mardi, 20 janvier 2009
Chronique de Loulou, du nouveau président des Usa, et de la vie derrière des barreaux
L’éléphant Loulou naquit vers 1900, dans une forêt du district de Pnom-Penh, au Cambodge. Ses yeux pétillants de malice, sa trompe fusant par dessus les barreaux, sa démarche à l’amble ont enchanté des générations d’enfants lyonnais du début du vingtième siècle, jusqu’à le transformer en un héros de cartes postales. En voici une.
Troublante, cette carte postale ancienne, non ? On sait que l’éléphant est fait pour vivre en troupeau, et Loulou, tout spécialement, ne supportait pas la solitude. Seul de son espèce et perdu au milieu de bipèdes indiscrets, il mesura le risque de devenir soit neurasthénique, soit paranoïaque. Aussi, à force de protester contre l’exiguïté de son logis, tantôt en en tordant les barreaux, tantôt en les descellant, il eut finalement gain de cause en 1928 : Vous vous demandez comment je sais tout ça, non? Il suffit d’aller interroger le personnel du Parc de la Tête d’Or ; là-bas, l’éléphant Loulou est encore une vedette, comme James Dean ou Greta Garbo. On le sortit donc de sa cage trop étroite pour lui aménager un enclos plus décent, muni d’un bassin à sa taille pour sa baignade quotidienne, mais toujours, hélas, toujours trop solidement grillagé à son goût. Là-dessus, Hitler envahit la Pologne et la Seconde Guerre mondiale éclata : Loulou finirait sa vie dans l’indifférence des photographes, ignoré dorénavant de ses petits visiteurs, loin – c’était peut-être mieux pour lui – de tout ce peuple de curieux lilliputiens, et sans avoir compris au fond pourquoi il avait dû quitter le Cambodge.
Son histoire vous intéresse encore ? Cela change de l’investiture d’Obama dont causent toutes les radios, non ? Franchement ? Un peu d’air frais, toujours, fait du bien. Et donc, Loulou : Eh bien Loulou, à la Libération, quand les affaires du zoo reprirent, il fallut lui trouver un successeur, hé oui, puisqu’il était trépassé - ici, interdiction de pleurer, car je n'ai pas de mouchoir disponible -. Or donc il se trouve (fort vieille façon de parler, « or donc il se trouve », n’est-ce pas ?) qu’un préfet du Rhône d’avant-guerre, Emile Bollaert (devenu entre temps Gouverneur d’Indochine – prononcez bollaaarte, comme le stade de Lens - ndrl) était un excellent ami d’Edouard Herriot (Edouard Herriot, record de durée à la mairie de Lyon avec 50 ans - ndlr). En 1948, Emile fit donc don à Edouard – qui le largua aussitôt au parc zoologique de Lyon - d’un éléphanteau âgé d’une vingtaine de mois, qu’on baptisa Mako. Ce nouvel et juvénile arrivant dans l’ancien box de Loulou mena un début d’existence plus calme que l’ancêtre, et traversa sans faire de vagues les présidences de messieurs Auriol et Coty. Survint le général de Gaulle, Mako ne broncha pas. Les fameux événements de mai, Mako continua de brouter son herbe et de s'en foutre. En 1969, alors qu’il avait tout juste vingt et un ans, des circonstances dramatiques lui permirent toutefois de sortir d'une torpeur qui risquait de devenir maladive puisque même l'accession de Pompompompompidou à la Maison Blanche à l'Elysée le laissait de marbre : on menaçait alors, en effet, d’abattre trois femelles du cirque Amar, Pankov, Maosi, et Java, dont les piétinements affolés venaient de tuer une enfant durant une représentation. En acceptant de les héberger, le Parc de la Tête d’Or leur sauvait la vie. Toujours las de l’investiture présidentielle ? Pas de problème, écoutez la suite :
A l’occasion de l’arrivée des trois éléphantes de cirque, on aménagea au Parc de la Tête d’Or une véritable éléphanterie à ciel ouvert, munie de larges fosses sans barreaux. Si Pankov, Maosi, Java, habituées à obéir au doigt et la baguette, investirent les lieux sans encombre, il fallut assoiffer Mako durant 15 jours pour l’obliger à quitter son vieil enclos de célibataire et passer sur un pont, spécialement construit à l’intention des quatre pachydermes par l’armée. Pauvre, pauvre vieille bête ! Et comme elle était loin, son Indochine (désolé, toujours pas de mouchoirs sous la main) !
L’existence des quatre éléphants s’écoula dès lors dans une paix relative. L'histoire se met à partir de là à fleurer bon sa petite maison dans la prairie : Un enclos plus large, trois compagnes pour lui tout seul ; Mako n’avait pas, comme son prédécesseur Loulou, de raisons de ruer dans les brancards. Pourtant, le Parc de la Tête d’Or n’étant pas souvent balayé par les grands vents d’Asie, mais plutôt par l’air plombé lyonnais, aucun éléphanteau ne naquit en captivité. En revanche, les gardes joviaux racontent qu’un jour, une jolie visiteuse s’étant approchée trop près de la fosse, elle se trouva happée par une trompe indélicate. Ah ! Le tissu de sa robe fut emporté, et la dame, toute frissonnante de peur, de froid et de honte, se retrouva en petite tenue devant un pachyderme incrédule.
Fin tragique : Après cinquante ans de bons et loyaux services, Mako fut découvert par son animalier couché sur le côté de son box, le matin du 21 janvier 1998. Une paralysie spasmodique ayant gagné ses quatre membres, l’euthanasie fut décidée. Par deux fois l’année précédente, il avait fait la une des journaux en chutant dans le fossé intérieur du bâtiment. Son cadavre a été donné au Muséum d’Histoire Naturelle de Lille.
Des trois femelles, seule Java est encore en vie. Depuis le 26 mars 1999, elle a trouvé deux nouvelles compagnes : Baby et Népal. Voilà, c’est fini. Vous pouvez retourner vivre un jour historique. C’est pas le D Day, mais presque : L’Amérique a un nouveau président. Mais l'éléphant est irréfutable. Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand.
20:59 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : loulou, obama, usa, lyon, politique, zoo, actualité |