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dimanche, 18 janvier 2015

Les routiers sont sympas

C’est bien connu. Et ils en font la preuve en annonçant un préavis de grève menaçant de bloquer le pays tout entier.  Moyen, diront les esprits caustiques, de l’extraire de la pompeuse léthargie dans laquelle la rouerie politique vient de le plonger suite aux attentats. En même temps que des routiers, on va donc reparler d’Emmanuel  Macron et du travail du dimanche, des soldes de janvier et des résultats de la Ligue 1. Se souviendra-t-on que la France venait tout juste d’être rétrogradée du 5e au 6e rang parmi ce qu’on appelle les puissances économiques mondiales. Pas sûr. Et puis, quelle importance ? Le personnage le plus populaire de France serait bientôt le ministre de l’Intérieur, 69 % pour le Parisien, quel bonheur !  Allez défendre la liberté de la presse après ça !

Alexandre Vialatte fut un prophète en son temps, qui dans ses chroniques, de toute chose énoncée, tirait pour rigoler la grandeur – consécutive ou concomitante - d’Allah.  Songer qu’en 2015, le pays de Rabelais en serait à se demander tout en s’entre-sondageant s’il est bon ou non de publier des caricatures de Mahomet…  franchement, quelle question existentielle d’envergure !  Depuis les débats sur la nature de la grâce suffisante ou nécessaire, on peut dire que la conscience religieuse du citoyen ordinaire a grimpé en flèche et que la profondeur des questions qui le tourmentent  a atteint de vertigineux abîmes. Car au risque de creuser ma tombe avec mon stylo, je vais vous dire, caricaturer ou non Mahomet, je m’en contrefiche, tant la question me parait pour le coup importée. Le problème – et il est d’envergure – c’est qu’on réduise à d’aussi vaines controverses ce qu’on appelle, un air grave dans la pupille en se tenant à bonne distance du micro, « la liberté d’expression ».

A propos de liberté d’expression, je ne comprends pas ceux qui veulent réduire celle des tenants de  « la théorie du complot ». Cela revient à dire que seuls ceux qui possèdent la vérité garantie, authentifiée toutes preuves en mains, auraient droit à la parole. Dites donc ! On entendrait alors voler les mouches sur les plateaux télé, principalement dans les périodes de campagnes électorales. Remarquez, une mouche qui vole et fait bzzz bzzzz, ça murmure des choses à l’oreille, les soirs caniculaires de juin, et certaines lignes éditoriales et partisanes ne sont guère plus complexes ni variées que ce son curieusement répétitif qui finit par rentrer par l’oreille et envahir tout le crâne au point qu’on ne goûte plus au délice du repos jusqu’à ce que, muni d’un journal replié sur lui-même et qui enfin sert à quelque chose, on aplatisse l’insecte dans son jus ragoutant contre la paroi d’un mur ou le bord d’une commode.

 Mais le principe même de liberté d’expression consiste à laisser parler tout le monde, les sages comme les fous, les avisés comme les excentriques, les élus comme les électeurs. Après tout, un propos sage devrait se distinguer d’un propos fou de lui-même dans l’esprit des braves gens. Il semble que nos élites n’en soient plus aussi certaines. Ce qui ne manque pas d’alimenter, soit dit en passant, ladite théorie. Le serpent se mord la queue et c’est ainsi, serait-on tenté de dire en chœur avec Vialatte, qu’Allah est grand. Mais ce qui pouvait se dire dans les années soixante risque de ne plus pouvoir se dire en 2015, tant la prudence devient partout de mise.

Je souhaite bon courage à nos âmes vertueuses et gouvernantes qui veulent mettre fin aux prétendues rumeurs en partant à la pèche au citoyen responsable. Car des théories du complot, il y en a toujours eu. Dans son Journal daté du 3 janvier 1915, ça fait tout juste un siècle, Léon Bloy  (devenu à son corps défendant personnage de Houellebecq) note que l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand et de sa femme était sans doute une machination  (le mot sonne mieux que complot, ne trouvez-vous pas ?) On avait besoin, poursuit-il, d’un grief. Et puis il a cette phrase, sublime, dont tous les lecteurs de Soumission ne saisiront pas l’humble portée : « Les dessous de l’histoire ne seront connus qu’au Jugement dernier lorsque la parole sera donnée à l’empereur des démons ».

