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jeudi, 21 octobre 2010

Une autre histoire ?

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Tu voulais traverser l’obstacle

Et fracasser le mur

Et que ton cri portât loin

 

Mais l’élan figé en spectacle

Saigne sur

Le drapeau dans ta main

 

On a paraphé d’autres murs

En papier

Et murmuré d’autres traités

Bien plus durs

 

Qu'il faudrait percer de ta cible

Dès demain

  Malgré les accords indicibles

Des quotidiens

 

06:22 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : mur de berlin, europe, politique, actualité | | |

mercredi, 20 octobre 2010

L'opinion qui n'existe pas.

Dès 8 heures du matin, ça commence par des poubelles en feu non loin de l’Hôtel de Ville. Des rassemblements de « jeunes ». Des passants allant travailler. Des CRS en alerte. Des flics en civils.

Et bien vite, au fur et à mesure que la matinée avance, dégénérescence. Dans les métros qui traversent la presqu’île la même annonce : « A la demande des forces de l’ordre et pour votre sécurité, le métro de s’arrêtera pas aux stations Bellecour, Saint-Jean Guillotière… » Le centre-ville est bloqué… Fumigènes. SMS. Abribus en éclats. Charges de CRS. Les enfants veulent regarder par la fenêtre. Mais on ferme les fenêtres à cause de l’odeur des gaz

Dans les principales artères de la presqu’île (République et Victor Hugo) et les rues adjacentes, sous la surveillance des nombreuses  caméras, ça galope, ça castagne, ça flambe, ça pille : voitures et motos retournées, incendiées, vitrines brisées, boutiques pillées.

Aux fenêtres et balcons des immeubles des riverains éberlués filment  photographient, la banlieue hard en train de faire ses courses. Des images pour you tube.

Les commerçants les plus sages ont déjà abattu leurs rideaux de fer, la Fnac ses grilles; les bijoutiers rangé toute leur camelote.

 

Derrière les façades des immeubles haussmanniens, chez les avocats, chez les notaires, chez les médecins, dans les restaurants, les banques, la vie normale se poursuit.  Ce sont des univers qui se frôlent sans même humer leurs couleurs respectives. Etrangeté totale de ce centre ville où la journée de chacun se déroule : le quotidien le plus banal pour certains, la scène d’émeute pour d’autres, en un même scénario au surréalisme vain, dans ce quartier quadrillé et à présent survolé d’hélicoptères, sur ces trottoirs sillonnées de loubards, de passants, de CRS, de lycéens. On ferme un accès. Puis un autre. Pendant ce temps, la manif a poursuivi sa route et s’est dispersé. On ne sait trop où la conscience politique des uns et des autres s’est fourvoyé. Pendant ce temps, l’OL d’Aulas se prépare à jouer sa qualification pour les huitièmes de la Champions's league à Gerland, non loin de là. Du sérieux, ça. « Benfica dans la révolution française » a titré A Bola, l’Equipe des portugais. On y lit que le match n'est pour l'instant pas remis en cause dans « une cité en feu et en sang ». C’est certes très hyperbolique : et c’est aussi en partie vrai. Du moins pour le feu. Dans la presse, aussi, deux mondes se croisent, se juxtaposent et, in fine, s’annulent. L’humanité, lyrique jusqu’au grotesque, car dans la société du spectacle, le lyrisme appliqué à l'info devient à son image,  titrait l’autre jour « la force du peuple ». Demain, gouvernement et syndicats continueront à s’étriper pour savoir de quelle côté les soixante pour cent d'approbation ou de désapprobation del’opinion publique pour ce mouvement va basculer... Cette fameuse opinion publique, dont Bourdieu a dit un jour -s'en rappeler est-il encore possible  ?- qu’elle n’existe pas...

 

08:59 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : casseurs, manifs, lyon, politique, france, société, retraites, football, opinion publique | | |

mardi, 19 octobre 2010

Conférence sur Pierre Dupont

Je signale à nouveau la conférence organisée demain mercredi au cinéma Saint-Denis sur le chansonnier Pierre Dupont. Elle débutera à 20H30 et sera assurée par Jean Butin et Gérard Truchet.

