vendredi, 12 mars 2010
Bruits de chiottes
Dans un café. Tous trois sont trentenaires. Deux filles, un garçon : bien propres sur eux, tous trois. Deux jus de fruits et une bière en bouteille. On parle à voix presque basse. Dehors, le soir tombe :
- - Elle serait, dit l’une, avec un chanteur, et lui avec une secrétaire d'Etat.
- - Tu l’as entendu dire aussi ?
- - Il y a eu des coups de fil à Europe Un. D'autres au J.D.D. Ils cherchent à étouffer le truc.
- - Et depuis longtemps ?
- - Cela fait six mois qu’ils ne sont plus ensemble.
- - Une secrétaire d'Etat ? dit le gars
- - Et un chanteur, confirme l’une des filles
- - Ça c’est un scoop ! répète le gars
- - Une conversation de nanas… rigolent les deux autres.
- - En tout cas Europe un a bien reçu des menaces… Et The Sun en a causé...
Dans un coin, l'écran plat, dont le patron a coupé le son. Y défilent les mêmes images en boucle. Sur la bande déroulante de news, celle-ci ne s’y trouve pas. C’est rien qu’une rumeur de bistrot. Un bruit de chiottes, comme on dit.
19:11 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : communication, politique, actualité, société, europe un |
vendredi, 12 février 2010
La haine de la littérature
« La haine de la littérature est la chose la mieux partagée au monde » (Flaubert)
Cette phrase est d’une lucidité fascinante, terrible, presque d'acier. S’y lit d’abord une exigence absolue, celle qui anima le styliste hors pair que fut l’écrivain Flaubert dans l’arrachement douloureux et besogneux de son écriture devenue, à force de pratique, force consciente d’elle-même. Et c’est vrai que la haine de l’exigence (je ne parle même plus de l’exigence littéraire) dans une société qui a fait de l’égalitarisme condescendant et démagogique son credo de base et sa seule façon d’éviter la guerre civile, est une des choses le plus communément admise. Jamais la haine de l’exigence ne fut chose aussi partagée que dans la société du tout se vaut mise en place depuis quelques quarante ou cinquante ans.
Ainsi, éditeurs, professeurs de français, animateurs d’ateliers d’écritures, ministres de l’éducation nationale, animateurs de centre social, libraires, académiciens, publicistes, auteurs de bande dessinées, footballeurs, cadres supérieurs, techniciens en informatique ou en sciences de l’éducation, pharmaciens, présidents de la République, critiques littéraires, psychiatres, linguistes, sociologues, journalistes, épiciers, chanteurs de variétés et parents d’élèves - et surtout écrivains ou écrivaines- sont-ils tous, à des degrés divers et pour des raisons diverses, ennemis de l’excellence, et particulièrement de l’excellence littéraire. Parce qu'ils sont amis, et amis souvent fort intimes, de l'imposture littéraire.
Il n’y a que le solitaire, qui se recrute occasionnellement chez l’une ou l’autre des espèces citées plus haut, il ne reste que le solitaire ou la solitaire pour être capable de ne pas rejoindre la cohorte de ceux qu’anime cette haine, parce qu'au sens propre, la littérature l'a aidé d'abord à survivre, et puis peut-être à vivre. Un solitaire aimant des Lettres, vous en trouverez également chez un éditeur, bien sûr, un professeur de français, un animateur d’atelier d’écriture, un ministre d’éducation nationale … Eventuellement (mais de moins en moins) chez un auteur ou une auteure de renom.(1) N’importe lequel d’entre nous peut le devenir, ce solitaire-là avant de retourner à ses occupations mondaines. Occupations mondaines qui feront de lui à nouveau, et peut-être surtout s’il travaille dans le secteur littéraire, le pire ennemi de la littérature. C'est qu'il faut bien, comme le disait le bon Zola, gagner sa vie.
Se lit donc dans la phrase de Flaubert, outre cette lucidité terrible, une conscience à la fois grandiose et désabusée du cœur humain.
