dimanche, 20 septembre 2009
Ma pièce
Une pièce dans un immeuble, un immeuble dans une rue, une rue dans une ville…
On se perd, au-delà,
Si peu bâtis, sommes-nous, pour l'infini.
Au delà, ce sont des métropoles entraperçues d’un hublot nocturne,
Ces tapis de lumières que n’abattent jamais tout à fait ni l’horizon ni l’obscurité,
En lignes, en courbes, en pointillés, en paillettes,
A perte de vue :
La terrible, l'insatiable, l’infernale présence humaine, sur la boule Terre
Jusqu'au vertige rendue non, jamais totalement visible,
Pas plus qu'imaginable ...
Ma pièce, rien qu’un tout petit point lumineux parmi ces milliards d’autres pièces, disséminées,
Et pour retrouver dimension plus sereine, plus adaptée à soi-même, partout des écrans, des images :
Télés, ordis,
Page d’un livre, tracée de sillons,
Mots, qu’on lit,
Ou blanche,
Oui, page blanche,
Qu’on écrit.
21:00 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature, écriture, poèmes, soir |
lundi, 01 juin 2009
Maurice Chappaz, poète de passage
Un ami m’a offert un très beau texte de Maurice Chappaz dont je viens d’achever la première lecture. Il s’agit du tout dernier ouvrage du poète et vigneron suisse, La pipe qui prie et fume (Nov. 2008, réed. mars 2009, ed. de la revue Conférence). Maurice Chappaz s’est éteint au début de l’année 2009, le 15 janvier exactement. Ce texte constitue donc un legs poétique troublant, dans lequel l’expérience de la vieillesse et celle de l’écriture s’enlacent à chaque instant : « Je devine en moi la grande usure. L’Eternel est aux aguets » (p 9).
De Chappaz, je ne connaissais que le Testament du Haut Rhône, un recueil de 1953, réédité par Fata Morgana en 2003. La qualité avait sonné à mon oreille. Sonore et vive. Mais je ne sais pourquoi, sans doute cet endormissement administratif dont parle le poète, et propre aux citadins (là, c'est moi qui rajoute), je n'avais pas insisté. Chappaz n'est pas homme des villes, et nous qui y vivons y perdons trop souvent le goût et la paix de l'esprit.
La pipe qui prie et fume se présente comme une suite de 26 méditations, faites aux Vernys, son chalet sans route dans une haute vallée valaisanne. Pierre-Yves Gabioud, (peintre et graveur vivant dans le val Ferret), a accompagné les 26 textes de 26 monotypes reproduits dans l’édition. La valeur de cette écriture tient tout entier à la conscience de la mort, avec laquelle vit le poète nonagénaire. « A la suite d’un corps, il ne peut y avoir rien. Certes, personne n’est revenu des inimaginables villages. Quand nous serons en Dieu, nous passerons dans les nuages, le vent, les torrents qui bêlent, ça pourra prendre une forme humaine. Nos morts travaillent depuis toujours sur cette terre. Tel ou tel les a aperçus, je m’en suis parfois douté. Ils influencent le destin, ils remuent les événements » (p 21) « J’ai tant guetté le printemps, cette année, si anxieux de le manquer. A présent, guetté par l’âge, je le rumine comme les vaches ruminent l’herbe en clignant les paupières. » (p 71) « Les croyants, les incroyants… Voilà ce qui à l’instant s’est faufilé à l’intérieur. On est tout à la fois croyant et incroyant. Le choix se fait sans cesse et presque à notre insu, d’un jour à l’autre dans le dédale de l’âge où je trébuche. L’espoir même que j’ai et les miettes de la beauté du monde qui s’éparpillent en moi… des nuages dans le ciel aux arbres sur la terre qui attendent avec le cri d’un corbeau, tout me fait sentir mon rapprochement avec les bêtes. » (p 94) Et ce passage où Chappaz cite « le mot de la fin d’un fermier à sa parenté appelée autour de son lit : Eh bien ! mes pauvres, cette fois ça y est, j’ai fini de chier. » (p 94)…
Maurice Chappaz, jeune homme.
11:33 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : poésie, poèmes, la pipe qui prie & fume, maurice chappaz, littérature, corinna bille, vernys |
lundi, 19 janvier 2009
L'embourgeoisement du monde
Souffrir, dans ce monde lisse, est un délit.
Souligner l’incohérence, l’imposture, l’effroi,
Une trahison.