Pierre Dupont : Voilà un bel exemple d’une œuvre qui est passée à la trappe. Ballades, villanelles, chants patriotiques, légendes et chansons : Dupont fut le chantre véritable du peuple républicain de 1848, salué par Baudelaire pour sa fibre authentique. Je ne parlerai pas ici des textes les plus connus (les moins oubliés), comme Le Chant des Ouvriers, Les Bœufs, Le rêve du paysan. Je l’ai fait déjà sur le blog les Rues de Lyon auquel renvoie ce lien, puisque Dupont à Lyon eut sa rue. Je dirai simplement que c’est une mémoire véritable du  XIXème siècle qui se reconstitue à travers la lecture de cette œuvre, celle que peut susciter en nous lorsqu’on en retrouve la survivance dans la campagne détruite d’aujourd’hui une haie ou un chemin de terre « Quand j’entendis cet admirable cri de douleur et de  mélancolie (Le chant des ouvriers, 1846), je fus ébloui et attendri » écrivit Baudelaire. « Il y avait tant d’années que nous attendions un peu de poésie forte et vraie (…) Il est impossible, à quelque parti qu’on appartienne, de quelques préjugés qu’on ait été nourri, de ne pas être touché du spectacle de cette multitude maladive respirant la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers  où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis …»

L’œuvre complète, je la feuillette dans l’édition que la Muse populaire en fit en 1862 : S’y rencontrent les spectres de Gavarni, de George Sand, de Baudelaire, ceux de Carrel et de Bérenger ou d’Hégésippe Moreau, tant et tant de paysages et une telle ronde des métiers, de tous les métiers, artisans des villes et des campagnes, cultivateurs et laboureurs : c’est peu de dire que cette poésie que d’aucuns avec mépris appellent rustique possède une vrai fibre et qu’elle  a l’écho de Barbizon. Dupont, oui, pourrait être l’équivalent poétique d’un Millet. On peut voir ici son portrait par Courbet où il a, je trouve, un petit côté Pavarotti des plus étonnants.

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Je vous invite donc à vous joindre à nous demain mercredi 20 octobre à 20h30 pour cette évocation en paroles et en chansons, au cinéma Saint-Denis, 77 grande rue de la Croix-Rousse, LYON 4ème  (entrée 5 euros). Conférence organisée en partenariat par l'Esprit Canut et Soierie Vivante

lundi, 18 octobre 2010

Jacques Stella, Marie Madeleine et l'Hôtel-Dieu

6000 euros : La mise à prix initiale demeure encore modeste (de 3000 euros inférieure à l’estimation moyenne de ce tableau de petit format - 25,8 x 37,1cm). C’est, lit-on dans le catalogue, un marbre noir collé sur carton et monté sur châssis. Devant l'auditoire assis, on expose l’œuvre vieille de presque quatre siècles. L'écran plat de plusieurs  téléviseurs portent jusqu’au fond  ça et là son reflet.

Installé définitivement à Rome depuis 1623, le Lyonnais Jacques Stella avait d’abord séjourné à Florence quelques années.  Le temps d'y acquérir cette technique de peinture sur cuivre ou sur pierre, particulièrement sur marbre ou lapis. Depuis 1530, le peintre Sebastiano del Piombo en avait porté jusqu’à lui le secret : en déposant l’huile à même le marbre, une manière d’émerveiller le peuple qui rendait la peinture presque éternelle, tout comme la sculpture, les couleurs à peine séchées apparaissant de façon presque pétrifiée.

Dès son arrivée à Florence, Jacques Stella avait occupé une fonction vite d'importance auprès  du Grand Duc Come II, dont la cour faisait office de haut lieu de création de cette technique de peinture sur pierre. Une fois le peintre installé à Rome, sa production devint originale et variée. Les divers parents du pape Urbain VIII, ces Barberini mondains et tout-puissants qui protégeaient également Poussin, appréciaient tout particulièrement ces scènes vives et colorées où le maniérisme et le religieux faisaient cause commune. Jacques Stella peignit.

