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vendredi, 27 mars 2009

Les malheurs d'Hamlet

Les raisons d'être en colère sont multiples; les sources d'indignation ne manquent pas; « the time is out of joint », proclame Hamlet, à la fin de l'acte I de la pièce de Shakespeare. Alors s'indigner ? S'indigner pour du théâtre ? S'indigner parce qu'un des chefs d'œuvre de la culture occidentale, transformé en divertissement pour bourgeois blasés de tout par une serveuse de plateaux aussi habile que rouée venue de Charentes-Poitou, tourne en ce moment et s'est arrêté pour quelques soirées au théâtre des Célestins à Lyon, s'indigner, oui, à quoi bon ? Hamlet est un prince malheureux. Dans le siècle où nous sommes, qui est malheureux est forcément ennuyeux. Mais Hamlet, comme le dit Claire Lasne-Darcueil, c’est l’un des « tubes » de Shakespeare. « Un peu comme avec Molière », rajoute la dame dans son dossier de presse «quitte à s’attaquer aux grands auteurs, autant choisir des tubes…»  Nous voilà rassurés : Il y a dans la com' d'aujourd'hui quelque chose de désespérément bête, oui. Car vraiment, cette façon de parler est aussi un aveu : Hamlet est le tube de Shakespeare, soit. Mais un tube  de jadis, un tube ennuyeux : qu’en faire pour capter à la fois l’attention bienveillante d’un public d’abonnés et celle, voltigeante, d’un public de scolaires ? Car sans les abonnés et le scolaire, pour les intermittents d'aujourd'hui, peu de salut. En bonne technicienne, en bonne vendeuse de soupe, Claire Lasne-Darcueil a la solution : épuiser, dans une seule mise en plateau, tous les poncifs du théâtre de la déconstruction : bande-son rock n’roll pour ponctuer chaque scène, chouettes, vautour, vol de rapaces en scène, nudité des acteurs, recours à la marionnette, bande-son, toujours, sus au silence, ennemi de l'époque maudite où nous vivons... Surprendre, séduire, divertir. Exaspérer, exhiber, juxtaposer : Ne jamais laisser l'esprit du spectateur vagabonder seul avec le texte non plus. Et pas davantage avec lui-même.


 

Ce théâtre qui fait du cinéma - son cinéma - est le pire du théâtre, une contrefaçon de luxe (car subventionnée), pour tout dire. Le parti pris de l'entreprise (je préfère ce terme à celui de mise en scène) est simple : Si j'enlève d'Hamlet tout mystère, si je transforme ses personnages en héros de bande dessinée, j'arrive au sens propre à divertir l'attention du spectateur de ce qu'au fond Shakespeare a écrit et qui se retrouve, dans ce divertissement violemment rythmé, proprement inaudible : du fun, ni plus ni moins. Si je fais d'Hamlet un divertissement à la mode, j'aurais ainsi gagné mon pari. Voilà pourquoi cette conception du théâtre illustre et appartient corps et bien à ce qui est pourri au Royaume du Danemark comme  dans la République de France, et dans toute  la société du Spectacle. Le produit Hamlet est  conçu, emballé, pesé comme une bonne recette aux ingrédients multiples  : et on ne s'ennuie pas, en effet. Le dossier de presse annonce que « les lycéens applaudissent debout, sourire aux lèvres »...  Sourire aux lèvres ... Je crains de savoir pourquoi.

The play's the thing wherein I'll catch the conscience of the king : «Le théâtre est le piège dans lequel j'attraperai la conscience du Roi », traduit Yves Bonnefoy, dont je me rappelle le séminaire sur la figure d'Hamlet au XIXème siècle, au Collège de France, il y a quelques vingt ans déjà. Pauvres chouettes, bien dressées, des projos dans la gueule, et des décibels plein les oreilles. Pauvre texte, dont on se demande pourquoi on prend tant d'application à le réciter encore, entre deux effets hystérotechniques. Quelle conscience peut-il bien attraper ? Pauvre, pauvre Patrick Catalifo, qui finit à poil sur scène, exactement réduit à la posture du pantin par ce metteur en scène avec lequel on ne peut que regretter qu'il se soit fourvoyé : Triste temps, fait d'autant de subterfuges qu'il est vide d'esprit. Car de cette mise en plateau,  de cette entreprise, les lycéens ont raison, on ne peut que, finalement, sourire. Et mesurer, l'esprit glacé, à quel point la réussite du divertissement aura servi à masquer le renoncement à Shakespeare. Baudelaire, dramatiquement prophétique, l'avait annoncé dans Béatrice, le poème que voici : Le temps de l'Esprit était alors en train de passer. C'est fait. Après quatre heures proprement marathonesques, Patrick Catalifo renfile son pantalon et danse, tout seul et sans rien profaner, sur le renoncement à Shakespeare, sur la fin des exigences et le retrait sordide de l'Art :

