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dimanche, 31 octobre 2010

La chaussure au milieu de la route

 

La chaussure n’est pas seulement au milieu de la route, elle est aussi au centre du recueil. Comme la seule trace métonymique qui demeure du personnage, après disparition. Un symbole de l’identité perdue, si l’on veut. Le personnage ? Chaque nouvelle s’organise autour d’un,  plus particulièrement. Et en général, ce dernier finit mal.  Ou bien il finit autre, comme dans la Veuve.  Ou plutôt, pour dire bref, il ne finit pas, il finit même, puisqu’on le retrouve dans la peau du héros de la nouvelle suivante. Car il s’agit bien de « Variations solipsistes ». Variation sur le seul soi-même, autrement dit, entendu ce soi-même que le lecteur reçoit en partage le temps d’une lecture, ce soi-même autour duquel la matière textuelle de chaque nouvelle s’organise.

Les décors, ce sont souvent des routes. Ou bien des bureaux. Une plage. Des chambres d’hôpital. Pour ce narrateur, « maniaque de la précision », on sent que le lieu n’est pas d’une importance capitale puisque le véritable décor est surtout la conscience éprouvée de son personnage, que ce dernier ait dévoré trop de  Laforgue ou qu’il soit tout juste sevré de Nietzsche. Je ne voudrais pas déflorer ici les intrigues, puisque chacune entretient son suspense particulier. Plus que la chaussure, il est un objet dont la situation est placée bel et bien au milieu des préoccupations de Stéphane Beau, cet objet, c’est le livre. Le livre par lequel, en effet, nous avons tous pu rêver le monde (où le monde nous a rêvés), le livre par lequel nous nous sommes tous aussi conçus, et ce faisant auto-condamnés à l’étrangeté du solus in ipse. Or, en lui apportant tout ce dont il a besoin pour se dire (une unité de temps de lieu, d’action) la nouvelle est un genre qui convient tout particulièrement au « solipsisme » tel que Stéphane Beau le pratique, et qui opère finalement comme le centre nerveux de chaque intrigue, un basculement du personnage, qui d'autre devient lui-même.

J’ai rencontré Stéphane Beau à travers Georges Palante. Du moins à travers la réédition qu’il avait donnée, en 2007, d’un petit texte de ce dernier, La sensibilité individualiste.  M’attendais-je à retrouver trace du vieux philosophe de Saint-Brieuc dans le parcours de ces nouvelles ?  Au détour de l'une d'entre elles, Journal Intime, je découvre en tout cas le patronyme  de celui qui avait causé indirectement la mort de Palante, ce  Jules de Gaultier avec lequel il s'était battu en duel, et le trouver là me semble tout naturel. Le héros de la nouvelle vient alors d’acheter une de ses œuvres et se fait cette réflexion  : « Son livre s’intitule le Bovarysme. Le thème me convient bien, puisqu’il parle de cette capacité qu’ont les êtres à se concevoir systématiquement et inexorablement différemment qu’ils ne sont ». Ce qui habilement nous ramène au projet philosophique qui sous-tend la trame de chaque récit : perpétuels étrangers à soi-même et aux autres, et soumis aux aléas d'un Réel rêvé qui brutalement se retourne contre eux, les héros de Stéphane Beau sont tous victimes du reflet qu’ils ont fabriqué de leur propre substance. Leur aventure, pourtant fantastique, renvoie ainsi le lecteur vers l’expérience la plus quotidienne qu’il fait de son propre enfermement en lui-même. La réussite littéraire du nouvelliste se niche là, dans cette capacité qu’il a de  rendre chacun,  in fine, lecteur de sa propre duplicité.

 La chaussure au milieu de la route : parmi tous les ténors de  la rentrée littéraire, un livre discret mais efficace, et qui mérite de trouver sa place parmi les piles et d'y laisser de nombreux trous.  

