jeudi, 31 décembre 2009
Pont la Feuillée (1)
« Du pont de Pierre où j’étais alors, en me tournant vers la rivière, j’avais à ma droite le pont Seguin, et à ma gauche un autre pont suspendu dont j’ignore le nom, mais que les lions qui en retiennent les chaines désignent assez à la vue. J’aime ces lions ; ils sont bien posés, bien assis dans leur force ; ils serrent bien et avec volonté sous leurs griffes puissantes, les liens où viennent aboutir les derniers anneaux. Et je passe avec confiance sur ce pont, quelque lourd qu’il paraisse, sans craindre jamais que par fatigue ou distraction, ils ne me laissent engloutir »
« Une heure de flânerie », in Lyon vu de Fourvière, Léon Boitel, 1845
Le pont La Feuillée décrit par le flâneur de Boitel était un pont suspendu ouvert en 1831. Il fut remplacé par un pont métallique en 1910, que les Allemands détruisirent totalement en 1944. Le pont actuel est en acier, et n’offre que peu d’intérêt.
Sur la photo, on ne voit pas les lions mais le quai Saint-Vincent et les rails des tramways, ainsi que l’agitation sur la Saône. Le cliché, qui date de 1897, est de Jean-Jacques Dutey (1860-1924). Etrangement, le pont la Feuillée y est redoublé par une passerelle provisoire, comme en témoigne les poutres en bois de son pilier. Plus loin, le pont du Change, également disparu.
Sur la carte postale ancienne plus bas, on peut voir clairement le cul des lions, et presque leur tirer la queue. La carte a voyagé et le cliché est de moins bonne qualité. Il faut s'arracher les yeux pour connaître ce qu'on joue au théâtre, ce soir.
Les dernières jours d’une année sont comme les derniers pas que nous faisons sur un pont. Impression (souvent fausse) que les choses vont changer en posant les pieds sur une autre rive. Voilà un beau lieu commun, lourd, épais, éculé, que j’aime bien.
00:25 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : pont la feuillée, lyon |
mardi, 29 décembre 2009
Chose littéraire du temps jadis
Il n’y a rien à faire, on a beau me dire (et avec raison) que je suis moi aussi un contemporain ; j’ai beau apprécier bien évidemment certains textes d’auteurs vivants - & dont certains sont si vivants qu’ils fréquentent même ce blog – je suis un indécrottable amateur des reliures écornées, des pages jaunies, des textes qui s’y lovent. L’occasion m’est donnée à nouveau de l’expérimenter puisque je prépare une « conférence » (ce mot est un peu barbare, on songe à « con fait rance » ; peut-être vaudrait-il mieux employer ce terme désuet de causerie) - une causerie donc (comme celles que faisait le lundi le vieux Sainte-Beuve) mais qui aura lieu un mercredi (le 3 février exactement ; on aura ici l’occasion d’en recauser bien sûr.)
Occasion de se replonger dans l’arôme de toutes ces feuilles roussies, odorantes, de passer le doigt sur leurs pages et d’y sentir le relief laissé par le typo – la main de l’ouvrier au service de la pensée de l’écrivain – main & pensée étant à prendre au sens noble, noblesse du sens laissé doublement par ces caractères dans leur forme et dans leur signification doublement, l'une par l'autre et l'autre par l'une, élaborées : Ah, pour le coup, quelle joyeuse mélancolie ! Lyon vu de Fourvières, par exemple, édité en 1833 chez Léon Boitel, éditeur imprimeur quai Saint-Antoine, 36…. Je suis passé en coup de vent, ce week-end au Quartier Latin. Beaucoup de librairies universitaires et de sciences humaines, pssssst, en une quinzaine d’années, envolées ! Un magasin de fringues, de portables, de kebab à la place. Un Quartier Latin qui n’avait déjà au temps naguère de latin que le nom et qui bientôt… J’ai tout de même retrouvé en ce samedi où Paris était désert et froid, ce face à face si étonnant de Saint Nicolas du Chardonnet et du palais de la Mutualité, cette longue et chère rue des Ecoles qui, de la Sorbonne à Jussieu en passant par le Collège de France, étale son relief inégalement bossu et puis la rue Saint-Jacques non loin de laquelle s’éteignit le pauvre Lélian, la place du Panthéon, ce lacet de la rue de Vaugirard qui ceint le Luxembourg, la splendide rue de Tournon, la rue Garancière veuve dorénavant de ses éditeurs anciens - quelle place inutile tient ce foutu Sénat ! -, la place Saint-Sulpice, la chapelle vide de Delacroix… J’ai l’air de m’égarer ; pourtant non : on erre dans les rues de Paris comme dans les pages des vieux romans lyonnais et vice-versa, mémoire immatérielle, suavité…
Et donc cette conférence qui, à un moment ou à un autre, abordera le thème, bien sûr de la décentralisation littéraire, question qui fut chère au cœur de Léon Boitel et de tous ces romantiques lyonnais parfaitement oubliés sauf de quelques-uns et dont ce vieil ami Béraud fut parmi les derniers authentiques descendants.