Et c'est pourquoi me semble-t-il, cette phrase demeure quelles que soient nos indignations respectives et nos « efforts » pour « lutter contre » la réalité qu’elle pointe du doigt tragiquement vraie. Je vais proférer un lieu commun : L’homme a besoin de reconnaissance. Or, pour aimer la littérature, il a besoin d’être reconnaissant à son égard. Combien d’entre nous le sommes-nous réellement ?
20:40 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : flaubert, littératre, actualité, société, édition |
vendredi, 05 février 2010
Scandaleux,sordide,fascisant...
Scandaleux, sordide, fascisant…
Que n’ai-je entendu sur le débat suscité par Besson à propos de l’identité nationale. Tandis que Besson et son inquiétant rictus politicien sortait du bois, Peillon instrumentalisait le non-débat pour placer ses billes dans son parti décomposé.
Et puis, comme on le fit de l’épidémie de la grippe A, on déclara le débat terminé.
Jusqu’à ce que ce que, pour faire parler de soi, à droite comme à gauche, ces deux partis interchangeables que sont le PS et l’UMP trouvent autre chose.
Scandaleux, sordide, fascisant : ce débat est surtout inutile, imbécile et sans issue. Il me rappelle ces espèces de questions bidonnées que posait Delarue dans son talk-show : comment vit-on avec un paraplégique ? Y-a-t-il une vie après un troisième divorce ?
Qu’est-ce qu’être français ?
Etre français, c’est avoir épousé, comme un italien, un russe, un marocain, ou un esquimau, les contours d’un certain particularisme au sein de la grande famille universelle. Mais j’emploie des mots que l’idéologie dominante, à l’élaboration de laquelle PS et UMP auront bien contribué de pair (1), n’aime pas : l’idéologie dominante préfère mondialisé à universel, et communautariste à particulier. Demander aux français résidents en France de se poser la question de leur identité, cela revient à les considérer comme une communauté parmi d’autres. Or nous ne sommes pas une communauté parmi une autre. Car le communautarisme est une imposture autant idéologique qu’historique, nous le savons tous. J’en veux pour preuve cette réflexion identitaire que je viens de conduire à travers nombreux textes sur le fait d’être lyonnais : réfléchir au particularisme sans déboucher sur l’universel, c’est se perdre dans le communautarisme, comme le lit d’un torrent qui prendrait la mauvaise pente et n’arriverait plus ensuite à trouver la route de la mer.
Le marché mondialisé a besoin de penser le monde sans histoire et sans transcendance : c'est-à-dire sans particularisme et sans universel. Le monde a besoin d’un seul marché et le marché a besoin qu’il n’y ait face à lui qu’un monde fait d’individus et de communautés qui auraient besoin exclusivement de lui pour trouver (et se payer) de pauvres repères afin de survivre dans une idéologie et une histoire faites de bric et de broc. S’interroger sur une quelconque identité dans un tel contexte, cela revient à renoncer (ou faire mine de) à la sienne. Seul celui qui est perdu se demande qui il est. Et ce qui était vrai, jadis, sur un plan uniquement ontologique, l’est devenu, aussi dans ce monde post-moderne et foireux, sur le plan identitaire. Dans un tel contexte, et au vu des échéances électorales qui se préparent, nous n’avons pas fini d’entendre un peu partout des âneries en cascades. Je viens par exemple d'apprendre hier soir qu'on pouvait, au XXIème siècle, porter le voile pour les beaux yeux de Mahomet et militer dans un parti d'obédience marxiste. Visiblement, il n'y a pas que la religion qui est l'opium des peuples... Vive les facteurs !
Comme demeure d'actualité, dès lors, cette remarque de Léon Boitel dans ce passage où il justifie l'existence de la revue qu'il vient de créer en 1835 :
« Au milieu des graves préoccupations qui dominent notre société, au milieu de tant de partis qui la déchirent, de tant de corruption et de scepticisme qui l’envahissent, au moment enfin où, à voir les transes convulsives qu’elle éprouve, on devine l’enfantement de nouvelles idées et l’agonie d’idées anciennes ; nous dirons qu’avec les révolutions matérielles il nous faut les révolutions intellectuelles ; qu’aux hommes ballottés par la politique décevante et irritante, il faut souvent une page où reposer l’esprit. »
(1) L’encartage politicien mis à part, rien ne ressemble plus à Nicolas Sarkozy que Dominique Strauss-Kahn. Les sondages qui discrètement nous rappellent l'existence d'une opposition entre eux deux en témoignent. Rien, hélas, ne ressemble non plus tant à Martine Aubry (M.A) que Michèle Alliot Marie (MAM).
