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vendredi, 16 novembre 2007

A ma Lisette, Chanson de 1831

Deux chansons de canuts :

Air du bon Pasteur, de Béranger, paroles d'Antoine VIAL ( 1796-1832)

 

Lisette, ma douce amie,
Pare ton corset de fleurs ;
Dieu, protégeant l'industrie,
Vient de finir nos malheurs.
Tu ne seras plus pauvrette ;
Allons ! reprends ta gaîté ;
Chante avec moi, bonne Lisette,
Chante vive la liberté !

Autrefois, sous nos vieux maîtres.
Le magistrat orgueilleux,
Fier de ses nobles ancêtres,
Aurait repoussé nos vœux :
Aujourd'hui, sans étiquette,
L'artisan est écouté.
Chante avec moi, bonne Lisette,
Chante vive la liberté !

Riante apparaît l'aurore,
Plus de chagrins, de soucis ;
Je me réjouis encore
Du bonheur de mes amis.
Du travail, une couchette,
Puis vient la prospérité.
Chante avec moi, bonne Lisette,
Chante vive la liberté !

N'écoutant point le caprice
D'un financier courtisan,
Désormais on rend justice
En faveur de l'artisan.
Peut-être un riche regrette
Mainte vieille autorité :
Chantons toujours, bonne Lisette,
Chantons vive la liberté !

Vois-tu mes amis, mes frères,
Fiers de porter ce drapeau,
Autour de couleurs si chères
Ne former qu'un seul faisceau !
En vain viendrait la tempête,
Le Français est redouté,
S'il peut chanter, bonne Lisette,
Chanter vive la liberté !

 

 

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Chanson de 1831   (sur un air de Béranger, paroles d'Antoine Vial)

 

A ma Lisette, ô toi que j'aime !

Quel sort, hélas, te poursuit !

Tu crus au bonheur suprême,

Ce bonheur s'évanouit.

Des grands la voix indiscrète

A prédit un prix nouveau;

Tisse toujours, bonne Lisette,

C'est l'étoffe de mon drapeau.

Ce bleu, sans aucun nuage,

Semble l'azur de tes yeux;

Ce rose est la douce image

De tes attraits merveilleux;

Ce blanc, qu'un noble regrette,

Entre deux est assez beau;

Tisse toujours, bonne Lisette,

C'est l'étoffe de mon drapeau.

On trompe ton espérance ?

Sois riche de mes amours!

Gagne peu, mais sers la France,

Et je t'aimerai toujours.

Le guerrier, sous son aigrette,

Mettra ce léger réseau :

Tisse toujours, bonne Lisette,

C'est l'étoffe de mon drapeau.

Que de goût et que d'adresse

Lise, dans ce que tu fais.

Ce tissu que ta main presse,

Me rappelle nos hauts faits.

De ton père, c'est la fête :

J'en veux parer le tombeau

Tisse toujours, bonne Lisette,

C'est l'étoffe de mon drapeau.

Allons ! chante, mon amie,

Chante un meilleur avenir;

Ne crains point ce noir génie

Qui semble nous désunir,

La liberté, sur sa tête,

A secoué notre flambeau;

Tisse toujours, bonne Lisette,

C'est l'étoffe de mon drapeau.

08:45 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chant, chanson, canuts, lyon, poème, poesie, béranger | | |

jeudi, 15 novembre 2007

Le novembre des canuts : Les Trois Glorieuses

 Arrêtons-nous quelques instants sur ce préfet en uniforme qui gravit la Grande Côte ce matin de novembre 1831 à la tête d’une colonne de la garde nationale, s’en allant à la rencontre du peuple. Louis Bouvier du Molart (1780-1855) n’est pas même cité dans le Dictionnaire des Lyonnaiseries de Louis Maynard, sinon dans l’article consacré à son successeur, Adrien Gasparin. Il faut dire qu’au contraire de ce dernier, Louis Bouvier du Molart ne possède pas de rue à son nom. La Petite histoire populaire de Lyon d’Auguste Bleton ne le mentionne pas davantage.