Des livres empilés un peu partout, des citations à rassembler, à entrer dans l’ordi, un beau désordre, vraiment... qui ressemble à celui de l’esprit, organiser, mettre en forme…
Pour ce travail tout en lenteur, le silence…
11:32 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : causerie, littérature, quartier latin |
lundi, 28 décembre 2009
Parole de profs
Se refaire un silence, comme on dit se refaire une beauté, une santé ou une virginité. Un prof passe son temps à blablater devant des groupes d’élèves qui l’écoutent, ou font semblant, ou encore ne l’écoutent pas. La plupart des profs qui savent que leur parole est imposée se consolent en la songeant essentielle (phobie, par exemple, de ne pas finir le programme…) ou bien, au moins, d’une quelconque importance. La plupart tentent de la rendre intéressante. Voire attrayante. Peu acceptent vraiment de comprendre à quel point la parole du savoir est devenue accessoire et, comme le reste, noyée dans la consommation. Paroles de classe qu’il faut tenir, comme le soldat tient son rang.
Et puis après ?
Les paroles des profs, comme le reste de leur personne, sont surtout regardées.
Paroles épiées jusqu’au trognon, par ennui ou désœuvrement. Très rarement par intérêt ou par passion. Avez-vous remarqué combien, ici ou là, rien n’échappe au regard d’un groupe de gens qui s’ennuient ? Commères, jadis, derrière leurs jalousies : l’éternel humain n’a pas d’âge ni de renouveau, au contraire de ce qu’espère le populo. Surtout quand il croit à la modernité du monde et au renouveau du printemps. Regardez-les, par exemple, en train d’attendre le bus, et de quêter du regard dans la grisaille environnante du paysage ce qui pourrait les divertir un peu de cette attente désobligeante. Les êtres humains sont semblables sur les bancs de la classe. Le droit d’écouter leur MP3 en moins. Quand on coupe le MP3, ils sont enfermés dans le bocal, ils n’ont plus que cette parole de profs pour horizon…
La parole du prof est sortie du dialogue, extirpée de l’échange, interdite de bavardage. Elle n’est jamais réplique, et condamnée au monologue, elle s’étire en toile de fond comme ces couleurs ternes sur la tôle du hangar où seraient peints des textes de loi. Elle doit être à sa façon et séduisante, et volumineuse, et variée, et aussi mener quelque part comme les routes nationales ou les lignes de bus qui sillonnent les banlieues : autant dire qu’elle est vouée à l’échec de l’ordinaire.
Quand de plus cette parole se retrouve instrumentalisée, tel le muscle du prolétaire ou le sifflet de l’agent, puisqu’elle devient la seule force de production de celui qui la détient et qu’au terminus de chaque mois, elle lui amène le salaire, la parole a besoin de repos.
Le repos de la parole.
Je dis : se refaire un silence, comme se refaire une beauté, une santé ou une virginité.
19:50 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : noël, vacances |
samedi, 26 décembre 2009
Escapade
A bientôt...
17:24 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (5) |
jeudi, 24 décembre 2009
Noël en patois lyonnais
Maty, réveillez-vous, Maty, (1)
Metti la testa à la fenestra ;
Y a grend bru dans lo quarti
Levi vot par vay (bis)
Ce qui pot êtra (2)
-Que ! vos ay moda si madin ! (3)
Vot ne craigni pas l’oura fraicha !
-Ay dion que, dens l’etable a Martin, (4)
Dieu nos est nacquis (bis)
Den una crecha.