 

STELLA.jpg

 

La conversion de Marie Madeleine, donc. Marthe, déjà convertie et voilée, demeure laiteuse et pensive. Les deux coudes posés sur les  Ecritures, elle vient d'exhorter sa sœur Marie d’abandonner sa vie de débauche et de la suivre afin d’écouter la prédication du Christ. Assise sur un siège luxueux, la jeune convertie laisse un angelot qui ressemble à un amour la dévêtir de ses habits rouges de pécheresse. Sa chevelure blonde et bouclée court encore pour quelques temps sur ses épaules encore dénudées. Entre les deux femmes, les séductions désormais se refusent : telles des vanités, un peigne, un coffre à bijoux, une carafe, un verre de vin…

Les enchères galopent vite, d’autant que les téléphones tout soudain s’en mêlent. Du dix-septième à peine esquissé, nous revoici plongé à nouveau dans la frénésie marchande du vingt-et-unième siècle. Au-delà, déjà, de l’estimation maximale de 12 000 euros. Ce petit tableau était présent en 2007 à l’exposition du musée Saint-Pierre organisée pour les 350 ans de son créateur. Cela fait-il grimper la côte ? Hormis son nom (qui ne fut longtemps pour moi que celui d’un pauvre bar à la devanture en formica jaune), je me demande quel souvenir la rue Stella, qui n’est pas très loin du lieu de la vente, garda  pour le commun des mortels de ce peintre au visage émacié qui fut ami de Poussin. Quelle mémoire. Au fur et à mesure que grimpe la somme, dans un jeu de syllabes et de voltige qui étourdit l’assemblée assoupie, l’argent paraît devenir une instance agréablement désincarné, et ne posséder plus que l’importance des degrés qu’il faut enfiler quatre à quatre pour parvenir à la cime. Une formalité bien quelconque. Finalement, les voilà à 18 000… 19 000 … Le marteau tombera à 20 000. Il faudra y rajouter les 20% TTC.  Bel achat : la conversion aura finalement trouvé son juste prix. Ici et maintenant, par ici comme par là, tout se monnaye.

Je quitte l’hôtel des ventes, le cœur un peu pincé. Mes yeux se portent – comment pourrait-il en être autrement ? - sur le perron pierreux et sombre du vieil hôtel-Dieu, vidé de ses soignants, de ses malades, de ses lits, ses religieuses d'antan, dans l’attente d’un repreneur, pauvre, lui-aussi. Sa silhouette, seule dans la nuit, qui l’eût prédit ? Telle une âme sculptée dont la mémoire aura plus que jamais, au milieu du bazar, des soldes et des charognards de tous crins ,besoin de multiples et ardents veilleurs.

De cette conversion de Marie-Madeleine, si vite entrevue, si vite entraperçue sur la banquette en bois d’une salle des ventes, je me réconforte en me disant que nous sommes cependant quelques uns à avoir, pour rien, pour pas un sou, recueilli le meilleur. Un vent plus frais commence à se saisir de nous, siècle stupide qui ne méritons que l’hiver qui s'approche, et surprend la chair des quelques passants traînant encore en cette fin de dimanche entre les façades de la rue Marcel Rivière. Je songe soudain à quelque extrême proximité, inattendue et superbe comme si me frôlait un doux spectre, que les pierres de l'hôpital me confirment aussitôt dans leur radieuse et grise immobilité :  Cette rue, Jacques Stella en l'hiver de son temps aussi l'a empruntée, et dans ses pas pour regagner mon logis, je dépose les miens.

