mercredi, 20 février 2008
Le foot, c'est que du bonheur...
« Fuyez le lieu commun… » : tel était le conseil de James Joyce aux jeunes écrivains. « Dès que vous entendez quelqu'un en proférer un auprès de vous, fuyez ». Facile à dire ! Mais fuir où et par où ? Et où aller ? En quel lieu de la Terre, Seigneur, en quel lieu de l'esprit ? Léon Bloy n'essaya pas de fuir ceux de son temps, lui. Au contraire, il les regardait bien en face, yeux dans les yeux, et en dressa une exégèse méticuleuse qui parut en deux tomes. Petite pioche dans l'index : Dieu n'en demande pas tant ; les affaires sont les affaires ; les enfants ne demandent pas à venir au monde ; tout le monde ne peut pas être riche ; bien faire et laisser dire ; être poète à ses heures …
Les locutions patrimoniales de la Belle Epoque étaient des formules bourgeoises, dixit Bloy dans sa préface.
A l'époque, ces formules circulaient de bouches en bouches ; de boutiques en boutiques et de paillassons en paillassons. On ramassait les premiers à l'école. On en trouvait aussi dans les colonnes des journaux, certes. Et dans les pages des meilleurs romanciers sans doute aussi. Cependant, la vitesse de propagation du virus demeurait sans doute raisonnable. Aujourd'hui, le lieu commun est d'origine essentiellement médiatique. En bonne place, on trouve évidemment les lieux communs politiques, et nous connaissons tous certains candidats de second tour qui eurent récemment l'art et la manière d'en gaver les Français pour une saison. Les lieux communs journalistiques. Les lieux communs du show-business, et ceux du monde économique. Les lieux communs cinématographiques. Ecrans, véhicules commodes. Ne pas se laisser contaminer par eux, depuis que la libre expression de tout un chacun et l'égalitarisme souverain les ont faits se répandre avec une même audace dans tant de bouches, c'est une entreprise quasiment aussi impossible que de respirer de l'air pur dans une métropole un jour de pic de pollution.
Tiens, ce soir, Lyon-Manchester, Ligue des champions à Gerland. A la limite, on s'en fout de qui va gagner, parce que de toute façon, depuis déjà une bonne dizaine d'années, non ? … « Le foot, c'est que du bonheur! »
Le foot, c’est que du bonheur ; Remarquez comment on a ôté le « ne » et gardé le « que », histoire de donner un air positif à ce qui reste en grammaire, même restrictive, une négative. La phrase a du coup l'air positif qui convient à l'époque (le foot c'est du bonheur). Pourtant ce n'est pas que ça, mais cela il ne faut pas le dire. Chacun sait que c'est aussi des magouilles, par exemple. Allez voir Courbis il en sait quelque chose. Et puis du fric - oh beaucoup de fric ! - Mais dans le stade, comme dans l'église, non, ça ne se dit pas. On dira donc que c'est le jeu, rien que lui qui (n)'est que du bonheur.
Du coup des tas de petits gamins essayent de trouver le bonheur en tapant le plus jeune possible dans le ballon. Taper dans le ballon le plus jeune possible, c'est un peu comme sucer le micro dès son plus jeune âge, ça laisse quelques espoirs à des parents de s'assurer une retraite paisible. J'ai écrit une connerie ? Oui. Parce que l'argent, bien sûr, ça ne fait pas le bonheur. L'exploit sportif, si. Le foot, c'est que du bonheur...
19:00 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : football, lieu commun, léon bloy, solko |