Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 22 août 2012

Orages désirés

On a toujours parlé du temps, bien sûr : du temps qu’il a fait, du temps qu’il va faire. Parler du temps, c’est mettre en place une conversation, un rapport sensuel au monde, partager l’instant. « Il y a des messages qui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la conversation, à vérifier que le circuit fonctionne » professa le linguiste Jakobson lorsqu’il définit sa fameuse fonction phatique du langage. Le temps qu’il fait fait partie de ces énoncés creux, vides, dont la seule signification est donc d’établir une conversation. Le subtil Diderot fait débuter son magnifique Neveu, l’une des conversations littéraires les plus flamboyantes, les plus abouties, par la phrase restée célèbre, « Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais Royal ». Le Neveu de Rameau n’est pas seulement une conversation entre Moi et Lui, les deux protagonistes du dialogue. Il l’est également entre les facettes du Moi de Diderot, celles du Moi du lecteur : que le temps météorologique soit convoquée dans ce balancement rhétorique de deux présents signe le sens de l’à propos comme le coup de génie du directeur de l’Encyclopédie. « Il n’y a plus de saisons », disent plus prosaïquement les vieux sur les bancs

Depuis Charles d’Orléans, les saisons et le temps qu’il fait sont aussi un motif de poésie. Tout le Moyen Age s’entend dans son fameux « Hiver vous n’êtes qu’un vilain ». Les saisons de l’année devenant vite une métaphore des saisons de la vie chez les Renaissants, ce lien entre l’homme et le temps devient plus intime encore, se charge de murmurer ses espoirs, ses craintes et ses peines. La rose, aussi bien chez les poètes des Célébrations que chez ceux des Consolations devient l’incarnation poétique de cette fusion entre le temps qu’il fait et le temps qui passe.

Parler du temps qu’il fait, c’est aussi tenir le langage de l’amour ; le roman épistolaire le plus lu du XVIIIème siècle, La Nouvelle Héloise, inventa la météorologie romantique, celle qui permettait d’exposer les variations infinies du cœur et de la raison. Rousseau fut, avant Bernardin, avant Chateaubriand, l’un des premiers grands observateurs du temps en littérature.  La dix septième lettre de la Quatrième partie, et les jeux du soleil et du vent que Jean Jacques dépeint, demeure parmi les plus belles pages de la littérature française, où s’invente pour longtemps ce qui deviendra l’un des clichés les plus porteurs des romans à l’eau de rose à venir : la poésie du lac. Il faut ensuite attendre René et ses « orages désirés » pour que le romantisme de l’Enchanteur fasse enfin du temps qu’il fait un événement politique : le vieux monde s’effondre dans un délicieux crépuscule, la saison qui commence n’intéresse plus le mémorialiste qui s’enfonce dans sa tombe, un crucifix à la main, laissant aux hommes qui arrivent le soin de décrypter les temps nouveaux. C’est alors que Michelet invente le récit historique, la grande météorologie de l’espèce et de ses cycles, des ténèbres à la lumière puis de la lumière aux ténèbres, qui du Moyen Âge à la Révolution donne vie au peuple et sens à la nation.

A présent, quelques décennies plus tard, les hommes  ont cessé d’accorder sens au temps qu’il fait. Si les dépressions et les anticyclones sont encore d’actualité, ce n’est que pour forger une séquence médiatique parmi d’autres, la météo comme le sport ou la politique n’étant qu’un événement du calendrier : après l’été pluvieux et la canicule, donc, les orages. On se souvient de la tempête qui dévasta  naguère la France, du tsunami, le Japon. Ces heures-ci, nous n’aurons à nous mettre sous la dent que quelques orages de grêle et quelques promeneurs foudroyés. Qu’importe : cela suffit à faire l’évènement, comme l’élection de ce pitoyable et sinistre président, dont la rentrée normale se déroule de déjeuners de travail en réunions de palais où l’on se concerte entre soi, ou comme l’organisation de ces JO aux bords de la Tamise, dans lesquels la France ne glana que peu de médailles face à la Perfide Albion. Le temps qu’il fait devenu ainsi non-évènement donne la mesure de l’insipidité des temps qui sont les nôtres, et des gens que nous sommes devenus. Levez-vous ! Levez-vous donc, levez-vous vite orages désirés ! 

