jeudi, 10 août 2017
Les vieux croyants (1)
C’est la rencontre la plus simple et la plus « décalée » que j’ai faite à Moscou, celle avec une petite communauté de Vieux Croyants. La première fois que j’ai entendu parler d‘eux, c’est par un poète croix-roussien russe d‘origine, qui m’a dit : « si tu vas à Moscou, arrange-toi pour rencontrer les vieux croyants », sans trop m’en dire plus, ni surtout m’expliquer comment. Je m’en suis donc remis au hasard, à la Providence également. À la galerie Tretiakov, je suis resté un long moment devant le tableau de Sourikov, immense, qui occupe le pan d‘une salle en entier, et dont des esquisses et des copies (pas toujours heureuses) sont également également exposées.
La toile est en elle-même une fresque, une saga, un interminable récit dans la trame duquel on peut à loisir s'égarer. Un drame halluciné. Dans cette ambiance feutrée de musée, la démence qui la traverse me saisit comme rarement toile m’a saisi. Une transe mystique habite tous les personnages, noue les corps, fige les visages : La Morozova, bien entendu, brandissant les deux doigts avec lesquels elle continuera de faire le signe de croix quoi qu’il lui en coûte, mais également le Fol en Christ assis dans la neige, dont les haillons font écho à ses fourrures de l’autre côté de la toile (ses pieds gelés sont saisissants de vérité), et qui lève les siens en réponse. Chacun des personnages que je regarde en détail pendant un bon moment porte la même fougue sur le visage, le même élan, soit dans la terreur, soit dans la pitié, soit dans la haine et la moquerie selon le bord où il se trouve.
C’est finalement avec Hélène qui m’a gentiment guidé dans la maison de l’écrivain Boulgakov quelques jours auparavant, que j’ai rendez-vous, le mercredi 26, à la station Preobrazenskaya, à l’Est de Moscou, pour rencontrer une communauté de vieux croyants. C’est à présent une banlieue, c’était jadis un village, où Pierre le Grand fut retenu captif en compagnie de sa mère Natalya Naryshkina par sa demi sœur, « la régente Sophie ». Nous nous arrêtons d‘abord dans une bibliothèque où Hélène doit restituer quelques bandes dessinées. J’en profite pour lui offrir le livre de Bertrand et le mien, et elle deux DVD,dont le premier long métrage de Nikita Mikhalkov et nous devisons à voix basse littérature, mais pas assez encore puisqu’une employée vient nous demander de parler plus bas encore. J’apprends que le premier théâtre professionnel de Moscou a été fondé non loin de là, ce qui éveille en moi une brève nostalgie que je repousse très vite.
Et nous revoilà parti : les Vieux Croyants possèdent non loin de là un lieu de culte, un cimetière, mais on on ne sait trop si l’on pourra entrer. Nous voici rue Preobrazhensky Val (ул. Преображенский Вал), devant un bâtiment d‘entrepôt. Je reste seul un moment tandis qu’Hélène va se changer. En face se trouve le monastère de Saint-Nicolas. Une partie du terrain est devenu un marché et l’église a été à proprement parler coupée en eux, la partie Ouest aux orthodoxes, la partie Est aux Vieux Croyants, les deux communautés se la partageant de chaque côté d'un mur. Avant qu'elle ne revienne, j'ai le temps de prendre ces quelques photos de l'entrepôt et de l'éntrée du monastère, qui lui fait face :
à suivre
01:10 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : preobrazhensky val, monastère de saint-nicolas, vieux croyants, morozova, moscou, tretiakov, sourikov |
lundi, 07 août 2017
Vladimir
Je suis tellement habitué à la laideur autorevendiquée de l’art contemporain qu’en me retrouvant nez à nez avec cette statue colossale de Vladimir 1er sur la place Borovitskaïa, en face du Kremlin, je suis tombé dans le panneau : Le gigantisme (16 mètres de haut ), la croix brandie, l’épée à la main, la frise de bas-reliefs en arrière, ce ne pouvait qu’être un monument ancien !!! un bémol, cependant : comment aurait-il pu sans encombre traverser en un tel lieu l’ère soviétique dans sa totalité ? Je demandai quelques explications, et j’appris qu’un autre Vladimir, plus contemporain, venait en réalité tout juste d’inaugurer cette statue colossale en novembre dernier, à l’occasion de la fête de l’Unité qui commémore ici la fin des Temps des Troubles en 1613.
