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lundi, 06 mai 2013

Suzanne, qui divague...

Marches silencieuses, manifs. Se réunir dans la rue, parce qu’on est pour ou contre une loi, un politicien et sa bande, parce qu’un immeuble s’est effondré ou qu’un gamin en a flingué un autre au lycée. Marcher une heure ou deux, battre le pavé, crier sa colère, son indignation, son deuil, ou juste suivre le troupeau, son père, sa mère, un pote ou un syndicat, blasé.

Longtemps que je ne marche plus.

Si, tout seul. Je regarde les gens de la ville. Pas trop longtemps. Leur fil dans l’oreille, leur amas de silence sur les épaules à eux aussi. Mieux seul. Plus conscient des contours

Je marche seul. Vieille chanson. J’ai toujours marché seul. Les autobus de l’aube, me souviens des trois huit à Neuville sur Saône et à cet hôtel de Montparnasse, il y a bien longtemps. Ouvrier par ci, réceptionniste par là. Nous sommes toujours seuls à marcher, payer. Me souviens des retours. Tu rentres seul. Le soir, les lampadaires s’éclairent.

Cette illusion du groupe. Quelque chose de mortifère, à force d’être rabaché, là-dedans.

Me souviens de la route. Le sac à dos, la gamelle qui pend, les boites de sardines, les relais d’une capitale à l’autre. Une nuit à Saint-Pauli, une autre à Kobenhavn, y’a longtemps. Ça parle qu’à toi, ces vieux trucs, une errance, une quête. « Quand je serai malade, le plus grand des malades, j’irai crever très loin, sur une route et seul », t’écrivais à l’époque. Tu suivais une mode, aussi. Mélange de convention et de vrai désespoir, difficile à savoir, à dix-huit ans. Le monde craque. Y’avait du vrai et du faux dans ta méduse. Quelque chose te guidait dans le timbre de Cohen, quand il chantait Suzanne, l’impression aussi qu’il se foutait de toi, Léonard, et juste gagnait son fric, mieux qu’un tourneur à l’usine, hein.  Les z’artistes. Tellement bidons, les z’artistes ! Toi, tu tournais en rond dans le bocal de la terre, poisson rouge au regard parfaitement rond.  A la fonderie, tu te demandais durant la pause, comment les mecs arrivaient à s’enfiler du café au lait avec du vin rouge à dix heures du matin, nom de Dieu, et après, retournaient aux machines.

Un sens à tout ça ? Y’en a pas, jamais eu, ni à droite ni à gauche, et ceux de gauche mentent plus crus encore, sans Dieu.

Construire du rêve que le temps qui passe à la fois protège et tue. Ton rêve, en tout cas, c’était pas ça, le social qu’ils ont fabriqué, que tu subis comme eux, comme leur merde, dans le bocal. Pas d’intérêt, eux. Leurs carrières minables, c’est tout.

Les marches les plus fécondes, c’est dans les allées des cimetières, où le rêve se fait dense, le but proche, le mystère comme dénoué. Ils sont là, t’attendent, les secrets d’une nuit sans fin.

Et quand tu voudrais lui dire…

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00:39 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie, cohen, suzanne | | |

samedi, 13 avril 2013

Le marteau

Perdu une petite heure en salles des  ventes, hier,

Dans la métaphore baroque du monde,

Tel qu’il se tient, coi sous nos rides.


Les garçons de salle, les commissaires priseurs, les antiquaires et les brocanteurs sont toujours les mêmes,

Même vocabulaire et mêmes protocoles, mêmes lieux et mêmes sièges

Tout juste tous ont-ils pris quelques narquoises semaines :

Ils sont les mêmes mais subrepticement sont devenus un peu autres.

Ils sont en train de passer.


Les objets, eux, issus de nouvelles maisonnées,

Autres lustres, autres  livres, autres meubles, autres toiles mis à la criée,

Vieux et démodés

Trahis par leurs défunts propriétaires :

Ils sont autres mais subrepticement ont l’air d’être un peu les mêmes.

Ils sont en train de rester.