Le 11 mai 1831, il succède à un autre infortuné jeté aux poubelles de l’histoire, Paulze d’Ivoy, révoqué pour mollesse par Casimir Périer tout juste nommé président du Conseil. Ancien préfet sous l’Empire et les Cent jours, Bouvier du Molart mise sur la popularité dont l’Empereur jouit encore à Lyon (au point que certains le croient réfugié à Philadelphie et préparant un retour) pour imposer d’entrée de jeu l’autorité paternaliste qui sera sa marque de fabrique durant tous les événements. Sa proclamation aux Lyonnais du 17 mai débute par ces mots :

« Lyonnais, vous entendrez une voix qui ne doit pas vous être suspecte. Je n’ai ni servi ni trahi la Restauration. Le seul pouvoir qui jusqu’à notre glorieuse évolution  ( il parle de 1830) avait reçu mers serments est celui qui a relevé votre grande ville  de ses ruines, et je lui suis resté fidèle jusqu’à la proscription _inclusivement. La cocarde qui est à mon chapeau n’a jamais changé de couleur ». Et sa lettre à Casimir Périer du 19 mai est un modèle  : « Je pense que votre Excellence peut maintenant être en parfaite sécurité sur le point important  qui m’est confié  (Il parle de la sécurité publique). Je me sens fort et je le suis en effet, puisqu’on croit généralement ici que je le suis. Je satisfais les gens du mouvement, parce que mon nom se trouve sur la liste de proscription des 38 (après les Cent jours) ; les patriotes sages voient en moi un des leurs ; les bonapartistes me tiennent compte d’une fidélité que j’ai gardée aussi longtemps qu’elle a été un devoir. Enfin la population générale d’une cité industrielle qui a essentiellement besoin d’ordre et de sécurité  sait que je suis un homme de pouvoir  et que j’ai appris à une grande école à le faire respecter. »

Reçue à coups de cailloux, de tuiles et de fusil, la colonne recule un instant, puis reprend sa marche, car Bouvier du Molart souhaite entrer en pourparlers avec les révoltés. Croit-il encore que sa fidélité de jadis à Napoléon lui servira de bouclier ?

686ff8142ebf5f7fb76acd71795b4941.jpgDe fait, il ne se trompe qu’à moitié. A près avoir obtenu une trêve, accompagné de son secrétaire et du général Ordonneau, il rejoint la mairie de la Croix-Rousse du balcon de laquelle il commence à haranguer la foule. Mais les ouvriers ne répondent à ses exhortations que par les cris : « De l’ouvrage ou la mort ! Nous aimons mieux une balle que la faim ! » Cependant, tous respectent la trêve et, grâce aux dispositions conciliantes du préfet, un accord est sur le point d’être trouvé lorsqu’une fusillade éclate et le grondement du canon se fait entendre au loin. Roguet y est-il pour quelque chose ? Se croyant trahis, les ouvriers indignés empoignent en tout cas les trois représentants de l’autorité. Si Bouvier Du Molart lui-même échappe à une exécution sommaire, c’est à un des chefs de section des ouvriers en soie nommé Carrier qu’il le doit, ce dernier l’entraînant à l’Hôtel du Petit-Louvre, juste à côté, où il est gardé à vue. La tension est vive. Des ouvriers déposent quatre cadavres devant la façade de l’hôtel, en exigeant un cinquième pour les venger.

La capture du préfet constitue évidemment l’événement le plus important de cette matinée-là, puisqu’elle paralyse l’action des troupes. Dans la relation qu’il fera lui-même de tous ces événements en 1832 (et qui sera vendu 2 francs - 2 jours de travail d’un compagnon !), il confiera qu’on lui aurait alors demandé de signer des ordres pour récupérer 40 000 cartouches et 500 gargousses à boulet de six, ce qu’il aurait refusé. « Dans les 8 heures de captivité que j’ai passées au milieu des ouvriers de la Croix-Rousse, écrit-il, j’ai pu pour ainsi dire les compter. Ils n’étaient certainement pas plus de mille à douze cents. Ils n’avaient pas cent fusils