Novembre dernier ? Ça alors ! Sainte Russie ! Imagine—t’on l’érection d’un tel monument à la gloire de Clovis ou de Jeanne d’Arc sur la place de la Concorde, à deux pas de l’Élysée ? En France, on préfère le plug anal de MacCarthy ou bien le vagin géant d'Anish Kapoor. Comme j'aimerais pouvoir dire du bien de mon pays, plutôt que de le vilipender sans cesse, me dis-je en en imaginant déjà les plaintes des braillards, les pétitions des laïcards, les procès les procès es associations…
Il y eut certes des débats en Russie sur le bien-fondé politique de l’opération Vladimir Sviatoslavitch ( en russe : Владимир Святославич1er); ce prince de la Rus' de Kiev ne posa jamais le pied à Moscou (et pour cause !) et dans le cadre du conflit ukrainien, certains parlèrent de propagande u pouvoir en place. On débattit également de l'emplacement à allouer à cette cette œuvre gigantesque, mais pas sur la nature même du projet, personne ne contestant le fait que le baptême du prince Vladimir 1er Sviatoslavitch en Crimée en 988, fût à l’origine de la nation au sens historique du terme… La Russie est chrétienne, c'est un fait avéré. La France ne l'est plus.
Je mesurais au pied de cette statue quel piège s’est refermé sur la France : ses principes maçonniques de laïcité élevés en valeurs universelles dont on répand le catéchisme pervers dans le monde entier, son prétendu allié américain qui n'a de cesse depuis un siècle de défaire son influence partout où il le peut, ce fameux rôle qu'elle s'attribue dans la construction européenne, ses amitiés africaines et arabes on ne peut plus ambigues, sa tradition d’accueil constamment réaménagée… ses fameux Droits de l'Homme, enfin, dont le sacre idéologique n'a jamais servi qu'à voiler les turpitudes de la République... Après avoir transformé en parc culturel tout l’héritage français de l’Ancien Régime, les dirigeants républicains n’ont eu de cesse de proclamer que l’Histoire de France commençait avec leur Déclaration : soit. Au sens propre, les rois de France sont donc devenus obscènes, comme sont en train de le devenir les santons de la crèche, et bientôt les Français de souche qui résistent.
Les Russes, eux, ne se perdent pas dans autant d'arguties. Vladimir 1er, donc ! Le projet, soutenu par l'Église orthodoxe et le ministère de la Culture, rappelle non seulement « les racines chrétiennes » de la Russie, dont la France ne se souvient que si l'on égorge un prêtre sur l'autel, mais aussi ses liens historiques avec l'Ukraine, que par tous les moyens Européens et Américains tentent d’arracher et de faire basculer de leur côté. Poutine, dans son discours d‘inauguration, saisit l'occasion et cita même la Crimée :
« Ce fut en Crimée (…) que le Grand Prince Vladimir fut baptisé avant d’apporter le christianisme à la Russie. (…) Le christianisme a été une puissante force unificatrice spirituelle qui a contribué à impliquer les diverses tribus et les unions tribales du vaste monde slave orientale dans la création d’une nation russe et de l’État russe. Ce fut grâce à cette unité spirituelle que nos ancêtres pour la première fois et pour toujours se sont considérés comme une nation unie. Tout cela nous permet de dire que la Crimée, (…), et Sébastopol ont une importance civilisationnelle et même sacrée inestimable pour la Russie. » Voilà qui est envoyé.
En France, où l’on tremble pour installer nos santons dans des lieux publics de peur de déplaire à des musulmans ou d’enfreindre des principes maçonniques, un tel discours risquerait d'entraîner son auteur vers quelque tribunal sur le champ. Nous en sommes là. Alors, à l’ombre de la Croix de Vladimir, je me prends de nouveau à prier pour mon pauvre pays, oui, celui dont Marthe Robin dit un jour que lorsque toutes les solutions intellectuelles, politiques et militaires (nous n’en sommes plus très loin) auront échoué, il sera sauvé par une intervention du Saint Esprit… En attendant, tant d'eau coule sous tant de ponts que Brigitte Macron devient la marraine d'un panda chinois nouveau-né, et que le PSG qatari offre un pont d'or à un club catalan pour débaucher un attaquant brésilien... Vive la France, et vive la Sainte Russie !