40202824nouvelle-heloise-montmorency-musee-jean-jacques-rousseau-jpg.jpg


Julie et Saint-Preux sur le lac Léman - Tableau de Le Prince (1824) au musée J.J. Rousseau à Mortmonrency)

jeudi, 16 août 2012

Mariage gay, prière pour la France, quel copyright pour nos enfants ?

C’est toujours en distillant de la pensée binaire dans l’opinion, que les politiques tentent de faire passer les réformes de comportement. La polémique soulevée par la « prière pour la France », lue dans toutes les églises à l’occasion de la fête de l’Assomption hier, en est un nouvel exemple.

Que l’Eglise réagisse au sein de ses offices et devant ses fidèles, c’est son droit le plus strict. Qu’elle défende la Tradition n’a rien de choquant, bien au contraire : ceux qui s’attendent à ce qu’elle s’engage de façon instantanée dans des débats de société soumis à l’immanence sont tout simplement incultes. Le rôle de l’Eglise est de perpétuer le message liminaire et fondateur qui est le sien, Benoit XVI étant le successeur non pas de Jean Paul II, mais de Pierre. En essence, l’Eglise n’a donc rien à faire avec la fluctuante modernité, ses interrogations, ses errances, ses forces de proposition. Aussi, la prendre régulièrement à parti sur le terrain de l’opinion (on a déjà connu cela avec le port du préservatif), c’est volontairement (ou non) méconnaître le statut très spécial qui est le sien. Que l’Eglise s’oppose au mariage civil gay n’a rien de surprenant, ni de scandaleux, puisque le mariage gay contrevient fondamentalement à tous ses principes. Qu’on attende de l’Eglise qu’elle parle le langage des modernes relève en revanche de la franche mauvaise foi. Nous voici au cœur de la méthode socialiste.

64% des Français seraient pour le mariage gay (selon IFOP). Foutre ! La propagande a donc commencé ! 

Personnellement, si je comprends que des couples homosexuels refusent d’être discriminés voire spoliés et revendiquent la protection de la loi dans le champ du social, je ne comprends pas ce qu’ils entendent par « égalité » : Il n’y aura tout simplement jamais de similitude entre un couple normal (pour parler le hollandais) et un couple homosexuel parce que ce n’est pas en ces termes que la question se pose : d’un côte deux mêmes ; de l’autre côté un même et un autre. D'éminents universitaires entretenus par des groupes d'influence auront beau nous expliquer que nous ne sommes plus de sexes, mais de genres différents, cela n'y change rien. Deux mêmes ne sont pas comme un même et un autre. Point.

Alors pourquoi toucher au symbole millénaire qu’est le mariage, quand  un PACS amélioré pourrait faire l’affaire sur le simple plan légal  ?

Parce que, nous dit-on, se pose une question, cruciale, celle du droit à l’enfant.

Passons sur le fait que l'enfant n'est pas un droit, en effet, mais une personne. Il est assez amusant de constater qu’à l’ère de la nanotechnologie, dans une société si fanatique et si déboussolée qu'on n'y croit plus qu’en l’identité génétique de ses membres au point d’en faire le mode opératoire principal de tous ses contrôles, on invente cette distribution digne d’un mauvais mélodrame d’Huxley : d’un côté des faux pères ou des  fausses mères, qui seraient reconnues par la Loi comme de vrais pères et de vraies mères (des parents légaux, du même sexe de surcroit), et de l’autre des pères procréateurs ou des mères porteuses qui ne seraient, eux, que des agents opérateurs d’autant plus insignifiants qu’ils seront réduits à la fonction de passeurs génétiques, bref, des faux pères et des fausses mères.