Les chefs d’atelier appartenant aux Volontaires du Rhône, et parmi eux Guillot et Lacombe, calment autant qu’ils le peuvent l’effervescence des compagnons, car ils redoutent une issue tragique pour tous. « Dans la nuit du lundi 21 novembre, écrit Guillot, vers 7 heures du soir, je pénétrai après bien des efforts vers l’hôtel qui servait de prison à M. le Préfet détenu par les ouvriers. Au moment où je l’abordai, notre courageux  fonctionnaire haranguait le peuple et lui disait, ma foi, de bien belles choses, dont je n’ai pu retenir que les  suivantes : « Braves ouvriers, je suis votre père, rendez-moi à la liberté et si le comte Roguet ne fait pas cesser le carnage, je marcherai à votre tête ». Entre 9 et 19 heures du soir, sur sa promesse d’obtenir du comte général Roguet la cessation des hostilités et des fabricants l’exécution du tarif, le préfet est reconduit en ville sous la protection des baïonnettes des « cadres d’officiers » des Volontaires du Rhône. Le général Ordonneau, lui, demeurera prisonnier jusqu’au lendemain, où il sera restitué en échange de la libération d’un ouvrier en soie emprisonné.

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07:24 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : insurrections, révoltes, canuts, lyon, novembre1831, politique, culture | | |

vendredi, 09 novembre 2007

Le novembre des canuts : Premiers coups de feu

Le 16 novembre, le représentant des chefs d'atelier Charnier écrit au préfet Bouvier Dumolard, afin de lui signaler quelques fautes d'impression sur les affiches du Tarif, toutes effectuées d'ailleurs au détriment des fabricants, et qui étaient sources de contestation entre ceux-ci et les chefs d'atelier.

Charnier croit-il encore au pouvoir ou à la parole du préfet ? Difficile à évaluer. Depuis l'hiver 1825, Pierre Charnier réfléchit aux "abus" dont souffre la Fabrique, et tout particulièrement ceux dont les chefs d'atelier en premier lieu, les compagnons en second, sont victimes. C'est lui qui est à l'origine de la première Association de Surveillance et Indication Mutuelle entre les membres de la corporation, ancêtre du Devoir Mutuel :

« Dans l'association, nous pourrons puiser toutes les connaissances de mécaniques et de droit industriel, toutes les consolations à nos maux. Nous apprendrons que l'homme pauvre n'est pas un pauvre homme, que cette dernière dénomination n'appartient qu'à l'homme dépourvu de probité. Axiome puissant pour nous procurer à résignation nécessaire à notre sort. Quand nous serons tous pénétrés de notre dignité d'hommes, les autres habitants de la cité dont, sans nous en douter, nous faisons depuis longtemps la gloire et la richesse, cesseront d'employer la mot canut dans un sens railleur ou injurieux. » Ainsi parlait Charnier. 

Le préfet lui répond le 18 novembre que « les erreurs qui peuvent exister doivent être rectifiées d'un commun accord entre fabricants et ouvriers. On doit en agir à cet égard comme on l'a fait pour le tarif et l'autorité ne peut intervenir que pour interposer sa médiation, si elle est nécessaire. » Le 19 novembre, écrit Bouvier du Mollard dans ses Mémoires, « les 104 fabricants signataires du Mémoire adressé au ministère, encouragés par la connaissance qui leur fut imprudemment donnée de l'improbation du Tarif par le gouvernement de Casimir Périer, s'entendirent pour refuser tout travail aux ouvriers. »

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 Les ouvriers, quant à eux, quelles que soient par ailleurs leurs sympathies ou tendances politiques, refusent de travailler à un prix plus bas. La situation est inextricablement bloquée. Le même jour, à une séance du Conseil des Prudhommes, on lit une lettre de Bouvier Dumolard qui déclare que le tarif est seulement un engagement d'honneur et qu'il n'est nullement légalement obligatoire. Manière prudente de répercuter la position de l'autorité parisienne sans désavouer la sienne propre.

