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mardi, 05 janvier 2016

Manifestation (2)

II.

Il venait de psalmodier le récit biblique. Mais pas seulement : il venait de communier avec lui, c'est-à-dire d’en  goûter le caractère éminemment sacré. Qu’au fond ce récit de la visite des mages fût historique ou non ne comptait donc plus. Depuis peu, Jérôme prenait conscience de la suffisance qu’il y avait à juger de la valeur des textes bibliques à l’aune de leur genèse historique ou de ce qu’en disaient de prétendus spécialistes. Un texte saint n’est pas vrai ou faux en fonction de la réalité historique qu’il raconte ou non, mais de sa capacité à manifester, justement, une épiphanie. Un enchantement. Un salut.

Et puis, s’attacher à la véracité des faits  revenait –  qu’ils fussent avérés ou non –  à les reléguer dans le passé lointain. De passer à autre chose, aux événements spirituellement vains qui encombraient l’actualité, par exemple. Or, c’est maintenant qu’il croyait, et à la qualité de ce maintenant, de surcroît. Si la vérité des faits demeure primordiale dans une enquête policière, que les rois mages aient ou non été guidés par une étoile pour découvrir le berceau du Christ et s’agenouiller devant Sa grandeur ne compte pas pour celui qui, aujourd’hui encore, n’aspire qu’à s’agenouiller.

Car au-delà du récit historique, au-delà même du  récit symbolique, dans ce monde où le mensonge règne en maître,  le récit de vérité  fonctionne sur les deux axes de la Croix : et  ce qui a été vrai ou pas demeure selon ton choix encore aujourd’hui vrai ou non. Jérôme se disait que telle était pour lui  la force surnaturelle de l’histoire sainte de Bethléem, puisque derrière la crèche à laquelle Hérode avait condamné Dieu se cachait déjà le bois auquel Pilate L’irait clouer…

Sur le perron de l’église, las de tous questionnements, il n’était donc plus qu’une émotion. Une poignante émotion qui, tel un cordon ombilical, le liait à des altitudes insoupçonnées de lui il y a peu encore. Par ce fil intérieur, il fallait grimper : rompre avec la pesanteur, celle-là même dont la sensation devenait plus épaisse d’année passée parmi les hommes de ce temps, en année écoulée parmi eux…

 Par-delà le gris-même du ciel, qu’est ce que grimper, sinon comprendre ?  Comprendre par quoi, par Qui,  il était à ce point ému ! Dieu, pouvait-il s’entendre murmurer en réponse, Dieu le Père ! Le Père ?   cela manifestait à son être quelque force indéterminée pressant ses entrailles et capable de mettre fin, pour peu qu’il entrouvrît plus encore sa porte, à cet insoutenable sentiment d’abandon avec lequel sa vie même jusqu’à ce jour s’était malgré lui identifiée.

Un lien avec ce Père au nom imprononçable autant qu’imprononcé ?  Un lien ? Allons donc ! Il plongea de nouveau chacune de ses mains dans son manteau par des poches trouées dans lesquelles il les enfonçait comme dans des ailes. Moi un lien ? Moi le fils ? C’était effrayant d’Amour, c’était pourtant ce que le Fils Universel, oui, le Fils pour chacun, lui permettait de ressentir, Lui dont le Père assura que rien de Sa Personne ne lui avait déplu et que non content d’être à son image, il était consubstantiel à Lui.

A la seule pensée de la possible restauration de ce lien, Jérôme se sentit englué dans l’universelle matière de ce Péché immémorial dont il est question depuis le commencement du monde, et percé d'une poignante  douleur « Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum, et in peccata conceptis me mater mea » [1] récitait-il pas plus tard que ce matin.

Sur ce perron, il ne pesait pas plus lourd que cette émotion, confus et retenant ses larmes, quand son regard se posa, devant le tabac, sur un présentoir peint en rouge sur lequel la Une du Charlie de ce jour faisait polémique : Un personnage à l’allure d’un Dieu le Père coiffé du triangle maçonnique et la robe maculée de sang dénoncé tel un assassin courant toujours… Il ressentit une étrange impression.

 

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[1] « Car j'ai été conçu dans l'iniquité et ma mère m'a conçu dans le péché» Psaume 50, Miserere mei.

