samedi, 22 décembre 2007
GRIMPER
Aux amateurs éclairés des pentes lyonnaises et de leurs reliefs dodus et cabossés, ce petit jeu qui ne mange pas de pain : Après avoir lu attentivement chacune de ces quatre descriptions, il s'agit de rendre à chacune des œuvres citées à la fin celle qui lui appartient. Rien à gagner, sinon votre propre considération. Les commentaires sont ouverts. Réponses prochainement.
1. « De petits jardins calés par des planches s’ornent de chaque cotés de stèles, de poteries romaines, de pierres tombales, de statues démantelées. Dans un coin, l’entrée grillée d’un souterrain, sorte de caverne à ours d’où fuse une source. A droite, rivés au-dessus de l’abîme, des cerisiers, des platanes, des frênes, de petits acacias peuplent cette solitude d’une amère fantaisie. A mi chemin, cette allée de fantômes se partage en fourche. Tandis qu’une pente plus douce joue des coudes, zigzague à travers la silve, des plates-formes en terre battue invitent les bons poumons à gravir en ligne droite le sommet. L’infractuosité des murs abrite les plus vénérables débris de la civilisation : des mosaïques, les restes d’une salle de bain romaine, un pan de l’aqueduc construit par Claude, alimenté jadis par les eaux du mont Pilat, un fragment du Forum de Trajan en marbre cannelé, construit en 98, écroulé en 840, « le premier jour d’automne », et dont les débris servirent à la construction de la première église de la colline sainte, cette chapelle de Notre Dame du Bon Conseil qui garda le nom de « Forum Vetus » (…) Ce lieu sacré, un souffle mystérieux le parcourt sans cesse d’effluves spirituels auxquels semble se joindre, au crépuscule, dans la poussière dorée du couvent, la pourpre romaine mélangée aux longues robes blanches des vierges chrétiennes. »
2 . « Un peu plus haut, sur les pentes de la colline, on me voyait passer tout joyeux, pourchassant à coups de pied quelque vieille ferblanterie. Je me croyais toujours un peu en avance. Je faisais l’homme, en tâchant d’imiter la démarche et l’air de mon père. Des apprentis, qui allaient en course par là me donnaient des cigarettes. Par les allées de traboule, on arrivait au cœur du vénérable faubourg, tout plein de bruyante misère et d’odeurs écœurantes. Cela sentait une odeur sans pareille, l’odeur du pays des canuts, la pierre moussue, le vin qui coule, les détritus de fruits, l’urine, le pétrole, le beurre chaud – un seul courant de senteurs mêlés, rue par rue, depuis les Terreaux jusque là-haut, où le plateau rond entouré de ciel comme d’une toile de panorama s’élève si abrupt au-dessus des bas quartiers que toutes les rues semblent finir dans les nuages. Je m’arrêtais aux carrefours. Je flânais délicieusement. Les battants des métiers à tisser claquaient du haut des maisons, jetant sans relâche leur bruit haut et maussade. Les fenêtres, toutes pareilles, sans contrevents ni rideaux, semblaient tailler au canif dans le carton grisâtre des façades. Jacquard, en redingote verdie par les pluies, penchait sa tête de quaker. Dans chaque chantier, des fainéants jouaient aux boules, en vidant des pots de beaujolais et en mangeant des fromages. Et j’arrivais en chantant, soit par l’un de ces passages en escaliers qui, à la Croix-Rousse , servent de contreforts à tout le coteau, soit par l’une de ces rues nouées en cordes aux pieds des maisons comme pour les retenir sur les pentes… En bas, dans la plaine, sous les arcs légers des ponts, le Rhône et la Saône frissonnaient, pareils à de la soie. Vingt églises couleur de suie penchaient comme des visages leurs cadrans jaunes. Elles semblaient mener le lourd convoi d’une armée de pierres, et je voyais, sous leurs clochers, dévaler à perte de vue les fondrières géométriques des toits, d’où montaient une aubépine, une fumée, un air d’accordéon. Des hirondelles tombaient comme des flèches sur la ville bleue. Lyon, mon pays… ».