dimanche, 17 octobre 2010

Lieu planétaire et espace universel

Si  j’en crois les poètes, ce qui caractérise le lieu, c’est le rapport privilégié qui s’est tissé, grâce au langage, entre l’infini de l’espace et les contours limités que j’en perçois autour de moi. Le lieu, c’est l’espace dont, par le verbe, j’ai fait un logis à un moment ou à un autre de mon histoire: toutes les pistes de ma mémoire recréent ainsi pour moi des lieux dont la réalité me fut un jour un bien aussi précieux qu’obsédant : un corridor, l’entrée d’un magasin, le coin d’une rue, le bord d’une rivière ; tels sont les lieux proustiens, instance de la mémoire conçue par la parole, susceptibles de devenir de véritables pays : « Balbec, Venise, Florence,  dans l’intérieur desquels avait fini par s’accumuler le désir que m’avaient inspiré les lieux qu’ils désignaient »[1]  .  Le poète Yves Bonnefoy a souvent usé de jolis mots, de mots soigneux,  pour désigner cela : le mot demeure. Le mot château. Le mot terrasse. Car n’est-ce pas ce que nous demandons à l’espace, dès lors que nous le nommons nôtre, un beau matin : qu’en devenant un lieu, il parvienne à offrir à notre effroi face à l’inconnu, face à l’innommable, face à l’indicible, cette demeure où vivre, ce château comme refuge, cette terrasse comme consolation ?

Pourtant ce lieu premier, celui que Bonnefoy appelle le lieu natal, ne s’est jamais contenté de n’être qu’un lieu identitaire et clos sur lui-même. Si  j’en crois la poésie, des aèdes de la Grèce antique à Hölderlin, parce qu’il était relié à d’autres par des paysages, le lieu a toujours exigé également de tendre sa route à l’universel. Et donc, sur le sol du lieu natal, parce que quelques paroles l’avaient, là,  rassuré, l’être humain faisait son premier pas vers l’appréhension à la fois désireuse et peureuse de ce qui l’entourait, et ce, jusqu’aux limites de ce qu’il percevait. Vivre en une demeure véritable a donc  toujours été une expérience d’abord sensuelle, puis intellectuelle : celle qu’en un lieu (locus) un individu fait de l’univers tout entier, du plus proche au plus lointain, du plus concret au plus abstrait , de ce qu’il peut voir, entendre et goûter, à ce qu’il peut réfléchir. L’expérience du lieu est ainsi à la fois particulière et universelle : voilà pourquoi le pays a toujours été un espace avant tout littéraire, dont la littérature a toujours été plus apte que la peinture, la photographie ou le cinéma à rendre compte. « Rien n’est plus difficile que de prendre conscience d’un pays, de son ciel et de ses horizons, affirme Bernanos : il y faut énormément de littérature»[2]  

L’espace, au contraire du lieu, se présente à moi sous un jour géographique, scientifique, administratif, juridique, pictural, climatique – tout ce qu’on voudra, tout, sauf littéraire. L’espace n’est pas nommé. J’ai pourtant bien besoin d’espace, certes : ne parle-t-on pas d’espace vital ? Mais à condition que cet espace soit circoncis dans un lieu défini. Que cet espace soit un périmètre dans mon lieu. Sorti de cet espace dans lequel voluptueusement je m’étire, l’espace ne reste qu’un concept, une simple abstraction pour mathématicien-philosophe, physicien-astronome ou intermittent de l’aventure. Certes, lorsqu’il était peuplé de dieux, l’espace ouvrait encore aux hommes quelques portes sur l’Univers. L’espace était alors un lieu foisonnant de chimères, tout en alcôves et en recoins mythologiques, un véritable lieu, oui, dans lequel  se jouaient les scènes les plus cruelles et les plus tendres. Mais depuis que la science nous a démontré que l’espace était vide de dieux, depuis que la technique en a parachevé sa clinique exploration, nous avons compris à quel point ce cosmos vide est tout le contraire d’un séjour, d’une demeure, d’une terrasse, d’unpays. Cet infini a-t-il d’ailleurs jamais été, comme le doux foyer ou la tendre patrie, hanté par les mânes, ni vraiment raconté par les poètes ?