Dès lors, le Conseil cesse de condamner la non-observation des conventions du tarif. Les délégués des chefs d'atelier au Conseil des Prudhommes ne purent évidemment considérer cela que comme un évident "déni de justice" Selon Charnier, « cela a beaucoup contribué aux malheurs dont notre cité a été le théâtre ». De part et d'autre, l'irritation devient extrême face au camp opposé. Les représentants des compagnons reprennent leurs visites de chaque atelier, afin de vérifier qu'aucun métier ne fonctionne et que la solidarité s'organise. On dit même qu'ils ont commencé, depuis quelques jours, à collecter des fusils auprès des maîtres, et que parmi ces derniers, très peu leur en refusent.

Le lendemain, 17 novembre 1831, on affiche dans la rue Tolozan, à la Grande Côte et à la Croix-Rousse  des placards manuscrits donnant rendez-vous à tous les ouvriers « pour dimanche et lundi prochain », c'est à dire pour les 20 et 21 novembre.  Les avis du commissaire central Prat sont, à ce sujet, très alarmants :

« Tous les rapports que j'ai reçus aujourd'hui, soit de mes amis, soit de mes agents, soit de messieurs les commissaires de police, m'annoncent que lundi (21 novembre) les ouvriers en soie veulent se faire justice des fabricants qui ne veulent pas leur donner de l'ouvrage ou qui refusent de payer le tarif. Les uns disent qu'ils doivent se réunir au Grand Camp, les autres qu'ils descendront de leurs quartiers pour se porter en masse aux Capucins. »

De fait, ceux qu'on appelle les canuts avaient eu le temps de bien s’organiser. Quelques centaines de chefs d'atelier étaient déjà goupés dans le Mutuellisme, et presque tous dans le Mutuellisme élargi. Et leur exemple avait été suivi par les compagnons. Outre ces organisations économiques, une partie était regroupé en une association plus politique : Les Volontaires du Rhône. Beaucoup de chefs d'atelier faisaient aussi partie de la Garde Nationale. Un certain nombre possédaient des fusils. Pris en masse, ils n'avaient certes pas un sentiment d'agression; ils voulaient tout simplement cesser de travailler jusqu'à ce que les fabricants, fatigués de voir leurs commissions en retard, auraient enfin consenti à les rétribuer au prix du tarif. Mais la morgue de ces fabricants, l'inconséquence de l'autorité politique avaient heurté les esprits et froissé les sensibilités. C'était suffisant pour regrouper tous ceux qui, autour du métier à tisser et sur les mêmes paliers, dans les mêmes immeubles, les mêmes rues, le même quartier, avaient le sentiment de partager le même sort injuste.

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08:10 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, croix-rousse, canuts, société, culture, lyon, révolte | | |

lundi, 05 novembre 2007

Le novembre des canuts : Premières dérobades

Depuis le début de l’automne 1831, la somme des impôts exigée à la classe ouvrière de Lyon s’étant trouvée triplée, voire pour certains cas quintuplée, les maires de Lyon et des communes environnantes avaient signalé au préfet en place, Bouvier du Molart le risque imminent de troubles à la tranquillité publique. A titre d'information, les salaires, pour les compagnons tisseurs, n’excédaient pas un franc par jour, quand le kilo de pain valait en moyenne 0,40 franc. Et de fait, dès le 8 octobre 1831, fut convoquée une première assemblée générale de chefs d’ateliers ; on y divisa en 40 circonscriptions la ville de Lyon et ses faubourgs, ce qui permit de répartir les 8000 chefs d’ateliers d’alors en sections de 200 chefs d’atelier. Leur revendication principale était de contraindre les fabricants à augmenter le prix de la façon.

