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dimanche, 13 août 2017

Marx en nain de jardin

J’ai grandi dans un immeuble comme celui-ci. Sauf qu’il n’était pas en URSS, mais à Bron Terraillon, dans une banlieue lyonnaise en partie, depuis, islamisée. Ma mère n’avait pas « les moyens » comme on disait à l’époque, de s’offrir un petit pavillon. J’ai donc été très tôt initié aux charmes du HLM de banlieue, celui qu’on rêve de quitter à jamais le soir au balcon, en fumant sa clope devant la lune.

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Marx en nain de jardin : dirais-je que ça me fait plaisir ? Pour quitter ma banlieue, à l’époque, il fallait avoir un bon livret : au lycée du Parc en 1973, alors que je croyais échapper aux rets de l’égalitarisme, du féminisme, du socialisme, et de tout ce qui faisait autorité sous l’influence des philosophes imposteurs qui régnaient en maître à l’ENS, c’est le Manifeste du Parti Communiste que j’ai dû avaler. Marx, Lénine, Staline, résidus dorénavant épars sur la pelouse d'un parc moscovite…

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En réalité la pensée marxiste dont se saoulaient à l’époque les fistons soixante-huitards d’une bourgeoisie française corrompue ne m’a jamais enflammé l’esprit : il me fallait certes en comprendre les mécanismes ; mais c’est Dieu que je cherchais, Dieu qu’on ne peut arracher  du cœur des hommes aussi facilement que cela.  J’ai donc été logiquement aspiré à l’époque, comme beaucoup de ma génération, vers l’orientalisme le plus niais : l’hindouisme, le bouddhisme et leurs multiples dérivés plus ou moins douteux. Je ne remets pas en cause la croyance de ces gens : ils croient sincèrement en leurs dieux, mais ne comprennent pas en leurs cultes la nature véritable de Dieu, qui est charité, et que nous avons nous mêmes bien oubliée...

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Si je raconte cela aujourd’hui, c’est pour m’expliquer par quel processus la Russie, bien que j’aie lu sa littérature, a été si longtemps occulté de mon esprit : la Russie, c’était l’URSS ; or Delhi et Kuala Lumpur me donnaient l’impression d’être de la même planète quand Moscou était d‘une autre. Même chose avec l’Amérique ou l’Afrique : pas de grand dépaysement à New York ou Kansas City, et guère plus à Abidjan ou Cotonou... Mais à Domodedovo : le mur est tombé pour moi, intérieurement. Les gens qui n’ont pas connu le monde d’avant la chute du Mur ne pourront pas vraiment se représenter cela.

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En visitant la cuisine reconstituée que le couple  Boulgakov partageait avec tant d‘autres dans ce fameux appartement communal dont la promiscuité l'a tant fait souffrir, je vois bien que les hommes ne sont pas faits pour vivre sous la surveillance constante des uns des autres. Cela entraîne la délation, la haine, les mesquineries et le crime. À moins d‘être prochains véritablement, dans un monastère, tous sous le regard de Dieu. Le bolchévisme, qui nia si radicalement Dieu, n'a pu que générer l’enfer. Sous nos allures libertaires, nous sommes en train de tomber dans cet excès, avec notre pensée unique et notre diktat du métissage et du vivre ensemble. La laïcité à la française, avec sa manière de tolérer toutes les religions, se trompe sur la nature de Dieu et sous-estime le danger de construire une société sans Lui. C’est un concept avale tout, qui finira par s’avaler lui-même. Les Russes ont compris cela, qui reconstruisent leurs églises et leurs monastères partout où les communistes les avaient détruits. En voici une pour finir, de 61 mètres de haut, flambant neuve, non loin du monastère Stretensky et de la prison de Loubianka  Elle est dédiée  aux martyrs et confesseurs de l'Eglise orthodoxe du XXe siècle.   :

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13:45 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : moscou, marx, boulgakov | | |

vendredi, 14 juillet 2017

Ce que je verrai à Moscou

« Salut aux ouvriers de l'Ouest ! »

Telle est la première phrase qu'Henri Béraud remarqua en 1925 à son arrivée en Russie soviétique,(1) par ce qu'on appelait alors le train rouge, à savoir le transsibérien. Le fleuve a coulé depuis, comme le souligne avec humour Poutine dans les quatre heures de conversation avec Olivier Stones diffusées récemment.

