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lundi, 14 juillet 2008

Comme de bien entendu...

La table n'est pas complètement desservie et les adultes ont entamé une partie de cartes. C'est un Quatorze Juillet. A la télévision, on passe Circonstances atténuantes, le film de Jean Boyer. Une partie de coinche, pour être précis. Trop petit pour participer à ce jeu, le gosse révasse dans son coin. Tout à coup, il y a cette phrase qui surgit du poste : "vous en avez pas marre de jouer à la belotte ?" Une phrase qui rejoint la rêverie du petit gosse qui s'ennuie. Les hommes fument, les femmes ricanent, on boit en mijotant des coups derrière ses cartes. En arrière plan, l'accordéon et puis des volutes et des volutes de fumée dans la pièce. "On rigole pas tous les jours avec tous ces marins", balance Arletty. Qui a la main, au juste ? Tous sont assis sur des chaises en bois, exactement comme à la télé qui, décidément, se met à ressembler de plus en plus à eux tous, désormais, au monde.. quand soudain : "Elle était jeune et belle..." Et quelqu'un - un père, oncle, un cousin, un voisin ? - se met à répondre à la télé : "comme de bien entendu". Et au fur et à mesure que défilent des images et les paroles, tous s'y sont tous mis, en tapant leur carton autour de cette table pas complètement débarassée. Les femmes, aussi, d'habitude peu loquaces, les femmes aussi, qui connaissent par coeur les paroles :


La chanson parle de "se mettre en ménage", de "chômage", de "loterie", de "gagner du pèze" de "mains au cul" et de "PMU". Que des questions fort éloignées des préoccupations du petit gosse. Irruption soudaine d'un monde à venir, déferlement comme magique  d'un monde extérieur que tous connaissent, tous pratiquent, tous ces adultes, sauf lui, l'enfant :  Le petit gosse se sent presque de trop parmi eux, qui reprennent en choeur; il ne sait plus s'il est impatient de grandir ou s'il ne ferait pas mieux de disparaïtre. Ils chantent en trinquant, ils se lèvent de leurs chaises, et ronronnant au centre d'eux tous, il y a un poële, le même genre de poële que dans le film. Circonstances atténuantes. Et voilà que tous les adultes se mettent à siffloter comme des loriots sur des accords d'accordéon, comme de bien entendu...  eux qui ont rarement l'occasion de s'amuser, c'est vrai, de se détendre, comme ça, en la présence du petit gosse, en tout cas. Ils ont l'air d'être retombé dans leur enfance. Alors, en ce très vieux jour, lui, il commence à sortir de la sienne.

00:10 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, arletty, chanson, 14 juillet, michel simon, jean boyer | | |

dimanche, 13 juillet 2008

La Blogonews 2

SOCIÉTÉ – La ville de Lyon a voté avant-hier en conseil municipal une délibération accordant à Google le marché de la numérisation du fond ancien de la bibliothèque municipale de la Part Dieu : cette dernière possède le fond le plus important en France, après la Bibliothèque nationale de France. Un marché gratuit - Google prenant en charge les frais (exorbitants) de numérisation contre la mise à disposition du fond pour les internautes. C'est une première en France. Dans son blog, Feuilly soulève la question de savoir qui choisira le catalogue mis en ligne : les bibliothécaires de la Part-Dieu ou les Américains ? Nizier de Puitspelu gogolisé risque d'y perdre son latin, tout comme Léon Boitel et sa Revue du Lyonnais. Monsieur Josse va naviguer sur les autoroutes de la pensée, ce qui laisse sans voix Mami Buplateau  Autre nouvelle de conséquence : la ville de Lyon connait "une formidable évolution urbaine" parce qu'on vient d'inaugurer un gymnase à la Duchère, où "les habitants, dixit le maire de Lyon, sont heureux de vivre ensemble" et qu'on a posé, dans le quartier " La Confluence" la première pierre du futur siège de la région Rhône Alpes. On ne sait pas si, dans cet autre quartier, les habitants sont heureux de vivre ensemble... Témoignage d'une vieille dame à méditer, une vieille pas si pas si indigne que ça, sur le blog de Trublyonne....

