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mardi, 06 octobre 2009

D'un dôme, l'autre

Une pétition est en ligne pour placer le maire de Lyon Gérard Collomb et son équipe municipale en face de leurs responsabilités dans l'affaire du devenir de l'Hôtel-Dieu. Elle est organisée par un collectif de médecins, de professeurs, d'infirmier(e)s et de responsables d’associations de santé et a recueilli pour l'instant plus de 800 signatures. Ci-dessous le texte du collectif. Pour rejoindre les signataires, c'est juste à côté  (bandeau déroulant sur la gauche).
 
postmortem.png

Victor Hugo sur son lit de mort, par Nadar

 

Sensation terrifiante que tout passe.

Nous discutons à la terrasse d’un café croix-roussien du crime de "Herriot le Petit", qui, alors que son prédécesseur a rasé totalement l’Hôpital de la Charité dans les années trente, songe, lui, à transformer l’Hôtel Dieu en hôtel de luxe.(1) Au prétexte que  le bâtiment est sauvé, certains s’en accommodent. Objection, votre honneur : Le bâtiment est sauvé, oui. Mais le monument ? (2)

 

Il fait bon deviser jusqu’au soir. Qu’est-ce, après tout, que ce « crime » au regard de l’actualité mondiale ? Qu’est-ce qu’un crime au regard de notre apéro, de notre digestion ?

Et puis, Collomb... un amateur, Collomb ! Un second couteau, assurément. Un couteau quand même.

Nous pensons à Hugo, à son fulgurant exil, à son combat contre Napoléon III , à cette photo de Nadar.

A Hugo au Panthéon. Tiens, le Panthéon. Nous revoilà, à nouveau avec Soufflot.

Décidément !


C’est une chose que nous avions évoquée la semaine dernière : la transformation du Panthéon et de tous ces mètres carrés scandaleusement inoccupés en plein Quartier Latin en casino. Toute la Côte d’Azur, les gars, Monte Carlo et Monte Christo, comme le chantait jadis la bonne Annie Cordy, allez hop ! tous sur la montagne Sainte-Geneviève. Dans le silence sépulcral des morts pour la République, le chant réjouissant du jackpot.

Ah ! Le Jackpot !

 

Il leur faudrait quand même, me dit un ami, virer quelques morts d'importance …

Soit ! Soit ... Qu’à cela ne tienne.

Un changement de régime est un changement de régime.

Les sans-culottes n’ont-ils pas viré tous les rois de France de leurs tombeaux ?

Alors, allez-y. Virez ceux de la République.  Virez.

Vous qui êtes capables de vous attaquer à la mémoire des pauvres en transformant leur hôtel en hôtel de luxe, au mépris de toute convenance  (3) , attaquez vous aux riches. A leur symbole, à leur mémoire. Allons !

Dôme pour Dôme, Soufflot pour Soufflot, attaquez vous au Panthéon.

Un peu de courage.

Je vous applaudirai à deux mains.

Regardez le, là-haut, le vieux polémiste.

Comme il dort bien.

 

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(1) Edouard Herriot a fait raser totalement l'Hopital de la Charité, dont il a daigné conserver, suite à une pétition des Lyonnais des années trente, le  seul clocher.  Gérard Collomb, qui n'est pas Herriot mais semble vouloir suivre ses traces en perçant un second tunnel de la Croix-Rousse, songe à reconvertir l'Hôtel Dieu en hôtel international pour milliardaires.

(2)  Ce dont un monument charge le paysage d’une ville, tel un arbre ou un mont  dans la nature, est lesté d’une double signification : ce qu’on voit de lui et ce qu’il signifie. Nous avons en effet, avec les monuments hérités du passé, la grande chance d’avoir sous les yeux une œuvre qui hisse en quelque sorte le peu de durée que nous sommes à une dimension qui nous dépasse, celle de l’Histoire. Que visiblement nous ne comprenons plus. Pauvres que nous sommes. Avancer l’argument qu’on ne touche pas aux pierres et que donc le monument sera sauf : c’est bien rapidement confondre le bâtiment (le signifiant) et le monument (le signifié). Faire œuvre de naïf, de sourd ou de cynique. Spécialité, semble-t-il, des maires de Lyon.