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 Le 10 octobre une nouvelle assemblée  exigea que fût créée une commission permanente de négociants et de chefs d’atelier. Deux jours plus tard, avec l’aide de l’adjoint au maire de Lyon Boisset, qui jugeait utile l’établissement d’un tarif au minimum pour le prix des façons, vingt deux commissaires furent désignés pour siéger dans la Commission du Tarif et établir ce tarif dans l’intérêt commun des deux parties, chefs d’atelier et négociants. Le 16 octobre, le préfet recevait une adresse de la part de cette Commission, laquelle était lue dans les assemblées générales de chefs d’atelier. Le 18 octobre, la Commission Centrale était reçue par Bouvier du Molart à la préfecture de Lyon, située encore placeCoste_598_000.jpg  des Jacobins (voir gravure), tandis qu’un cortège de 150 compagnons défilait en chantant la Marseillaise dans les rues du plateau de la Croix-Rousse. Le 21 octobre, sous la présidence du préfet, en présence des maires de Lyon et faubourgs, se tint une première réunion qui promit de fixer le tarif avant le 1er novembre. Quatre jours plus tard, le 25 octobre 1831, tandis que la Commission rencontrait à nouveau le préfet pour signer le tarif qui venait d’être voté, un cortège de 6000 compagnons et apprentis s’avançait en silence vers la place des Jacobins, « sans armes ni bâtons ». Selon le journal le Précurseur : « c’était à la fois l’ordre et le désordre et, dans le désordre même, il y avait le calme et la régularité d’une organisation qu’on eût difficilement supposée dans une manifestation d’ouvriers. »

 

En cette journée du 25 octobre 1831 le préfet Bouvier Dumolard pouvait écrire au Président du Conseil  : « J’ai joué dans cette grave circonstance le rôle de médiateur et de conciliateur. Ma voix a été entendue. Une augmentation considérable a été librement consentie. Je suis dix fois plus fort que je n’étais ce matin, et je vous réponds de la tranquillité publique ». La population de la Croix-Rousse,quant à elle, fit la fête dans les rues de la colline jusque tard dans la nuit. On pouvait penser que tout allait revenir en ordre, et que les jours à venir seraient des jours de bonheur.

Lorsque fut affiché le placard du Tarif, le 27 octobre, une grande effervescence gagna la population.  On promettait son application pour le 2 novembre. Au même moment circulait un prospectus annonçant la création d’un journal par actions, « L’ écho de la fabrique, journal des chefs d’atelier ». Dans son premier numéro, daté du 30 octobre, L’Echo de la Fabrique livre un résumé des négociations en cours et annonce la création d’une « association générale et mutuelle de secours pour parer aux besoins de ceux qui manqueraient d’ouvrages par l’égoïste spéculation de certains chefs de fabrique, ou qui ne pourraient travailler en raison de maladies graves ou de malheurs imprévus ».  Cependant, de la Croix Rousse aux Terreaux, des rassemblements d’ouvriers impatients de voir la tarif promulgué appliqué par les fabricants, se déroulaient, chaque jour plus  nombreux. 

Mais le tarif voté tardit à être appliqué, les fabricants ayant usé de toutes les arguties pour le repousser. Une réunion des Volontaires du Rhône eut lieu le 1er novembre, présidée par le chef d’atelier Lacombe. Suite aux nombreux refus, voire dans certains cas aux menaces que quelques fabricants avaient déjà concrètement opposés à plusieurs tisseurs, le 2 novembre, des rassemblements d’ouvriers se déroulèrent à nouveau à la Croix-Rousse. Depuis le 31 octobre, une cinquantaine de femmes, découpeuses de châles, s'étaient réunies place des Carmes dans l’intention, disent-elles, de briser une mécanique. Pendant ce temps-là, les négociants utilisaient leurs amis parisiens pour persuader le président du Conseil, Casimir Périer, de l’illégalité de ce nouveau tarif, dans lequel ils feignaient de ne rencontrer que leur future ruine. Le 3 novembre, la grogne monte encore d’un cran : compagnons et apprentis menacent désormais tous ceux qui travaillent en deçà des prix fixés par le tarif de déchirer les pièces sur leurs métiers. La tension est partout sensible.

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Les délégués des chefs d’atelier commencent à perdre la direction du mouvement lorsque à leur tour, les compagnons décident de s’organiser en commissions. Le 4 novembre, Richan, maire de la Croix-Rousse, tente de raisonner les ouvriers. En vain. Le préfet Bouvier du Molart, de son côté, fait placarder un avis dans lequel il invite les « honnêtes gens à ne pas se mêler aux groupes afin de ne pas nuire à l’action répressive de la police » Au soir, un cortège se forme aux Terreaux. Des cris fusent : « A l’eau, la garde nationale ! Au Rhône, les artilleurs ! » Deux ouvriers en soie, un teinturier, un mousselinier (soit quatre ouvriers de la Fabrique ), deux pâtissiers, un boulanger, un tailleur, un voiturier et un ouvrier de la Manufacture des Tabacs, en tout dix personnes, sont arrêtées.