« La conquête de l’espace par l’homme a-t-elle augmenté ou diminué sa dimension ? »[3]   s’interroge Hannah Arendt. Elle aura, en tous cas, singulièrement remodelé les lieux qu’à grand peine, nous nous étions aménagés sur Terre. Désormais, le concept récent de mondialisation nous assigne en effet  comme séjour un lieu redimensionné en village global, sectorisé en zones d’influences, géré par des spécialistes en tous genres,  livré à une économie que nul ne maîtrise, médiatisé à outrance et exclusivement limité à la croûte de cette seule planète.  Mais sur cette boule endiablée, qui donc possède encore un lieu où naître, un lieu où durer, et un lieu où mourir ?  De maternités en crématoires, sommes-nous même encore désirables, le temps d’une existence entière, en un quelconque de ces points à d’autres reliés, une quelconque de ces places, à d’autres confondues, de ces endroits concurrents qui forment à notre insu l’espace planétaire et la représentation qu’on nous en livre ?  Le grand lieu de l’aventure a disparu de la Terre qui meurt de nos extravagances, que balaient nos satellites et parcourent nos réseaux. Le lieu du séjour, le pays, qu’en reste-t-il, en chaque recoin du monde ?  Il ne peut devenir, lorsqu’il survit avec ses particularités culturelles propres, que ce qu’une périphrase de la novlangue contemporaine appelle dorénavant un « lieu patrimonial »

Depuis 1978, date de la première réunion du Comité du Patrimoine Mondial, 878 « biens » ont été inscrits sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco. [4]    Il serait fastidieux d’énumérer ici la mosaïque de ces « biens », tantôt culturels  (sites ou villes), naturels (parcs ou réserves protégés) qui, désormais, sont saupoudrés sur les cinq continents. On se contentera simplement de rappeler les perspectives : il s’agit de transformer un certain nombre de lieux autonomes en espaces significatifs de la variété culturelle, dans une stratégie globale de représentation de « notre monde », c'est-à-dire de notre planète. Chaque territoire classé se retrouve réglementé comme jamais, et, selon la logique de la double pensée qui permet de fondre en une seule deux thèses normalement incompatibles,   protégé et pillé à la fois : Cette conception du lieu patrimonial n’est pas sans rappeler celle du lieu de mémoire ou bien du lieu de commémoration. On lui doit d’avoir induit au sein de l’espace local une représentation nouvelle, celle d’espace planétaire.

C’est ainsi que nos lieux concrets, intimes et privés, aux mètres carrés de plus en plus uniformes et de plus en plus onéreux, se sont retrouvés agglomérés ou imbriqués, au fil du temps et selon les cas, à des territoires plus vastes et à des espaces plus abstraits, que leur subliminale appartenance à « l’humanité » investissait d’une autorité quelque peu irrationnelle. Devant une telle autorité, l’individu lambda n’a pu que respectueusement s’incliner : En ces enclos nous existons, devenus chez nous plus passants, plus touristes, qu’habitants. L’esprit saturé d’images issues d’autres lieux, nous n’habitons d’ailleurs qu’à moitié celui où nous vivons, comme nous ne nous aventurons plus guère dans ceux qu’épisodiquement, nous visitons, l’appareil numérique au poignet. Comme si la conquête de l’espace- non pas celle des fusées, mais celle de chacun d’entre nous -  avait bel et bien assigné à cette humanité un logis commun, celui de la planète, et qu’entre le sédentaire et le nomade, une nouvelle espèce de terrien délocalisé jusqu’à l’insignifiance soit apparue. Que la dimension de cette Terre soit assimilable à celle d’un lieu vaste ou à celle d’un espace restreint, quelle importance, puisque en-dehors de ce lieu planétaire surpeuplé, n’existe plus, dorénavant,  le moindre espace à vocation universelle et que partout est entretenue la  confusion entre le sentiment de l’universel et la conscience du planétaire ?

