour payer l’addition. » Est-ce tant que ça le « comble de l’optimisme »? J’y verrais plutôt un art extrême de tenter de sort, ou de se mettre dans des situations difficiles, un art qui est le propre des aventuriers. Nous entrons dans quelques journées dans une année électorale : « compter sur la perle qu’ils trouveront dans l’huître pour payer l’addition », n’est-ce pas un peu tout ce que les candidats venus et à venir vont tenter de faire? A nous de ne pas trop jouer les rats…
Jan Steen - La mangeuse d'huitres
00:32 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jan steen, francis ponge, la fontaine, littérature, poésie, huitre |
lundi, 19 septembre 2011
L'insomnie d'un inconnu
Tu ne dors pas, tu gis, veillant sur ta souffrance
Laquelle, en ton sommeil, pourrait percer ton cœur
Sans ta garde effrayée –crois-tu -, dans le silence,
Du dédain de la ville et du nœud de ta peur.
« Est-ce ton corps qui lutte, ou ton esprit qui songe
Cette perte de toi dans un souffle qu'on tord ? »
Admettent l’un et l’autre, en ce mal qui te ronge,
Ton corps, ton cœur. Ta chair venue humer la mort,
Ta chair te cuit : dans le grand vide, seule, ainsi
Vint-elle au monde un jour, cicatrice, ô nombril !
De l'étrange début ce même effroi t’endure.
En ton amour-brasier, veilleur inaperçu
Des rêveurs de bûchers, mais qui ne rêvent plus,
S'infuse un chagrin chaud tissé d'un rien qui dure.
R T.Août 2011
06:29 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature, poésie |
lundi, 05 septembre 2011
Jusqu'à Verlaine même
O bruit doux de la pluie,
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s'ennuie,
ô le chant de la pluie...
A chaque fois qu'il pleut (j'entends de cette pluie fine, longue, régulière), ces vers me reviennent en mémoire - et le temps des récitations qui vont avec, celui des saisons, de la permanence, ce lien indéfectible de la parole... J'ai la sensation que dans cet ennui de la pluie il y a tout, tout comme dans la clé qu'on palpe rassuré en sa poche, une simple clé, s'apprécient déjà la porte qui s'ouvre, le corridor et ses parfums, le salon et ses moulures, les bocaux de confiture, etc, etc... Car la bruine de cette strophe et des sons qu'elle fait choir mélodieusement appelle vraiment un mouvement de la pluie qui, certes, séchera mais pour l'instant crépite mezza voce par la fenêtre entrebaillée en direction de ce soi qu'on sait, certes, condamné, mais qui dure et se prolonge pourtant, vers l'intérieur, vers l'immuable de ce son auquel ne se compare vraiment que celui de la vague quand on est allongé au rivage, son qui se fout des hommes et du temps si bien que jusqu'à Verlaine-même la pluie de ce soir peut entraîner mon esprit ( bien au-delà de cette année - celle de mes douze ans je crois où l'on m'a contraint d'apprendre ce poème), et par le biais de Verlaine vers la permanence d'un sweet home véritable fabriqué de sensations multiples et bien nommées, qu'importent les toits successifs et les adresses de passage, vrai soi, ennui, ô le bruit de la pluie...
cha
08:18 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, verlaine, poésie |
samedi, 09 juillet 2011
A la voix de Kathleen Ferrier
Toute douceur toute ironie se rassemblaient
Pour un adieu de cristal et de brume
Les coups profonds du fer faisaient presque silence,
La lumière du glaive s’était voilée
Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite au lointain du chant qui s’est perdu
Comme si au-delà de toute forme pure
Tremblât un autre chant et le seul absolu
O lumière et néant de la lumière ô larmes
Souriantes plus haut que l’angoisse ou l’espoir
O cygne, lieu réel dans l’irréelle eau sombre
O source, quand ce fut profondément le soir !
Il semble que tu connaisses les deux rives,
L’extrême joie et l’extrême douleur.
Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,
Il semble que tu puises de l’éternel.
(Yves Bonnefoy Hier régnant désert, 1958)
Video : Kathleen Ferrier (1912 - 1953), “Che faro senza Eurydice”, Gluck
22:42 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : yves bonnefoy, poésie, littérature, gluck, musique, kathleen ferrier |