(A suivre)

mardi, 15 septembre 2015

Stabat Mater

Il faudrait pouvoir en finir une bonne fois pour toute avec ce culte indécent de l’amour maternel dans les sociétés modernes, car les hommes n’ont pas besoin, en pure théologie, de demeurer captif en ce lien (celui d’Eve), dont seul l’amour du Christ, justement, peut les délivrer.

Cette habitude a pu prendre naissance dans une lecture profane du stabat Mater, « juxta crucem lacrimosa », qui date du XIIIème siècle franciscain. Il s'agirait alors d'une de ces idées chrétiennes devenues folles. Une lecture au premier degré, qui transforme Marie au pied de Croix en une mère humaine, absolument humaine, indépassable dans la douleur, parce qu’elle assisterait au calvaire et au meurtre de son fils innocent. Alors qu'en réalité, sachant qu’on tue le Fils de Dieu, l’âme [et non le cœur] transpercée, elle participe pleinement au sacrifice du Fils de l’Homme et au travail de Rédemption qui s’engage : c’est d'abord une croyante qui pleure, la première de toute, non une simple mère ; ce n’est donc pas l’amour maternel qui est sanctifié, mais c’est l'espérance et la foi. Réduire Marie à sa maternité, c’est réduire son fils à son humanité, alors qu’Il n’est pas – et Marie est bien placée pour le savoir – seulement son fils, mais avant tout le Fils de Dieu. Pour résumer, soit le Stabat Mater qu'on entendit retentir tout à l'heure dans les églises à l'occasion de la fête de Notre Dame des Sept douleurs est un poème larmoyant, soit il est un véritable acte de foi.

Tout le défi du christianisme réside là : croyons-nous, comme sa mère, que le Christ est fils de Dieu [engendré non pas créé] ou comme ces passants, qui le raillent, avons-nous besoin de preuve [« Si tu es Fils de Dieu, descends de ta croix », Mat 27/39] ? En ce sens, Marie est comblée, certes de douleur, mais surtout de grâce, « dolentem cum filio ».

 

Bref, si ce texte n’exaltait que l’amour maternel (un amour humain, et donc un amour pécheur), le Christ ne serait que le Fils de l’homme et Marie ne serait que sa mère. C’est pourquoi l’exaltation de l’amour maternel dans les sociétés modernes cache quelque chose d’impie et d’incompatible avec la foi chrétienne telle qu'elle se donne à ressentir. D’ailleurs,  le texte cesse de parler de la mère à la fin, mais évoque la « Vierge puissante » capable, au Jour du Jugement, de défendre le croyant, quand il s’agira d’obtenir du Christ la palme des victorieux. Élévation. Voila pourquoi il aurait mieux valu que Jacopone da Todi titrât non pas Stabat Mater, mais Stabat Virgo. La lecture trop moderne de son œuvre ne pourrait aussi aisément estomper l'amour de Dieu - l'amour pour Dieu ainsi que le sacrifice qu'il accomplit dans un rapport inversé avec les hommes- Le sacré ne s'y effacerait pas au profit du simple sublime, et l'on n'y céderait pas à la marche fanatique du monde dans une exaltation non pas du Créateur mais, une fois de plus, de la seule créature, quand le mystère célèbre le lien entre les deux...


 

samedi, 04 juillet 2015

De la ruine des sociétés

Juillet, nous y revoilà. Dans une ambiance caniculaire, au gré d'un faux suspens entretenu sur l'avenir de l'Europe pour le plus grand plaisir des spéculateurs et au cœur d'un climat délétère où j'entends certains se demander si ce qui s'est passé sur une plage en Tunisie ne pourrait se passer sur une plage de la Côte d'Azur, on s'apprête à suivre le Tour de France qui prend le relais des tournois de tennis, pour maintenir une illusion de cohérence dans une société en ruines. J'en profite pour laisser la parole à une réflexion d'Emmanuel Favier dans ce billet invité.

