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mercredi, 05 janvier 2011

Violence ordinaire dans la cité

 

Récemment, sur le net, a circulé un grand nombre de récits d’agression de personnes, comme on dit : une octogénaire, un disc-jockey, une jeune femme, un journaliste… Pour un collier, pour un sac, pour un refus d’entrer, pour un mégot, pour un regard de travers…. On ne sait trop à qui profite cette profusion de récits délétères qui se répand partout.  Forcément, leur nombre agit sur l’esprit de tout un chacun à force d’être ainsi assénés, tant on peut dire toute chose et son contraire au sujet de cette violence débridée devenue l’ordinaire de la cité. L’un d’entre eux m’a arrêté, que je  reproduis tel quel :

« Un Lyonnais de 44 ans était en garde à vue dimanche à Lyon après avoir percuté en état d'ivresse une femme en coma éthylique allongée sur un parking, à la sortie d'une boîte de nuit, le matin du jour de l'An, a-t-on appris de source policière.
La victime, une ancienne prostituée de 35 ans connue dans les milieux de la drogue, a succombé à ses blessures une heure après son transfert à l'hôpital. 

Interpellé sur place, le conducteur, également sous l'emprise de l'alcool et de stupéfiants et très connu des services de police, a déclaré aux enquêteurs qu'il n'avait pas vu le corps de la femme, gisant dans la pénombre devant sa voiture.
Il a en outre affirmé ne pas la connaître, ce que les enquêteurs tentaient de vérifier dimanche, selon la même source. »

Tous les clichés du genre s’y retrouvent : L’usage du on, pour commencer, pour qualifier la voix qui informe. Entre l’événement et cette voix, par deux fois, le relai indispensable d’une métaphore, aussi musicale qu’éculée, pour égayer le récit : « la source ». A l’endroit où ça se passe, une figure anonyme mais efficace, celle de la police, des enquêteurs, dont le dur et improbable boulot redouble celui du journaliste : « ils tentent de vérifier » On croit entendre la-derrière le bruissement des pas de Maigret sur le gravier, ou ceux de Colombo sur l’asphalte. Alors, on retient son souffle.

Tout le personnel romanesque habituel à ce genre de saga erre en arrière-plan, les milieux de la drogue et ceux de la prostitution sans lesquels, depuis les meilleurs romans-feuilletons de Moïse Millaud, il n’est de presse qui vaille : « une ancienne prostituée », un « conducteur connu des services de police ». Par deux fois se profilent un avant à l’événement tragique, lequel sous-entend que, peut-être, malgré les affirmations du bonhomme, ils se connaissaient : Avec tout ce que cela implique de scenarii possibles en amont, et de mobiles à supposer pour ce qui deviendrait alors un meurtre prémédité. Le cœur se pince.

Car ce qui frappe, dans l’ambiance indispensable du « parking au petit matin » empli de « pénombre » et, on l’imagine, glacial, c’est le caractère parfaitement gratuit et, pour tout dire, déréalisé, dont le fait divers se trouve sans ça enrobé : La prostituée qui succomba aux blessures était déjà dans le coma, raide saoule devant la voiture depuis on ne sait combien de temps garée là : son corps, il ne ne l’avait pas vu, forcément,  à cause de la pénombre. Elle, dans le rôle de la victime, lui, dans celui de l’assassin, certes, mais finalement innocemment tous deux, sans le vouloir ni le savoir, et sans même s’en rendre  compte, tout comme dans un film, vraiment, ou dans un récit primable au Goncourt de l’an prochain, plongés dans une œuvre qui dirait l’irresponsabilité chronique des silhouettes en société du spectacle, l’inanité des temps postmodernes et de leur violence ordinaire à l’usage de figurants somnambules et même pas héroïques. 

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mardi, 04 janvier 2011

Retour des champs

Songe à un texte. Un texte qui serait le texte. En serais-tu l’auteur, le lecteur ? Qu’importe. Ce serait le texte. Autorité indiscutable de l’article défini et de l’instituteur en blouse grise, qui nous en fit comprendre la loi et retenir les vertus tandis qu’il faisait les cent pas entre nos tables, sur le carreau d’alors, et parfois s’appuyait contre un radiateur  : Le texte, donc

En son rythme trônerait un arôme, celui de la fin des conflits. Il dirait, ce texte, le repos de l’instant dans l’instant même, au soir. S’y trouverait surligné ce qui, au centre du désir des hommes et des femmes, s’affirme souverain dans leur chair, un retour à l’assouvissement le plus antique, le plus préhistorique même. Hic et nunc.