C’est ainsi que le lieu natal, point d’origine à partir duquel chaque homme lançait, jadis, sa pensée à l’assaut de l’univers,  s’est réduit à n’être qu’un espace commercialisé  et rendu de plus en plus abstrait – un non-lieu, se plaisent à dire certains. Serions-nous, au sens propre, délogés ? Comment, dès lors, ne pas entendre avec beaucoup d’amitié, mais non sans une certaine mélancolie, ce qui soupire encore en cette strophe d’Yves Bonnefoy :

« Comment faire pour que vieillir, ce soit renaître,

Pour que la maison s’ouvre, de l’intérieur,

Pour que ce ne soit pas que la mort qui pousse

Dehors celui qui demandait un lieu natal ?[5]  



Cet article, a été écrit pour CONDUCTEUR-PASSAGER, et a déjà été publié en octobre 2009.

 

 

 [1]   Proust, Du côté de chez Swann, « Noms de pays : le nom. »

[2]   Bernanos, La France contre les robots

[3]   Hannah Arendt, « La conquête de l’espace et la dimension de l’homme », in La Crise de la culture

[4]  La liste du centre du patrimoine mondial de l’Unesco comprend 878 biens, dont 679 biens culturels, 174 naturels et 25 mixtes, répartis dans 145 états. Depuis novembre 2007, 185 Etats-parties ont ratifié la convention du Patrimoine mondial

[5]  Bonnefoy, « La Maison natale »,  in Les Planches Courbes,  

 

vendredi, 15 octobre 2010

Blocus au lycée.

Depuis deux jours, des « jeunes », comme on dit en novlangue, font le « blocus » devant le lycée. Cela se passe, parait-il, dans toute la France. Enfin, dans les grands « centres urbains », comme on dit encore en novlangue. Le scénario est partout le même ; ils arrivent vers neuf heures. Ils ne sont guère plus d’une cinquantaine. Ils sont cagoulés. Ils sont d’un LEP voisin, ou carrément déscolarisés. Parmi eux, quelques lycéens exaltés. Mais très peu. Ils arrêtent à midi. Reviennent vers quatorze heures. Le paysage est tout autour terriblement banlieue. Ou parfois centre-ville

Ils bloquent à vrai dire sans bloquer. Par intermittence. Le temps que CRS et caméras arrivent. Les uns pour parachever l’image, les autres pour la filmer.

Entre temps, il y a des insultes, des jets d’œufs ou de pierres. On évacue les concierges quand ça pleut trop sur le toit des loges. Parfois, on fait cramer deux trois poubelles, au pire une voiture.  De ci de là, un proviseur ou un professeur qui s’impose ou s’interpose se ramasse un coup sur la gueule. On se meut au gré des SMS et portables, par bans agiles. Télé-transportables. 

A l’intérieur des bâtiments, les cours se déroulent,  comme si, de tout ça, rien n’était. 

Pendant ce temps là, les lycéens (les vrais) qui ont saisi l'aubaine pour faire sauter les cours sont partis défiler en cortèges épars dans le centre-ville. Certains se retrouvent soudain nez-à-nez avec des « casseurs », comme on dit en novlangue, ou bien avec les CRS qui les coursent. De temps en temps, une vitrine claque et le magasin est pillé. C'est jeté. C'est peu parlé. Et pas pensé.

Le pourquoi du comment on en est arrivé là n’est jamais évoqué. On reste dans le pur local.

Rien attendre de la classe politique, rien. Ni des démagos ou des cyniques de gauche, ni des cyniques ou des démagos de droite. Chiasme. 

Pas non plus des journalistes, eux, à l’affût du premier dérapage. Garde à vous généralisé ! Tout le monde est au commentaire absent ; des faits, rien que des faits, des chiffres, rien que des chiffres.  De la statistique comptable. Du fait avéré. Du réel...

On appelle ça un « mouvement lycéen qui se joint au mouvement social». Ce n’est que l’expression de la dissolution commune du social et du lycéen, que le cynisme de chaque bord a laissé se parachever, et dont la jeunesse, celle qui participe aux monômes bon enfant autant que celle qui cherche à en découdre et à piller, fait l’expérience simultanée. Pour les uns une rigolade. Pour les autres un dépucelage. Leur entrée sur la scène du Brave new world, où le monde n'est pas pur et la jeunesse pas non plus  innocente :  Il fallait bien qu’elle arrivât un jour, n'est-ce pas, dit la patronne du bar en torchant un verre, et regardant passer les émeutes.