Enfin, c'est bientôt le quatorze juillet. Un week-end excellent pour bouquiner, donc. Pourquoi pas un Calaferte, dont je rappelle ( voir billet précedent) que sans l'existence du 2 mai 1994, il aurait octante années lundi matin... Lire Calaferte, pour oublier qu'une folle qui fait du catéchisme à deux balles au fond des grottes va être décorée de la Légion d'honneur par un pantin...

vendredi, 11 juillet 2008

Payer son terme

Qui reconnait le générique dès les premières notes a gagné le droit de voir la suite :  Lectures pour tous, de Pierre Dumayet, une émission culte et à présent préhistorique de l'ère de l'avant-Pivot. Dès la première question (« Monsieur Céline... »), le ton est donné. D'un Château l'autre, le Voyage au bout de la Nuit...  La coupe de cheveux, le nez parfaitement droit de Céline, la toux de Pierre Dumayet recevant la fumée d'une cigarette hors-champ, la violence de Céline, « je sentais, dit-il, une guerre venir », l'apologue de la crevasse qui clôt l'entretien, tout cela durant ce document, cinq minutes de total dépaysement et,  pour qui aime Céline, d'une drôle d'émotion...


Louis Ferdinand Celine

02:00 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : céline, littérature, pierre dumayet | | |

jeudi, 10 juillet 2008

Le Bât d'Argent (Joseph Jolinon)

 « Moins de dignité, un peu plus de fric » : La formule résume la triple crise, économique, morale  et religieuse, qui cingle de plein fouet la bourgeoisie lyonnaise au cours des années trente, et dont témoigne le cycle des trois romans que le romancier Joseph Jolinon consacre à la décomposition d’une famille, les Debeaudemont. La question romanesque de la transmission (celle de l’argent, celles des sentiments, des comportements, des valeurs) est au centre crucial des enjeux sur lesquels reposent les intrigues entremêlées : Tout comme la mère, fille de financiers « apparentée à ce que Lyon compte de bourgeoisie ancienne restée pure de mésalliance », a tenté comme elle le pouvait, durant les deux premiers tomes, de concilier adultère et catholicisme,  le fils va longtemps hésiter entre sa passion, qu'il croit sincère, pour une dactylo de la Guillotière et la dot, qu'il sait nécessaire, que lui tend un des partis les plus intéressants de la ville :

 "Les heures se succèdent, sonnées avec lenteur par les églises de la ville ancienne, aux cloches différentes, éveillant les souvenirs de combien de générations retournées en poussière, parmi lesquelles combien de fils de familles tombés dans les bras de filles du peuple ! Pathétiques nuits lyonnaises au bord de la Saône au calme plat, fenêtres closes et feux éteints, toutes barques amarrées Nuits en mouvement perpétuel d'eau qui coule des collines et des brumes qui renaissent pour s'évanouir, vouées à la vie secrète"

Quant au père, on sait depuis la fin de L'Arbre sec qu'il a fini suicidé dans la Saône.  A la fin de ce tome III (Le Bât d’Argent), son digne rejeton qui finit marié à une femme qu'il n'aime pas s’exclame :  « ça m’est égal,, pourvu que ça dure autant que moi » : Moi ! Tel sera donc le mot de la fin de la trilogie, et on sait combien, dans un roman bien ficelé, ce dernier mot compte. Comment mieux mettre l’accent sur cette montée en puissance des divers individualismes qui structurent l’ensemble des conflits présents, conflits que ni l’époque ni la ville n’ont les moyens d’absorber ? La scène durant laquelle est estimée à son juste pesant d’or la valeur de l’héritage qui a survécu aux affres de quatorze-dix-huit,  mille neuf cent dix-sept et mille neuf cent vingt-neuf est, à ce titre, éloquente :

« Emprunt de l’Etat Russe, à quatre et demi Obligations de cinq cent francs...