Baptême de Vladimir 1er, bas relief derrière le monument (détail). Une oeuvre contemporaine...
17:59 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : moscou, vladimir1er, poutine, place borovitskaïa |
dimanche, 06 août 2017
Lazare à Moscou
Icone de saint Basile, cathérale de l'Intercession de la Vierge, Moscou
22:23 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lazare, béthanie, saint basile, cathédrale de l’intercession de la vierge, staline, lazare kaganovitc, moscou |
samedi, 05 août 2017
Perishing
J’ai visité cette église le lundi 17 août, sur les conseils de Larissa qui, juste avant de me quitter, m’en a dit plusieurs choses : Tout d‘abord qu’elle fut l’une des rares à n'avoir pas dû fermer dans le centre de Moscou durant la période bolchévique ; ensuite qu’une icône miraculeuse s’y trouve, propre à résoudre les situations familiales difficiles, et qu’il ne faut surtout pas la rater.
L’église se nomme en russe Храм Воскресения Словущего на Успенском Вражке, ce qui signifie « temple de la Résurrection à l'Assomption Ravine » Elle sera la première église orthodoxe dont je pénétrerai l’enceinte durant ce voyage. Un clocher à l’architecture néo-classique, des murs s’achèvant par des zakomaras semi-circulaires décoratifs, je suis frappé par le contraste entre la sobriété apparente du lieu et la place qu’il parait avoir toujours occupé dans la vie religieuse et culturelle moscovite. Si les bolchéviks, en effet, ont laissé l’église ouverte et intacte durant les années trente (seules les cloches ne sonnaient pas), c’est grâce à la ferveur et à l’influence heureuse d'artistes célèbres qui vivaient à proximité (le chanteur Ivan Kozlovsky, les acteurs Innokentiya Smoktunovskogo et Vladimir Zamansky, le metteur en scène et acteur Constantin Stanislavski, la chanteuse d‘opéra Antonina Nezhdanov, la soliste du Théâtre du Bolchoï Maria Petrovna Maksakova et beaucoup d'autres noms prestigieux de la culture et de l'art)
À l’intérieur, quelques femmes de ménages lissant sans cesse le sol, peu de touristes mais beaucoup de fidèles, venus prier devant les différents icônes dans la lueur des cierges en cire d'abeille à l'odeur si spécifique : 10 roubles l'unité, une quinzaine de centimes d'euros ! J’en allume plusieurs que je dépose devant différentes icônes, dont celle, miraculeuse de la Mère de Dieu nommée « Perishing » ( Взыскание погибши – littéralement en train de périr ) et, debout face à elle, je récite intérieurement plusieurs Ave Maria. Je contemple avec tendresse ces hommes et ces femmes qui prient différemment autour de moi. Autres prières, autres rites, pourtant, le peu que je sais de l'orthodoxie, c'est qu'au filioque près, nous fréquentons le même Dieu, nous lui éprouvons la même nature ( la Trinité ), nous lui reconnaissons les mêmes mérites ( justice et miséricorde ), nous nous appuyons sur les mêmes témoignages de la même Histoire Sainte ( celle du Christ et de sa Passion ) nous poursuivons le même but (la Charité) et le même objectif (le salut ). Différences et ressemblances, entre ces deux rites, me semblent tenir davantage d'une simple question d'isomorphisme que d'une opposition radicale : ne sommes-nous pas placés devant le même Objet : la réalité du Christ, celle du Père et celle de l'Esprit ?...