(3) Dans un discours prononcé devant l’Académie des Beaux Arts de Lyon,(De l’Identité du Goût et des Règles dans l’Art de l’Architecture), Soufflot évoque les quatre règles auxquelles un architecte en charge de l’utilité publique est tenu de se soumettre, et qui sont dit-il « les bases du gout » : Elles paraissent, dit-il, «renfermées dans ce qui suit » :

« l’utilité,  qui donne la disposition relative aux besoins, la solidité qui donne la sureté, la convenance qui est le rapport des édifices avec les usages et les personnes, la symétrie ou la correspondance des parties entr’elles et avec le tout qui constituent l’ensemble et l’unité »

 

dimanche, 04 octobre 2009

Rabelais et l'Hôtel-Dieu

« Les après midi se mouraient; je m'ennuyais de la somnolence des soirées mais je revivais le matin : il me plaisait d'aller parmi la brume froide de Lyon, d'entrevoir les fleuves, verts et surtout de franchir le porche, de longer les arcades de cet Hôtel-Dieu, hanté par l'ombre de maître Rabelais. Un mot dans mon esprit, unique : La Médecine anéantissait tout autre. »

Jean Reverzy :  « Histoire de cet hiver »,  Le mal du Soir, juin 1986

 

 

 

Hotel-dieu_XVIIIe_soufflot.jpg
vue du pont de la Guillotière et de sa tour (aujourd'hui détruits),
du dôme et de la façade de Soufflot
(L'hôtel-Dieu par J.B. Lallemand, fin XVIIIème - détail)

 

Le premier geste médical qui intéresse Lyon fut la fondation par Childebert (qui régna sur Lyon de 538 à 588) et par sa femme Ultrogothe d’un modeste refuge destiné à recevoir les voyageurs indigents et à soigner les malades : l’hôpital Notre Dame de Pitié du Pont du Rhône. On date l’événement de 542. A dix ans près, mille ans, avant que le bachelier en médecine François Rabelais n’y soit nommé, le 1er novembre 1532, pour une rétribution de quarante livres par an, et n’y rencontre Sébastien Gryphe, Etienne Dolet, François Juste,  Claude Nourry, et autres imprimeurs sans lesquels son œuvre n’aurait pas eu le visage qu’elle a pris.

Le poste de médecin venait d'être créé en 1528 (un certain Hector de la Tremoille en avait été le premier titulaire). C'était un poste de premier plan, puisque le médecin exerçait son autorité sur le chirurgien, l'apothicaire et tout le personnel soignant. Rabelais (qui logeait rue Dubois, non loin de Saint-Nizier) on peut donc ainsi se l’imaginer, parcourant chaque matin entre cinq et six heures le vaste édifice de 60 mètres de long et 24 de large où s’entassaient les malades. Le recteur-échevin marche devant lui, et derrière le chirurgien barbier et l’apothicaire, Simon de Beaulieu. D’un côté sont les hommes, et de l’autre sont les femmes, séparés par le milieu avec de grands piliers et treillis.  Il y a six rangs de couches d’un bout à l’autre. Et au centre, une grande cheminée pour chauffer lorsqu'il fait froid. Et tout au bout, une chapelle que tous les malades peuvent voir de leur couche, où le prêtre dit la messe chaque jour. Dans une autre salle deux autres rangs de lits reçoivent les femmes enceintes jusqu’à ce qu’elles aient accouché, et il y a des berceaux pour les enfants abandonnés, allaités par des nourrices. En tout, 74 lits contenant 180 malades, soit trois malades par lits (2).

Rabelais  examine chacun et prescrit les drogues qu’il juge nécessaire, thériaque, sirop, pilule ou électuaire.  S’il estime utile saignée, amputation, ou quelconque opération, il donne ses ordres au chirurgien barbier, qui les exécutera dans la journée.

Nous savons par Etienne Dolet (lequel  passa au bûcher en 1546) que Rabelais effectua un jour une dissection publique qui fit date, celle du cadavre d’un pendu.  (3) Une dissection de corps humain n'avait plus rien, à cette date, d'exceptionnel. En la relatant en vers et en latin, Dolet voulait saluer la science de son ami. C'était alors des barbiers qui découpaient, selon les recommandations du médecin; il est donc probable que Rabelais n'ait pas pratiqué l'opération, se révervant les commentaires et l'interprétation.. La pièce de vers porte le titre entier de "Epitaphe pour quelqu'un qui, pendu haut et court, fut ensuite à Lyon l'objet d'une dissection publique, François Rabelais, très savant médecin, faisant la leçon d'anatomie

Le départ précipité de Rabelais au début de l'année 1534 a donné lieu à de nombreuses légendes. Il quitta en effet son poste sans en avertir les recteurs, ne se sentant sans doute plus en sécurité en cette ville, "sedes studiorim meorum", le siège de mes études, écrivit-il, tandis que la Sorbonne commençait à le traquer.