 

L’organisme humain fonctionne ainsi que la population cellulaire, qui est entièrement renouvelée tous les trois ans. Ceci n’est pas dire que les nouvelles cellules sont différentes de celles qui leur ont fait place. Elles sont les mêmes et elles sont d’autres, mais non sous le même rapport. Elles sont nouvelles en ce que les anciennes cellules sont mortes et d’autres ont été portée à existence par le procédé de multiplication cellulaire. Elles sont cependant les mêmes quant à leur essence, c’est-à-dire qu’elles se multiplient selon leur espèce propre : les cellules du cœur produisent d’autres cellules du cœur, celles du foie produisent d’autres cellules du foie, etc. Ainsi, si l’on applique ce principe à un corps de doctrine, il lui convient, pour vivre et  répondre continuellement aux nouvelles données politiques et sociales du moment, il lui convient, disais-je, de se renouveler.

 

Que ce soit dans les manuels d’histoire dispensés par l’Éducation nationale comme dans les milieux dits contre-révolutionnaires, on parle de 1789 comme une sorte de premier instant d’un big-bang politique, comme un an zéro d’une nouvelle ère. Certains y voient la naissance de la France, d’autres sa mort. Or, faire naître ou mourir notre pays en 1789 me paraissent deux idées aussi fausses l’une que l’autre, répondant au même jeu dialectique qui prétend dénier, oblitérer, une partie de l’histoire de France. Est-ce un principe basé sur le réel ?

 

De l’histoire de France tout doit être assumé ; « assumer, » ce qui n’est pas dire «approuver», «applaudir.» Assumer, «prendre sur soi, à soi», embrasser l’Histoire de France, c’est-à-dire un foisonnement bimillénaires de faits tour à tour glorieux et douloureux. Voilà la tâche du chercheur honnête, impartial, de celui qui n’est pas prisonnier d’un système de pensée, d’une sorte de convention mentale par laquelle il devrait ignorer certaines pages de cette histoire.

Pour cet historien, ce sont les principes les plus hauts qui doivent guider son jugement : le bon, le bien, le beau, le vrai, qui ne riment pas toujours avec « Français ». Ainsi que le disait le Pape Grégoire IX, la France n’est grande que soumise au Christ. Comme le corps assume une nourriture sans en rien rejeter d’abord, puis la consume en en expulsant les toxines et en n’en gardant que ce qui participe à sa régénération, de même il faut assumer notre Histoire et n’en retenir que ces leçons de vie qui peuvent participer à la construction d’un avenir.

 

Il me semble donc plus juste de dire que la Révolution de 1789 exécuta un corps social déjà affaibli et malade. En effet, toute maladie qui parvient à pénétrer un corps profite d’une baisse des défenses immunitaires.

Depuis, sa décomposition n’a pas cessé, et nous arrivons sans doute aujourd’hui au terme de ce lent mais fatal processus.

 

Chez le vivant l’âme est le principe vital, maintenant l’unité du tout. Quand la mort survient, le corps, privé de son principe unitif, va alors tendre à trouver un nouvel équilibre par la dissolution du tout dans ses parties, c’est-à-dire par la décomposition, au terme de laquelle le corps ne sera plus que poussière.

Mais ce n’est pas tant du pourrissement du corps humain dont je veux m’occuper ici que de celui des sociétés.

 

La mort est, comme dit ci-dessus, la dissolution du tout dans ses parties. Or c’est bien de la Révolution de 1789 que sont nés les partis ; lesquels, en réalité, ne sont pas la résultante d’un corps en vie (peut-être un cadavre, juste après la mort, peut encore présenter certains aspects propres aux vivants : la couleur, la chaleur… ou peut-être certaines personnes confondent-elles le grouillement des vers avec la vie corporelle ?), mais bien d’un cadavre en décomposition. On pourrait classer ces partis en deux catégories, ou plutôt en un dégradé commençant à l’extrême-gauche : parti de ceux qui souhaitent précipiter l’anéantissement de la dépouille par la promotion de tout ce qui peut favoriser sa dissolution ; et l’extrême-droite, parti de ceux qui, au contraire, veulent arrêter net ce processus en plongeant les précieux restes dans le formol, ou, du moins, réduire la pestilence résultant de la décomposition du corps social.

 

De là, deux remarques.

