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samedi, 01 novembre 2008

Le besoin d'absolu

 

Je m'étonne de trouver sous la plume de Victor Serge, de la même façon que sous celle de Léon Bloy, le mot absolu, récurrent, vindicatif, si j'ose dire d'un emploi absolu. Je suis frappé de retrouver dans les Mémoires d'un révolutionnaire, ce même thème du Besoin d'Absolu dont Bloy se fit le pèlerin. Cette ressemblance entre ces deux hommes, le vieux de la montagne et le jeune révolutionnaire contemporains et par ailleurs si opposés, si différents d'âge comme de convictions, ne devrait pas m'étonner. Elle m'étonne pourtant.

Elle me touche encore. Elle me plait ; l'un a jeté toutes ses forces dans la communion quotidienne et la dévotion à Notre Dame de la Salette, l'autre dans le militantisme et l'action révolutionnaire.

Tous deux dépeignent le monde des hommes comme un cloaque, un sordide cachot, et la vie dans la société régie par les lois de l'argent comme une sorte d'agonie perpétuelle, qui rend l'homme indigne de lui-même et de ses proches. Et dans l'intime conviction de tous deux, dans la courbe de leur écriture aussi, l'on sent poindre cette même ferveur, ce même enthousiasme - ces mots, d'ailleurs, reviennent souvent sous leur plume respective - pour ce qu'ils appellent l'Absolu, à la fois introuvable, infréquentable, mais désirable,  aimable au point d'y sacrifier l'attente et l'espoir de toute autre chose et de tout être, toute autre rencontre.

Victor Serge « Jeunesse présomptueuse, dit-on. Plutôt affamée d'absolu. La combine est toujours et partout, car on ne s'évade pas  d'une société, et nous sommes au temps de l'argent. (...) Où aller, que devenir avec ce besoin d'absolu, ce désir de combattre, cette sourde volonté de s'évader malgré tout de la ville et de la vie sans évasion possible »   (Mémoires d'un révolutionnaire, Bouquins, 510).

Léon Bloy :  « Malgré tout, je ne peux quitter cette pensée, cette certitude ancienne que je dois avoir ma revanche en ce monde et que mon drame, jusqu'ici plein de ténèbres et de sanglots, doit se dénouer avec splendeur.  Depuis plus de vingt ans, je compte les jours, en nombre inconnu, qui me séparent du grand jour où une puissance que j'ignore me sera donnée. Dans ma veille ou dans mon sommeil, j'entends l'appel des lieux profonds. »

 (Quatre ans de captivité à Cochons-sur Marne, 10 Juillet 1902, Bouquins, p 421)

 

Aujourd'hui qui s'achève presque, TOUSSAINT, jour de tous les saints, il me plait de les réunir tous deux dans ce billet, l'athée, le croyant, tous deux écrivains et amants de l'Absolu. Et, pour le clore, cette phrase de Bloy (26 juin 1902 - Bouquins, p 419 ):

« Horreur de vivre à une époque si maudite, si renégate, qu'il est impossible de trouver un saint. Je ne dis pas un saint homme, mais un saint, guérissant les malades et ressuscitant les morts, à qui on puisse dire : Qu'est-ce que Dieu veut de moi et que faut-il que je fasse ? »

 

23:22 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : léon bloy, victor serge, recherche de l'absolu | | |

Commentaires

L'athée et le croyant ont plus de ressemblances qu'ils ne le supposent. Primo, leur point commun reste l'idée de Dieu que le premier réfute en ne cessant de le nommer et que l'autre revendique en s'auto-persuadant. J'ai l'air d'émettre ici des évidences mais est-on toujours conscient du pourquoi de ses options ? En fait, oui - c'est bien le besoin d'absolu qui anime des êtres aussi opposés. Personnellement, là encore, je sais que je ne sais pas, ce qui m'incite à m'opposer aux discours absolus d'où qu'ils viennent. Quand on sera arrivés (pour faire référence à la chanson de Brel) nous serons peut-être enfin fixés ? ... Ou pas !
Je vois que vous avez à diverses reprises fait référence à Louis Calaferte que le hasard des spectacles m'a permis d'interviewer deux fois. Les enregistrements (K7) croupissent dans une boîte, quelque part ... A la fin, son épouse le rendait moins accessible mais j'ai conservé le souvenir d'un être à la fois chaleureux et très impressionnant. Il m'a semblé que les épreuves de l'existence l'avaient prématurément vieilli. Un peu manichéen quand même ! A la façon de Brecht ... N'importe, il valait plus que le détour.

