jeudi, 13 mars 2008
J'ai du talent
Cela va de soi !C'est en effet par lui, avec lui et en lui que je suis moi. Grâce à lui que je me réalise. Saurait-on un seul instant imaginer un individu sans talent ? Cela n'existe plus. Rien n'est plus commun que le talent. Désormais toutes les catégories de la société sont concernées par sa production. J'ai du talent. Dans le ventre de ma mère, déjà, n'écoutais-je pas Chopin ? Si, si... tout en effectuant mes premières positions de hatha-yoga... Oh oui, du talent, j'en ai développé en masse. Comme toute le monde. Socialisé dès ma naissance, comment pourrait-il en être autrement ? A mes heures perdues dans la crèche, j'effectuais déjà mes premières aquarelles, toutes très prometteuses - que dis-je, promesse...( promesse de quoi ? - L'œuvre n'était-elle pas déjà promesse que d'elle-même ). D'elle-même, l'œuvre que je suis... A peine ai-je su marcher que des animateurs bienveillants m'ont enseigné avec un ballon rond l'art de la fugue et du détour : je dribble et je tire des pénos comme un Platoche. A peine ai-je su lire que j'ai voulu écrire comme Minou Drouet et Anne Franck. Un poème, une pièce de théâtre, un roman. Car j'ai du talent. J'ai du talent même en politique, domaine essentiel puisqu'il touche à la vie publique de mes contemporains, mes semblables. Je me présente aux élections. Les classes européennes, où l'on parle une langue par matière, m'ont permis de développer en démocratie marchande une telle compétence de globe-trotter que les explorateurs-amateurs du début des Temps Modernes n'auraient rien à m'envier. Qui parviendrait à compter le nombre de photos (de tout, d'êtres, de choses, de lieux et de bâtiments) que j'ai déjà prises sur les cinq continents ? Photos d'art, absolument. Et, de même, je ne sais plus combien j'ai donné de baisers, ni connu de frissons ! J'ai tant de talents divers et post-modernes que je ne suis plus qu'une gigantesque boule de soi réalisée. Dans la grande matrice de l'humanisme marchand, comme tout un chacun, j'ai tant de talent que je n'entre plus en conflit avec rien.
Lorsqu'en 1877, Léon Bloy quitta Paris pour La Trappe, Barbey d'Aurevilly lui déclara : « Je regarderais comme un vrai malheur que vous ne devinssiez pas le grand écrivain catholique dont je perçois en vous les facultés et les puissances. » Rapportant ce propos, Bloy confie à une amie : « Vous me dites que j'ai du talent et vous en déplorez le sacrifice. Je ne le déplore pas. Au contraire, et je serai bien débarrassé. Mon plus grand ennemi, c'est mon talent. Je lui dois le plus ignoble orgueil et l'ambition la plus insensée. Apprenez que je suis dévoré de la plus féroce des passions coupables, la passion de la gloire humaine. Je veux l'exterminer en lui tranchant la tête d'un seul coup et c'est pour cela que je vais à la solitude. Vous dites encore que si je consentais à devenir un religieux militant, je pourrais rendre de considérables services en écrivant sous l'œil de mes supérieurs pour la défense de l'Eglise et l'édification des âmes. Peut-être avez-vous raison, mais je crois qu'un seul Ave Maria dit avec cœur au pied de la Croix dans l'obscurité d'un désert est un fait plus considérable par ses résultats que la bataille d'Austerlitz et que la chute de quarante empires. Après cela, qu'ai-je à faire de votre papier et de vos phrases ? Je méprise absolument la littérature, que je regarde comme un jouet plein de tranchants et de piquants empoisonnés, dans les mains inexpérimentées d'un pauvre enfant. »
14:31 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : lieu commun, léon bloy, barbey d'aurevilly, littérature |
mardi, 11 mars 2008
Vesoul for ever, ensemble et autrement
On prend peur, je vous assure, en parcourant du regard les feuilles consacrées aux résultats des municipales en France. Vous saute alors aux yeux le panorama sinistrée de l'ambition politique de vos contemporains. Premier constat : comme s'ils étaient saisis de honte à l'idée de prononcer leurs noms (leurs sigles plutôt, initiales obligées auxquelles les ont réduits les médias), il n'est plus un parti pour oser se déclarer ouvertement. On parle encore d'UMP, de PS, de Modem et de FN sur les ondes, certes. Mais sur les listes, si vous prenez le petit village type de Clochemerle les Oies, cela donne : En avant pour Clochemerle, Agir autrement à Clochemerle, Réussir ensemble à Clochermerle, Faire front à Clochemerle. Vivre ensemble à Clochemerle les Oies incarne donc un but, un idéal, une volonté, une ambition, un combat, c'est selon. « VESOUL FOR EVER » aurait chanté Jacques Brel. « T'as voulu le voir, t'as désormais le nez dedans ». Le nez et tout le reste.