A queu brut ! Tu ne men pas ;
Je pencin que te vouloit rira !
Allen y vitte de co pas ;
Comme é tant de monde (bis)
Par les charrira ! (5)
Dieu say seyen et mai deden ! (6)
Y est donc vot qu’ête sa mare ?
Jo(y)ï un brenlo, si vot plait, (7)
Y acuragerat (bis)
Sa puvra Mara.
Dane que lui donny à teta,
Dite not qu’il est venu faira ;
Est-il venu per nos racheta ?
Cely pouvre enfant (bis)
Ell a d’affaira !
Ah ! qu’il est joli cet enfant !
Et ressemble una genty image !
Encor eun branle, si vot plait,
Y désennoyera (bis)
Sa puvra Mara.
(1752)
(1) Maty est la forme patoise de Mathieu. Le thème du Noël est courant : deux voisins s’interpellent, commentent les différents événements de la nuit, puis se rendent à la crèche et s’intéressent autant à la mère qu’à l’Enfant.
(2) Ce qui pot êtra : ce qui a le pouvoir d'advenir. Vay, au vers précédent, est une forme forézienne du verbe voir.
(3) Quoi ! Vous êtes parti si matin !
(4) Ay dion : on dit.
(5) Charrira : les chemins
(6) Les drôles s’exclament en découvrant Marie : « Dieu soit céans et moi dedans ! C’est donc vous qui êtes sa mère !»
(7) Jouez un branle : Le TLF indique : Ancienne danse du XVIe et du XVIIe siècle au mouvement vif, que les danseurs exécutaient en se donnant la main.
(8) Dane, pour dame. Le mot enfant, plus bas, est féminin. La strophe est savoureuse :
Dame, qui lui donnez à téter,
Dites-nous ce qu’il est venu faire ;
Est-il venu nous racheter ?
Ce pauvre enfant !
Il a du travail !
A tous les visiteurs et commentateurs, Joyeux Noël.
Solko
05:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : noël, patois lyonnais, littérature |
mercredi, 23 décembre 2009
La tête des poissons et tout le reste...
19:42 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (3) |
mardi, 22 décembre 2009
Un fameux contre-sens
Non loin de la tour, la Seine :
Les scientifiques nous cernaient de si près…
Nous n’étions que fort peu à dévorer sur les banquettes du Nemrod
Des hot-dogs, tout en causant de Tacite.
Le terme jus qui signifie justice en latin
Signifie tout autant brouet, sauce, ragout :
Elle était si mal perçue à Rome
Qu’un petit argotier la rendit jadis à sa façon.
Cette métaphore hélas augura du sort de bien des hommes ;
Naissant, idiots, du même contre-sens :
- A l’image de l’héritage -
Ignorant que toute justice n’est que ragout.
En cet immonde trou des Halles
Par quel hasard lisais-je Le trépas de Kahédin
« En morant de si douche mort
Je laisse la prosse pour vers »
C’était un livre de chez Droz :
Qu’il est dur, pour un laboureur,
De tracer son sillon sur le pavé des rues …
Rue Monge, La Contrescarpe,
La longue rue des Pyrénées
Et aussi celle de Saint-Jacques,
Chacune, son mouvement, son histoire,
La ligne tracée d’autres mots.
Cela n’aura jamais de suite,
Ou sous maîtrise d’un autre orgue,
Ce sens qu’on prend en naissant
Toujours obstinément mal traduit.
10:17 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poèmes, poèsie |
dimanche, 20 décembre 2009
Du merveilleux chrétien
J’ai entendu et lu tellement d’âneries ça et là à propos de la polémique autour des propos de Nadine Morano que j’en reste stupéfait. Peut-on descendre plus bas dans l’esprit et dans le débat que certains de ses contradicteurs, s'élevant au niveau d'elle-même, sont descendus à cette occasion ?
Parler en verlan et porter une casquette à l’envers, mon dieu, c’est vrai que c’est extraordinaire, ça ! Un signe de liberté et de culture, que c’est très poétique et très intelligent, très courageux, très cultivé, en un mot très moderne. Ecrire La Colline Inspirée ça, c’est ignoble, crapuleux, ordurier. Et puis nous en sommes tous capables, pas vrai ? Mais jusqu’où va-t-on aller dans la plus profonde imbécilité à marcher ainsi la tête en bas ?