L’histoire, les mythes, la littérature ne sont-ils  pas emplis de ces quêtes de pères ou de mères, morts ou inconnus, menés par des orphelins hagards bien que choyés par des parents adoptifs plus attentifs que jamais ?  Même si cela n’empêche nullement, bien sûr, que des relations affectives profondes avec d’autres puissent se construire, hommes et femmes n’auront jamais d’autres père et mère que leurs père et mère effectifs, ceux par qui le lien historique avec leurs ancêtres réels s’opère, des liens de filiation. A moins de vouloir transformer l'humanité en un troupeau d'apatrides incultes, de clones inconscients et de nomades fanatisés. C'est ce que le législateur souhaite continuer de faire, pour dominer le monde. Il y a dans ce projet qui se veut libertaire un goût franchement totalitaire.

Nous touchons là me semble-t-il au point crucial de l’aliénation que l’Eglise (mais aussi toutes les autres religions attachées à la Tradition) dénoncent : on ne veut plus de transcendance, ni divine, ni humaine. Seul compte le caractère instantané du présent, comme si le vivant ne devait plus se nourrir exclusivement que du présent, du désir du présent, et non plus aussi du feu des ancêtres. 

Dans la tourmente culturelle qui se généralise, voila donc que ce lien parental -qu’on appellera sournoisement ici ou là génétique- passe donc pour dangereux, parce qu’il demeure l'ultime lien culturel avec le passé, l'ultime repère encore vaguement efficace, dans une société qui a fait tabula rasa sur tout. On veut des apatrides et des incultes, des citoyens du monde parfaitement clonés, disposant d'une filiation à la carte : la cohorte des ancêtres dérange et la logique du c'est mon choix s'impose partout. Quoi de mieux, pour faire passer cette perversion, que d’utiliser ces homosexuels à la cervelle lavée, qui accepteront de passer devant monsieur le maire au nom de leur liberté individuelle déjà si galvaudée, et dont la loi interdira de se gausser à vive et franche voix, comme au temps carnavalesque et joyeux (un temps tout sauf normal) de Coluche et Le Luron, sous motif honteux d'homophobie ?

 

coluche.jpg

L’Eglise a donc raison d’inviter implicitement les dirigeants actuels et passagers à réfléchir à autre chose qu’à leurs intérêts électoraux (mais un socialiste sait-il faire ça ?). Là où elle-même est hypocrite, c’est dans la formulation choisie par les évêques, qui esquive la complexité du problème : « Que les enfants cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère » :  comme si, dans le couple hétérosexuel, face à son vrai père et à sa vraie mère, l’enfant n’avait jamais été autre chose – avant qu’il ne s’émancipe de l’une et de l’autre – que l’objet des désirs et des conflits…  Nous entrons là dans un débat d’une autre nature…

19:36 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (39) | Tags : mariage gay, prière pour la france, poitique, socialisme | | |

samedi, 11 août 2012

16 & 16 = 32

Emplir presque à ras de café noir un bol tout blanc

Sans savoir si on l’engloutira tout entier

Puis des murmures familiers : tu ne vas pas dormir ce soir

Leur opposer qu’avec ce bol s’apprête à l’envol

Sa propre plume sur quelque feuille blanche

Car le vol de la nuit qui débute

Se soucie comme d’une guigne des tableaux où s’affichent

En linéales rouges telle ou telle capitale

Non, ignorance même de ce que je veux dire

Ni peux lire en cette mare ronde de café

Qui a quelque chose à dire né dans ce fief sans relief

Juste envie d’essayer tel Michel en sa librairie

La jeunesse instantanée demeure le privilège de l’écrivain

Pharmacopée de son imaginaire

Tirant pied de nez à tous les dogmes

Tout comme la première fois

 