 

Premièrement. L’ordre ancien — s’il le faut décrire en quelques mots, — basé sur la loi naturelle tendait, en général, au bien commun qui consiste, selon la formule populaire à «rendre les gens heureux» (d’un véritable bonheur, i.e., de permettre à l’homme de tendre vers sa fin et dans l’ordre naturel, et dans l’ordre surnaturel). Ainsi, l’unique recherche du bien commun, d’abord sur un plan matériel (rôle de l’État), puis dans l’ordre spirituel (rôle de l’Église), est, ou devrait être l’unique but d’une société. C’est la fin que lui a assigné la nature. Le bien commun est la forme substantielle (c’est-à-dire le principe vital) d’une société. Ce bien commun transcende toutes idéologies, tous partis. Le bien commun tend à l’unité, à la santé, à la sainteté. Le bien commun est à une société ce que l’âme est au corps. En réalité, ce bien commun est multiforme : il prend parfois les apparences du socialisme, parfois ceux du libéralisme, d’autres fois il arbore les couleurs du patriotisme, du nationalisme.

 

Les idéologies, au contraire, indiquent elles-mêmes par leurs suffixations en ismes l’absolutisation qu’elles font d’un des différents aspects du bien commun, au mépris des autres : libéral-isme, national-isme, commun-isme. Seule une vraie société sait jouer de tous ces éléments harmonieusement ; ces éléments qui n’ont, en fait, de cohérence, de «raison d’être» —tout simplement— que dans une poursuite véritable du bien commun.

 

Deuxièmement. Les nationalismes, fascismes, conservatismes sont des idéologies. Ils ne sont donc pas aptes, —ne se le proposant par pour but, et étant, de toute façon, la résultante mortifère de la décomposition de l’ordre ancien— de réformer et surtout de re-former une société véritable. Ne s’agissant que d’arrêter ou de ralentir le processus irréfragable de décomposition, ces idéologies dispersent en vain les volontés, les forces, les intelligences, cherchant à conserver un cadavre voué à finir en poussière.

 

Enfin, concernant le conservatisme.

Comme dit saint Augustin, deux amours ont fait deux cités : l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu constitue la cité des impies ; l’amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi constitue la cité des justes.

Ces deux cités sont essentiellement différentes. L’une est un Être vivant, l’autre un corps mort. Cependant, de cette haine millénaire entre les deux cités, quelques résolutions ont été prises par les impies afin de donner un cachet de pérennité à leur œuvre. Quand, au lieu de la chair et du sang il ne restera du cadavre social qu’un squelette et des tissus secs, il leur faudra l’embaumer. C’est là qu’interviendront les conservatismes. Après avoir tout dissous dans le magma de l’indifférentisme, du subjectivisme, il conviendra de revenir sur certains aspects extrêmes des législations précédentes qui avaient en fait pour but la destruction de la société. On remettra en valeur l’Ordre ancien comme en Angleterre on met en valeur les ruines des Abbayes détruites par la Réforme : une pelouse bien verte, tondue régulièrement, d’où surgissent quelques pierres empilées les unes sur les autres, consolant les nostalgiques qui diront que, finalement, tout n’est pas perdu.

 E.F.

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[L’Amérique pratique le sacrifice perpétuel de la société à l’individu, et le voudrait répandre partout, c’est la déification de l’homme, c’est le modèle le plus achevé des idées anti-ecclésiastiques, ecclesia, qui signifie société, réunion, pour constituer une véritable anti-société.]

 

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David, Serment du Jeu de paume

mardi, 30 juin 2015

Des pensées humaines...

Canicule annoncée, terrorisme et crise grecque : cette fin de mois de juin fait vivre les populations dans un climat d’accablement et d’impuissance exacerbés, qui rend tout simplement absurde la simple idée de partir en vacances. Comme si où que chacun allât, nous étions tous enfermés dans un même lieu, une sorte de fournaise collective dont rien ni personne n’émerge, une nuée de laideurs communément partagées, une  confusion des valeurs et une inversion des aspirations les plus nobles, bref, dans ce mal informel et avare d’originalité auquel le divertissement sociétal nous livre ; ce mal qui attriste et salit le monde, ce magma de « pensées humaines », dont nous ne demanderons jamais assez d’être à jamais affranchis, « sed libera nos a malo »…

Saint Thomas d’Aquin, dans son commentaire de l’oraison dominicale, explique nettement combien cette dernière demande du Pater Noster, «libère-nous du mal », ne peut être une fin en soi. Mais un simple moyen pour que la première demande, « Que ton Nom soit sanctifié »  (« sanctificetur nomen tuum » qui est, elle, la seule finalité de la prière) arrive.