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11:00 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lyon, société, politique, canuts, révoltes, histoire, culture | | |

vendredi, 10 août 2007

QU'IL VIVE !

Article publié dans L'Esprit canut du mois de juin 2007 

Selon un vieil adage qui souligne qu’en toute chose, il convient de préférer l’original à la copie, nous poursuivons notre défense des visites de l’atelier MATTELON, seul atelier croix-roussien rescapé du XIXème siècle puisque la bâtisse qui l’héberge date de 1841. C’est en 1878 que Mr Milan, son propriétaire, la rehausse afin d’installer plusieurs métiers à bras dans un espace adapté. Lequel, par conséquent, alignera fièrement l’an prochain ses cent trente printemps, tandis que son métier le plus ancien  aura connu rien moins que la révolution de 1830 et la romantique bataille d’Hernani.

En 1947, Georges Mattelon, le successeur de Mr Milan, organise les premières visites, parmi lesquelles l’élégant Graham Green. Le syndicat d’initiative de l’époque était alors demandeur pour élaborer une collaboration public/ privé, dans laquelle il trouvait son intérêt et qui a perduré jusqu’au décès de monsieur Mattelon. Le livre d’or que nous montre sa veuve s’ouvre en 1956, par une photo dédicacée du président Herriot. « Emerveillement, plaisir, habileté du goût français, splendeur… » Venus de Grèce, de Madagascar, de Tahiti, du Togo, du Brésil, les hommages pleuvent… « Il ne faudrait surtout pas que ce genre d’industrie disparaisse car alors la gloire de Lyon et de la France disparaîtrait », souligne, parmi tant d’autres,  Monique Duval, journaliste à L’Evénement du Québec en 1957.

Que reste-t-il de cette collaboration aujourd’hui ?  La municipalité en exercice a décidé de la suspendre pour des raisons de sécurité et de concentrer ses efforts sur d’autres lieux. Ces derniers ont probablement leur intérêt. Mais ils ne possèdent ni le charme ni l’authenticité de l’atelier de 1878 - authenticité avec laquelle monsieur Jacques Mattelon et sa mère n’ont pas l’intention de transiger : s’il est possible, disent-ils, d’installer une porte coupe-feu et de repenser l’installation électrique, il n’est nullement question de toucher aux tomettes du sol ni aux murs. De fait, cet atelier « dans son jus », qui a traversé tant de décennies, demeure un joyau unique au monde. Une sorte de France ou de Concorde de la canuserie qu’il faut préserver vaille que vaille, car pas un seul lieu recomposé, quelque sécurisé qu’il soit, ne saurait lui être comparé. Et comme monsieur Jacques Mattelon le répète avec humour : un atelier de 1878 peut-il être aux normes de 2007 ? Ce dernier a beau être inscrit au Patrimoine (« lequel n’est pas très généreux puisqu’il refuse de payer l’assurance », précise madame Mattelon), il semble que la présente équipe municipale n’ait jamais eu véritablement l’intention de le sauver mais qu’elle ait trouvé dans ces raisons de sécurité un prude cache-sexe et un pratique alibi pour se débarrasser de ses responsabilités :

« J’ai essayé de toutes mes forces de maintenir la tradition là où elle est née, disait son mari en 1963.  Il me semblait que le bistenclaque ne pouvait pas tout à fait mourir à Lyon. Qu’il y aurait toujours de belles choses à faire avec lui, qui ne pourraient naître que des doigts de fée d’un canut, au fond d’un atelier aveugle et inconfortable. Maintenant, j’ai perdu la foi. Le canut à bras est devenu un objet de musée »

Un objet de musée ? Encore faudrait-il qu’un véritable lieu, digne de ce nom, voie le jour à la Croix Rousse, qui puisse in fine intégrer à sa visite un précieux détour par le survivant insolite qu’est l’atelier Mattelon.

 

16:25 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lyon, politique, soierie, canuts, soie | | |