L’écart n’est conçu que validé par l’opinion.
Tandis que le développement des libertés prétendument individuelles
A fait de chacun de nous
L'objet, aussi original
Que le mobilier urbain qu’on voit dans nos rues
(Un banc, un lampadaire, une dalle, une poubelle),
La rivière de Char polluée, l’albatros de Baudelaire mazouté,
L’arbre de Giono réduit en cendres,
Le nuage opaque & crémeux qui plane sur chaque ville,
La surdité technologique,
L'amnésie médiatique,
Le ravissement démocratique
Disent, si évidemment,
Que cette espèce, comme les autres,
Est condamnée.
Un progrès ?
Nous payons au prix fort l’embourgeoisement du monde.
07:35 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : écriture, poèmes, poésie, littérature |
dimanche, 07 décembre 2008
Ce qui fut sans lumière
Je dois me délivrer de ces images
Je m’éveille et me lève et marche. Et j’entre
Dans le jardin de quand j’avais dix ans,
Qui ne fut qu’une allée, bien courte entre deux masses
De terre mal remuée, où les averses
Laissent longtemps des flaques où se prirent
Les premières lumières que j’ai aimées.
Yves Bonnefoy - "L'agitation du rêve" (Ce qui fut sans lumière)
05:12 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : yves bonnefoy, littérature, poésie, poèmes, fête des lumières, lyon |
vendredi, 28 novembre 2008
Vue
Ce qu’à Lyon, on appelle une vue n’est accessible que de quelques endroits : des sommets de Fourvière ou de ceux de la colline des canuts. Ces derniers sommets s’édifièrent dans un conglomérat de rues tel que cette vue qu’on déflore, au fur et à mesure qu’on s’élève dans les étages d'un immeuble, ne se peut imaginer lorsqu'on est sur le trottoir, en tous cas si vaste , si claire, si somptueuse. On la découvre soudain, à partir du quatrième ou cinquième étage de l’immeuble. D’un côté, les Alpes, naturelles, blanches et éloignées ; de l’autre, la roche sombre, abrupte de Fourvière, pierre scize plongeant dans la Saône. En quelques points privilégiés des hauts immeubles des pentes, on peut saisir les deux dans la même pièce. On vit alors, encore, dans la ville, certes. Au confluent même de ses pensées les plus profondes : Dans le creuset véritable de son nom. Les aubes et les crépuscules, qui, du lux latin, devinrent dans l'imaginaire le Lug celte, viennent frapper aux carreaux de vos fenêtres. Les premières sont alpines et attendent encore le doux Turner qui les fixerait sur une toile ; les seconds, de derrière Fourvière, semblent soulever la basilique, quand la fureur rouge de leurs rayons la fige contre le cul dodu des nuages. Puis, soudain, toutes pierres fécondées, l’aveuglant jet du couchant s’éclipse, comme auréolé par des lointaines fondations : de la ville dont, un instant, chaque soir, il dispute le privilège à Marie, Lug, irrité et vivant, se retire. De son emprise, immense et affairée, se dégage la cité classée au patrimoine historique, obstinément amnésique. Dans les reflets que l’illumination technologique de ses nuits accorde aux cours d’eau qui la traversent, elle est sotte et glacée comme une image, cette ville, au soir tombé.
Celui qui bénéficie d’un tel point de vue peut, pareillement, saisir l’extrême qualité de l’orage, après que le site, chaque tuile, chaque pavé, chaque clocheton, en a subi l’attente, souvent lourde et caniculaire. Ça claque, on ne sait d’où, ça vrombit brusquement : L’eau ne vient pas. La noirceur du ciel, même en plein jour, atteint des degrés sinistres. Puis le gris danse et roucoule. En un éclair, c’est le mariage des éléments, subit et colossal. L’acte fondateur et vivant redevient contemporain : Tout, qui ruisselle. Et le souffle alpin, tournoyant à présent alentours, balayant, après la foudre, la pierre italienne et renaissante de fraîches bourrasques, la nettoie minutieusement de la présence des hommes.
14:15 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : lyon, littérature, société, poésie, poèmes, écriture |
dimanche, 16 novembre 2008
Huitain amoureux en patois
Voici un petit poème d’amour en patois lyonnais, écrit dans la manière pétrarquisante de l’époque (1541) par Pierre de Villiers, compositeur de chansons donné comme contemporain de Rabelais. Ce huitain appartient à un ensemble aujourd’hui introuvable, « Le Paragon des Chansons, contenant plusieurs nouvelles et délectables chansons que oncques ne furent imprimées au singulier prouffit et délectations des musiciens », imprimé à Lyon par Jacques Moderne. Il a été publié par Auguste Benoit en 1969 dans La Revue Forézienne.