Occasion de se plonger dans la lecture de La Colline Inspirée. Et sur La colline Inspirée de Barrès, j'ai senti souffler un peu de la poésie de la lande de Lessay de Barbey d'Aurevilly.
« J’ai surpris la poésie au moment où elle s’élève comme une brume des terres solides du réel » (1)
Un peu de la Touraine balzacienne un peu de ce merveilleux chrétien qui souffle depuis le moyen-âge sur la folie Tristan comme sur la folie Joinville. A propos de La Colline Inspirée, Albert Thibaudet a eu ce mot : « un rendez-vous de mythes assagis ». Et puis Barrès, continue-t-il, « aura été le dernier faiseur de mythes. La littérature directe et pressée d’aujourd’hui tourne le dos au climat indulgent qu’exigent les mythes (…) Barrès a été un créateur de mythes parce qu’il vivait dans les mythes circulait en eux simplement et intelligemment. Il y vivait et y circulait à la française, sans gène sans obscurité, sans emphase, sans duperie » (2)
La littérature est ce pays où chaque auteur est nécessaire. Chaque. Je parle, ici, de la littérature, tel que le mot s’est entendu durant plusieurs siècles, dans ce vieux continent dont chacun de nos je est l’héritier. C'est à dire d'un levier puissant et efficace, le seul, depuis la dévastation des villes et des paysages, capable de nous tirer hors de cette atroce contemporanéité et de la fierté maladive que nous avons d'en être les piètres et multiples locataires.
De la lande de Lessay (relisez L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly qui ne parlait pas en verlan) à la colline de Sion (relisez La Colline Inspirée de Barrès qui ne portait pas sa casquette à l'envers), une poésie, tout aussi vivifiante, digne et élevée qu'une autre, souffle. Il n'est besoin ni de la confondre avec le Réel, car le foutu Réel dans lequel nous sommes est tout, mais vraiment tout, sauf poétique ! Ni de la magnifier. Ni de la piétiner. Mais de l'entendre. Et de cesser de dire ou d'écrire n'importe quoi à son sujet. Car le merveilleux chrétien est un registre comme un autre, qui comme les autres, possède ses chefs-d'oeuvre.
(1) La Colline Inspirée, I - 4
(2) Réflexions sur la littérature, Thibaudet, p 1254 - Quarto Gallimard
17:39 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : littérature, barrès, casquette, verlan, morano |
samedi, 19 décembre 2009
Moment de lire
Je ne sais pas quelle donne change la neige dans nos esprits saturés d’images et de mots. Elle apporte en effet de la fantaisie. Du silence également. Un doux acharnement (parfois dramatique pour eux) à remettre en cause les entreprises des hommes. 2400 personnes bloquées sous la Manche, apprend-on aujourd’hui. Nouvelle qui aurait stupéfié le quidam du dix-neuvième siècle et nous laisse de glace. Ce qui semble surtout déranger celui du vingt-et-unième, c’est l’annulation des sacro-saintes rencontres sportives de son week-end à la télé. On n’arrête pas le progrès.
Pendant ce temps, à Copenhague, on n’arrête pas non plus le progrès. Il y faudrait des siècles de neige ! Cela, c’est plus inquiétant. Mais inquiétant de manière diffuse. On s’habitue à ce qui est diffus. Vous verrez. Les écolos sont, paraît-il, en colère. Ils ne devraient pas. Ils vont se refaire une petite santé électorale avec l’échec de Copenhague. Et nous, nous ne sommes pas sortis de l’auberge.
Ah ! Si on avait dit à nos grand-mères que, par temps de grand froid, 2400 personnes seraient bloquées sous la Manche. Je n’attendais rien, pour ma part, de cette rencontre de chefs d’Etat. Sérieusement, qui attend quoi que ce soit de ces représentants des instances, sociétés, entreprises et institutions aux intérêts encore si liés à tout ce qui depuis un siècle a pollué à mort – c’est le moins qu’on puisse dire – la planète.
Il neige donc.
Salut des hommes, en quelque sorte. Les anciens parlaient de trêve hivernale, prélude à Noël.
Temps de s’offrir, sur papier, de beaux et grands moments de lecture.
20:55 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : météo, littérature |