Que les hommes soient délivrés du Mal pour demeurer entre eux dans leurs vaines pensées, à quoi bon en effet, si le Nom de Dieu n'est pas sanctifié par tous ?

Mais cela, comment nos bons humanistes [qui ne voient plus que l’homme partout, l’homme et ses valeurs, l’homme et sa démocratie, l’homme et sa science, l’homme et sa survie, l’homme, ses Droits, ses œuvres et ses pensées] pourraient-ils encore l’entendre, le souhaiter et le murmurer, agenouillés devant un autel ?

Eux qui, dès qu’ils se trouvent confrontés au Mal dans sa version extrême, poussent des cris d’orfraie et engagent des dissertations aussi inutiles que ridicules sur ce que doit être ou non une civilisation ? Ah, la ronde Aubry et sa « brillante civilisation arabo-musulmane », Valls, Bush père et fils et tutti quanti, quelle rigolade !

Comment ces bons humanistes qui ont oublié une bonne fois pour toutes le visage du Dieu venu racheter, sur l’arbre de la Croix, le Mal qu’ils sont eux en essence, comment  seraient-il capables de le prier ? Tout ira de mal en pis, c’est certain, car ils ne veulent être délivrés du Mal que pour eux-mêmes, et sont déjà perdus.

 

Hier et aujourd’hui, pendant ce temps-là, l’Eglise fête ses deux apôtres, Pierre et Paul.

En mémoire vive de ses deux colonnes principales, l’Eglise doit plus que jamais ne pas être confondue –même s’ils sont admirables – avec les bâtiments qui partout la composent. Même si, à peine béni pour avoir reçu cette révélation « non de la chair et du sang, mais du Père qui est dans les Cieux » (Mathieu XVI – 17), Saint Pierre se retrouve, par le Christ lui-même, traité de Satan [« car tu n’as pas d’intelligence des choses de Dieu, tu n’as que des pensées humaines » (Mathieu, XVI, 23…)], son  corps mystique demeure une assemblée de pécheurs repentis autour de l’hostie, participant d’un combat commun contre le même ennemi. C’est la raison pour laquelle le Christ a dit que « portae inferi non praevalebunt adversus eam » (les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle). Et dans la fournaise humaine dont il était question plus haut, cela reste in saecula saeculorum d’une cuisante actualité pour nous tous…

 

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Giotto, Saint François d'Assise chassant les démons

 

dimanche, 21 juin 2015

Dans les griffes de Satan

On ne croit plus guère à Satan. On a tort. Car les trois tentations qu’il a adressées au Christ dans le désert dit depuis de la Quarantaine, au Nord de Jéricho, (Mathieu – IV, 1-11) sont d’une actualité effrayante.

La première, qui est de changer les pierres en pains, semble ne rien contenir de démoniaque, au contraire. Jésus ayant jeûné quarante jours, ce propos fait mine de s’adresser à sa propre faim, mais de manière plus large, il représente aussi une tentation humaniste et généreuse qui passe même de nos jours pour être hautement morale : se proposer de nourrir tous les hommes, puisqu’on prétend en avoir le pouvoir. Or Jésus la rejette d’un coup, alléguant l’Ecriture : « L’Homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». S’il avait prêté l’oreille à cette tentation, il aurait en effet subordonné sa puissance divine aux besoins matériels humains, sa puissance éternelle aux besoins immédiats des vivants, sa puissance spirituelle à des nécessités économiques, car nourrir les corps est censé n’être que le boulot du politique. On voit ici comme Satan tente de pervertir la mission même du Christ, en lui proposant de définir son action au sein du champ borné de ce qu’on appelle aujourd’hui l’humanisme, voire l’humanitaire, lequel occupe pourtant beaucoup de belles âmes

Mais le Christ lui rappelle que la source de toute nourriture authentique demeure, selon l’Ecriture, la Parole, qui incarne face aux propositions du diable le seul réconfort, le seul véritable pain spirituel ; lequel préfigure d’une certaine façon l’hostie. Par ce refus très net, Satan, qui tentait d’arracher le pain spirituel des générations futures à Celui venu le leur apporter, est une première fois vaincu, et le Sauveur pose la première pierre de son magistère divin.