« Perishing » : Le terme fait référence à l’histoire du moine Theophilus, popularisée par un roman du VIIe siècle, « Du repentir de Theophilus, l'intendant de l'église dans la ville d'Adana ». Théophile, qui avait servi avec fidélité son évêque, fut expulsé par son successeur suite à des calomnies. Brûlé par le ressentiment, il vendit son âme au diable pour obtenir le moyen de se venger de ses calomniateurs. Comprenant dans un éclair de lucidité ce qu’il venait de faire, Théophilus se retira ensuite dans un temple. N’osant pas s’adresser directement à Dieu Lui-même, « celui qui était en train de périr » se tourna vers sa Mère, l’implorant sans relâche d’être son avocat, de lui pardonner son apostasie et de le sauver. Son ardeur fut telle, sa douleur si vive et son remords si profond et sincère, que la Reine du Ciel accéda à sa requête et délia le pacte qu’il avait signé en lui accordant le pardon de ses péchés. Toute la signification de l’icône se découvre alors : la Mère de Dieu, dans son amour infini pour le pécheur, est toujours prête à honorer le pardon et à « récupérer » quelqu'un qui est sur le point de mourir .
Sur ce type d’icône, le Christ se tient debout sur les genoux de sa mère, dont il embrasse la nuque tout en pressant sa joue contre la sienne. Le bras de la Vierge enserre l’enfant, formant un anneau autour de lui, ses doigts croisés serrés très fort par devant lui.
À deux pas du Kremlin, la dévotion active de cette église de la Résurrection qui vit et bruit me frappe. À l'autre extrémité, un Christ m'interpelle et je dis devant lui un chapelet tout entier, lui confiant ce séjour dans cette ville aux avenues immenses surplombées d'un ciel sans cesse changeant, à l'alphabet inconnu. Il demeure comme un repère précieux, et bien plus que cela. Je le prie pour qu'à l'heure où l'Islam – qui nie dans un même élan de satanisme et la Trinité, et la Charité, et le véritable salut de l'âme – pénètre et trouble les consciences déchristiannisées, tous les Chrétiens demeurent à l'ombre de la Croix. Je ne quitte pas l’église sans échanger 300 roubles – ce qui n’est pas grand-chose – contre une petite reproduction de l’icône posée à présent sur mon bureau. Perishing aura été ma première découverte moscovite, mon premier contact avec le vaste monde orthodoxe russe, une sorte de vivant et tendre accueil.
11:05 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : moscou, perishing, église de la résurrection |
vendredi, 04 août 2017
Comment peut-on être Français ?
S'il y a une phrase qui ne veut plus dire grand chose, c'est bien celle-ci, "Je suis Français".
Je reviens de Moscou où j'ai beaucoup marché dans la rue, regardé les gens qui travaillent dans les chantiers (toute la ville est en chantier), les magasins, les métros... J'ai parlé à des gens très différents, des croyants, des non-croyants, des "vieux croyants", des gens de classe moyenne plutôt aisée, d'autres moins, d'autres moins encore, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes... J'ai vu beaucoup de couples dans les rues, et pas de militaires en armes, sinon devant le Kremlin, pour la photo... J'ai l'impression d'avoir vu un peuple uni par une même langue, une même religion, une histoire commune pas forcément drôle. J'ai senti des gens capables d'avoir des désaccords sans que leur société ne se fracture pour autant.
Bien loin de ce qu'on trouve en France entre les uns et les autres, à tous les niveaux de la société.... la France... Une société fracturée par des minorités sur puissantes et sur agissantes, des élites internationalisées, un peuple défait par sa propre veulerie, perdu dans ses contradictions, qui paraît avoir sciemment trahi son histoire dans des débats oiseux, oublié sa littérature pour un langage de journaleux et qu'on aura à ce point dépolitisé qu'il va bientôt ressemblé à rien, à ce rien que symbolisent jusqu'à la caricature cette Madame Macron surgie d'une salle des profs pour devenir première dame et celui, étrange et déséquilibré, qui joue à être président à ses cotés, au frais du contribuable, pour 5 ans.
Moscou est une ville certainement plus propre et plus sécurisée que ne l'est Paris, et je me dis qu'un Russe débarquant dans la Ville des Lumières a de grandes chance de se croire dans le Tiers Monde... Si bien que la vraie question que je me pose n'est pas "comment peut-on être Russe ?", mais bien "comment peut-on être Français auourd'hui ?"
Comment le puis-je ?
ci-dessus, buste de Molière au musée Pouchkine de Moscou
00:42 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : france, russie, molière, poutine, peuple, politique |