3. « Il n’avait pas besoin, la gravissant, de relever la tête pour savoir que, presque aussitôt, le passage à allure de coupe-gorge s’élargissait un peu. Il n’éprouvait pas non plus l’envie de tenir la rampe, pour mieux en suivre les capricieux méandres. Il jugeait inutile de regarder le ciel pour le savoir bien là, au-dessus de lui, clouté de rares étoiles, formant entre les murs un ruban de velours. D’avance, il connaissait la route, et qu’au-delà de sa maison, les escaliers se poursuivaient encore, à l’assaut de la colline mystique, puis cessaient brusquement pour faire place au sol pierreux, tout hérissé de pavés ronds. C’était d’abord le pied de la tour métallique, parodie de la Tour Eiffel , popularisée par l’image, avec le reflet écarlate, sanglant, sur les vieilles pierres, de la gigantesque enseigne lumineuse qui lui tisse une robe de feu ; puis, une fois de plus, on tournait à l’angle droit pour, dépassant la célèbre maison de l’Angélique, déboucher enfin sur l’esplanade d Fourvière, devant la basilique… »
4. « De l’autre côté de la rivière, qu’enjambait une frêle passerelle, se dressait un paysage de vertige : entassement d’immeubles efflanqués et superposés, de terrasses et de jardins suspendus dans lesquels ça et là, blanche comme un ossement, émergeait une ruine romaine. Au-dessus des vapeurs vitreuses, les murs, frappés par le soleil, s’éclairaient comme si les derniers rayonnements d’une mer invisible les eussent touchés. (…) La passerelle franchie, mon élan se brisa contre la pente raide d’une ruelle sournoise s’insinuant entre des couvents, des orphelinats, des chapelles, masures à demi ruinées et comme soudées aux flancs de la colline. Courbant l’échine, d’un pas raffermi, je continuai ma course vers la Médecine. A mesure que je m’élevais, sous moi, par delà les tours de la cathédrale et les toits pliants sous leur faix de tuiles romaines, je voyais diminuer la Place des Angoisses, rectangle uni dans le scintillement des fleuves. Au détour du chemin raboteux et tordu, je me heurtai enfin à la perspective de rêve d’un escalier somptueux de cent marches que dominait l’hôpital, bâtiment extravagant de fragilité, surplombant des bâtisses croulantes qu’il semblait menacer d’une chute prochaine, menacé lui-même de pareil écrasement par une basilique énorme, mal plantée au sommet de la colline. »
a. La Gerbe d’or ( Henri Béraud)
b. Montée des Anges (Max-André Dazergues)
c. Place des Angoisses (Jean Reverzy)
d. Sous le signe du Lion ( Tancrède de Visan)[i]
08:25 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : lyon, littérature, solko, reverzy, béraud |
vendredi, 03 août 2007
La prose poétique de Béraud
Le Vitriol de lune(1921) de Henri Béraud renoue avec le récit historique, en plongeant son lecteur dans une intrigue à la Dumas : conspirations, empoisonnements, écartèlement, énucléation, errances et voyages sur fond de querelles religieuses et politiques. Personnages fictifs et personnages historiques (Louis XV, Damiens…) s’y côtoient, le fil conducteur étant la tendresse filiale qu’un oncle ( Giambattista), porte à son neveu orphelin (Blaise Cornillon). Une tendresse bourrue, fidèle, protectrice.
Le héros de Au Capucin Gourmand (1925) est quant à lui un paysan dauphinois du dix-huitième siècle, lequel vivait heureux avec sa Jeannette jusqu'à ce qu'un soldat de passage violente cette dernière durant son absence. S’estimant déshonoré d’avoir été incapable de la protéger, il la rend à son père, gagne Lyon, où il se fait recruter par le racoleur du régiment du Dauphiné. C’est ainsi que le paysan Lèbre devient le beau Sergent du Roi.
Plus de quinze ans plus tard, il retrouve l’agresseur de sa femme, un certain sergent Merru, qu’il provoque en duel et qu'il tue. Lorsqu’il regagne son pays, il retrouve une Jeannette si lasse et si usée qu’après un an passé en sa compagnie, il engage une aventure auprès de Fanchon, une comédienne et prostituée lyonnaise. Après l’avoir entraîné dans la ville, Fanchon intègre peu à peu à sa bande de « chevaliers » son beau sergent, le pousse au vol, puis au crime. Arrêté, condamné, le sergent Lèbre finit seul et exécuté sur la place des Terreaux. Ces intrigues populaires plus ou moins empruntées (on passe à l'abbé Prévost, notamment) offrent à Béraud l’occasion de travailler son style. Ainsi, dès Le Vitriol de Lune et surtout Au Capucin Gourmand, le projet littéraire qui le conduira aux futurs chefs d’œuvre de la Conquête du Pain prend forme et mûrit :
« Rue de la Limace , à Lyon, tout contre la manécanterie de Saint-Nizier, il y avait un cabaret. Sous l’enseigne Au Capucin Gourmand, un bouchon d’herbe pendait. Deux tilleuls protégeaient le jardin, où étaient des tables et des bancs. On y accédait par dix marches, que rongeaient les brouillards du Rhône »
(Henri Béraud – Au Capucin gourmand, incipit)
La prose poétique de cette séquence repose sur l’usage alterné de mètres pairs et impairs : on trouve en effet deux mètres de 7 syllabes : « Rue de la Limace , à Lyon », « un bouchon d’herbe pendait », trois de 9 syllabes : « Sous l’enseigne Au Capucin Gourmand », « Deux tilleuls protégeaient le jardin », « où étaient des tables et des bancs », ainsi que trois octosyllabes : « Il y avait un cabaret », « on y accédait par dix marches », « que longeait le brouillard du Rhône ». La simplicité du vocabulaire, empruntée à la chanson traditionnelle, estompe évidemment la structure métrique du paragraphe. Seul un segment de treize syllabes se détache, que clôt le mot Saint Nizier, qui domine le fragment tout entier.