La deuxième tentation vise à fixer des limites politiques et religieuses à ce magistère : « Jetez-vous en bas [du pinacle du temple de Jérusalem], car il est écrit : Il donnera pour vous des ordres à ses anges, et ils vous prendront sur leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre une pierre. »  Par un aussi éclatant prodige, le Christ aurait été immédiatement reconnu par les Juifs comme le Messie qu’ils attendaient (attendent encore ?). Ceint de l’épée ce dernier devrait abattre toute puissance rivale et faire régner sur la terre de Juda une abondance matérielle et charnelle sans égale, instaurant ainsi la Jérusalem terrestre. En repoussant un tel projet (on dirait aujourd’hui un tel story-telling présent dans tous les programmes électoraux), le Christ heurte tous les préjugés des Juifs, qu’ils soient Pharisiens ou Sadducéens, et soulèvera toute leur haine. Il ne sera pas tel jadis David ou tel plus tard Mahomet un prince conquérant, car le propre fils de Dieu ne tente pas en vain son Père. Le miracle chrétien est celui de l’Incarnation, pas celui de la conquête ; il tient dans la raison, et pas dans le spectaculaire.

Avec sa troisième tentation, Satan se découvre totalement. Puisque le Christ refuse de tenter Dieu, le diable se propose de lui offrir lui-même le règne sur le monde terrestre : « Je vous donnerai tout cela si, tombant à mes pieds, vous vous prosternez devant moi ». C’est la proposition adressée jadis à Eve puis, par son intermédiaire, à Adam : « Vous serez comme des dieux ». On peut dire sans rire que c’était bien tenté, puisque d’Adam à Faust, tous les hommes marqués par le péché originel ne peuvent – à moins de sainteté - que céder à cela. Or Jésus n’est-il pas un homme ? La stratégie de Satan se découvre ainsi d’une nature, il est vrai, guère originale. Mais le démon se découvre surtout d’une nature qu'on dira soit ignorante (du fait que ce fils de l’homme auquel il s'adresse cette fois est aussi le propre Fils de Dieu, venu précisément contrer ses projets sur les hommes), soit naïve (car comment penser que le Fils de Dieu accepterait de lui ce qu’il vient de refuser de son Père ?).

Et c’est à ce moment-là que le Christ-Roi se découvre, le tutoyant et, pour la première fois, lui donnant un ordre : « Retire-toi », ce qu’il ne peut que faire aussitôt. D’un point de vue théologique, les trois tentations étaient inutiles devant le Fils de Dieu et elles n’auront servi qu’à démasquer en le ridiculisant l’Ange déchu, pour l’édification morale et spirituelle des hommes. A la fin du récit de Mathieu, on voit ces mêmes anges, qui avaient fermé sur lui les portes du Ciel, les rouvrir aussitôt, devant Celui qui vient de le vaincre.

Mais, et c’est alors que commence la Passion du Christ, les hommes, eux, n’ont pas vaincu Satan, loin de là. Et le Christ devra endurer – prendre sur Lui – leurs péchés, traverser leur mort et contredire son action maléfique jusque dans les conséquences du péché Originel. Mourir sur la Croix. Là se découvrent les preuves de sa Royauté divine sur le simple chef humain qu’il serait devenu s’il avait suivi les projets diaboliques proposés par le cornu : céder au pragmatisme de l’humanisme, céder à l’intimidation du spectaculaire, et au programme du faux messianisme religieux. Jésus ne sera pas, comme Krisna ou Mahomet, un simple chef de guerre ni un simple chef religieux, ni comme Bouddha, Socrate ou Lao Tseu, un simple éveillé ou un simple philosophe. Une Royauté divine qui, depuis 2000 ans, aura agacé et continue d'énerver beaucoup de gens, athées mais le plus souvent croyants.

Car ce qu'on apprend en lisant saint Mathieu, c'est que la contemporanéité véritable de Satan avec le XXIe siècle ne réside pas dans les rituels de gothiques originaux qui auraient vu trop de films gore dans leur enfance, ni dans les faits divers épouvantables dont la presse aime nous abreuver, crimes de masse et attentats sanglants. Elle réside au cœur des projets même que Satan proposa au Christ et que la Divinité de ce dernier rejeta sans ambages : le pragmatisme humanitaire, le story-telling politique, le faux messianisme religieux. Notre monde qui fête en ce premier jour de l’Eté 2015 sa musique en toute ingénuité est bel et bien pris dans les griffes de Satan. Et la juste compréhension par le plus grand nombre de la Divinité Incarnée du Christ se révèle, plus qu'en aucun autre temps d'obscurantisme, d’actualité. Sans doute est-ce pour la contrer que les ennemis du Christ n'ont jamais été si divers et si nombreux. 