En 1925, on mettait déjà deux jours pour atteindre la capitale lettone (« encore un changement de monnaie », note Béraud, en relevant que « tous ces pays pauvres font sonner des pièces d‘argent qu’il nous faut bel et bien acheter au prix du dollar » Puis il rajoute : « il est probable que les financiers ont une explication sans réplique »).

Après avoir passé le lendemain « les portes de l’énigme » (la frontière russe), on traversait durant dix heures une forêt « de mélèzes et de bouleaux » pour arriver, « au matin au deuxième jour » en gare de Moscou. Dimanche prochain, assurément, tout sera plus rapide. En quelques heures, je devrais, si Dieu le permet, passer de l’aéroport Saint Exupéry à celui de Domodedovo.

À peine arrivé à Moscou, « dans son impatience à se mêler à la vie populaire », le journaliste lyonnais se jette dans un tramway. Le silence qui y règne l’impressionne. A train lent, sous un soleil de plomb, il regagne son hôtel, le Bolchaïa Moskowshaïa place Voskressenkaia, « un ancien hôtel de premier ordre que le Gouvernement vient de rouvrir pour le service des étrangers ». Pouvait-on rêver mieux ? écrit-il ironiquement…

Impossible, à présent, de songer au tramway moscovite sans que l’ombre surnaturelle de Boulgakov ne se penche derrière mon épaule. Ce dernier, paraît-il, n’aimait pas les tramways à cause du crissement de leurs freins sous ses fenêtres, juste à côté de son appartement : Ils sont « bondés, étouffent les gens, serrés sur les rails. Les gens sont suspendus sur les ailes et les marchepieds, comme des lapins ».  Celui qui décapite Berlioz, au début du Maître et Marguerite, n’aurait jamais existé, en tout cas, aucune ligne ne fut jamais installée sur la rue Bronnaïa ni au tournant du passage Ermolaïevski, là où vola en éclat au chapire 3 du célèbre roman la tête coupée de Berlioz. J’irai sans doute humer l’air de l’Étang des Patriarches et visiter l’appartement fantastique de Boulgakov, même si le côté Harry Potter que prend dorénavant l’engouement autour de cet écrivain m’agace pas qu’un peu. Nul besoin de dresser un culte aux  grands écrivains. Les lire et les aimer suffit.

Avec moi, j’emporterai le Maître et Marguerite ainsi que Ce que j’ai vu à Moscou de Béraud. Mais le Moscou des années 20/30, celui de l’Ouvrier et la kolkhozienne ne m’intéresse que modérément. Celui de la conquête spatiale, qui s’ensuivit, guère plus. A tel point que j'en suis encore à me demander ce que nous sommes allés faire, fichtre, sur la lune... Je ne snoberai ni le Kremlin ni la galerie Tretiakov, bien sûr. De pures merveilles y sont logées. Mais le Moscou qui me motive le plus n’est pas non plus celui des tsars. Celui que je cherche c’est celui des Vieux croyants. Dans ma besace, donc, je glisserai en dernier (pour qu’il s’y trouve en premier) les Récits d’un pèlerin russe, écrit par un anonyme, et sa petite prière du cœur.

Ce que je verrai à Moscou, je ne le sais pas encore…

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Vassili Sourikov La Boyarine Morozova, qui  représente le moment culminant de la persécution des vieux-croyants

 

(1) Henri Béraud, Ce que j'ai vu à Moscou, Ed. de France, 1925

(2) Boulgakov, Le Maître et Marguerite, 1932,

(3) Récis d'un pélerin russe, Albin Michel