 

Mais revenons à nos routiers. Leurs camions ne sont plus équipés de sièges Louis XVI et tous ne sont plus de séditieux mélomanes comme au temps de Jean Yanne ;  ils demeurent pourtant  sympas, oui, de ramener un « peuple » ivre de vanité, et dont le président rondouillard se déclare sans rire perché au centre du monde, au quotidien le plus ordinaire, à ses records de pauvres et de chômeurs, et de gens désemparés de plus en plus incapables d’en découdre avec le Réel, et qui seraient tout juste bon, malgré les efforts depuis 40 ans, de réforme en réforme, de l’école de la République, à comploter à l’angle du comptoir devant un ballon de blanc ou un thé à la menthe en maugréant sa colère jusqu’aux prochaines élections. La France de 2015, quoi, rien que du bien normal…

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Carte postale Trésors du Journal de Spirou  couverture du 57e album du journal - 1985

vendredi, 09 janvier 2015

Rien ne change

Ceux qui ont voté pour le changement doivent quand même sérieusement s’en mordre les doigts. J’écoutais tout à l’heure Cazeneuve et Valls, l’un sur une chaîne, l’autre sur une autre, débiter leurs explications sur les événements (ce qu’ils nomment ainsi) un peu comme s’ils étaient les directeurs du collège ou de la crèche républicaine, des nounous de grands enfants. Pas un mot sur leur politique en Irak, en Syrie, au Mali. Pas un mot de géopolitique. Pas un. Surveillants généraux de la grande cour de récréation qu’est devenu le territoire national. Tout comme Chirac annonçant en son temps, le visage empli de tics, la mort de George Besse sans même évoquer Eurodif, la face emplie de rictus de Valls. Nos bons dirigeants nous appellent donc à venir marcher auprès d’eux dimanche avec notre bougie au cœur pour manifester notre solidarité avec je ne sais quel fantôme républicain que de litanies en litanies, ils peinent de plus en plus à incarner. Et ce au nom de la fraternité, la religion dont ils sont les prêtres aussi vides que terrifiants.

 

Je me souviens avoir pris part aux manifestations contre la guerre en Irak, il y a des années de cela. C'est pourquoi la photo de classe se fera sans moi, dimanche, parce que, de Dieudonné à Wolinski, les comiques s’en ramassent trop plein la gueule sous leur gouvernement, vraiment. Rire, disait Rabelais, bien plus qu'une valeur [ je ne peux plus entendre ce mot, je crois ] bien plus qu'une valeur, donc, le propre de l'homme. Mais en ces temps de répression langagière...

L’arbitraire du signe aussi s'en ramasse plein la gueule. Naïf, peut-être, je croyais habiter dans un pays riche de sa culture et évolué, où l’arbitraire du signe avait force de loi. Mais dans le pays des valeurs et de la démocratie , depuis Christiane Taubira, sa révolution sémantique en cours, il est des mots comme des dessins qu’il ne fait pas bon mettre en avant. Un mot, un dessin, et nous voila sous le coup de la loi. Il était inévitable que les mots et les dessins se heurtent, inévitable face à une telle régression culturelle. Légiférer les mots, judiciariser la langue, voilà deux processus dictatoriaux dont les états comme les religions qui sacralisent la loi se régalent. Que des gens songent sérieusement à aller défiler derrière Hollande, Sarkozy, Merkel, Cameron,,Renzi, Rajoy et Porochenko pour défendre des valeurs (1), eux qui balancent des bombes aux quatre coins de la planète et sont les fossoyeurs de nos souverainetés historiques me fout la gerbe, la nausée, le dégoût non pas de mon pays, la France, mais vraiment pour le coup, de la république de France qui faute de pouvoir gouverner le pays, tente de se sacraliser sur son dos. Les valeurs de César, je les lui rends avec plaisir...

La France a fait face, dit le pingouin. La France n'a fait face à rien du tout. Elle est, c'est à dire nous sommes, pour un moment, dans une belle merde, et ce entre autres grâce à lui. Bon défilé à ceux qui défileront dimanche derrière son dos.

 

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 Il n'y a pas que les charognards politiques. Les paris financiers vont aussi bon train. Sur ebay, le dernier numéro de CHARLIE se monnaie 75 350 euros  ( capture d'écran ce vendredi à 23 38, fin de la vente dans 14 heures  - cliquez dessus pour agrandir )

 

(1) Les valeurs, disaient Platon, ce sont le juste, le vrai, le bien, le beau... Nous en sommes (c'est peu de le dire) fort éloignés...