Cette France de conseillers municipaux donne le tournis, le vomi.
Vivre ensemble est devenu le seul programme envisageable à droite. Sa variante de gauche, c'est vivre autrement. Ensemble et autrement, c'est le pari fou du centre. Voilà tout.
Deux adverbes devenus deux clichés, pour résumer la pensée politique d'un pays en état de coma cérébral avancé. Le citoyen ordinaire se pavane sur les écrans, joue son petit Nicolas ou sa mariale Ségolène, comme quoi, on est tous bien égaux, hein ! Demain Clochemerle, Clochemerle avec vous, Ma passion Clochermerle, Clochemerle mon village, Avantage Clochemerle, Grandir et aller toujours plus loin à Clochemerle, Ouvrons l'avenir à Clochemerle, Clochermerle Citoyen...
France des nains de jardins, France des mots croisés.
France de l'anniversaire des trente ans de la disparition de Claude François, France des jeux de boule sur la place du village et des mariages devant Monsieur le Maire ou Madame la Mairesse, France du vivre ensemble et de Julien Courbet, lieu commun qui étale sa vulgarité, s'affiche, s'auto congratule sans complexes aucuns.
C'est un paradis étriqué plein de vin rouge et de doux flons-flons. A peine sa puberté achevée, chacun y devient électeur - mais plus lecteur, il parait qu'un livre par mois, c'est déjà énorme! Paradis qui, en Clochemerle de Gabriel Chevallier avait trouvé dès 1934 sa profession de foi prémonitoire.
08:19 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : élections municipale, gabriel chevallier, vesoul |
lundi, 10 mars 2008
Maires de Lyon
Lyon garde ses maires lorsqu'ils sont lyonnais et ne font pas trop de remous sur le plan national : ce qu'on leur demande, c'est de la discrétion. De la bonne discrétion, alliée à de la bonne efficacité. Gérard Collomb, opposant socialiste historique à Francisque Collomb puis à Michel Noir, intronisé parmi les notables inoffensifs sous le mandat de feu Raymond Barre, a gravi une à une toutes les marches qui l'ont conduit à cet Hôtel de Ville dans lequel il siège depuis déjà un septennat. Comme Henri IV, dont la statue équestre confère à la façade de la Maison commune, place des Terreaux, l'élégance d'une patisserie bavaroise, il doit se dire qu'après tout Lyon vaut bien une loge ! 52,9 % dès le premier tour ! C'est historique, titre Le Progrès local, qui ne mâche jamais ses mots. Edouard Herriot lui-même, dont le tombeau à l'esthétique stalinienne fait l'angle droit quand on pénètre dans le paisible cimetière de Loyasse, n'y était, en cinquante années d'un règne sans partage, jamais parvenu une seule fois : Est-ce dû au propre génie de Collomb ou à la nullité crasse de Perben ? Un peu des deux, sans doute, un peu des deux. Gérard Collomb a la carne salée d'un rusé pragmatique. Guignera-t-il, pour imiter Edouard le Bel, une carrière nationale ? Lui qui, comme l'auguste Précurseur, fut tout d'abord agrégé de Lettres ? C'est peu probable. Autre temps, autres moeurs : Gérard préfère jouer la carte d'une sorte de régionalisme européen, un peu à la façon d'Aulas, l'Agrégé de Foot Local. Eliminé à nouveau de la Ligue des Champions, l'OL demeure sur "la voie royale" (autre titre du Progrès) pour un septième sacre en Ligue 1. Tudieu ! Ce dimanche 10 mars 2008 aura été, décidément, le jour du conservatisme le plus intransigeant : On reconduit le maire, on reste le boss du championnat. Perben n'a plus qu'à aller pleurer dans les bras de Juppé, l'entraîneur municipal de la mairie de Bordeaux. Désagrégé, pour sa part.