-          Combien ?

-          Cent soixante.

-          Quatre-vingt mille francs qu’il a mis là ! Une part de la dot de ta mère Ca vaut quinze cents francs le tout, à l’heure actuelle. C’est quand même foutant ! Continue !

-          Cinquante emprunts à Saint-Pétersbourg, 1912

-          Même chose. Passons !

-          Brazil Railway Company, six pour cent, 1913. Vingt obligations ...

-          Ce n’est plus côté depuis cinq ans il y a un procès… »

Cela se poursuit durant des pages : moment pathétique durant lequel le Bât d’Argent, point encore absolument vide, se découvre tout de même pathétiquement bien entamé : « La génération qui borde le ciel de nuées tragiques n’est pas celle qui reçoit l’averse », en conclut le fils de famille  à une autre page du roman. Belle formule, et comme vouée à être répétée fort amèrement par chaque génération qui suit l'autre : « Tout nous dit que nous ne vieillirons pas comme vous, derrière des banques et des frontières barbelées, jouissant à loisir du droit de cultiver les arts, de gominer nos phrases et nos cheveux blancs ». Tandis, donc, que le fils se console dans les bras de sa maîtresse, une fille du faubourg avec lequel il apprend durant quelques jours à regarder le monde d’en bas, et pour laquelle il vendra tout de même, avant qu'elle ne meure, "la moitié de son paquet de titres", sa digne mère - à qui tout le monde répète que le deuil lui va bien - contemple inlassablement des paysages :  « Que de laideurs démocratiques », soupire tristement la dame de Lyon, sur le point d’arranger le mariage du dernier représentant des Debeaudemont  du haut du fort de Loyasse,  «que de laideurs », comme « une offense à sa jeunesse »,  «les  jardins ouvriers »  et  «les habitations à bon marché » qui fleurissent et sur la colline et la défigurent...

Avec ce mariage final, chacun peut penser que tout va rentrer dans l’ordre, la loi voulant que 1934 suive harmonieusement 1933, lequel se serait en toute simplicité substitué à 31-32, avec la même allégresse qu'un pas de danse sur un parquet ciré ; le père aurait remplacé le fils et la dame de Lyon pourrait retourner prier à Fourvière en compagnie de sa bru, en toute tranquillité. Mais le romancier nous rappelle discrètement qu'entre 1931 et 1935, des événements se sont déroulés en Europe : mines qu'il dépose, en quelque sorte, les pas de personnages moins avertis qu'il ne l'est. On comprend que ce mariage sera le commencement d'une autre dégringolade.

Certes, Joseph Jolinon n'a pas ce style claironnant, parfois flamboyant qu'on reconnait - et moi le premier - à Henri Béraud. C'est un auteur au verbe plus neutre, qui décline son phrasé un ton en-dessous. Il a cependant une façon malicieuse de travailler le cliché, en artisan de la langue conscient et soucieux du bel ouvrage. Cliché, mis au service de la lucidité. La critique de l'époque l'a souvent comparé à Montherlant (en raison, sans doute, de son discours récurrent sur l'avènement du sport). Ce qui m'intéresse chez lui, c'est sa façon de tirer un parti romanesque de la crise insoluble que traverse la société bourgeoise des années trente. Avec cette trilogie qui mériterait une réédition, il brisait, pour ses contemporains qui se croyaient "à l'abri", une illusion très vivace dans la France de son temps - et qui l'est certainement dans celle du nôtre  : celle  qu’on pourrait, au nom du droit magique que confère la "mondanité", échapper aux violences des remous de l’Histoire, au nom des droits de l'homme et de ceux du chrétien, court-circuiter comme par enchantement ceux, toujours prégnants en littérature et ailleurs, du Destin.

