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mardi, 05 janvier 2016

Manifestation (2)

II.

Il venait de psalmodier le récit biblique. Mais pas seulement : il venait de communier avec lui, c'est-à-dire d’en  goûter le caractère éminemment sacré. Qu’au fond ce récit de la visite des mages fût historique ou non ne comptait donc plus. Depuis peu, Jérôme prenait conscience de la suffisance qu’il y avait à juger de la valeur des textes bibliques à l’aune de leur genèse historique ou de ce qu’en disaient de prétendus spécialistes. Un texte saint n’est pas vrai ou faux en fonction de la réalité historique qu’il raconte ou non, mais de sa capacité à manifester, justement, une épiphanie. Un enchantement. Un salut.

Et puis, s’attacher à la véracité des faits  revenait –  qu’ils fussent avérés ou non –  à les reléguer dans le passé lointain. De passer à autre chose, aux événements spirituellement vains qui encombraient l’actualité, par exemple. Or, c’est maintenant qu’il croyait, et à la qualité de ce maintenant, de surcroît. Si la vérité des faits demeure primordiale dans une enquête policière, que les rois mages aient ou non été guidés par une étoile pour découvrir le berceau du Christ et s’agenouiller devant Sa grandeur ne compte pas pour celui qui, aujourd’hui encore, n’aspire qu’à s’agenouiller.

Car au-delà du récit historique, au-delà même du  récit symbolique, dans ce monde où le mensonge règne en maître,  le récit de vérité  fonctionne sur les deux axes de la Croix : et  ce qui a été vrai ou pas demeure selon ton choix encore aujourd’hui vrai ou non. Jérôme se disait que telle était pour lui  la force surnaturelle de l’histoire sainte de Bethléem, puisque derrière la crèche à laquelle Hérode avait condamné Dieu se cachait déjà le bois auquel Pilate L’irait clouer…

Sur le perron de l’église, las de tous questionnements, il n’était donc plus qu’une émotion. Une poignante émotion qui, tel un cordon ombilical, le liait à des altitudes insoupçonnées de lui il y a peu encore. Par ce fil intérieur, il fallait grimper : rompre avec la pesanteur, celle-là même dont la sensation devenait plus épaisse d’année passée parmi les hommes de ce temps, en année écoulée parmi eux…

 Par-delà le gris-même du ciel, qu’est ce que grimper, sinon comprendre ?  Comprendre par quoi, par Qui,  il était à ce point ému ! Dieu, pouvait-il s’entendre murmurer en réponse, Dieu le Père ! Le Père ?   cela manifestait à son être quelque force indéterminée pressant ses entrailles et capable de mettre fin, pour peu qu’il entrouvrît plus encore sa porte, à cet insoutenable sentiment d’abandon avec lequel sa vie même jusqu’à ce jour s’était malgré lui identifiée.

Un lien avec ce Père au nom imprononçable autant qu’imprononcé ?  Un lien ? Allons donc ! Il plongea de nouveau chacune de ses mains dans son manteau par des poches trouées dans lesquelles il les enfonçait comme dans des ailes. Moi un lien ? Moi le fils ? C’était effrayant d’Amour, c’était pourtant ce que le Fils Universel, oui, le Fils pour chacun, lui permettait de ressentir, Lui dont le Père assura que rien de Sa Personne ne lui avait déplu et que non content d’être à son image, il était consubstantiel à Lui.

A la seule pensée de la possible restauration de ce lien, Jérôme se sentit englué dans l’universelle matière de ce Péché immémorial dont il est question depuis le commencement du monde, et percé d'une poignante  douleur « Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum, et in peccata conceptis me mater mea » [1] récitait-il pas plus tard que ce matin.

Sur ce perron, il ne pesait pas plus lourd que cette émotion, confus et retenant ses larmes, quand son regard se posa, devant le tabac, sur un présentoir peint en rouge sur lequel la Une du Charlie de ce jour faisait polémique : Un personnage à l’allure d’un Dieu le Père coiffé du triangle maçonnique et la robe maculée de sang dénoncé tel un assassin courant toujours… Il ressentit une étrange impression.

 

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[1] « Car j'ai été conçu dans l'iniquité et ma mère m'a conçu dans le péché» Psaume 50, Miserere mei.

(A suivre)

lundi, 04 janvier 2016

Manifestation

 

Jérôme haussa les épaules devant le prix de la chemise. De plus en plus inquiétante, la qualité du tissu ! Mieux valait attendre les soldes, ou, mieux encore, s’en passer. Des visions en transit,dans tout ce micmac pas de réels besoins ! Et pis toujours le même micro-moulin dans la cervelle, à moudre mal le moindre grain. Toujours de plus en plus hônéreuse, l’existence parmi ces hommes…

Enfin, l’existence... Celle dans leur monde - leur meilleur des… Mais comme le jurait Barnabé jadis dès qu’il était un peu bourré, « pas l’seul évidemment, pas l’seul du tout, loin d’là ! ». Et pis s’en passer coûtait bien moins que d’y coller son nez fort à la vitre, hein donc ! Il enfouit ses doigts à plat au plus profond du manteau rêche : pas de mouchoir, mince, rien que ce prospectus froissé ! Quoi déjà ? Ah oui…

Sans importance.

Voilà bien quelques années que Barnabé n’était plus jamais bourré. Depuis,  à vrai dire, qu’il s’en était passé pour de bon de l’existence qui fait flop un jour. Et du trop qui coule, quoi faire ? L’avaler ? Il zyeuta autour, derrière, personne devant non plus.