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Lyon, centre-ville, cet après midi

 

 

21:50 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : manifestation, politique, société, retraites, ps, france, ump, lycéens | | |

jeudi, 14 octobre 2010

Cabaret poétique

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Ça se passe le dimanche 17 octobre, à 17h, au Périscope (13 rue Delandine, métro Perrache).

Ça réunit Sarah Pellerin-Ott & Jean-Baptiste Cabaud, Deborah Field & Frédérick Houdaer, Patrick Dubost & Patrick Ravella & Serge Rivron, Pauline Catherinot, Xtatik…
Entrée gratuite (y’a juste une carte d’adhésion au Périscope de 2 € à prendre, valable un an).

 

Des photos du cabaret précédent :

 

http://houdaer.hautetfort.com/archive/2010/09/07/quelques-photos-de-frederic-muller.html

 

http://www.periscope-lyon.com/

21:58 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | | |

mercredi, 13 octobre 2010

Intercontinental ou Hyatt pour l'Hôtel-Dieu ?

En ce mois d’octobre se discute l’avenir de l’Hôtel-Dieu. On saura courant novembre quel projet sera retenu. Pour résumer les choses, le choix doit s’effectuer entre une chaine d’hôtels de luxe et une chaine d’hôtels de luxe. Palpitant ! Intercontinental ou Hyatt ? Telle est l’alternative laissée par le maire socialiste. Et donc, le dossier le mieux bouclé sur les plans juridiques et financiers (avec sans aucun doute d’autres petits arrangements entre frères en coulisses), sera celui qui l’emportera. L’un serait, nous dit-on, plus « lyonnais » que l’autre, en ce sens que le projet soutenu par le goupe Eiffage/Genérim (prometteur et investisseur), AIA Constantin (architecte) et D.Repellin (architecte du patrimoine), projet auquel s’adjoint la chaîne Intercontinental intègre la création d’un pôle sante (musée de la santé et centre de congrès pour accueillir des colloques médicaux) tandis que l’autre, soutenu par le groupe Nexity et l’architecte star Rudy Riccioti joue la carte exclusivement hôtel/ commerces/ bureaux. Si l’on peut préférer le premier projet au second (lequel ouvrirait aussi davantage le lieu à des boutiques et des commerces accessibles), c’est comme on préfère la peste au choléra : car en faisant le choix de ne pas mettre un seul sou d’argent public dans le projet de réaménagement, Gérard Collomb aura montré aux yeux de tous la faiblesse de ses choix culturels, lui si enthousiaste par ailleurs pour soutenir les ambitions pharaoniques de Jean Michel Aulas à Décines.  Ce qu’il fallait faire, c’est faire au moins tout son possible pour éviter le recours au privé dans ce bâtiment public symbole d’une toute autre histoire que l'hôtellerie de luxe.  Il ne l'aura pas fait. Même pas tenté.

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Jean Couty : Dôme de l'Hôtel-Dieu à Lyon

 En réponse au cardinal Barbarin qui souhaitait qu’« un petit 10% » du site restât  «respectueux de ces mille ans d’histoire et d’accueil des malades et de la pauvreté au cœur de Lyon », le discours ironique de Collomb sur les « contraintes terrestres »[1]  révèle l’étroitesse de son esprit au regard de la mission historique et de la politique culturelle qui devrait être celle d’un maire de Lyon. Mais que dire et que faire, dans cette situation de spectateurs, aussi désolés qu’impuissants, dans laquelle nous sommes placés ? Sinon rappeler que cette étroitesse d’esprit, quand on se souvient d’Edouard Herriot et de la Charité, de Louis Pradel et du complexe autoroutier de Perrache, est hélas ici une espèce de tradition locale.

Pousser un coup de gueule même, cela ne sert plus à rien.