 

 

 

19:32 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, jolinon, lyon, roman, romans, culture | | |

mercredi, 09 juillet 2008

La blogonews

Sur son blog Theatrum Mundi,  Pascal Adam livre une critique édifiante (comme vous n'en lirez pas dans la presse) de l'Inferno  de Castelucci, spectacle d'anti-théâtre qui a l'honneur de la Cour des Papes cette année au in (complètement in - semble-til) d'Avignon.  A lire avant d'embarquer par TGV ou de réserver l'hôtel. Pascal, si vous passez par là, laissez-nous donc en commentaire les prix des places qui doivent aussi valoir leur pesant. Une nouvelle intéressante sur le blog de Gérard Collomb (si! si!) : "La libération d'Ingrid Betancourt est un bonheur pour tous !"  Pour tous, vous avez bien lu, et pas seulement pour les Lyonnais. D'habitude, Gérard a des réjouissances plus municipales. Après la joie du doublé historique de l'OL, le partenariat signé avec l'impayable BillGates, Gérard patauge dans un bonheur infini et le fait savoir. Grand Bien lui fasse ! Si vous avez cinq minutes à perdre, allez visionner sur son blog également la vidéo sur la pétank partie, Lyonnais, ça vaut le détour ! Pour conclure avec Betancourt, un lien intéressant, cette fois-ci, afin de décrypter une partie des enjeux de cette affaire, qui n'a pas fini de faire parler d'elle, sur ce site anti-médiacratique  Et puis, à propos de vidéos qui valent le détour, l'oreille en feu  propose un clip de Démago, groupe parisien : Ah les ravages de la vie dans les grandes métropoles, nom de Dieu c'est quelque chose... Ravages aussi d'une présidence désormais installée : il parait (dixit Sarkozy) que désormais, quand les gens font grève "personne ne s'en aperçoit" : la réponse en photo d'une lyonnaise d'adoption. Sur ce, je vous quitte et je vais bouquiner le dernier tome de la trilogie de Jolinon, une gloire littéraire, locale et fanée des années trente, que je me suis mis en tête de relancer.  Et à propos de livres, pour finir, L'Annexe de Jean Jacques Nuel rend hommage à Robert Bouvier, qui a fermé sa librairie des Nouveautés il y a un an, déjà. Comme le temps passe!

21:01 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : avignon, ingrid betancourt, castelucci, actualité, sarkozy | | |

Tadeusz Kantor

« Je dois dire ce mot : instruire. S'instruire. Je n'ai pas honte de ce mot. J'ai étudié depuis le début, dès que j'ai décidé de devenir peintre.. Ma création était toujours découverte de faits que je ne connaissais pas. C'était, en quelque sorte, des études. C'était un voyage, découvrant de nouvelles terres; le but s'éloignait toujours, je laissais derrière moi des pays conquis... Les Artistes doivent étudier, découvrir, reconnaitre et laisser derrière eux des régions conquises. »

(Tadeusz Kantor- Leçons de Milan, Actes sud papiers, 1990) 

C'est encore Tadeusz Kantor, lui-même, qui définit le mieux son théâtre : 

« Œuvre qui n'exhale rien, n'exprime rien, n'agit pas ne communique rien, n'est pas un témoignage ni une reproduction, ne se réfère pas, à la réalité, au spectateur, ni à l'auteur qui est imperméable à la pénétration extérieure, qui oppose son opacité à tout essai d'interprétation, tournée vers NULLE PART, vers INCONNU n'étant que le VIDE, un «TROU» dans la réalité, sans destination, et sans lieu, qui est comme la vie passagère, fugitive, évanescente, impossible à fixer et à retenir, qui quitte le terrain sacré qu'on lui a réservé, sans rechercher des arguments en faveur de son utilité.
Qui EST, tout simplement, qui par le seul fait de son AUTO-EXlSTENCE MET TOUTE RÉALITÉ ENVIRONNANTE DANS UNE SITUATION IRRÉELLE ! (on dirait «artistique»). Quelle fascination extraordinaire dans cette inattendue RÉVERSIBILITÉ ! »

 