C’est sous ses ordres que l’Hôtel-Dieu se dota, en 1534, peu avant son départ, d’une boulangerie qui n’utilisait que du froment, lequel « composera seul le pain du pauvre ».

 

 

(1)  A Lyon, maître Alcofribas Nasier publia son Pantagruel, chez Claude Nourry, ainsi que la Pantagruèline Prognostication. Puis son Gargantua, chez François Juste. En même temps que l’édition remaniée de Gargantua & Pantagruel, paraissent en 1542 à Lyon les Stratagèmes c'est-à-dire Prouesses & ruses de guerre du pieux & très célèbre chevalier de Langey dans la tierce guerre Césariane. L’ouvrage, écrit en latin et traduit par Cl. Massiau, est aujourd’hui perdu. En 1547, enfin, Rabelais remet au libraire lyonnais Pierre de Tours le manuscrit de onze chapitres du Quart Livre. Ces onze premiers chapitres paraissent en 1548, quatre ans avant la totalité du Quart Livre que Rabelais achève en 1550, de retour à Saint-Maur-des-Fossés, et qui sera censuré par les théologiens le 1er mars 1552.

(2)  Sources : La Police de l’Aumône, 1539, chez Sébastien Gryphe

(3) Etienne Dolet - Carminum Libri Quatuor, imprimé par Gypehe et édité par l'auteur

 

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On hésite à citer un texte de Rabelais plutôt qu’un autre, tant de l’abbaye de Thélème aux moutons de Panurge, des paroles gelées à l’os à moelle, de la méthode pour se torcher le cul au mot de la dive bouteille, ils sont nombreux et fameux. Voici cependant un extrait du chapitre 32 du Pantagruel relatant comment, après la victoire sur les Dipsodes, le géant Pantagruel qui protégeait son armée au moyen de sa langue, a permis involontairement à l’auteur qui se cache sous le pseudonyme anagrammatique d’Alcofribas Nasier de visiter plaisamment l’intérieur de son personnage :

 

rabelais.jpg

 

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19:47 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : hôtel dieu, françois rabelais, littérature, claude nourry, sébastien gryphe | | |

vendredi, 02 octobre 2009

Sale vendredi d'octobre

Je suis allé me promener dans la cour intérieure de l'Hôtel Dieu cet après-midi. J'ai longuement déchiffré les "ex-voto" en marbre, sur lesquels furent gravés les noms de tous les donateurs et donatrices du passé. J’ai réfléchi à ces sommes. J'ai cheminé dans les galeries couvertes, j'ai goûté au calme de cet endroit, désormais condamné. J’ai humé son parfum. Je m'y rendrai désormais plus souvent, dès lors que mon emploi du temps me le permettra, puisque cet endroit, tout pénétré de sens, est condamné par la stupidité des temps présents.

Cet endroit solennel et romanesque deviendrait donc, comme un vulgaire centre commercial ou bien un hall d’aéroport, un lieu parfaitement commun ? J’ai imaginé la signalétique, les enseignes, les écrans, les caméras de surveillance, les rampes d’accès, la musique d’ambiance, les poubelles remplies de gobelets… Sinistre.  A commencer par ce RDC « consacré aux boutiques, bar et restaurants » : quelle tristesse me serre la gorge à songer à un devenir aussi quelconque, pour ce lieu dont la mémoire séculaire, tout imprégnée de silence, est également tout emplie de soupirs, de prières et de cris ?

Là-haut, ce serait donc l’hôtel de luxe rêvé par Collomb, un contre sens absolu, cet hôtel, l’œuvre du siècle où nous sommes, un siècle sans esprit.  

Sur cet hôtel, tous les Lyonnais devraient cracher en chœur, tant l'idée même en est révoltante.

Tout ceci est fort triste.

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Après avoir quitté l'Hôtel-Dieu, cet après midi, j’ai traversé la rue Marcel Rivière ; la lumière d'automne, sur la terrasse du République était engageante. Pas le coeur cependant à musarder en terrasse. Je suis passé faire un tour sous la verrière de la salle des ventes. Bizarre sensation, bizarre ressenti : le commissaire priseur, officier ministériel à tête de Gérard Collomb, couvert derrière je ne sais quelle légalité pour commettre ses forfaits, mettant à l’encan le dôme de Soufflot, devant une salle emplie de milliardaires américains, arabes ou japonais. Des poches pleines de pognon. Sale pognon.

Et dehors, en sortant, la rue de la République, une rue emplie d'indifférents (qui ne portent plus sur le visage, dans le regard, dans la tête, la moindre différence...)

Sale vendredi d'octobre.

22:10 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : hôtel-dieu, salle des ventes, politique, actualité, sale vendredi | | |