Ainsi se forge le style artisanal de Béraud. Souvent composée de mètres identifiables, la proposition va au plus court, incisive. Le terme juste tombe, équilibré sur de discrètes allitérations. La phrase, rarement complexe, forme une séquence close sur son seul prédicat. Lorsque surgit une comparaison, elle est toujours aussi simple qu’inattendue. Béraud, c’est un Boileau qui aurait lu son Michelet. Alors que le roman traditionnel entre dans une crise qui menace de lui être fatale, plusieurs décennies avant le film de capes et d’épées, il invente, si l’on peut dire, le classicisme moderne du roman populaire français :
« Il faisait un froid sec qui, devant les boulangères, fouettaient les femmes attroupées. On vendait le pain, huit sols la livre. Tous les souffles du ciel semblaient se jeter par les rues étroites, sur les malheureux de Paris. Les fumées se couchaient contre l’échine de toits comme des queues de bêtes. Dans l’azur glacial, des brumes flottaient. »
Le Vitriol de Lune II.9
07:15 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : béraud, littérature, lyon, écriture, houdaer |
vendredi, 06 juillet 2007
Henri BERAUD
Je quitte à l’instant l’œuvre de Béraud. Et il me semble qu’il ne l’a jamais écrite, à peu de gens près, que pour lui-même. Comme tous les écrivains. Je ne parle pas, bien sûr, des grands reportages ni des pamphlets polémiques. Comme Joseph Kessel, comme Albert Londres, auxquels il ouvrit bien des portes, il rédigea les premiers pour vivre. Quant aux seconds, dans le contexte rudement cauchemardesque de la seconde moitié des années trente, il estima que c’était son devoir d'être de la bagarre en les faisant publier.
Je parle d’une bonne quinzaine de livres, ce qui n’est pas absolument rien. Et je n’hésite pas à croire que si la littérature française doit sortir vivante de la vacuité sidérante et du conformisme accablant dans lesquels l’ont plongée aussi bien l’institution universitaire que les politiques éditoriales de ces quarante dernières années, la redécouverte de cette œuvre par de jeunes ou de nouveaux lecteurs aura un rôle déterminant à jouer.
Car il y a dans la phrase d’Henri Béraud quelque chose d’asséné et de brutal, de juste et d’élégant, et même souvent de raffiné, qui fait sa fête à tout amoureux de la langue française. Henri Béraud ne fut ni un idéologue, ni un penseur, ni un politique Contrairement à beaucoup d’hommes de sa génération, il sortit la vie sauve de l’enfer des tranchées de quatorze dix-huit. Comme beaucoup d’hommes de sa génération, il sut alors qu’il avait sacrifié son existence, car la société au sein de laquelle elle s’apprêtait à se dérouler avant que la boucherie ne commence, cette société, bel et bien, n’était plus. C’est pourquoi il jeta sur le monde un regard à la fois baroque et lyrique, l’un de ceux qui siéent mal au sérieux que lui demandait son temps : un regard de revenant désenchanté. Iceberg anachronique et têtu, n’explique-t-il pas encore, en 1944 ainsi sa conception politique : « Elle s’exprime toute dans l’amour de la France, la haine des Anglais et le refus de toute obédience étrangère » Cette politique qui, dit-il « a suffi à nos vieux rois, aux hommes de 93, à Napoléon, peut bien suffire à un fils de boulanger.»
L’effacement d’un grand auteur, quel qu’il soit, est toujours significatif de quelque chose. Dans une démocratie sur-médiatisée de pied en cap, le fait d’honorer chaque 11 novembre la mémoire d’un soldat inconnu est évidemment moins compromettant que le fait de perpétuer la mémoire d’un soldat qui fut trop connu et, surtout, inconsidérément bavard. Pour sa défense, c’était son métier de parler ainsi. Loin de moi l’idée d’attenter à la justesse d’une commémoration dont Béraud lui-même écrivit un jour que les Allemands nous en enviait l’idée. Le fait est que, pour son malheur, Henri Béraud a appartenu à cette génération-là - que des cadets opportunistes auront singulièrement réduite au silence- et qui, parce que la gloriole la faisait rire, a laissé faire. Brasillach eut les honneurs d’un procès en bonne et due forme. Celui de Béraud, qui passa avant, lui, est une atroce caricature.
09:40 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, béraud, lyon, houdaer |