Kantor est né en 1915 à Wielopole, bourgade polonaise,  d'un père juif converti au catholicisme. Le nom de Kantor est indissociable de celui de  sa troupe de Cracovie Cricot 2, refondée en 1955. Cette troupe et les comédiens qui la composent,  sera sa chair, son cri, son argile, ses monstres. En France la découverte de la Classe morte en 1977, inspirée de Bruno Schulz et de Witkiewicz, sera un choc fondateur. Cette cohabitation entre les poupées de cire et les humains vêtus de noir abolit notre orgueil de vivants. Chacun porte sur son dos l'enfant qu'il fut, et qu'il a laissé mourir. Ces êtres, chacun pris dans son obsession (berceau, vélo, pion amorphe, soldat coucou dérisoire,...), pointent le doigt en l'air vers un ciel vide et terrifiant. Un traité des mannequins que d'autres appellent par exagération des hommes se tisse de pièce en pièce : La pieuvre (1956), Cirque (1960), Le petit Manoir (1961), Le fou et la nonne (1963), la poule d'eau, Les mignons et les guenons (1973), La classe morte (1975), Où sont les neiges d'antan (1979), Wielopole-Wielopole (1980), Qu'ils crèvent, les artistes (1985), Je ne reviendrai jamais (1988), Ô douce nuit (1990). Beaucoup sont des mises en scène du grand Witkiewicz.

Kantor a réussi à incorporer dans la totalité de son œuvre, que ce soit  la peinture, le dessin ou le théâtre, l'histoire du combat qu'il avait mené au nom de son âme d'artiste et aussi pour gagner le ravissement des spectateurs. L'art du XXème siècle était déchiré entre deux pôles : l'utopie de la forme pure prônée par le constructivisme, une vision rationnelle bien ordonnée, et la tradition littéraire du symbolisme, nostalgie d'un art rempli de significations et d'émotions. L'un des plus grands acquis de Kantor consiste à relier ces deux tendances et à soumettre les symboles et l'émotion à la discipline rigoureuse de la forme. « Je voudrais qu'ils regardent et qu'ils pleurent »  - répétait-il - et il parvenait à hypnotiser, d'une manière mystérieuse, les spectateurs. Pendant ses spectacles des gens pleuraient sous toutes les latitudes : au Japon, en Argentine, à Paris. Sans d'ailleurs connaître notre tradition ou notre langue ; sans avoir connu la biographie ou les commentaires de l'auteur, ils se sont livrés à l'émotion jusqu'aux larmes. Ainsi, le petit village perdu quelque part en Galicie - lieu reconstruit avec des bribes de la mémoire et avec des photographies déteintes - est devenu le centre du monde, le portrait troublant du siècle passé : avec sa cruauté et son héroïsme, avec la tragédie de l'Holocauste, avec le drame de l'asservissement. Le siècle de la guerre et de la mort, celui des utopies audacieuses et des révolutions artistiques : tout cela a trouvé une expression exceptionnelle dans l'œuvre de Kantor ; son art est en fait un témoignage personnel et en même temps universel. Et ce n'est qu'aux plus grands artistes que revient ce privilège.  (Krystyna Czerni)

Kantor est mort le samedi 8 décembre 1990 à Cracovie, en préparant les répétitions de  Aujourd'hui c'est mon anniversaire. La troupe joue quand même. Une chaise vide, une écharpe, le chapeau, Marie encore plus blanche que d'habitude, les jumeaux les yeux rougis. Kantor est là, il regarde. L'économie de la mort est florissante. Dans son testament méticuleux il fait de chaque spectateur-lecteur son légataire universel : « Si la maison s'effondre, les archives doivent rester».