 

Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure,
Comme je me plaignais un jour à la nature,
Et que de ma pensée, en vaguant au hasard,
J'aiguisais lentement sur mon coeur le poignard,
Je vis en plein midi descendre sur ma tête
Un nuage funèbre et gros d'une tempête,
Qui portait un troupeau de démons vicieux,
Semblables à des nains cruels et curieux.
À me considérer froidement ils se mirent,
Et, comme des passants sur un fou qu'ils admirent,
Je les entendis rire et chuchoter entre eux,
En échangeant maint signe et maint clignement d'yeux:

-"Contemplons à loisir cette caricature
Et cette ombre d'Hamlet imitant sa posture,
Le regard indécis et les cheveux au vent.
N'est-ce pas grand'pitié de voir ce bon vivant,
Ce gueux, cet histrion en vacances, ce drôle,
Parce qu'il sait jouer artistement son rôle,
Vouloir intéresser au chant de ses douleurs
Les aigles, les grillons, les ruisseaux et les fleurs,
Et même à nous, auteurs de ces vieilles rubriques,
Réciter en hurlant ses tirades publiques?"

J'aurais pu (mon orgueil aussi haut que les monts
Domine la nuée et le cri des démons)
Détourner simplement ma tête souveraine,
Si je n'eusse pas vu parmi leur troupe obscène,
Crime qui n'a pas fait chanceler le soleil!
La reine de mon cœur au regard nonpareil,
Qui riait avec eux de ma sombre détresse
Et leur versait parfois quelque sale caresse.

 

 

 

 

Hamlet, théâtre des Célestins, jusqu'au 3 avril.

 

08:45 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : hamlet, célestins, claire lasne-darcueil | | |

Commentaires

Mes condoléances à Willy... Z'ont eu Hamlet ces salopes... Enfin j'imagine assez la torture, et puis tenter d'entendre le texte malgré tout, se consoler des quelques éclats qui nous en parviennent au milieu de la bouillie.

Merci pour le poème de Baudelaire. Bien prophétique en effet. Bonne soirée à vous Solko, nettoyez-vous bien les oreilles et les yeux...

PS: Amusant cette histoire de théâtre, cela tenait de la boutade mais à la fois c'est vrai quand rien ici ne parait je vous imagine au théâtre...

PPS: Ah j'ai repris un peu l'essai de la petite Marie... Me voilà à peu près satisfait. Pouvoir passer à autre chose...

Écrit par : tanguy | vendredi, 27 mars 2009

Essaie l'ENSATT
c'est pendant les vacances.
En principe Schiaretti respecte les textes.
http://www.lyon-business.org/ccm/fr/navigation/consultation.jsp/hippolyte--la-troade_itemId=48229502/

Écrit par : Rosa | lundi, 30 mars 2009

Les avis sont partagés sur cette représentation.
Personnellement je m'attendais à pire, j'ai trouvé cette pièce plutôt dynamique par rapport à ce à quoi je m'attendais.
Et oui je suis "jeune" donc il faut que sa "bouge" ^^

J'avais peur de m'ennuyer... voilà pourtant que j'ai bien apprécié le spectacle. Pourtant les fonds sonores de death-metal de 3 secondes n'étaient pas très apprécier, de même qu'un Hamlet qui semblait joué une part de sa folie dès le début de la pièce. J'ajouterais que le passage du théâtre dans le théâtre (je crois qu'on appelle ça une mise en abime) était un peu long...

Mais finalement, la soirée fut sympathique. Merci de nous avoir proposé de voir cette représentation, quelle que fût sa qualité...

Écrit par : Celyus | samedi, 04 avril 2009

@ Ceylus :
Ah Ceylus ! Vous parlez de spectacle, et vous avez raison, on ne s'y ennuyait pas, le spectacle était divertissant. Mais moi, je parlais du théâtre, du théâtre qui était absent.
Ce qui est drôle, c'est que malgré nos discours qui semblent s'opposer, il se peut bien que nous soyons d'accord !

Écrit par : solko | samedi, 04 avril 2009

Les commentaires sont fermés.