Écrit par : simone. | dimanche, 02 novembre 2008

athée (le mot anglais atheist est plus précis dans sa formulation) = croyant négatif, rien de plus. quelqu'un qui CROIT et PRETEND qu'il n'existe aucune déité d'aucune sorte; en fait, sur terre, que des croyants.
(anecdote, j'ai rencontré sur le net un vieil anar qui avait intitulé son blog "athéisme et crédopathie" - ce dernier terme étant en lui-même déjà une insulte-, qui me dit "un athée ne croit pas, il SAIT"; "chapeau bas, lui-dis-je, enfin un homme à qui dieu lui-même a envoyé un texto pour l'informer personnellement de sa non-existence")

"...ce besoin d'absolu, ce désir de combattre,..." contradictoire (et non paradoxal) sauf si on applique à soi-même ce désir de combattre (voir corrida, lutte entre l'animal et l'homme)

"...sourde volonté de s'évader..." non-acceptation (généralement attribuée à des facteurs soi-disant extérieurs)


léon bloy est un personnage touchant par instants; quand on voit l'intérêt que lui porte certains lecteurs, on peut dire que cette intuition est juste; pour rester dans le monde chrétien, "au commencement était le Verbe"...parole, langage, écriture en sont des dérivés proches.

"Horreur de vivre à une époque si maudite, si renégate" toutes les époques sont les mêmes, on rejoue à chaque fois la divine comédie sur des tréteaux différents où seul le décor change.

Écrit par : gmc | dimanche, 02 novembre 2008

@ Simone : Comment, Simone ! Vous laissez croupir dans de vieilles boites des interview de Calaferte ? Il va falloir retrouver et sauver tout ça ! A la fin de sa vie ( 1928 - 1994, cela fait 66 ans), Calaferte était très malade, miné surtout par les épreuves subies dans l'enfance. Oui, pour Calaferte, il y avait vraiment des forces du Mal (associées au nazisme) et du Bien très cloisonnées dans leurs intentions. Je ne l'ai jamais rencontré, mais j'aime sa plume, sa non collaboration, sa résistance même, à la modernité éprise de structuralisme et d'innovation formelle... Un aventurier écrivain, vous savez, comme on est loin des trentenaires fils ou filles à papa qui composent leurs merdes sur un clavier avec des coton-tiges ! Ceux-là, hélas, risquent de faire de vieux os !

Écrit par : solko | dimanche, 02 novembre 2008

J'aime bien cette définition de " croyant négatif " là, on cible au plus près. Les athées sont presque toujours des idéalistes déçus qui sont passés d'un excès à l'autre. Entre les deux, il y a évidemment une blessure ... En dépit de ses jugements définitifs, Teddy est quelqu'un que j'aime bien et pas si anar que ça, finalement. Pour preuve, il vote ! Disons que c'est un libertaire virulent et puis il aime bien provoquer. C'est sa façon de préserver le peu de liberté que la société actuelle nous laisse encore. Vous allez me dire que comparativement à d'autres, nous n'avons pas à nous plaindre. Reste à savoir si cela perdurera ?