 

Kantor : un extrait de La Classe Morte, l'entrée en scène de la parade de l'enfance. On ne se lasse pas de la regarder, tant la musique est envoutante, la scénographie obsédante, sous l'unique lampe à suspension.... A son pupitre, le maître d'école et metteur en scène, à deux pas toujours de ses comédiens, comme une matière qu'on ne peut lâcher trop longtemps. Kantor, le visage attentif et lointain, tel celui de James Joyce, l'œil d'aigle, comme taillé dans l'airain. Voilà une belle figure de l'exigence, de la recherche, de la lenteur, de  l'Idéal également, aussi saugrenu que celui puisse paraître de prime abord. KANTOR. Voici ce que, dans les Leçons de Milan (1986) il  dit, peu de temps avant de mourir, d'abord de la consommation, puis de la communication :

« LA CONSOMMATION OMNIPOTENTE

Tout est devenu marchandise, La marchandise est devenue dieu sanguinaire. D'effrayantes quantités de nourriture qui nourriraient le monde entier; et la moitié de l'humanité meurt de faim; des montagnes de livres que nous n'arriverons jamais à lire; les hommes dévorent les hommes, leurs pensées, leurs droits, leurs coutumes, leur solitude et leur personnalité. Des marchés d'esclaves organisés à une formidable échelle. On vend des gens, on achète, on marchande, on corrompt. Création : ce mot cesse d'être un argument sans appel.

Et voici un autre visage de la FUREUR de notre fin de siècle : LA COMMUNICATION OMNIPOTENTE.

On manque de place pour les originaux qui marchent à pied (il paraît qu'un tel moyen de locomotion aide à penser). Des vagues et des fleuves de voiture se déversent dans les appartements. On manque d'air, d'eau, de forêts et de plantes. La quantité d'êtres vivants croît de façon effarante : des hommes ....  Continuons : La COMMUNICATION qui s'accorde parfaitement avec les chemins de fer, les tramways, les autobus, a été jugée comme le concept le plus adéquat et le plus salutaire pour l'esprit humain et pour l'Art. Communication omnipotente ! son premier mot d'ordre : la  VITESSE, s'est rapidement transformé en un cri de guerre sauvage de peuplades primitives. La devise est devenue ORDRE. Le monde entier, toute l'humanité, toute la pensée de l'homme, tout l'ART doivent exécuter docilement.

Tout devient obligatoirement uniformisé, égalisé et... SANS SIGNIFICATION. »

 

Pour suivre, sur Kantor :

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/04/26/kantor-et-mallarme.html

 

 

 

08:10 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, littérature, kantor, art, écriture | | |

L'Arbre sec (Joseph Jolinon)

L'Arbre sec : Deuxième volet de la trilogie consacrée à la famille Debeaudemont, qui fait suite à Dame de Lyon. L'Arbre sec, c'est d'abord le nom d'une rue du centre-ville; d'après le   dictionnaire des rues de Lyon de Brun de la Valette (qui reste la petite Bible en matière d'histoire locale des rues à Lyon), d'après lui, donc, l'appellation est attestée depuis le quatorzième siècle, ce qui fait un sacré bail. Allez savoir pourquoi cette rue, comme celle du Bât d'Argent, (dernier titre de la trilogie de Jolinon dont on parlera bientôt ici-même), a résisté à cette mode stupide inventée par le stupide dix-neuvième siècle, et qui consista à rebaptiser les rues avec des noms d'hommes célèbres, avec l'idée bien bourgeoise d'édifier et d'instruire le peuple de cette manière-là. C'est comme ça qu'ont disparu de nos plans des noms comme « la Truie qui fyle », « les Deux-Angles », « le Mont-sauvage », « Boucherie » et autre « Enfant qui pisse »

 

Le flâneur (comme l'habitant) connait-il mieux, pour autant, le nom des maires, conseillers d'arrondissements, professeurs, docteurs, avocats  et députés de la Troisième, Quatrième (voire Cinquième) République encartés en bleu au coin d'la rue? C'est improbable...

Brun de la Valette, donc, je le cite : "Cette rue était principalement habitée jadis par des potiers, tuiliers, "tupiniers" Son nom provient d'une enseigne (alors au n° 15), évoquant probablement l'arbre toujours vert d'Ebron, qui se dessécha à la 772533361_3.jpgmort du Christ". Vous verrez que ce détail a son importance dans l'affaire qui nous occupe, or donc, retenez-le bien  L'érudit local rajoute dans son article des choses qui peuvent nous intéresser aussi, bien qu'elles ne concernent pas directement le livre de Jolinon : Comme par exemple que les Charly, dits Labé, cousins de Louise, y vécurent un temps. Ou bien qu'au dix-neuvième siècle, cette rue coupe-gorge non loin du quai Bon Rencontre  était un repaire d'ouvriers tisseurs. Bon ! Passons à Jolinon.