08:51 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : lyon, élections, politique, collomb, ps, actualité |
samedi, 08 mars 2008
IL FAUT VOTER !
Celui-ci a la vie dure et la peau solide. Il faut voter ! Je connais gens de toutes sortes et de toutes générations, capables de vous l'asséner en toute occasion. Si vous ne filez pas droit, vous êtes un mauvais citoyen ! Mauvais ! Vous ne songez pas à tous ces nobles esprits, à tous ces braves gens, à tous ces sacrifiés et ces martyres qui sont morts pour la démocratie ! Eh, dites ! Si vous n'aviez pas eu la chance extraordinaire d'être leur con-citoyen, si vous étiez né dans l'un de ces pays de sauvages ou de malheureux qui ne connait pas l'élection, ah ! ... Vous vous rendriez compte de votre égoïsme, de votre insouciance... Non! non ! Il faut voter, il faut y aller. Même blanc ! Mais il faut se déplacer.
Ce catéchisme républicain ignore pour commencer que le droit de vote n'est pas un devoir. Remarquons bien que la confusion entre droit et devoir, (comme celle entre individu et citoyen, client et consommateur, choix et option...) est monnaie courante autour de nous. Cela ne signifie pas que j'aie le devoir impératif de voter : d'ailleurs il m'est arrivé de voter au moins aussi souvent qu'il m'est arrivé de ne pas voter, à des élections de toutes sortes. Et je dois dire que j'ai plus souvent regretté d'avoir voté que regretté de ne pas avoir voté. Toute une génération (celle d'Elections / pièges à cons) semble avoir à ce point viré sa cuti qu'elle culpabilise les plus jeunes aujourd'hui. Dans un de ses poèmes, Gaston Couté décrit ces chars à bans de moribonds qu'on traîne à la maison commune pour déposer dans l'urne au jour dit le bulletin sacré. Aujourd'hui, ce ne sont plus avec des bulletins de morts ou de moribonds qu'on bourre les urnes, mais avec des bulletins de téléspectateurs. Est-ce un progrès ?
08:48 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, élections, lieu commun |
mercredi, 05 mars 2008
Météo
Par la fenêtre, temps clair. Ciel bleu. Très bleu. Où se lantibardanent quelques nuages dodus, rares. Extrêmement lumineux. Il est 14 heures 20. Ce matin même, vers 6h 30, temps couvert. Un peu venteux. Amoncelés sur la ville qu'on domine du haut des collines, aplatissant tout son éclairage, un plateau crèmeux de nuages. Frisquet glacial en prime. Hier soir, vers 22 heures, neige. Neige mouillée, certes. Ne tient pas, certes. Neige quand même. Par la fenêtre, branches d'arbres en bourgeons. Bourgeons naissants. C'est le printemps. Et puis flocons virevoltants dans la nuit. Il neige. Non, il pleut. A présent, soleil. Température qui suit. Comme livrée dans le même colis. Tout comme les sondages, température en yoyo. Tout comme le prix des choses. Dans les autobus : "On ne sait plus comment s'habiller". Eh non ! Le temps, c'est comme les prix. Ca vient, ça va. On peut plus guère compter dessus. A quel moment la vie est-elle, comme cela, devenue la vie chère ? Passage à l'euro, c'est sûr. Billets très laids, d'ailleurs. Billets d'ailleurs, très moches. Plus un humain dessus. Fini, l'humain. Quel est donc le prix qui a fait déborder le vase ? Foutu prix. Foutu vase. Celui des yahourts ? Celui des pâtes ? Quel seuil ? Du petit noir sur le zinc ? De l'essence ? De la redevance ? Du m2 en centre ville ? A la vitesse où l'euro coule, le temps varie. Nous aussi. Sommes, que nous sommes. Guère plus que ça, avec tous nos codes. Fillon au plus haut : 66 %! Comment est-ce possible ? Fillon ! Comment est-ce pensable ? Municipales : sait-on pour qui voter ? Je songe à Winnie, enlisée en son tertre. Visionné plusieurs fois la cassette, avec Madeleine Renaud. "Le vieux style...", dirait-elle. Irremplaçable. Irremplacée. Une articulation impeccable. Merveille d'actrice. Chaque syllabe, immobile. Immobile et interprêtée. Sa solitude, en ce tertre. Lumière, disait Samuel. Chaleur et lumière, vives, sur Winnie. Puis écarquillerait d'abord les lèvres. Ensuite les yeux. Est-ce que ça s'écarquille les lèvres, Samuel ? Ou bien les yeux ? N'en sait rien! N'en sais bien rien, non plus. Dirions plus rien, à la fin. Mais quel beau jour! Quel beau jour, quand même...! Mardi. Hier, mardi ! Mardi de mars! Et à présent, Mercure. Mercredi de Mercure : Encore un de plus. Et quel beau jour ! Quel beau jour ç'aura, été, Willie, encore un. N'est-ce pas ?
14:58 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : météorologie, vie chère, société, actualité, littérature, beckett |
lundi, 03 mars 2008
Le devoir de mémoire
Des milliers de « professeurs de citoyenneté » entretiennent ce lieu commun dans l'esprit de plus en plus explosé et indifférent d'une jeunesse rendue parfaitement amnésique. Depuis une vingtaine d'années, en effet, la société moderne a fait de la mémoire des camps un devoir ; devoir que le président Sarkozy a même eu l'idée - en apparence saugrenue- d'imposer à tous les enfants dès l'école primaire, et ce au même titre qu'un autre. Dans une nouvelle qu'il intitule « Repos éternel », l'écrivain russe Vassili Grossman a décrit en des termes que je crois indépassables ce qu'est l'horreur de la mort. L'horreur de la mort, c'est qu'elle n'est précisément que silence. Silence devant lequel même les tombes, les monuments, les paroles, les épitaphes, les exvotos et les pleurs font figure de vacarme et de profanation. C'est, dit-il, pour les passants qu'on écrit le nom, la fonction et les sentiments qu'on a eus pour les morts sur leurs tombes. Ce n'est jamais pour eux. Silence : C'est d'ailleurs parce que le mort se tait absolument qu'il était sacré pour les Anciens. Que n'aura-t-on pas fait dire aux millions de malheureux gazés dans les camps de la mort ? De quel vacarme aura-t-on empli l'infini de leur silence !
« Lorsque Auschwitz est devenu un mythe social, une métaphore de la vie moderne, les gens ont perdu de vue l'unique leçon qu'il avait à offrir : à savoir qu'il n'offre aucune leçon » : c'est ainsi que Christopher Lasch, dans Le Moi assiégé, conclut le chapitre qu'il consacre à Auschwitz et à ce qu'il appelle le "survivalisme". L'étrange point de vue de Sarkozy, fort heureusement provisoirement écarté par une commission, qui visait à associer un enfant mort en camp à un enfant vivant aujourd'hui, aurait eu pour effet d'imposer "ce survivalisme" comme unique vision et unique morale, dans un monde soumis à la Loi de la jungle du libéralisme devenu une sorte de camp de concentration de luxe. Chaque enfant mort serait devenu une sorte de double ou d'alter ego, sinistre ange gardien et scolaire veillant sur le destin de chaque enfant vivant. Faire porter tout cela à des enfants, la commission a fort justement estimé que c'était proprement inacceptable. Pourtant on réfléchit encore à d'autres solutions pour imposer ce devoir de mémoire érigé à la fois en dogme officiel et en lieu commun de la bien pensance. Quel silence, quel grave et nourricier silence, ce faisant, estompe-t-on ?
11:51 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : christopher lasch, vassili grossman, le moi assiégé |