Lo meissony, sur lo sey se retire,
Quant il a prou, tout lo jour, meissona,
Mes vostre amour, si fort, vers se, me tire,
Que je ne puis jamais abandonna.
Veiquia lo guet que j’oyo marmonna
J’e paour qu’icy ne me viene cherchi.
Bon sey, bon sey, meilleur qu’a mey, vous sey dona.
Cuchi m’en vey, mes maulgra mey, cuchi.
Traduction :
Le moissonneur, vers le soir, se retire,
Quand il a bien, tout le jour, moissonné.
Mais votre amour, si fort, vers lui m’attire
Que je ne puis jamais vous quitter
Voici le guet que j’entends murmurer
J’ai peur qu’il ne vienne jusqu’ici me chercher.
Bon soir, bon soir, meilleur qu’à moi vous soit donné.
Je vais me coucher, mais c’est bien malgré moi !
12:27 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : lyon, littérature, poèmes, poésie, patois, pierre de villiers |
samedi, 15 novembre 2008
Un chant de lavandières (XVIIème)
Je lavon si bien lo drapio,
Avoy lo devanti de pio,
Que je lo fan blan comme amandra,
Et, du manchou du batillon,
Je freton voutro coutillon,
En chantant comme una calandra,
Et, sens craindre ni ven ni bizy,
Ma fey, me commare, nous an,
Per savonna voutre chemise,
De savon de vingt-e-cinq-an
Mascarade imprimée par Léon Boitel (suivre le lien en cliquant sur son nom) en 1838 seulement. Ce couplet de dix vers offre plusieurs mots et formes du parler lyonnais. La mascarade a été composée à l’occasion de l’entrée magnifique de Bacchus en la ville de Lyon, le 14 février 1627.
Traduction :
Nous lavons si bien les couches
Avec les tabliers de peau,
Que nous les rendons blancs comme amande,
Et, du manche de notre battoir,
Nous frottons vos jupons,
En chantant comme une alouette,
Et sans craindre ni vent ni bise,
Ma foi, mes commères, nous avons,
Pour savonner nos chemises
Du savon de vingt-cinq ans.
22:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, patois, lyon, poèmes |
Le dit de Bredin le Cocu
Coq à l'âne en patois lyonnais de la fin du XVIème siècle, par Bredin le Cocu (Benoît du Troncy)
Qui vout ouy una chanson
Qu'est touta de mensonge ?
S'il y a mot de vereta
Je voglo qu'on me tonde
La felon melon du lon
La felon melonge ..
Nostra chatta a faict do chins
Ley, dessous una ronce
Nostro asno en tuyt cinq
Et en espuly onze
La felon …
Je lo portay au marchat
Je lo vendy tos treze
Je m’en ally à Marbou
A Marbou ou pou plus outre
La felon …
Je trovay un pomy dou
Tout chargia de griotte
Jetty mon bourdon dessus
Je fis cheyre de ly les peires
La felon …
Mais le bon homme veny
A qui estant le pesche
M’envoya son chin après
Sa chieura me vint mordre
La felon…
Me vint mordre au talon
Je seigny par l’oreille
Alla quérir le médecin
Pour me garir l’espaula
La felon …
Je lui daray pour payement
Une once de ma mierda
Qui sera fraische caca
Du plus clair du clystère
La felon …
Et quand mon deyt sera gari
J’irai cullir des pommes
Desus le noyer tout sec
De ma commare Clauda
La felon …
Mais c’est trop chalamela
Sans manger ne sans beyre
A Dy don mon bon Signour
Jusques à l’altra Feta
La felon …
Ci-dessous : Le quartier Saint-Georges en 1840 : Les maisons du bord de l’eau avant la construction du quai Fulchiron, d’après le sépia de Leymarie (Musée de Lyon), dessin de Joannès Drevet (1854-1940), in Le Lyon de nos pères, Lyon, Bernoux, Cumin et Masson, 1901.
00:01 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : lyon, littérature, poèmes, poésie, coq à l'âne, bredin le cocu, moyen-âge |
dimanche, 02 novembre 2008
Jour des morts
19:36 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : bloy, littérature, poèmes, toussaint, mort |