Etrange jeu de possession à chaque coup de marteau :

Etres qui siégent passeront

Objets qui passent demeureront


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11:21 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : salle des ventes, littérature, poésie, lyon | | |

dimanche, 10 mars 2013

Au risque de l'humide

1. C’est un fait avéré qu’à des inconnus, mieux vaut toujours ne confier que le plus rétracté de soi-même, car la méduse ici partout régnante a tôt fait de transformer le beau corps des enfants en oblongues civières, striant de files acérées les corridors carrelés jusqu’aux derniers monticules. Et les socles où bruissent les néons des villes dans le soir, et les vapeurs orangées où nichent ses violentes demeures,  n’ont qu’une allure (jamais très rassurante) de repos.

2. Elle campe dans l’ouragan. Elle virevolte, inassouvie, dans la fournaise de l’ornière, où la poudre est assoiffée. Elle file et l’ocelle de ses yeux, toujours en avance d’une crainte, d’un soupçon ou d’un rire, se saisit de qui lui tourne le dos. Moi, je suis devenu criard pour moi seul, à son contact. C’est par ce cri, évidemment, que me traîne la mort.

3. Regarde : J’ai placé au fond d’un lac le bûcher de mon existence. Malgré ma précaution, des bribes calcinées de charbon s’assoupissent en geignent dans la profondeur des algues brunes. S’assoupit aussitôt,  au centre de l’eau verte, ce qui a trop regardé.

4. Dans la désillusion du trop souffrir, l’humide se retire inexorablement : On ne comprendra qu’au fil des mois, des ans, encore faudra-t-il accepter que la patience y soit à chaque fil écorchée, quelle métamorphose aride dérivera de la minutie de son précautionneux départ. La dislocation de mes failles eut beau donner naissance au rut des torrents qui ont balayé mes rocs, je me souviens de tout : Ce que je protège n’est pas mien dans le rite éconduit. 

 

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R.T. L'humide auteur, extrait

23:13 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, humide auteur, littérature | | |

samedi, 23 février 2013

La bonne attitude

Il redoutait  constamment qu’on lui volât quelque chose : son parapluie, son portefeuille, sa femme, ses idées. Aussi consacrait-il une bonne partie de son salaire à se munir d’infinies  précautions pour entretenir autour de lui un halo de sécurité, sans lequel il n’eût pu survivre dans la jungle : un toit et quatre murs, quelques automatismes, de nombreuses assurances, un certain nombre d'objets et certaines marottes

Son jumeau, au contraire, péchait par excès de confiance : il laissait tout traîner, tout faire, tout dire, cultivant sans chercher à le faire et le plus souvent sans même s’en rendre compte une façon d’être absent au monde, à tout, à tous, à toutes, que ceux qui le connaissaient mal prenaient pour du dédain. Ce n’était que sa ruse à lui pour conserver le bonheur. 

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Colonne d'Olomouc à Prague

crédit photo Strogoff

21:17 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie | | |

mercredi, 09 janvier 2013

Une compagnie indéterminée

On voit plusieurs types de solitaires : certains méticuleux, presque maniaques, rangeant tout derrière eux comme pour ne laisser aucune trace de leurs faits et gestes, de leur passage. D’autres moins soignés, qui laissent volontiers après leur repas traîner leur assiette sur la table, une cuillère dans l’évier, un lit non fait…

Les premiers ont l’air d’attendre sans cesse quelqu’un, dont l’ordre qu’ils s’imposent est une forme d’accueil inconscient ; les autres ont fait d’eux-mêmes ce quelqu’un, et de leur négligence un souci constant de feindre sa compagnie.

On ne vit jamais, autrement dit, ni complètement sans l’autre ni non plus en la compagnie véritablement de soi-même.

littérature,poésie

photo Blanc & Demilly

21:39 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, poésie | | |

jeudi, 03 janvier 2013

Amor mundi

Le monde tel que je l’ai appris

Celui que j’ai découvert

Ce qui m’est demeuré occulté, caché

Enfoui dans le prochain, diffus dans le lointain

Sa marche, la marche du monde ...

 

La double dilution dont il est victime

Et qui m’égare infiniment.

Ce grand écart entre la routine la plus confortable, et l’inouï à venir ...

Sais-tu, l’inouï ?

Non, nul ne l’a entendu venir, à commencer par ses plus fidèles guetteurs.

Ce grand écart entre le nu et l’habillé, tout autant ...