Il posa le prospectus pour le Concert du Nouvel An à plat dans sa main, d’un doigt se boucha la narine et d’un Pôôôn retentissant extirpa loin du conduit cuisant la morve épaisse et translucide qui chut sur le papier glacé. Pas de quoi payer l’entrée non plus. Il replia le tout en quatre, du bon grammage ça ! Et jeta le tout dans l'égout. 

Là-bas marchait par le soir gris une femme entre deux âges qui traînait à longs pas lents un sapin jaune et dégarni par la pointe. Un peu plus loin, entre quatre barrières grises, le cimetière annuel des bons conifères de décembre. Chaque année, il se faisait la même réflexion que tant mieux d’en avoir pas fait d’arbre de Noël, pour finir comme ça, bon sang ! Quelque chose d’obscène, trouvait Jérôme, bien loin des astrologues chantés dans l’autre siècle par le joyeux Guillaume Apollinaire, bien loin vraiment ! Sapins d’aujourd’hui, sapins des villes, sapins terminus de la fête, surchauffés sans geindre épine par épine. Sapins d’leur monde, d’leur meilleur des comme aurait susurré Barnabé. Trop à leur image, sitôt servis, sitôt jetés, ni rabbins ni demoiselles, consommés tout net. Entassés là « les frères abattus » loin des bateaux qui sur le Rhin voguent… Rideau !

Elle s’en retournait le regard traînant comme le pas, lasse de quoi, bon sang ? Un personnage dont le Grand Jacques aurait fait une ritournelle à chanter un peu pompette, entre Mathilde, Madeleine ou Jeff. Et Jérôme se dit en la voyant ne pas le voir qu’elle avait dans le regard un peu du meurtre de Noël, l’esprit déjà dans les augmentations de janvier, les mensonges du gouvernement, la rengaine du lendemain. Noël ! Noël, pourtant !

Ça ne se résume pas à ce qu’en dit le monde, non pas, le vrai Noël en pays chrétien ! Ça ne vient pas se rompre le cou comme ça dans une benne municipale, hagard et déguirlandé, le tronc vide de vert et la branche toute plumée. Dans toute vie, dans toute fête que proposent ces hommes, certes, la fin, la mort, tel un reptile prêt à mordre et figer son venin dans ton sang.  Mais là, pile où ça s’arrête pour tout un chacun, Jérôme se dit qu’il n’y avait pas d’autre moyen de continuer la fête qu’en en saisissant avec soi, derrière tous les symboles, l’essence même : car Celui qui venait de naître n’irait qu’en apparence mourir dans quelques mois sur le bois d'une Croix.

Il s’agrippa à sa prière : Seigneur, ne nous abandonne pas ; surge, illuminare, Jérusalem ! (1)

Un don, certes, mais un don qui ne s’interrompt ni ne meurt, tel fut le Noël surnaturel des mages. Pourquoi le mien cesserait-il là sa manifestation ? Devant ce cimetière de sapins comme devant la vitrine du marchand, comme devant toute cette société revenue à la pire des barbaries, il y avait bien de quoi hausser les épaules ! Il les haussa donc, lentement, résolument, fermement. Puis l'échine un peu voutée, le pas lourd, le regard vif, il poussa sans peine la porte en planches sombres de l’église, où débutaient tout maintenant les vêpres de l’Epiphanie.

(A  suivre)

 

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(1) Lève-toi et resplendis, Jérusalem, collecte de l'épiphanie.

 

mardi, 06 janvier 2015

Le mangeur de fèves

D'une certaine façon, bien plus que l'euro qui plonge à nouveau, Michel Houellebecq qui publie Soumission, ou Adjani qui refuse de jouer dans l'adaptation du récit de Trierweiler, c'est lui le héros du jour, l'anonyme du moment, comme on dit sur certaines chaines. Il trône dans la salle de l'apothéose du palais Colonna, col ouvert et coude levé. Si dorées et croustillantes que scintillent à votre œil les galettes des vitrines de janvier shootées à l'appétant, vous n'engloutirez jamais en un mois autant de fèves que lui en un repas. D'ailleurs nous, nous les recrachons, les fèves de notre temps, lorsque le bout de la dent s'y heurte au détour d'un malaxage prudent. Parait même qu'aux États-unis, la fève s'achète séparée de la galette, par crainte des procès que le client qui s'y casserait les dents pourrait entreprendre. De fèves, les figurines de l'Épiphanie ne conservent donc que le nom, comme bien des ustensiles de notre monde faux. Petits tacots, instruments de musique, personnages de comics, objets surprises en tous genres pour fabophiles de tout crin : ce qu'on risque de trouver dans une galette est aussi varié que la fève d'antan était banale, comme si le signe avait pris sur lui l'intérêt de la chose qu'il représentait : les trois Rois se sont démultipliés en autant de citoyens depuis que les couronnes en papier de Melchior, Balthazar ou Gaspard emplissent les cartons de, nos pâtisseries. Suceurs et non plus mangeurs de fèves, nous pouvons tirer les rois tant qu'on veut, une fois, deux fois, trois fois, en famille, au boulot, et ce jusqu'à la fin du mois, tant l'unique se démultiplie sans vergogne dans cette société qui se prétend en crise, et qui l'est bel et bien, mais peut-être pas par le bout, le coin où elle le prétend.

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Annibale Carracci, le mangeur de fèves, 1583, galerie Colonna, Rome