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Duccio di Buoninsegna. Maestà.

Tentation du Christ sur la montagne. c. 1308-1311. Frick Collection, New York, USA.

 

mardi, 15 avril 2014

La semaine sainte est un théâtre sacré

Semaine sainte. Nous y sommes : originalité, radicalité du Christ, terrible pour ces temps bizarres et salis, où Google voudrait éradiquer la mort, et les hommes partout la travestissent ou la nient… Passion : cette manière de l’accepter, l’assumer, plonger dedans ses mains, son regard, tout son corps comme dans l’eau des larmes, après la résurrection de Lazare, la sienne propre, Christ, semaine sainte. Terrible et comme antique prise en mains du mourant par celui qui lui survit dans le même corps, du cadavre, du décomposé, de la conscience et de l’âme, là même où ça respire.

Les sales temps modernes ne lui  pardonnent rien, ces temps qui ne comprennent que la paix et ne veulent que du plaisir, et crachent sur le rite, même plus par insoumission mais par ignorance et bêtise. Préfèrent Bouddha ou Mohammed, plus faciles à comprendre tout ça, la Loi tu la suis ou tu la suis pas, mais il n’y a rien de purulent à contempler en soi, de plaies vives à étreindre, rien de décomposé à adorer, et toutes ces craintes à épurer, ces duretés à attendrir, cet orgueil à amoindrir, ces ponts à franchir devant les obstacles des hommes qui savent, ah ! ah !…

Préféreraient même ce Christ sans croix, ce Christ accommodant, sans calvaire ni Golgotha, ce Christ irréel et presque technologique, sans devenir. Ou bien cette croix sans Christ, juste un symbole car c’est moins rude à comprendre un symbole, moins éprouvant à presser contre son cœur, ça signifie de loin, dans l’abstrait de la philosophie encore discutable.  Ou encore  rien, juste le vivre incertain, l’écran du vide comme la toile de l’écran quand rien ne s’y projetait encore et que le film n'avait pas commencé, ni sang ni souffrance ni ombre ni trahison, et qu’on peut encore croire à tout sans se soumettre à rien, le Grand Rien, le vide de toute chair - mais ô mon Dieu, la semaine sainte est un théâtre sacré qui planta un corps sur une croix, devant lequel comment cesser d'être celui qui ne fit que passer ou conspuer ?

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06:54 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : christ, semaine sainte, paques, littérature, religion, christianisme | | |

dimanche, 31 mars 2013

La peur et l'étonnement

Quoi de plus lyrique, quoi de plus rationnel également, que cette découverte du tombeau vide, tel que le texte de Luc le relate ? Les femmes, tout d’abord, le découvrent. Elles sont perplexes, puis saisies d’effroi. Exhortées par les anges qui apparaissent, elles se souviennent alors des paroles du Christ : « il faut que le Fils de l’Homme se relève de la mort le troisième jour ». Elles se souviennent de ces paroles et elles sont rassurées.

Alors elles vont voir les apôtres.

Les Onze qu’elles rencontrent pensent qu’elles radotent. Ils sont incrédules. Peut-être même moqueurs. Pierre se rend à son tour au tombeau et le découvre vide : il en revient étonné.

En quelques lignes, les sentiments humains fondamentaux sont ainsi égrenés.

Devant l’inconnu, la perplexité.

Devant l’effroi, le souvenir, le recours à la parole, l'amour.

Devant l’irrationnel, la moquerie.

Devant l’incompréhensible, l’étonnement.

Ce récit, indépendamment de ce qu’il conte, ordonne les instants de la vie intérieure, en en fixant les seuils et les passages de l’un à l’autre. C’est pour cela qu’il est un acte de raison. En son centre, un grand absent, celui qui, métonymiquement, n’a laissé que des « linges » et qui, à partir de ce jour, parce qu’il devient vraiment un mystère, domine la scène en devenant le grand présent.

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Fra Angelico, La Résurrection du Christ 

(couvent de San Marco, Florence.)