Nous marchions jadis dans ce qui reste de nos champs autour de leur ville, souviens t-en…  Telle était la survivante signature de notre destin : marcher parmi ces herbes battant nos genoux.  Gagner ces quatre murs de pisé, et puis non loin ce toit de tuiles,  non loin malgré la boue. Le ciel, d’un gris inavouable.

Cela fait si longtemps que nous dormons sous des toits.

Il paraît – mais c’est encore un aveu scientifique, faut-il s’y fier ?- que notre patrimoine génétique dépend à 4% de Neandertal. Quatre pour cent, c’est pas bézef mais c’est déjà, nom d’un chien,  ça ! Pour des espèces réputées incompatibles…

 Ainsi nous ne serions pas uniquement sapiens. Quelle chance, hein, crois-tu pas ?

Me demande encore, trottant sur cette sente, et ce ciel ouvert comme un livre à quoi ressemblerait le siècle si Neandertal avait pour de bon survécu… race de Caïn, race d’Abel…  L’histoire trop grasse de ces fratries conflictuelles : Et moi qui, fils unique, me croyant si solitaire, m’en suis prétendument banni…  

Me demande bien en ce soir  attiédi  si Neandertal avait su cohabiter…  Neandertal en col blanc, ça s’imagine, des choses pareilles ? Cadre chez IBM ?  Animateur sur TV Monde ? Conseiller en communication ?

Mais d’où me subsiste depuis toujours,  l’affirmation de ce grand geste de sauvagerie primitive, lequel me fit à part égale haïr les distributeurs  automatiques, les  présentatrices météo et les  crédits à la consommation ? Et ce dégoût face à l’euro ! Un si profond dégoût…

 

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Illustration : retour des champs, Louis Carrand

 

 

C’est le retour des champs. Sur le tableau de Louis Carrand, trois silhouettes obliques, à peine esquissées. Cet oblique murmure la hâte. Le frais qui commenc eà pincer. Là-haut, dans le gris inavouable, frémit l’orage.

L’orage néandertalien, cela, non, lui, ça n’a pas changé.

Vite, sur le sentier entre les blés.

 

Vite… Mais en attendant bien-aimée, comme ils le disaient en leur cantique, presse-toi contre mon épaule et goute un  peu cette force de poésie qui, là, demeure. En ta salive et en ta chair, je feindrai d’épuiser mon temps. Et peut-être même,  pour quelques secondes, irai-je au bout de ma feinte.

 

Qui sait de quel aveuglement,  un heureux renard est capable ?

 

09:09 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, poésie, peinture, louis carrand | | |

lundi, 03 janvier 2011

Maire de Lyon

Edouard Herriot, lorsque j’étais petit, c’était à  la fois quelque chose et puis rien. Quelque chose : maire de Lyon durant cinquante deux ans ! Monolithique, dans sa génération, le bonhomme !  Rien : un homme du passé immédiat, mort alors que je n’avais que deux ans, et remplacé par un homme plus que médiocre qui abîma à jamais Lyon avec son bétonnisme aigu, le dénommé Pradel. Herriot déjà, ça n’était plus qu’une rue, la rue de l’Hôtel de Ville, débaptisée en rue Edouard Herriot. A present, lorsque je demande à des élèves s’ils savent qelque chose de ce  type, ils me disent tous  : rien. Rien...  Le leçon de Sénèque : Comme les gloires passent, n'est-ce pas ? Pauvre Edouard...

Et puis une tombe grotesquement stalinienne, à l’entrée du cimetière de Loyasse. Grotesque, c'est même peu dire. C'est par là qu'à dix-sept ans, lorsque j'allais me saouler avec des potes en un lieu éloigné des familles, nous faisions le mur ... Il faut, se dit-on en voyant son gigantisme peu chrétien, savoir choisir son camp. Amusante, la gerbe de l'actuel maire de Lyon, à chaque Toussaint. Glissons.