 

 

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LA CHAUSSURE AU MILIEU DE LA ROUTE  Variations solipsistes

De Stéphane BEAU  - Durand-Peyroles - Septembre 2010

 

lundi, 11 octobre 2010

La Chaussure au milieu de la route

Après son roman le Coffret, Stéphane Beau publie aux éditions Durand-Peyroles un recueil de nouvelles au titre alléchant : car enfin, que peut bien faire une chaussure au milieu de la route ? C'est ce que se demandera tout être sensé, dans l'attente de pouvoir découvrir les onze nouvelles de cet ensemble sous titré Variations solipsistes. En attendant, justement, de pouvoir vous en dire plus, je vous livre la quatrième de couverture :

3019739561.JPGOnze nouvelles, onze variations autour d’un même thème : le solipsisme, défini comme étant le constat que, quoi qu’ils fassent, disent ou pensent, les hommes sont condamnés à être de perpétuels étrangers : aussi bien vis-à-vis des autres que d’eux-mêmes. Onze histoires, donc, mettant en scène des individus enfermés en eux-mêmes, ne parvenant plus à différencier leurs rêves et la réalité, leurs illusions et leurs désillusions, la raison et la folie… Onze destins confrontés à l’absurde et saisis au moment où ils atteignent leur point de rupture. Certains des héros des nouvelles rassemblées dans La Chaussure au milieu de la route trouveront une échappatoire. D’autres se briseront ou sombreront dans la folie… Onze histoires simples, directes, sans effets de style, qui se lisent d’une seule traite, mais qui laissent dans la bouche un goût amer et auxquelles on songe et resonge encore longtemps après avoir tourné la dernière page…

 

Le volume coûte 14 € et peut être commandé directement auprès des éditions Durand-Peyroles, ou en envoyant un mail ICI, pour celles et ceux qui souhaiteraient recevoir un exemplaire dédicacé.

 

 

 

 

05:47 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : stéphane beau, littérature, actualité, nouvelles, durand-peyroles | | |

vendredi, 04 septembre 2009

Palante et l'individualisme

Sensibilite_palante055.jpgOn  doit à Stéphane Beau, la réédition chez 1001nuits (octobre 2007) de deux petits essais de Georges Palante,  La sensibilité individualiste et Anarchisme et individualisme. Georges Palante, tous les lecteurs de Louis Guilloux le savent, fut le philosophe qui lui inspira le personnage de Cripure du Sang Noir. La rencontre des deux hommes date d’octobre 1916 : Louis Guilloux, alors pion dans le lycée de Sant-Brieuc, lisait la Fin du voyage de Romain Rolland quand le professeur de philosophie, Georges Palante, s’approche et demande au jeune homme s’il consentirait à lui prêter le volume.

Le lendemain, Guilloux porta lui-même le livre chez le professeur. L’amitié naquit.

« Je considère Palante comme mon premier maître ». « Je ne puis imaginer ma personnalité distincte de la sienne » : Dans ses Souvenirs sur Georges Palante et dans L’Herbe d’oubli, Louis Guilloux a souvent rendu compte de sa dette : lui et Palante avaient des «vues communes sur la vie sociale». Dans un dialogue intérieur plein de sérénité, il avoue à celui qui fut le modèle de Cripure : « Ce personnage, ce n’était pas lui, mais nous, lui et moi », ajoutant à l’adresse de son ami suicidé : « tes ennemis ont toujours été les miens ».  

Ceux qui se sentent également floués par le socialisme délétère des années quatre-vingts, l'écologie bavarde et électoraliste ainsi que le libéralisme planétaire qu’il aura contribué à mettre sur le trône depuis le début du vingt-et-unième siècle, ceux que ne satisfont ni l’égalitarisme aussi démagogique que nauséeux de la « gauche » ni l’affairisme marchand et revanchard de la « droite », et qui se demandent de quelle façon, tirer leur individu du naufrage collectif verront une planche de salut dans la philosophie individualiste prônée par Palante.

Cet individualisme, le philosophe en dessine les contours dans une résistance de chaque instant aux idéologies dominantes, un vif besoin d’indépendance, un amour pour la culture et la paix, un pragmatisme lucide devant la nature humaine et la société des hommes. Il n’est à confondre ni avec l’égoïsme primaire, ni avec la défense de ses seuls intérêts, ni avec l’anarchisme utopique, ni avec le volontarisme syndical.

C’est avant tout, affirme Palante qui cite abondamment Amiel, Constant et Stendhal, une sensibilité qui affirme l’unicité du moi et se déjoue de toutes les utopies susceptibles de le corrompre. Ces deux textes courts et lisibles de tous, pour la modique somme de 3 euros, constituent donc une introduction accessible à tout lecteur désireux de pénétrer l’œuvre et la pensée de ce philosophe injustement mis à l’index durant tout le vingtième siècle. Merci à Stéphane Beau,  dont le site le Grognard est en lien ici, pour cette ré-édition dont la rentrée 2009 doit garder le souvenir.

 

Liens à suivre : Georges Palante, un précurseur oublié de la sociologie de l'individu, par Stéphane Beau