Le premier volume s’était achevé par le renoncement à l’adultère d’Alice, le deuxième reprend la maille avec la rencontre qu’elle fait de son fils, le beau Jacques, au bras de sa meilleure amie d’enfance, dans une « maison de nuit »  des Célestins, en compagnie de celui-là même qui faillit devenir son amant : « La distance qui l’éloignait de son fils et de son ami égalait celle qui la séparait de son mari ». Pour chasser ses démons, la « dame de Lyon » songe donc à s’occuper l’esprit en occupant un emploi. Mais que choisir ? La situation économique générale n’est pas rose :

« En dix ans de paix, les capitaines d’économies avaient si bien travaillé au bonheur du genre humain qu’il en résultait une crise sans précédent et que la plupart des entreprises d’un intérêt général, pour ne pas dire national, couraient à la faillite. » Jolinon observe la société du Rotary, et enregistre les mutations de son temps : « l’homme de la soie » n’est plus le seul à pontifier : « On entourait surtout celui de l’automobile De même ne témoignait-on plus qu’une déférence modérée aux chefs de la banque et de la dorure, qui faisaient figure d’âmes en peine. En revanche, l’homme du ciment paradait. Et l’homme des produits chimiques avait le verbe haut. » Pendant ce temps, une affaire criminelle empoisonne le quartier de la Guillotière : le mutilé de guerre (époux, on s'en souvient, de la femme de ménage du couple Debeaudemont), a été retrouvé assassiné dans son logis.  C’est sa femme qu’on accuse. Comme désemparée par tout ce qui l'entoure, après tout un périple intérieur, Alice (qui ignore qu’elle est toujours filée par un détective payé par son mari) cède finalement aux avances pressantes du meilleur ami de son fils. Si, si ! Certain d’être cocu, Debeaudemont-père  s’exclame en lisant le rapporrt de l'agence qui file tout :

« Alice est victime du monde moderne! Moi-même, parfois ! On a le sentiment de s’agiter en pure perte».

Quelque chapitre plus loin, on retrouve Alice face à un vieux médecin lui annonçant qu’elle est enceinte. Naïve malgré son âge, elle s'imagine un instant pouvoir faire le bonheur conjugal de son jeune amant, à qui elle avoue à demi-mots les choses. C'est une « bovaryque », pense d'elle son confesseur (joli trait d’époque) ...  Evidemment, elle se fait rabrouer : «Il est selon moi infiniment risqué de faire des gosses à l’heure actuelle. Sans parler de la responsabilité qu’on encourt à mettre au monde un être peut-être bête, ou mal fichu, rachitique ou excité, voué en tout cas par le monde, la famille, les nourrices, les bonnes, les pions, les adjudants et autres militaires à des embêtements si exténuants que, de deux choses l’une : ou il se révoltera s’il a quelque vigueur, ou il moisira jusqu’à sa mort sans pouvoir se délivrer. » Voilà bientôt la « dame de Lyon » en train de quémander une adresse de confiance auprès de sa meilleure amie, maîtresse de son fils, dame pécheresse d'expérience.

