dimanche, 01 décembre 2013
L'art du possible
« La politique est l’art du possible », écrit Pavese le 15 mai 1939. Toute la vie est politique » Belle connerie. Que le monde le soit, que la société ne puisse, comme une horloge de son ressort, s’en passer, certes. Mais la vie, ma vie, n’est pas politique. Le politique n’est qu’un des rouages de la répétition. Et la répétition la condition de toute domination. Loi des horlogers, des finitudes.
Ceux qui dans les hôpitaux ne luttent plus que pour la seconde qui vient le savent bien. Pour ne pas finir, justement. Ils n’ont plus rien à prouver au monde qui se fout bien d’eux. Seul un instant de vérité qui soulève leurs côtes. Un pas plus loin, plus la moindre pantomime où s’engager. Une seconde de gagnée, ils savent où la placer.
Que signifie d’ailleurs être politisé, sinon être avili, jeté hors de soi, joint sans ménagement à un principe d’éternelle reconduction du Réel en un futur de papier déjà passé ? Drapé dans l'arrogance des slogans. Se garder des idoles, la politique en étant devenue la principale fabrique. Finalement, l’art du possible serait l’art d’échapper à la politique.
01:02 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : politique, pavese |
mardi, 17 février 2009
Pavese et Reverzy
Le métier de vivre : le titre appartient à César Pavese. C’est celui de son journal, qui court du 6 octobre 1935 au 18 août 1950. Dans la journée d’hier, je suis passé sans trop savoir pourquoi, sans crier gare, en silence, de Jean Reverzy à César Pavese. Les deux écrivains ne sont pas si loin l’un de l’autre, ni dans le temps, ni dans l’esprit, ni dans ma bibliothèque. Ils ont vécu à peu près le même nombre d’années, à peu près les mêmes années. Les sonorités de leurs noms se font écho, Pavese et Reverzy. Leurs prénoms aussi ont du commun : César et Jean, le prénom d’un empereur et celui d’un apôtre, devenu celui de n’importe quel italien, de n’importe quel français. Du Mal du soir de Reverzy au Métier de Vivre de Pavese, il n’y a qu’un pas. Comment, après ce détour par Pavese, suis-je revenu à Reverzy ? La journée d’hier passa. Quid de celle d’aujourd’hui ? D’un 17 février, l’autre :
Pavese (1908-1950):
Les jugements moraux de Madame Bovary ignorent tout principe sauf celui de l’artiste qui violente et imite tous les gestes humains. Certains se gargarisent du tableau que Madame Bovary donne de l’amour, y voyant une saine critique des vieilleries romantiques faite par une « robuste conscience », et ils ne voient pas que cette robuste conscience n’est pas autre chose que le fait de regarder nettement, d’étaler fougueusement les tristes mobiles humains. Comment peut-on vivre, selon Madame Bovary ? D’une seule manière : en étant un artiste calfeutré chez soi. Garde-toi bien de prendre au sérieux les critiques de Flaubert envers la réalité : elles ne sont faites que d’après ce seul principe : tout est boue, sauf l’artiste consciencieux.
17 février 1938
Reverzy (1914-1959) :
Hier soir, j’étudiais l’attente. Chez moi, dans une parfaite solitude, assis dans un fauteuil, je guettais l’instant où les invités, dix personnes, arriveraient. J’aurais voulu percevoir l’instant où se briseraient net l’isolement et le silence ; et je prévoyais le changement non seulement de moi-même, mais surtout de ce que je pouvais percevoir du monde : les murs de la pièce, les meubles, la lumière. Je m’étais promis d’observer scrupuleusement, dès leur intrusion, ceux que j’attendais d’une seconde à l’autre ; et ce n’étais pas pour connaître cet instant même, celui de leur entrée, mais l’instant d’avant, celui où je vivais en ma solitude, face à face avec moi-même. Ils vinrent, le but de toute mon attente – les voir entrer, les saisir, percevoir le changement de moi-même, et par le contraste de ce changement mieux pénétrer mon état intérieur - en une seconde fut oublié. Mon projet ne me revint à l’esprit que lorsqu’ils furent partis. Donc, je ne les avais pas vus entrer
17 février 1955
00:03 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, pavese, reverzy, le métier de vivre, le mal du soir |