23:52 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, ps, france, régionales, actualité, société, identité nationale |
mardi, 02 février 2010
Déni de réel
Un collègue me fait remarquer cet après-midi qu’il a entendu ce titre à la radio : « 600 000 enfants sont mal logés en France ».
C’est vrai que la place prise par « l’enfant » dans cette société a quelque chose de monstrueux et qui a à voir avec le déni du Réel.
Une autre collègue me disait que tout cela lui paraissait dû au fait que les parents pondaient leur marmaille de plus en plus tard.
Vrai que la démission des adultes devant tout ce qui touche à la jeunesse a quelque chose de lamentable.
Vu, hier, sur un écran, le visage de Sylvie Vartan : plus une seule ride. Et pourtant, l’air vide et vieux. Visage sans expression. Comme si son existence s’était dérobée de ses traits.
Autre déni du Réel.
Ceux qui traitent avec tant d’égards une jeunesse ainsi réifiée - au point que bientôt la fessée sera illégale (on ne touche pas à des objets de collection) – sont pourtant les vrais violateurs de la jeunesse.
L’Etat totalitaire.
Enfin.
Bien triste pour tous ces pauvres enfants, si mal logés.
Pas vrai ?
00:43 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : société, actualité |
lundi, 25 janvier 2010
A dormir pour dormir
Aux dernières nouvelles, les Français, qui furent 53 % à voter pour Sarkozy en mai 2007 ne seraient plus que 38 % à être satisfaits de son action en janvier 2010. Où sont passés tous les autres ? Eh bien, ils ont appris à se contenter désormais de son ombre, semble-t-il, puisque (toujours selon le même sondage) c’est François Fillon qui recueille à présent 53 % de satisfaits pour son action à Matignon. Ce qui doit faire de lui l’un des Premiers Ministres les plus populaires de la Cinquième, après plus de deux ans et demi passés à ce poste qu'on dit pourtant à haut risque.
Comme quoi les Français apprécient toujours autant les fils de notaires provinciaux, discrets et bien vêtus, à qui on confierait son patrimoine et la virginité de sa fille sans confession. Il faut avouer qu’ils ont eu le temps de s’habituer à sa gueule de gendre idéal, pas aussi inactif, il faut le souligner, que son emploi de majordome du grand petit Nicolas le laisse supposer. Se souvient-on qu’il fit même partie des hyperactifs du gouvernement Raffarin, lors de la réforme des retraites de 2003 (laquelle, d’ailleurs porte son nom) en tant que ministre du Travail, des Affaires Sociales et de la Solidarité ?
En un autre siècle, François Fillon appela à voter non à Maastricht, au nom du « gaullisme debout ». Fichtre ! Puis il se rangea dans le camp du oui au référendum sur le traité constitutionnel de 2005, au nom du réalisme partisan. Refichtre ! Comme tous ses collègues de gauche ou de droite, le sieur dû avaler le nombre certain de couleuvres nécessaire à l’accession à la responsabilité. La « grandeur de la France » se mesurant à présent à la taille de ses deux principaux dirigeants, si Matignon ressemble à présent à une sous-préfecture, ce n’est pas parce que l’Elysée serait tout puissant, mais bien parce que l’Elysée n’est plus lui-même qu’une préfecture.
Ce soir, justement, une dizaine de sondés sont invités par TF1 à discutailler des problèmes de leur vie quotidienne avec le fade préfet de l’Elysée dans une émission au titre ridicule, « Parole de Français ». Quel présupposé loufoque est à l'origine du choix d'un pareil titre? La France sarkozienne, il semble qu’il suffise au fond de s’adresser à son préfetsident, pour en être membre à part entière ! C’est peut-être même cela, être Français aujourd’hui, de cœur, d’identité, de souche et de parole : pouvoir docilement poser sa question à Sarkozy entre deux matons de TF1, pendant que la famille entière enregistre le passage à la télé. Et peu importe ce qu'on dit. Et qui on est. Et d’où on vient. Pourvu qu'on fasse partie du show politicien. Dégoût.
Ce sera donc, sans aucun doute, un privilège sans pareil que d’écouter ce président et ses multiples faire-valoir de toute sorte parler français comme on entend qu’ils le parlent tous désormais. Un privilège et un plaisir, en un mot un spectacle à la hauteur de ce que nous sommes devenus. Mauvais citoyen que je suis, ce spectacle, je le laisserai avec délectation au reste de la nation. A dormir pour dormir, il se peut que, ce soir, je préfère dormir pour de bon.
07:12 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : société, actualité |
vendredi, 15 janvier 2010
Tout ça rime avec ...
De la politique, dans les sociétés actuelles, ne demeure plus que le caractère spectaculaire. Eclatante démonstration avec le coup d’éclat de Vincent Peillon hier, refusant in fine de participer au débat A vous de juger au nom, dit-il, de la « résistance ». Le sale gosse ne manque pas d’air.
En face, Marine Le Pen et l’art de la réplique vacharde, lorsqu’elle s’adresse à Besson en lui rappelant qu’en l’absence de Peillon, il peut bien jouer « le rôle du socialiste et du responsable UMP. » Vieille partition, dans le registre plus classique du « je vous ai vu quelque part vous, c’était pas dans le café d’en face ? ». La fille à papa joue sur du velours.
Besson, justement, la mine compassée du pompier de service – ou du majordome, aussi pro dans une maison que dans une autre : «Vous ne faites rien, moi j’agis ». Résistance d’un côté, peuple de l’autre : les grands mots sont lâchés, et ne veulent plus rien dire.
Et Arlette Chabot, dans le rôle de l’ouvreuse indignée, assurant le public que si, si tout avait été bien préparé et que la chaîne n’est en rien responsable de toute cette gabegie. Dans le public (c’est dommage) personne n’a les moyens de foutre le boxon en criant remboursez. On imagine les matons de France 2, dans le genre des vigiles de Carrefour.
Pas un pour racheter l’autre, donc, dans ce vaudeville même pas indigne, carnaval juste ridicule, et qui n’abuse et ne fait marrer personne dans le pays. Car la triste logique de cette scène médiatique, c’est qu’une fois qu’on est monté dessus, on parle à sa hauteur, tout simplement. Susciter un peu d’espoir, un peu de ferveur, un peu de désir, alors que l’exercice de la parole est si contraint, c’est peine perdue. Pas une posture n’en peut racheter une autre. Parler ou ne pas parler, se montrer ou ne pas se montrer, cela revient au même. Lamentable Peillon, pitoyable Besson… Tout ça rime avec petits ...
Voilà qui laisse augurer de la qualité des débats lors des prochaines présidentielles : injures molles et slogans creux entre nains se faisant face, dans une partition à bout de souffle ; et on se demande bien qui trouvera les mots pour réanimer le cadavre.
Pendant ce temps-là, la cohérence idéologique de chaque camp se délite. Il y avait naguère la tradition polémique pour lâcher un peu de lest dans ce jeu de dupes. Mais à force de tout légiférer, y compris la parole, la tradition polémique a été interdite de séjour. Même le fou du roi s’est embourgeoisé et la trique de Guignol bande irrémédiablement mou face à ces olibrius... Hier, un titre sur le journal local m'a bien fait marrer : L'épidémie de grippeH1N1 est terminée. Tout citoyen, autrement dit, qui attrapera le virus devra-t-il être passé par les armes ? C'est que dans le même temps, la campagne pour les régionales vient de commencer...
12:01 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique, ump, parti socialiste, actualité, société |
mardi, 12 janvier 2010
Quai des brumes
Bien sûr, plus le temps passe, plus j’éprouve pour l’œuvre de Blanc & Demilly le sentiment respectueux d’un accord réel. Lorsque j’étais plus jeune, ces deux photographes incarnaient pour moi les effluves d’un univers révolu, celui de la jeunesse de mes grand-parents : tiens, cela pourrait même être eux, eux deux, là, sur ce quai givré. Lorsque j’étais plus jeune, tout en même temps, Blanc et Demilly étaient les représentants d’une bourgeoisie lyonnaise qui me paraissait d’une autre race que la nôtre. Se photographier : étrange, exceptionnelle et onéreuse vanité, déjà à l’œuvre chez bien des individus de cette classe, dont ceux de mon clan se tenaient encore saufs, et ce faisant, me protégeaient.
Aujourd’hui, quand je vois les orgies de clichés aussi désolantes que numériques auxquelles se livrent mes contemporains, ce narcissisme vide et plus que désenchanté qui fait d’une puce numérique une sorte de prothèse de leur regard et la poubelle de je ne sais quelle de leurs quêtes, je me dis qu’il y a comme un âge d’or dans ces clichés d’avant le désastre des temps ineptes.
Hier après-midi, de ma fenêtre qui donne sur une place encore enneigée ce soir, peu de promeneurs sans appareils. Photographiant tout ce qui leur tombait sous la patte. Comme si photographier était devenu une seconde nature. A l’intérieur de Notre Dame de Paris, j'ai constaté dernièrement que plus personne ne les en empêche. C’en est obscène, cette cathédrale prostituée. Lyon résiste mieux. Sagesse et ringardise de la province.
Mais sur ce quai, ils ne sont encore que deux, et leur rencontre a encore du sens. Leurs regards également. Nous pouvons donc encore croire que ce cliché a du prix. Une valeur, même. Et donc, trônant dans un cadre doré sur la dentelle d'une commode, qu'il survit avec infiniment d'orgueil à tout dépérissement, à toute les atteintes corrosives du temps, à la désolation de l'image qu'on oublie.
06:12 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : blanc et demilly, photographie, actualité, société |
mardi, 01 décembre 2009
Vieilles nouvelles de la grippe
C'est là un fait assez important pour ne pas le laisser passer sans le consigner dans nos archives. Le mois de janvier 1837 a été témoin d'une épidémie catarrhale qui a frappé les trois quarts à peu près de notre population. Tous nos journaux, grands et petits, sont devenus un instant des journaux, de médecine. Notre premier théâtre a compté quarante-six malades dans son personnel, et pendant une semaine il a été fermé au public. Nos rues étaient désertes à huit heures comme d'ordinaire elles le sont à dix ; nos tribunaux ont suspendu le cours de leurs fonctions. La médecine et la pharmacie se sont emparées des habitants et de leurs écus. L’homéopathie, toujours infaillible, a offert son traitement. M. de Guidi a fait une brochure. En attendant, la toux a régné en maitresse, et la mortalité a triplé. Nous avons, à cette occasion, demandé au passé les différentes invasions de la grippe (1).
Ce fut en 1745 qu'elle fut baptisée en France de ce nom là. Le Français vit de tout. Nos contemporains ont conservé le souvenir des dernières apparitions de cette épidémie. Elles eurent lieu, à Lyon, en 1754, 1763, 1780 et 1782. Ce fut à ces deux dernières époques qu'on donna à la grippe les noms de la Folette, la Coquette, la Grenade. Et comme chez nous tout finit par des chansons, elle eut les honneurs d'un gai vaudeville, licencieux comme ils l'étaient presque tous alors. Nous n'avons pu recueillir que le refrain. Le sujet, le voici : c'est une jeune fille qui, dans chaque couplet, énumère un des symptômes de son mal, et son mal n'est, sous l'équivoque, autre chose que la conséquence d'une faiblesse de cœur. Le refrain donnera une idée de cette gravelure.
« Maman, le mal que j'ai
C'est la grippette , c'est la grippette ,
Maman le mal que j'ai
C'est la grippette du mois de mai. »
Nous ne sommes guéres plus sages que nos pères, car il est question dans ce moment d'un vaudeville, où la grippe sera traduite à la barre du parterre du Gymnase. Robert Macaire et son camarade Bertrand sont venus à Lyon pour assurer contre la grippe et les voleurs, et tous deux sont, à la fin, grippés.... par les gendarmes. Nous verrons bien.
Léon BOITEL. (1837)
(1) Voici le tableau chronologique du catarrhe épidémique connu sous le nom d'INFLUENZA (grippe).
Bien que depuis 200 ans on trouve cette affection comme une maladie NOUVELLE, de nombreuses autorités proclament que depuis longtemps c'est un mal épidémique. Les renseignements suivants vont les appuyer. On les doit à M. J. M. Gully, docteur médecin qui les a communiqués au CONSTITUTIONNEL.
Avant le 14ème siècle, on ne trouve aucun symptôme de catarrhes épidémiques , et en s'arrêtant à la moitié du 16ème* siècle, on ne trouve que bien peu de descriptions des symptômes de cette épidémie dans les écrivains contemporains. Il suffira pour la chronologie d'indiquer les dates de la première période. Voici les dates des invasions les plus développées de l'épidémie.
07:06 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : grippe, h1n1, actualité, léon boitel, revue de lyon, littérature |
jeudi, 26 novembre 2009
Lu & cru dans "le Progrès"
1. Le réchauffement climatique est pire que prévu et pourrait atteindre 7 degrés en 2100 affirment 24 climatologues de renom, qui soulignent, avant le sommet de Copenhague, la nécessité d'actions rapides et efficaces.
2. Christine Boutin, présidente du parti chrétien-démocrate, a déclaré qu’elle n’était pas défavorable à la réouverture des maisons closes afin de « protéger » les prostituées, dans un entretien au mensuel de mode masculine Optimum
3. Carla Bruni-Sarkozy a accepté sans même connaître le rôle qu’il lui réserve, la proposition du cinéaste Woody Allen de tourner dans son prochain film. L’épouse du chef de l’état l’a annoncé lundi soir sur Canal. Et de confier : « Je ne suis pas du tout actrice. Peut-être que je serai absolument nulle mais je ne peux pas, dans ma vie, louper une occasion comme ça. »
4. L’Olympique Lyonnais a désormais sa monnaie de collection. Cette monnaie de 1,5 euro est la première d’une série conçue, sur plusieurs années, pour commémorer les grands clubs sportifs français.
Le journal dans lequel j'ai eu l'heur de lire tout ça s'appelle Le Progrès. Stupéfiant, non ? Qu'est-ce qui pourra enfin faire comprendre à tous ces abrutis qui ne jurent aujourd'hui encore que par leur croyance dans le Progrès que c'est cette idéologie insane qui aura foutu le monde, et nous tous qui vivons dessus, dans la merde ? Le monde, écrivait Rémi de Gourmont, n'est guère qu'une église de truands qui tient à la fois de la maison de prostitution, de l'étable à cochons, et de la chambre de rhétorique (1) Je trouve, du même, dans le recueil qui a pour titre Epilogues, et qui date d'août 1898 ces quelques lignes :
« Il semble que tout progrès soit fatalement compensé par un recul : n’est-il pas banal de dire : ce que l’on gagne en vitesse, on le perd en sécurité ? Cet aphorisme, naïf à force d’être évident, s’applique aux actes de tous ordres et, finalement, la notion de progrès n’est qu’une illusion. Pour la conserver intacte, il faudrait l’identifier à la notion de nouveau. Le nouveau est toujours meilleur, perce qu’il est nouveau, voilà tout. »
Pour décérébrer la plus grande part d’un peuple entier, il n’aura fallu finalement guère plus d'un demi-siècle. Le jour où on a commencé de dire que la publicité (on parlait de réclame, du temps de Rémy de Gourmont) était une culture, un grand pas fut franchi.
Rémy de Gourmont, Ironies et Paradoxes, Epilogues, (La culture des Idées, collection Bouquins)
09:45 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : actualité, rémi de gourmont, littérature |