En l’absence de toute common decency, nous voici des citoyens fantoches, tant sur le plan municipal que national, face à des princes de mauvais vaudevilles qui, d’un étage à l’autre de la responsabilité politique, se la pètent avec arrogance et jouissent du pouvoir octroyé par leurs mandats pour imposer leurs choix en s’appuyant sur ceux de leurs complices et prétendus opposants. C’est ainsi que Gaudin justifia à Marseille la « contrainte » où il se trouvait de vendre l’Hôtel-Dieu phocéen par la manière dont Aubry avait sacrifié le couvent des Minimes à Lille, ce que Collomb pourra toujours à son tour…

Le serpent nous encercle tout en se mordant la queue.



[1]  « Je suis comme monseigneur Barbarin, j’ai l’espérance du ciel et les contraintes de la terre… » a lâché le maire de Lyon, en  renvoyant le prélat aux conditions tout aussi équivoques dans lesquelles il a vendu son Grand Séminaire : au plus offrant (BuildInvest) pour faire des logements de haut standing, au détriment de deux projets d'HLM pilotés par le Conseil Général pour l'un, la Mairie de Lyon pour l'autre.  

 

00:00 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : hotel-dieu, gérard collomb, hyatt, intercontinental, politique, lyon | | |

mardi, 12 octobre 2010

Défilés, défilés ...

Je n’irai pas défiler aujourd'hui, pas plus que je ne suis allé défiler les jours précédents, parce que je ne crois pas que ce mouvement (contre une réforme en grande partie déjà votée) ait la moindre chance d’aboutir, surtout dans le contexte européen défavorable où elle est conduite. Quelle que soit la mobilisation (3, 4, 5 millions…), ce sera toujours une minorité vous diront les « patrons », au regard du nombre des électeurs. Tiens, à titre d’exemple, Jean Marie Le Pen, au premier tour des élections présidentielles de 2007, a mobilisé trois millions huit cent trente quatre mille cinq cent trente voix. Vous auriez accepté vous, qu’au nom de ces presque quatre millions de voix, on lui accorde une légitimité quelconque ? Vous n’en aurez pas davantage dans la rue, ne rêvez pas !  D’ailleurs je me demande à quel jeu les syndicats, qui savent cela, jouent… Se compter, soit. …  Pour certains, je ne doute pas que le « comptage » commence à coûter cher en jours de grève, et ce pour un résultat devant lequel les chances de gagner à l’Euromillions sont presque plus importantes. Sarkozy n’est pas un dictateur tout puissant contre lequel il faudrait lutter et qui éventuellement pourrait revenir en arrière (revenons sur Terre) mais un rouage, un VRP du système. Il ne cédera pas parce qu’il sait que le système tient et qu’il peut compter dessus : il joue sur du velours, pour le coup, avec une presse européenne acquise à la réalité de la crise…  Me demande si le pouvoir en place, parmi lequel j’inclus le PS et le vicieux président du FMI, lorgnant sur un scénario déjà joué en 68, n’a même pas intérêt à ce qu’il y ait le plus grand nombre possible de manifestants dans les rues, un vrai bordel de merde d'automne social (qui changerait du printemps, hein!), pour pouvoir démontrer en temps utile le caractère vraiment inefficace de ces rassemblements d'un autre siècle, et par contrecoup le caractère désormais incontestable de l'ordre rétabli. Stratégie de l’étranglement, rien de moins. Qu’un peu d’eau (quelques tsunamis, une ou deux prises d’otages, une petite coupe d'Europe à la con par ci, une saison de soldes  par là, et les fameux bouchons des départs en vacances…) passent sous les ponts, et l'heure venue...

Mon « romantisme social » est je l’avoue au degré zéro. Mais bien m'en prend. Question de survie, dans l'fond !

Chat averti, il est vrai, craint l’eau froide.

Bref. "Défilés, défilés", n'est-ce pas la version tristement post-moderne de ce tub débile de Dalida et Delon, comment, déjà ?

"Paroles, paroles.... "

Aujourd’hui, sans état d’âme particulier, comme chaque jour, j’irai gagner ma croute…

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08:47 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique, manifs, société, actualité | | |