Devant la nullité de son successeur, évidemment, cet Edouard ressemblait encore à quelque chose dans les années 60  : comment oublier pourtant qu’il avait signé l’arrêt de mort du dernier pont de pierre de la ville, un ouvrage de treize arches séculaire, le pont de la Guillotière, ainsi que celui de l’hôpital de la Charité et toutes ses cours intérieures, pour les remplacer par un hôtel des Postes, et un autre des Impots, comme pour rivaliser de laideur : Quelle ineptie ! Herriot malgré sa gloriole politique ne fut-il pas à ce titre  guère plus qu’un moderniste opportuniste, sans grande vue ni grande culture, encensée par une bourgeoisie locale en mal de baron du cru  ?

Albert Thibaudet, lorsqu’il évoque d’Herriot, en parle comme d’un girondin, mais c’est parce qu’il confond girondin et provincial. En réalité, nul ne fut plus centralisateur et jacobin que cet Herriot, dans sa manière autocratique de gérer sa  capitale des Gaules comme si elle devait sans cesse rivaliser avec Paris. Il ne s’y trompe d’ailleurs pas, Thibaudet, qui écrit, dans la République de professeurs :

« Le maire de Lyon est le premier de Lyon – mais après le préfet, et son gouvernement facile, ressemble plus à celui d’un président de la République qu’à celui d’un chef de gouvernement. »

Ou encore :

« Paris est la capitale de la France, mais Lyon est la capitale de la province. Les politiques savent à quel point le Cartel des gauches de 1924 était une formation lyonnaise »

 

Herriot eut pour successeur un imbécile. Personne ne parla mieux de Louis Pradel que Pierre Mérindol. Je cite : « C’est un modeste expert en assurance automobile qui n’a jamais connu d’autres lauriers que ceux des concours de circonstances » Ou encore : « Le drame de Lyon – car il est bien vrai que la ville est défiguré – c’est que le maire ait été aussi mal entouré » (1)

L’inconsistance du successeur de Pradel, un Collomb, déjà (mais Francisque) n’est plus à souligner. Avec lui, le Grand Orient assoit un peu plus son autorité sur l’Hôtel de Ville, représenté par des guignols du nom de Soustelle, Ambre, Bullukian, Combes, Béraudier. Je cite toujours Mérindol, un homme fin et intelligent à la plume lucide : « La pauvreté de la solution Collomb – même si elle est une construction d’origine maçonnique –est le reflet de la pauvreté du personnel politique à Lyon. »

Sans doute est-ce à partir de Michel Noir et des années quatre-vingts qu’on commença a oublier Herriot et son autre temps. Le portrait qu’en dresse Pétrus Sambardier le rendrait presque sympathique :

« Généralement, le président, vers midi et demie, se rend à pied de l’Hôtel de Ville au cours d’Herbouville. Il remonte, pensif, à petits pas, l’allée de platanes du quai Saint-Clair. Les solliciteurs malins connaissent cette promenade et retardent souvent l’heure de déjeuner du président. M. Herriot est accueillant. Il s’assied volontiers sur un banc du quai pour écouter, sans impatience, le garçon « de platte » (2) racontant son dernier exploit de sauveteur ou la vieille femme exposant ses misères » (3)

Il y quand même, dans le ton du journaliste, un air d’hagiographie et l’on n’est pas loin du Joinville exaltant son saint Louis. En contrepoint, voici un portrait d’Henri Béraud, réalisé en novembre 1913, et publié dans le numéro 2 de la revue l’Ours :

« C’est en matière administrative surtout que le bon garçonnisme de M.Herriot lui crée des difficultés. On ne fait pas avec des sourires la besogne d’un comptable. Les poignées de mains et les gros compliments dont les plus acerbes prolos s’accommodent, font quelquefois la fortune politique d’un habile homme. Mais quand, par ces moyens, on est parvenu à ses fins, quand on a pris place au centre des affaires, il faut abandonner ces accessoires de parlottes électorales, comme les avocats laissent robes et toques au vestiaire du Palais. En affaires, il faut se montrer homme d’affaires. M. Herriot y parvient-il ? Non. (…) Les rapides succès de M. Herriot ont fait de lui un séducteur des foules… »

 

 

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Blanc et Demilly : Edouard Herriot

(1)  Voir Pierre Mérindol, Lyon, le sang et l’argent, Ed Alain Moreau, 1987

( 2  )Les plattes sont des bateaux lavoirs.

(3) Pétrus Sambardier, La vie à Lyon, de 1900 à 1937 – ouvrage préfacé justement par Edouard Herriot -

16:24 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : politique, lyon, littérature, edouard herriot, thibaudet, collomb, pétrus sambardier | | |

samedi, 01 janvier 2011

Veille de 2

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Le premier janvier est-il un jour aussi neuf qu’on le laisse accroire un peu partout sur la planète ?

En société du divertissement,  la volupté routinière en a fabriqué tellement, « des premiers d’l’an » que l’imprévu n’y parait plus guère de mise : pétards, confettis, coupes de champagnes, sourires, cris, feux d’artifice, quand ce n’est pas incendies de voitures et autres conneries formant au final un simple cortège de convenances ; la fête a égaré son originalité depuis longtemps, pour se noyer dans le drôle d’esprit qu'elle a fini par engendrer : entrevue l’autre jour à la télé l’ombre de cet esprit, rôdant sur le visage fade de deux jeunes gens, un mâle parisien et une femelle toulousaine : le premier se félicitant en ces termes du fait que la RATP offrait le ticket de métro à tous durant la durée de la nuit : «comme on a plusieurs fêtes où aller, c’est sympa, on ira de l’une à l’autre, et voilà, quoi… », la seconde regrettant que la municipalité de Toulouse fige tous les transports gratuits à deux heures du matin : « je comprends pas, dans une ville comme Toulouse qu’est quand même importante, qu’on arrête les transports si tôt, quand la nuit commence, ils auraient pu quand même…. »

Pas un mot pour les conducteurs. Pas une pensée sans doute, non plus. Etre servis pour pas un rond, dans le droit festif jusqu’au bout de la nuit. Sully Prudhomme et son épouse auraient-ils dit mieux ?

Le côté nouveau du nouvel an, sans doute est-ce cela, une fête encadrée par les transports et la police. Et puis la sotte satisfaction ou l’indignation niaise qui vont avec,  selon qu’on soit parisien ou toulousain,  dans les deux cas une ingratitude aussi terriblement petite bourgeoise l’une que l’autre sur le visage fat de ces très jeunes gens : c’est pourtant ça, l’envers de leur fête, qu’ils semblent ne pas entrevoir.

 

Pour le reste, rien de très neuf, au gui, au gui : tout le mois qui s’annonce, dans la rue, sur le palier, au boulot, nous redouterons de croiser ces hordes de prochains, vendeurs de calendriers ou simples collègues, à qui la civilité la plus rudimentaire exigera toutefois que nous présentions,  d’un ton qui ne soit pas trop rebattu,  pour la énième fois, nos vœux les plus sincères.

Rien de bien n’œuf là-dedans.

 

Ce jour de l’An possède pourtant un statut inquiétant, comme si après lui ne devait plus subsister qu’un corridor grisâtre de jours ordinaires, peint aux couleurs de la monotonie. A la prétention de ce Premier Jour, qui nous rappelle la plus haute morgue du droit d’ainesse (d’ânesse ?),  il faut rabattre le caquet en se rappelant que le jour de l’an n’est au fond rien de plus que la veille du 2, et que cet âne qui se croit si n’œuf tire après lui plein d’autres jours comme lui.

 

La seule véritable nouveauté en cette affaire, c’est bien deux mille onze. La dernière fois que le chiffre d’une année s’est achevé par ce phonème aussi nasalisé que disgracieux (ɔz), c’était en mille neuf cent soixante et onze. On espère que ceux qui étaient nés en gardent un souvenir digne d'éloges.

Pour le reste, comment se débrouiller pour recueillir et conserver quelque instant son originalité, quand tous les médias tuent dans l’euf sa nouveauté, en raccordant déjà 2011 aux événements de l’an dernier, en le réduisant déjà à n’être que l’appendice historique de ce qui s’est déjà passé, une simple continuité, en somme : wagon remorqué par le passé ou locomotive capable de tracer une route, sait-on dans quel sens ça tirera ?

10:42 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : voeux, premier janvier, bonne année, 2011 | | |