De laquelle toi parles-tu il y en eut tant

Première fois que tu perçus la lenteur en parfum de la Saône

Que le jus de pêche engloutie à l’arbre s’égoutta à ton palais

Que malgré le midi vif le soleil cessa de t’éblouir -oh c’est toujours

La première fois quand tu l'écris tel ce legs

« O mon crâne étoile de nacre qui s’étiole »

Et comme elle ou comme lui tu souris sûr que Saussure

Aima Rrose Sélavy  le pauvre Lelian et son impair aussi

Qui s’éteignit au 39 rue Descartes chez une ouvrière de la Belle

Jardinière non loin de la cloche de la Sorbonne ce bol

Fol « Qui toujours à neuf heures sonne

Le salut que l'ange prédit»

Un adieu digne de François dont le lent Lais clamait déjà

Ce qu’aucun né d’ensuite ne parvint à mieux clamer 

Qu'assigner sens au dire n’est guère plus sain qu’y mettre fin

Ce dont nous sommes malades autant que vierges et heureux 

22:19 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : verlaine, villon, desnos, rrose sélavy, poésie, littérature | | |

mardi, 07 août 2012

Garder le frais

Dans les fermes du Beaujolais, il y avait toujours une pièce close. Les meubles  des beaux parents s’y recueillaient tout l’an, de nombreux bibelots aussi, des tapis, des tableaux. Dans le reste de la demeure vaquaient les vivants. La maîtresse de la maisonnée, dans un haussement d’épaules, veillait non loin de la porte à ce que personne n’y entrât, surtout pas les gosses ni les chats. Il fallait, disait-elle, « garder le frais ». : L’expression m’est restée.

Nous vivons un été clément. Les séquences anticycloniques, comme grimacent les godillots de la météo, ont été suffisamment réduites pour que nos nuits d’été ne perdent pas leur fraîcheur essentielle. C’est quand le soleil dérobe aussi la nuit que les organismes demeurent  démunis, interloqués, suffoquants.  C’est alors qu’il faut garder le frais.

Tout comme garder le silence, ou garder la forme, garder le frais nécessite un réel entraînement. C’est presque un effort, un art. Par temps caniculaire, je songe toujours à la science domestique des fermières du Beaujolais.

Pour garder le frais, il faut tout d’abord être matinal. Quatre heures du matin, toutes fenêtres ouvertes afin de susciter le plus grand nombre de courants d’air. Parfois, l’air ne veut pas, opaque et statique. Le plus souvent, à cette heure, il consent. Chaque pièce de la maison s’emplit alors d’un baume, d’une respiration. Vers sept heures, il faut tout refermer. On peut alors se recoucher.

Pour bien garder le frais, il faut de fermes volets et de lourdes tentures. La fraîcheur et la pénombre sont deux jumelles, parfums qui n’investissent la maison que si on les y invite. Il faut éviter tout instrument électrique. Pour débusquer le chaud, on peut arroser d’eau fraiche les carreaux. Le carreau retient ce qu’on lui donne.

Après, c’est une question de mouvement. Eviter de trop remuer, de trop parler, de trop respirer : le mouvement cuit. Retenir son souffle, comme dans le mutisme des profondeurs sous-marines. Le battement de jambes des plongeurs, tel celui d’un cil, qu’à cela soit réduit tout remuement.

On comprend pourquoi les vigilantes fermières du Beaujolais veillaient si vaillamment : c’est le vivant qui chauffe et recuit, pour garder le frais il faut le bannir des lieux. Nous manquons d’espace, tous, pour garder vraiment le frais. Dans une maison à ma guise, il faudrait une pièce pour le frais, une autre pour le silence, une troisième pour le parfum. Et le reste pour nous tous. 

La brodeuse ou Alice cousant 53 x 44.jpg

Jacques Barçat, Alice cousant


18:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature, poésie, lyon, france | | |