Écrit par : simone. | dimanche, 02 novembre 2008

@ GMC
Vous avez raison de le souligner, athéisme et humilité vont rarement de pair ! Ce qui me touche le plus chez Léon Bloy, c'est la vision historique qu'il a de son temps, l'exegèse constante qu'il en fait. La plupart de ses contemporains n'ont fait que saluer l'arrivée du modernisme et du progrès. Bloy assiste en témoin lucide et horrifié à la déchristianisation systématique du pays. Et c'est pour lui l'événement -si l'on peut appeler ça un événement- le plus important : pour rebondir sur ce que vous dites, il tente, et c'est une véritable entreprise, au sens rimbaldien du terme, d'être quelqu'un DE PAROLE...

Écrit par : solko | dimanche, 02 novembre 2008

@ Simone et GMC :
Est-ce bien lui ?
http://atheologie.hautetfort.com/

Écrit par : solko | dimanche, 02 novembre 2008

oui, c'est lui. il est sympa dans l'ensemble, mais terriblement sérieux et chiant par instants.

soit dit en passant, la laïcité n'a aucune chance de réussir dans son contexte actuel de vassalisation au crédo libéral "moderne" et, surtout, son absence de positionnement, toutes chapelles confondues, face à un point sur lequel toutes les religions se sont positionnées un jour ou l'autre: le profit.

sachant que la laïcité n'est qu'une religion comme une autre, c'est-à-dire un culte articulé autour d'une doctrine et de "valeurs".

simone,
pour calaferte, je suis d'accord avec solko, il faut ressortir vos bandes, ça me rappellera les crises de fou-rire que m'ont procurées septentrion ou le requiem des innocents, des écritures qui pulsent comme la sienne, il n'y en a pas des dizaines en plus.

Écrit par : gmc | dimanche, 02 novembre 2008

Pour l'heure, autant rechercher une aiguille dans une botte de foin ! Ma désespérance actuelle est de savoir une bonne partie de mes livres ainsi que mes archives radiophoniques (j'ai sévi durant 20 ans sur la bande FM, enregistrant toutes mes émissions) coincés à la cave. J'avais verrouillé les K7 et elles sont dans des boîtes en plastique mais quand même !
Ici, je ne peux pas reculer les murs ... Il me faut encore tenir le coup durant quelques mois.

Écrit par : Simone. | dimanche, 02 novembre 2008

@ GMC : un positionnement commun de toutes les chapelles de la laïcité par rapport au profit, vous avez raison de dire qu'il n'y en a pas de manière explicite. Il n'y en aura jamais de franchement dit. Quand, en même temps, vous parlez de "vassalisation au credo libéral", vous nous donnez la réponse. On retrouve là le point commun entre Bloy et Serge, le croyant et l'athée, la détestation souveraine d'une société régie par les seules forces de l'argent et de sa répartition entre les hommes...

Écrit par : solko | dimanche, 02 novembre 2008

@ Simone : Si je comprends bien, il ne nous reste plus qu'à prier nos dieux ou nos non-dieux pour que les boites en plastique tiennent le coup.
A moins que la radio n'ait conservé des archives ?

Écrit par : solko | dimanche, 02 novembre 2008

La posture de Bloy est en effet "touchante" mais infiniment tragique, elle donne le sentiment de vivre entre deux mondes, comme si Bloy avait creuse son nid entre deux vagues, regrettant le fracas de la première, espérant le fracas de la seconde. C'est cette croyance en un absolu, un monde supérieur qui est fascinante.

On en arriver à créer une synonymie entre absolu et ailleurs, seulement la sémantique de ces termes est en mouvement perpétuel. Ce que vous soulignez à merveille.

Écrit par : Léopold | dimanche, 02 novembre 2008

Amen ! ... Mieux vaut dire les radios car j'ai dû en fréquenter 6 en 20 ans. Maintenant les antennes thématiques ont disparu ou presque. Les seules qui subsistent sont confessionnelles ou politiques. En outre, ils ne sont tenus de conserver les enregistrements que durant une période précise (assez restreinte) et comme ce n'est pas le perfectionnisme qui les étouffe, vous voyez ce que je veux dire ? ... Gagnant ma vie par ailleurs, pour cette activité je m'autofinançais complètement. Que n'aurais-je fait pour assouvir ma passion théâtrale ? ...

Écrit par : simone. | dimanche, 02 novembre 2008

Je connais un saint homme mais je ne dirai pas son nom afin de respecter sa modestie innée.

Écrit par : Porky | dimanche, 02 novembre 2008

@ Porky : Mais, si vous avez bien lu le billet, "saint homme" ne vaut pas "saint"...

Écrit par : solko | dimanche, 02 novembre 2008

@ Léopold :
Avez-vous pu écouter Glaudes ?

Écrit par : solko | dimanche, 02 novembre 2008

@ Simone.
Nous avons été nombreux à sacrifier pas mal de choses au théâtre, à l'époque. Il n'y a rien à regretter. Avoir rencontré Calaferte ( entre autres) est un souvenir précieux.

Écrit par : solko | dimanche, 02 novembre 2008

je vous lis tous ici avec intérêt, reconnaissance, pour ce que vous laissez les uns et les autre entrevoir...

Écrit par : Sophie L.L | dimanche, 02 novembre 2008

J'ai effectivement eu la chance de rencontrer des gens très intéressants tout au long de ma vie. Je leur dois beaucoup.

Écrit par : Simone. | dimanche, 02 novembre 2008

@ Simone et Sophie :
C'est un façon très agréable de passer ce "jour des morts" que d'évoquer des morts comme Calaferte.
@ Simone : Vous en avez d'autres ainsi, dans vos "cartons" ?

Écrit par : solko | dimanche, 02 novembre 2008

Je n'ai que survolé les commentaires alors, il est possible que j'énonce une redite...Il me semblle cependant qu'on confond un peu "besoin de religiosité" et "religion"...
Athée ou pas, il y a une quête de l'absolu. Pourquoi cette quête serait-elle réservée aux seuls croyants et dirigée vers un dieu ?
Cette quête humaine a été dérobée et enrobée de dogmes...Je crois bien...Dieu et les religions se sont engouffrés dans un besoin fondamental.
"Moi qui suis, dieu merci, un mécréant honnête"
Vers auto-censuré du manuscrit le mécréant " G.B

Écrit par : B.redonnet | lundi, 03 novembre 2008

Oui, j'ai pu l'écouter sur Barbey, il n'a pas manqué d'évoquer Bloy également. C'est un corpus d'écrivains que malheureusement je méconnais un peu trop (Barbey, Bloy, Huysmans entre autres)

Écrit par : Léopold | lundi, 03 novembre 2008

@ Bertrand : "Athée ou pas, il y a une quête de l'absolu, nous sommes bien d'accord : C'est bien cela que le billet mettait en valeur : le même besoin d'absolu, chez un Bloy ultra catholique et chez un Serge ultra révolutionnaire.

Écrit par : solko | lundi, 03 novembre 2008

C'est une des raisons pour lesquelles, j'aime immodestement me définir comme athée, mais pas comme matérialiste...
Les matérialistes purs et durs sont aussi dogmatiques, sinon plus, que les ayatollahs de toutes les chapelles.
Et puis appréhendre le monde qu'au travers la seule matière, c'est aller un peu vite en besogne. Des raccourcis rassurants, pratiques...

Écrit par : B.redonnet | lundi, 03 novembre 2008

@ Bertrand : Les textes que je lis de vous, chez vous, dévoile en effet un travail d'écriture qui écarte ces définitions théoriques pour mettre en avant du ressenti

Écrit par : solko | lundi, 03 novembre 2008

relatif

l’absolu est un mâyâge de plus
un horizon qui s’éloigne à son approche
une limite ni plus ni moins matérielle
que monnaies et autres faits de société

la voie du désir
insatisfait
et artificiellement prolonge l’égo
dans un carcan moribond
loin des effluves polychromes d’héliotrope
qui émanent des ombres les plus denses
pour aviver les danses nuptiales
de la transparence

Écrit par : @ude | lundi, 03 novembre 2008

Je découvre avec retard ce beau poème.
Mille mercis à son auteur.

Écrit par : solko | dimanche, 09 novembre 2008

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