Le roman s’achemine ainsi vers une fin toute tracée. Après un avortement réussi parce que, suggère cyniquement l’auteur, il ne fut pas «un avortement de  de pauvres », Alice erre un temps de maison de repos en confessionnal, avant d’arriver à exercer une profession, dans un hôpital pour enfants, puis dans un asile d’aliénés, où elle tente, entre deux confesseurs, de se racheter une conduite. L’Arbre sec, dans tout cela, qu’en est-il de l’arbre sec ?  Vous souvient-il de l'arbre toujours vert d'Ebron, lequel se dessecha à la mort du Christ ? Non ? C'est que vous êtes distrait.  En tout cas, ce qui demeura vivant jusqu'alors cessa de l'être, et tel est le commencement de la dernière page du second tome de Jolinon : 

« Sur le bas port, en amont du pont de la Guillotière, des mariniers se rassemblaient  Un noyé attirait leur attention. Ils formaient le cercle en le voyant bien mis, frais, décoré de la Légion d’Honneur, et se gardaient de le toucher en attendant la police.  Debeaudemont était de biais, près d’un tronc d’arbre, les jambes allongées, encore mobiles dans l’eau, le haut du corps raidi, la tête nue, l’œil droit fermé, l’œil gauche entrouvert, louchant vers son ruban. Il n’avait pas quitté son parapluie.»

Voila donc un roman (édité par Rieder, voir note précédente sur Dame de Lyon ) qui fit l'un des succès de l'été 1933 et qui est, il faut bien le reconnaitre, parfaitement oublié. Il y a là-dedans un peu d'injustice.

Par conséquent, si vous aimez chiner dans les vide-greniers ou les brocantes, si vous aimez les tapisseries d'alcôve à rayures et à fleurs (on n'en trouve de moins en moins - notez-le bien) ou bien les réveille-matin mécaniques en faux-marbre et leur clé qu'on remonte à la main, vous aimerez forcément l'ambiance un rien fané, un rien coquine, un rien tragique qui s'en dégage. C'est du Flaubert revisité par Colette et mis à la sauce andouillette, ce qui n'est pas rien ! C'est bien écrit et l'histoire est menée par un romancier qui connait son métier, même s'il n'est ni Proust, ni Céline.

00:44 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, nom de rues, arbre sec, lyon, jolinon, romans | | |

lundi, 07 juillet 2008

Fréhel à la radio

Document rare : un interview de la chanteuse Fréhel au studio Lausanne, à Paris, lors de son retour sur les planches non loin de la place de la Contrescarpe en 1950, juste un an avant sa mort, le 3 février 1951, au 45 de la rue Pigalle. Le mythe Piaf a un peu éclipsé celui de Fréhel, morte avant la popularisation du microsillon. Toutes les chanteuses  qui lui ont succédé savent pourtant ce qu'elles lui doivent. Ecoutez donc Fréhel vous raconter son trac, quand elle a débuté dans un modeste bal des PTT; écoutez ce rire étonnant, puis  La chanson tendre, a capella. De nombreux documents photographiques également, sur cette video-document, rare.

 

 

 

00:58 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : frehel, chansons, portrait, vidéo, musique, chanson | | |

jeudi, 03 juillet 2008

Libérez Billancourt

 

Est-il permis de dire à l'heure actuelle, dans ce pays, qu'on ne ressent aucune liesse spéciale, aucune joie indicible, aucune émotion particulière à savoir qu' Ingrid est libérée. Une nausée, plutôt, devant le lexique religieux partout répandu, une certaine inquiétude, aussi, pour la santé politique et intellectuelle de ce pays. « C'est Jeanne d'Arc », déclare un commentateur sur TF1... La société du spectacle aurait-elle trouvé en Ingrid Bétancourt et ses enfants la sainte famille qui lui manquait pour abrutir définitivement ses ouailles ?

Ce que je trouve consternant, pour ma part, au-delà du fait politique lui-même dont on ne maîtrise pas tous les tenants ni les aboutissants, vu  la qualité de l'info réelle - c'est la façon dont l'affaire Betancourt est personnalisée. Star-martyr aux côtés d'autres stars (footballeur, acteur, politique, people en tout genre) J'ai l'impression qu'il y a deux mondes, désormais : celui des gens dont on parle jusqu'à extinction des voix, celui de ceux dont on ne parlera plus jamais. Fracture médiatique après la fracture sociale.

Comme Toréador le dit en commentaire : il ne faut pas désespérer Billancourt...

 

 

13:29 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : politique, sarkozy, bétancourt, actualité, ingrid bétancourt | | |