« Le mal n’est jamais radical, il est seulement extrême », déclarait Arendt en quittant le procès d'Eichmann. « Seul le bien a de la profondeur. Et peut être radical. »

C’était un autre temps

On parlait de race sans frémir, de nation sans honte, de religion sans ironie et l'argent relevait encore du méprisable

Alors l’amour du monde cheminait par ces parfois sentiers

Parfois labyrinthes

Cheminements de la pensée

 

Aimable n’est donc plus la question, mais bien plutôt ce qui demeure du monde dans ses copies

L’écran, la multitude

Les écrans ont envahi le monde et même le cabaret de Fellini s’est retrouvé englouti

Même son bordel et celui de Brel aussi avec tous les marins qui lèvent le nez au ciel

Pas seulement les feuillets d’Hannah

Et les carnets d'Heidegger

Mais la gouaille aussi

de Fréhel et d'Arletty

Et l'extrême délicatesse de Messiaen

 

Pour l'instant (hélas !), la différence entre les sociétés de restriction et celles de consommation

Ne réside qu'en un certain plaisir ou déplaisir qu'on y prend à faire

La queue



mercredi, 26 décembre 2012

Face à un certain profil

 Il ne croyait ni aux franches unions, ni aux ruptures définitives. Peut-être à cause de la séparation de ses parents,  qui n’avaient jamais divorcé. Sans qu’il s’en rendît compte, cela faisait de lui un être bizarre, habitué à conserver les êtres dans son cœur malgré eux, comme par exemple il avait dû conserver son père de l’âge de 3 mois à celui de dix-sept ans.

Un certain détail, un certain relief de la relation lui avait toujours échappé. Il s’était toujours étonné de voir à quel point la plupart de ses semblables confondaient les épisodes et la durée, et n’aimaient pas leur propre solitude. Il n’avait jamais vécu la sienne, en tout cas, comme une malédiction ou un fardeau. Elle était une sorte de recueil sur les pages duquel se gravaient la figure des absents.

Les gens normaux l’avaient toujours excédé. Leurs paroles, leurs gestes, leurs chaussures. Il n’avait guère eu l’occasion de se faire beaucoup d’amis parmi eux, comme si ce qu’ils étaient n'était fait que de sable ou bien de vent. Il évitait soigneusement qu'on le prît en photo. Ce qu'il aurait voulu, c'est être peint par Modi.

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Modigliani : Leopold Zborowski à la canne

 

21:16 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : modigliani, littérature, poésie | | |

lundi, 17 décembre 2012

La péniche en feu

Par la vitre du bus qui les emmenait à la gare, tous deux jetèrent sur la carcasse calcinée d’une péniche sur le Rhône un regard qui songeait. La veille, un rideau de fumée et de suie envahissait tout le quai, les flammes galopaient sur le pont. Un bref instant, leurs yeux se croisèrent, animés par un long sourire : celui, pour la première fois depuis longtemps, d’un souvenir véritablement vif et commun. 

littérature,poésie

00:00 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie | | |

lundi, 03 décembre 2012

Les passagers du pont

C’est à la fois court et long, une existence. Régulièrement, tout s’y dérobe. On ne peut y demeurer vif sans les ponts. Eux seuls permettent le passage d’un âge à l’autre, sans faillir à la vue du précipice qui se prolonge.

Passer le pont, c’est durer. Activité banale et simple, que tout un chacun traduit chaque matin en lançant, l’esprit embrumé, des « ça va ? » à la cantonade.

Au début de son voyage, l’homme croit volontiers que le pont n’est pas le but en soi. Il s’imagine qu’en en passant quelques-uns, il atteindra toutes sortes de destinations, par ci, par là, qu’importe. Il sera quelque part. Là où conduisent ces foutus ponts doit bien avoir un foutu nom.

Au centre de sa vie, il comprend que les seuls lieux qui donnent sens à sa route sont les ponts eux-mêmes. Sur quelque pont qu’il s’achemine, ce sera toujours le pont du doute. Il creuse alors ses premières rides. Et prend ses premières précautions.

Tenir bon. Quelle que soit sa ténacité, un pont plus retors à passer rompra un jour ses planches sous  le fil de ses pas. Ce bel équilibre de vivre dont il ne doute plus faillira à son tour.  

Lequel et pourquoi ?

Questions trop ardues, pour de simples passagers de ponts.

00:05 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie | | |