mercredi, 29 février 2012
Gazette de Solko n° 20
05:51 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : saloon de l'agriculture, françois hollande, jean dujardin, sapeur camember |
mardi, 28 février 2012
Classé sans suite
Patrik Ourednik
Les éditions Allia viennent de publier un court roman de l'écrivain tchèque Patrik Ourednik, Classé sans suite. Original, le récit débute véritablement au chapitre deux, sur un banc : « Les arbres recyclaient le gaz carbonique dans la crainte de Dieu ». Nous nous trouvons à Prague, aux cotés d'un héros vieillissant, dans un espace fraîchement recomposé par les incessantes turbulences du siècle : «Le banc de Dyck se trouvait sur une place presque villageoise, limitée d’un côté par une église, de l’autre par d’anciennes écuries, aujourd’hui musée Andy Warhol. Les écuries dépendaient d’un relais de chasse, aujourd’hui Académie des Beaux-Arts ; sous le régime précédent, elles abritaient le musée de la Résistance ouvrière ».
Aussi ironique que savant, le récit d'Ourednik se découvre truffé d’habiles clins d’œil à divers auteurs ou traditions romanesques, lesquels, dans l'arrière-pays de l’intrigue, ouvrent de multiples horizons littéraires qui sont autant de pistes pour interpreter l'histoire :
- Clin d’œil à Romain Gary, puisque le personnage principal a écrit, sous le pseudonyme de Viktor Jary, un roman intitulé La vie devant soi. « qui a dû sortir en1974 ou 1975 ». (p103).
- Clin d’œil au Gide des Faux Monnayeurs avec une figure du romancier ouvertement mise en abyme ; Clin d’œil à Diderot, ouvertement pastiché au chapitre XXIV : « Lecteur ! Notre récit vous parait dispersé ? Vous avez l’impression que l’action stagne? Que dans le livre que vous tenez en main, il ne se passe au fond rien de très remarquable ? Gardez espoir : soit l’auteur est un imbécile, soit c’est vous ; les chances sont égales. D’autres trépassèrent, oyez ! nous mourrons tous ! Qui c’est qui sait comment ça finira ? On s’embrouille parfois dans sa propre vie sans même s’en apercevoir ; il en va de même pour les personnages de roman.».
- Clin d’œil à Beckett puisque le récit commence sur un banc, avec des personnages qui n’ont plus rien à se dire depuis longtemps, dans un pays où « la plus haute manifestation de l’intelligence consiste à répéter ce que quelqu’un a déjà dit ».
- Clin d’œil à Simenon, avec une sorte de Maigret tchèque qui enquête sur des éléments disparates, comme un crime vieux de quarante ans, un suicide, des incendies ou un viol plus récents.
- Clin d'œil à Borges et Joyce, et à tous les grands maîtres de la déconstruction littéraire, avec en guise d’ouverture un chapitre un en gambit du Roi, le récit lui-même ne débutant qu’au chapitre deux et ne s’achevant (comme l’enquête) que dans un calembour, le titre Classé sans suite désignant in fine le caractère incomplet, inachevé (qu’on soit commissaire, romancier ou lecteur) de toute recherche de sens : « Nous naissons dans un roman dont le sens nous échappe et le quittons sans avoir rien compris » (p 143)
Non sans ingénuité, l’éditeur offre en guise de mode d’emploi ou de guide de lecture une longue postface signée Jean Montenot, qui explicite la démarche de l’écrivain sur le ton professoral de l’essai universitaire.
Le caractère inabouti de l’intrigue ainsi que les jeux d’érudition frôlant parfois le pastiche de son auteur peuvent légitimement laisser pantois un lecteur, qui se sentirait par ci moqué, par là manipulé. En fin classique « pour qui tout est dit et l’on vient trop tard », Patrik Ourednik, traducteur de Rabelais en tchèque, l’avertit à sa manière, avec beaucoup d'esprit :
« - Du nouveau ? Il serait temps, dit le plus vieux au plus jeune
- Si vous croyez que c’est facile! » (p 75)
Un bref entretien avec Ourednik, à lire ICI.
07:33 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : classé sans suite, patrik ourednik, allia, prague, littérature, roman |
lundi, 27 février 2012
Un ange noir
Curieux texte, que le dernier roman de François Beaune. Dans un Lyon dont le centre névralgique serait la place des Terreaux, ses SDF et ses punks à chiens et qui, pour le reste, se résume à des lieux de passage, de travail ou de survie, il examine de près la faillite de l’héritage républicain, « la faillite du code de vie commun » (p 97). A partir d’un fait divers relaté par le Progrès, il plonge son lecteur dans le carnet de bord d’un personnage ambigu, petit blanc fin de race « né avec une sciatique » (p 65) et « vivant parmi les mules obéissantes (p 67). A la croisée de plusieurs mondes, Alexandre Petit (c’est lui l’ange noir annoncé par le titre) tient à la fois du pauvre type, du justicier et du criminel en cavale.
Par une sorte de malédiction maternelle la fois sociologique, affective et onomastique, ce héros qui sait lire ne retient pas ce qu'il lit.. Entendons par là qu’il n’a ni le goût ni le désir ni la capacité de déchiffrer sur le long terme le monde à travers autre chose que des sensations immédiates ou des impressions instable. Sa mère l’ayant détaché, coupé de tout héritage, il ne maîtrise donc ni les codes de l’ancien monde (« boulets de certitudes éculées à traîne derrière soi - p 238), ni vraiment ceux du nouveau. De l’expérience qu’il fait de sa vie sociale, il ne tire qu’une énergie lucide et négative, une énergie d’extermination qui le pousse au crime gratuit, voire sacrificiel. C’est donc un personnage complexe, attachant et malsain, avec lequel le lecteur peut être tout autant distancié qu’en totale empathie : d’où l’intérêt du roman, la richesse du texte, l’originalité du sujet.
Ce personnage règle donc ses comptes non seulement avec sa « vieille carne de mère » institutrice très classe moyenne, mais aussi avec tout son entourage, gens de gauche à la duplicité manifeste qui ont manufacturé la décadence de son univers (« une mauvaise foi, cette tradition de gauche que je pratique depuis l’enfance, et qui s’applique à tout » p 244), qu’ils soient de grands penseurs (nos grands intellectuels s’époumonent au-dessus de la tête des gens, professeurs, intellectuels m’ont appris à viser trop haut » p258) ou de simples militants (« Leur fausse envie de changement me donne des haut-le-cœur. Ils regardent le match, mais ils sont convaincus qu’ils feraient un meilleur entraîneur que celui en fonction» p 110).
Dès lors, écrit le héros, « Mon sort est déjà programmé » (p 52), « Le sort s’acharne et me colle ce crime sur le dos » (p56). Car il cache un secret «difficile à décrire » : pour résumer, dit-il, on ne le trouve pas sympathique : « l’antipathie que je dégage est telle une seconde nature. Je vis avec depuis toujours ». (p 36)
Dans son environnement qui ne lui offre plus rien de naturel (« La ville, quand je respire, se soulève de pollution. Son ombre tremble. La pire odeur, je crois, est cette odeur artificielle de croissant. Je peux vomir au moment où je croise cette onde sucrée de boulangerie dans le couloir du métro »), Alexandre Petit estime « faire partie des rescapés » (p 67) : « nous survivons grâce au progrès de la médecine. La société moderne, en vaccinant, a choisi de faire cohabiter fantômes et vivants, sans distinction » (p 67) Ayant apprivoisé son état maladif, l’ange noir, qui a appris « les petites lâchetés » nécessaires à sa survie va découvrir durant les chapitres de ce texte envoutant le plaisir du crime, un crime qu’il situe entre nécessité et délivrance.
Dans l’univers de François Beaune, il y a ceux qui, proches de l’ironique Dieu des temps modernes, se pavanent de l’autre côté de l’écran parce qu’ils ont réussi, et ces autres que ce même Dieu a oubliés, qui meurent dans la société civile, (infirmiers, policiers, profs, commerçants, punks, SDF…) « Le monde est inversé » (p 157) et «la statistique est une pieuvre aux immenses tentacules ventousés à nos têtes » (p252) : « Statistiquement, nous avons 7,3 fois plus de chances de refaire un chemin familier que d’en prendre un nouveau » (p 191), « 99% de ce qui a vécu que terre a déjà disparu (p169). Statistiquement aussi, nous avons tous une chance de devenir criminels tant le monde est devenu laid et la figure de l’autre haïssable, qu’il soit turc (« Les Turcs attirent les affamés tels les étrons les mouches » « rouleau de bidoche grillant heureux dans l’air rance au milieu des fautes d’orthographe ») ou discounter (« Le discounter est pire qu’un Turc : il touche à tous les coins de la vie de consommateur. Il te noie et te charme de laideur. »)
D’où cet aveu : « j’ai appris à considérer le beau comme un danger. Quand j’aperçois un produit laid comme les yaourts premier prix, je suis instinctivement attiré, je les mets dans mon panier avec plaisir, avec l’impression d’être à ma place. Le laid est l’intuition du pauvre » (p204)
Thriller, fable sociale, le roman pourrait apparaître comme celui d’une génération sacrifiée sur l’autel de la fameuse « adaptation » au monde moderne, qui fut et demeure la litanie de tous les biens pensants du système : « Chacun sait qu’adaptation est mutation, mutation qui réclame le sacrifice d’une génération au minimum, sacrifice dont la prochaine génération bénéficiera car elle aura sa place, elle connaître les nouvelles règles de comportement », écrit Beaune à la fin de son texte, comme pour justifier à la fois l’errance et le sur-place de son héros, surdiplômé et enquêteur à la Sofres, bénévole aux Restos du cœur et antisocial confirmé, adolescent attardé et criminel, héros trouble dans la psyché duquel se lit toute la schizophrénie molle de l’époque.
François Beaune, Un Ange Noir, Verticales, 2011
11:31 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : françois beaune, un ange noir, verticales, littérature, lyon, société, politique |
dimanche, 26 février 2012
L'âge des gens
Je ne retiens jamais l’âge des gens. Indélicat. Mouvant. Et puis, ça ne sert à rien. Qu’à blesser ceux et celles qui s’imaginent « qu’on a en réalité l’âge de son cœur », jamais celui de ses artères… Des idéalistes, tout ça, hein. Bien compris qu’on n’a en réalité que l’âge de ses artères. Ou plutôt, qu’elles ont le nôtre.
En revanche, je retiens toujours l’année de naissance des gens. Leur point de départ dans l’histoire et la génération. Parce qu’on ne peut pas tricher avec son point de départ, feindre d’être né en 80 quand on est né en 70. L’année de naissance ne change pas. Il y a ceux qui sont nés en 29, en 34 (avant guerre) en 47 (début du baby-boom), en 55 (fin du baby-boom) en 65, (avant 68) en74 (après 68) en 91 (encore le vingtième) en 2003 (déjà le vingt-et-unième)… Beaucoup plus authentique ; on sait en gros ce qu’ils ont vécu, pas vécu, de quoi ils ont été dupes, et selon quelle archéologie ça s’est organisé dans leur esprit.
Somme d’expériences, ce que nous sommes. Expériences personnelles, qu’on croit. On oublie à quel point les expériences perso dépendent de l’Histoire collective. Qui qu’on fut, ce n’est pas la même expérience personnelle d’être né dans l’Empire Français ou dans la France d’après la décolonisation, avant ou après la pilule, ou l’abolition du service militaire. Nos expériences intimes sont truffées d’Histoire, bourrées de collectif. Voilà pourquoi un bon historien, c’est aussi un bon flic.
Arnaque, que cette catégorisation de l’humanité en âge de la vie. Du boulot de sociologue, c’est tout dire. On n’est pas le même jeune aujourd’hui qu’il ya quarante ans. Ni le même vieux. Voilà pourquoi ça ne sert à rien de s’encombrer l’esprit avec l’âge des gens. Ils n’ont pas d’âge. Que des dates de naissance, comme pour les caler dans un coin du temps. D’ailleurs, c’est cette date-là qu’on retiendra tout au final. Auprès d’une autre, sur du marbre.
Mais celle-là, mieux vaut la garder secrète. Le plus longtemps…
00:38 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, histoire, société |
vendredi, 24 février 2012
Le prix de l'universel
J’ai relu ce soir une très belle nouvelle de Pirandello, un peu conceptuelle, mais pleine d’une vérité limpide, Les pensionnaires du souvenir. Le dramaturge italien y développe l’idée que les vivants oublient et abandonnent les morts parce que « la réciprocité de l’illusion » n’est plus jouable avec eux : « Vous pleurez parce que le mort, lui, ne peut plus vous donner une réalité. »
Et c’est vrai qu’il y a deux langages : celui de la communication, du débat, de l’échange, fait le plus souvent d’opinions, de préjugés, d’impressions, par lequel nous sommes inévitablement placés vis à vis entre vivants, et ainsi réduits à la part la plus faible de nous-mêmes. Et puis celui de la littérature, composé à meilleure distance, fabriqué de moins de « réciprocité » ou d’immédiateté, et donc plus affranchi du réel, véritablement plus exigeant en termes de solitude et de vérité, et dans lequel l’idée que nous puissions mourir ou disparaître - idée proprement scandaleuse dans le premier type de discours- a cessé de l’être pour devenir ipso facto l’une des conditions d’accès à la lucidité, c’est-à dire à la lecture.
C’est la raison pour laquelle je finis par penser qu’il n’est pas idéaliste de se dire que, quelque dérisoire que soit le débat politique prétendument démocratique face à la réalité verrouillée que nous subissons, et si médiocre soit la production éditoriale contemporaine, la grande littérature qui est usage de la belle langue et quête d’une forme parfaite de soi-même, et qui ne se confond ni avec le débat public, ni avec l’édition, possède encore tout son poids parmi nous, pour peu que dans la communauté de ce nous, nous n’omettions jamais d’inclure tous nos morts.
00:24 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, pirandello, nouvelles, solitude, langage |
mercredi, 22 février 2012
Gazette de Solko n°19
09:59 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : hollande, changer de destin, dsk, allègre, ferry, politique |
mardi, 21 février 2012
François Bon et la mer
06:24 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : publie.net, françois bon, gallimard, hémingway, éditions |
lundi, 20 février 2012
Mensonge et politique
Accuser Sarkozy d’avoir menti en 2007 ou Hollande de mentir à présent, c’est faire preuve d’un manque d’audace et d’esprit à première vue étonnant : L’art du mensonge n’est-il pas en effet une vertu cardinale communément admise en politique ? On ne le sait que trop depuis Machiavel qui ne cesse d’insister sur le rôle des apparences dans la constitution de la panoplie du Prince. Tout mensonge est le prélude d’un retournement de veste, et sans retournement de veste, un politicien ne vit que l’espace d’une saison, qu’on songe à De Gaulle et l’Algérie, Mitterrand ou Chirac et l’Europe.
La dénonciation par les gens de gauche comme par ceux de droite du mensonge de l’autre camp est ainsi la meilleure façon de débusquer chez l’adversaire une faiblesse politique : surprendre ce dernier est train de mentir revient en effet à dévoiler le fait qu’il ment mal, puisque le propre du bon mensonge serait de passer inaperçu. Et s’il ment mal, il a été ou sera un mauvais prince.
De ce point de vue, on peut dire que nos modernes en sont de piètres ; Rien qu’hier, j’ai entendu Nicolas Sarkozy prétendre à Marseille que grâce à lui «nous avons échappé à une catastrophe », et François Hollande lui répliquer dans les studios de BFMTV que « jamais il ne prendrait une décision injuste ». Courage et Justice : droite hargneuse et gauche vertueuse tentent de manière aussi grotesque que malhabile d’incarner un lieu commun face à l’opinion. Et faute de mieux, le spectacle s’en contente. C'est tout dire.
« La vérité, quoique sans pouvoir et toujours défaite quand elle se heurte de front avec les pouvoirs en place quels qu’ils soient, possède une force propre ; quoique que puissent combiner ceux qui sont au pouvoir, ils sont incapables d’en découvrir ou inventer un substitut viable. La persuasion et la violence peuvent détruire la vérité, mais ils ne peuvent la remplacer. »
Hannah Arendt - « Vérité et Politique », La Crise de la Culture
13:49 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, mensonge, hollande, sarkozy |
dimanche, 19 février 2012
Le chapeau de Mitterrand
1986, huit mois après les législatives :Un homme retrouve sa femme et son fils sur le quai 23 de la gare Saint-Lazare. Sa femme lui demande d’où il tient le chapeau qu’il porte. Il lui répond que c’est le chapeau de Mitterrand. Alors, t’es président, interroge le fils, espiègle. Oui, je suis président, réplique Daniel Mercier.
C’est ainsi que débute le roman de Antoine Laurain, Le chapeau de Mitterrand, une comédie romanesque plutôt réussie dont le héros est ce fameux chapeau auquel le bandeau de couverture prête des connotations à la Magritte. Comme les personnages de Golconde, plusieurs citoyens plus ou moins ordinaires sont amenés en effet durant le livre à porter ce même chapeau (porter le chapeau ?), sans toujours identifier le nom de son médiatique propriétaire.
Daniel Mercier est un client des luxueuses brasseries parisiennes, dans lesquelles il déguste des plateaux de fruits de mer sitôt que sa femme et son fils ont le dos tourné. Un jour qu’il s’attable parmi ces clients qui ont « chacun sur le visage ce sourire calme et confiant des gens qui ont réussi dans la vie », il a la surprise de voir François Mitterrand, Roland Dumas et un troisième acolyte « un gros trapu à lunettes » prénommé Michel (Charasse ?) s’attabler à ses côtés. Le Président passe commande d’une douzaine d’huitres et d’un saumon, et le pauvre Daniel, cédant à la tontonphilie de ces années là, songe tétanisé qu’il ferait n’importe quoi pour être véritablement le quatrième hôte de la table d’é côté.
Deux heures et demi passent. Le président quitte enfin la table mais oublie son chapeau. Daniel, dont le dernier larcin remonte à 1965 (un 45 tours de Christophe) s’en empare le cœur tremblant. Laurain campe ici un personnage ridicule, presque à la limite du fétichisme, qui en dit long sur ce que le socialisme était devenu sous la conduite d’un tel président. Il enfile le galurin, marqué aux initiales FM en or sur la bande de cuir intérieure : « Il lui semblait que son cerveau baignait dans une aspirine rafraichissante » (p 31). A partir de ce moment, tout lui réussit : investi par une « force tranquille » et « un calme apaisant » (« un chapeau donne à celui qui le porte une autorité sur celui qui n’en porte pas » (p 38), il est nommé par son PDG directeur financier de la Sogélec de Rouen. Le chapeau de Mitterrand en effet, c’est comme le chapeau de Dieu : « depuis qu’il le portait, sa seule présence l’immunisait contre les tourments de la vie quotidienne » Cette imbécilité chronique qui s’est saisi du personnage aurait pu s’arrêter là : en effet en allant avec sa petite famille dans le train, il oublie dans un filet du compartiment de train son précieux talisman et se retrouve saisi d’eczéma dysidrosique. On verra par la suite qu’il n’en sera rien.
C’est une jeune femme de 27 ans qui s’en saisit alors, et qui grâce à lui va interrompre une liaison amoureuse dégradante avec un homme qui refuse de quitter sa légitime pour elle, gagner le prix Balbec de la nouvelle : « Ce chapeau donnait une noblesse inhabituelle à la découpe de son visage, pour qu’il tienne correctement, elle avait relevé ses cheveux en chignon » (p 57) Mais son goût du romanesque la pousse à son tour abandonner le couvre-chef sur un banc de parc Monceau. Le ramasse alors un nouveau-venu, qui l’échangera à son insu dans une brasserie avec quelqu’un d’autre jusqu’à ce qu’après une longue enquête et moult échanges de courrier, le personnage du début (Daniel) rentre en sa possession.
Fou de joie, il offre alors un séjour à Venise à sa femme, Venise où comme hasard se trouve aussi Mitterrand. Un Mitterrand en manteau et écharpe rouge, mais sans chapeau : « Le chapeau et le président venaient de passer à quelques mètres l’un de l’autre » (p 192). « C’est comme s’il manquait quelque chose à la silhouette qui représentait la France dans le monde » ( p 193), songe alors notre illuminé. Nous sommes à quelques jours de l’élection présidentielle de 1988. Après une dernière péripétie, le héros découvre dans la doublure du galurin présidentiel un fin papier rectangulaire, de l’écriture même de Mitterrand : « Récompense, merci », avec le numéro du secrétariat de l’Elysée. On est alors à quelques jours de l’élection présidentielle. Mercier se dit que ce « talisman » qui a modifié sa vie et celles de plusieurs individus peut jouer un rôle. Il téléphone et obtient un rendez-vous avec Mitterrand au Florian où, devenu enfin un convive à part entière du président, il lui rend son chapeau : « Quelques mois après avoir retrouvé son chapeau, François Mitterrand pulvérisa toutes les prédictions des instituts de sondages, se faisant réélire avec 54,2% des suffrages exprimés » (p 211)
A quelques mois des élections de 2012, la lecture de cette fable ironique est assez bienvenue. Elle nous rappelle d’abord à quel point le socialisme fin de courses de Tonton fut vide et plus que tout se résuma en effet, surtout dans les milieux parisiens, à un culte ridicule de la personnalité, dans une société réduite plus que jamais à la parade et au spectacle. On se souvient d’ailleurs qu’au lendemain de la réélection, Libé salua plus l’artiste que l’idéologue convaincu.
Pour qui, au final, vote Antoine Laurain ? C’est la question qu’on peut se poser in fine, tant ce récit habile joue sur plusieurs tableaux, ménageant la chèvre et le chou : si Sarkozy gagne, le romancier pourra toujours dire qu’il l’avait prédit, puisque son président à lui est réélu. Si Hollande l’emporte, il dira alors qu’il avait anticipé la victoire d’un ancien premier secrétaire du PS. Certes, réduire Mitterrand à un chapeau est une métonymie peu flatteuse pour la gauche, y compris pour celle d’aujourd’hui dont les mentors sont le pur produit de ces années-là. En, même temps filtre à travers les lignes une espèce de nostalgie pour cette époque, au fur et à mesure que le lecteur est invité à en retrouver les diverses mythologies : Michel Polac (p 80), Yves Mourousi et Marie Laure Augry (p91), Serge Gainsbourg (p 139) Dallas (p 187), Jean Luc Lahaye (p 188) le franc et le fameux Pascal (p 184), la polémique sur les colonnes de Buren (p 160). La fable demeure ainsi ouverte, même si la satire de la fatuité humaine – chose semble-t-il la mieux partagée au monde – laisse peu de place à une lecture idéaliste de la société contemporaine.
Antoine Laurain - Le chapeau de Mitterrand - Flammarion, 2012
01:03 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : antoine laurain, le chapeau de mitterrand, années 80, satire, littérature, roman |