lundi, 22 novembre 2010
JFK-63
Sans doute aurais-je oublié l’assassinat de JFK – ou du moins n’aurait-il eu que très peu d’influence sur mon imaginaire d’enfant – si cet événement d’une ampleur internationale n’avait coïncidé avec l’entrée dans la salle à manger familiale du poste - alors en noir et blanc et équipé d’une seule chaîne- de télévision. Le 22 novembre 1963, à 12h 30 donc. En France, c’était presque l’heure du journal télévisé.
Je me souviens que le lendemain, qui était un samedi, toutes les unes de la presse écrite reprenaient ces images : Jackie à quatre pattes, sur le coffre de la voiture, Johnson prêtant serment dans l'avion, aux côtés de la veuve dont la veste est encore tachée de sang, la bobine de Lee Oswald, l’assassin présumé. Et, dans les pages intérieures, des schémas du crâne du président, de face, de profil, montrant des trajectoires de balles à travers la gorge et le cerveau. Sur mon petit bureau, détective méticuleux de l’Histoire en train de filer, je m’entraîne moi aussi, avec des règles et des compas, à profiler ces fameuses trajectoires, à travers des schémas de crânes que je reproduis sur papier millimétré.
Mais décidément ce mois de novembre 1963 réserve encore bien des surprises. Le dimanche soir, on apprend que l’ennemi public n°1, l’assassin du gentil président, vient d’être flingué à bout portant et en direct par un type à chapeau et à revolver comme on n’en voyait que dans des reportages sur la prohibition. Haletant. Un vrai thriller, l’actualité. Ruby, qui rime avec boîte de nuit. Et qui de surcroît est juif comme Oswald marxiste. Très excitant, tout ça, quand on est gosse. On sent qu’autour de soi, tout peut s’embraser très vite. A l’esprit voltigent les scénarios. Dézinguer un président, c’est presque comme dézinguer un roi : même si tout le monde le dit, que Ravaillac n’était qu’un barjo, y’a toujours quelque chose qui espère que non, et qu’on saura un jour, et qu’il y a des raisons à tout ça, tout ça..
De tout ce tohu-bohu, je retins à l’époque plusieurs lois : la première, c’est que l’histoire était dorénavant lointaine, très lointaine. Elle viendrait certes nous solliciter de temps en temps par cette nouvelle lucarne où ne cesseraient plus de se passer des choses (quel défilé, le monde !), mais toujours, elle finirait par se retirer, marée tranquille. Et lentement tout se rendormirait.
Quand le gros des troupes se fut habitué à l’image plutôt qu’à l’événement, tout se rendormit en effet pour de bon dans ce vieux pays qu’est la France.
C’est comme ça qu’un beau matin, sans s’en rendre compte, toute la famille, après avoir assisté au meurtre de Kennedy, se retrouva en weekend sur la lune. Puis, sans dommages, put regagner finalement ses pénates. Avant de poursuivre d’autres virevoltantes aventures dans le monde enchanté du petit écran. Chez moi, mon pote, on a suivi main dans la main Mitterrand jusqu’au Panthéon quand il a déposé sa putain de rose sur le catafalque de je ne sais plus quel Jean. On a fait je sais plus combien d’enterrements. On a libéré plein d’otages, si, si ! On a même foncé sur le World Trade Center jusqu’à s’enquiller dedans, et en sortir tous indemnes. On a gagné et perdu des Coupes de monde de foot, allez Zizou, et tout, et tout.
La deuxième idée, c’est que les puissants n’étaient pas invulnérables. Ce crédo-là, le peuple adore l’entendre. La messe cathodique reprenant d'un ton moins solennel que Bossuet la messe catholique, qui professa que le malheur des grands instruisait les petits. Te souviens-tu de Diana et du pont de l’Alma ? Poor princess…
En 1963, je compris que je n’étais pas le fils du Président des Etats-Unis, que j’avais une chance minime de devenir un Grand de ce monde, mais qu’au moins, si je me tenais à carreau, je ne me ferai point tirer comme un lapin de garenne dans sa décapotable, entre une palissade et un dépôt de livres, dégommé par mon vice-président ou par un complot de la mafia.
C’était toujours ça qu’on gagnait à vivre modestement.
J’en viens, de toutes, à l’idée qui me marqua le plus à l’époque, tandis qu’avec une fascination de thanatologue, je contemplais les images de ce cadavre de président fauché en pleine course et débité en tranches dans le monde entier, à grands coups de rotatives : c’est que l’Amérique est vraiment rien qu’un pays de cow-boys. Tiens ! C’était pas dans notre hexagone à nous qu’un tel truc se serait passé ! Dans mon petit Larousse des noms propres, j'appris alors que le dernier président français assassiné par un déséquilibré, ça remontait tout de même à 1932. 1932 : une sorte de pré-histoire.
Le monde s'est-il remis de cette affaire non élucidée ? J'ai le sentiment qu'il a battu depuis au rythme d'une dramaturgie subtilement initiée en ce temps-là : Lee Harvey Oswald, J.D. Tippit, Jack Ruby, John Ligget, Malcolm Wallace, Henry Marshall... Se levèrent un et un successivement une quantité de seconds rôles pour cette saga haletante, première d'un genre mêlant romanesque et politique qui, depuis, allait faire florès, jusqu'à son remake en juin 68, dans un hôtel de Los Angeles, avec cette fois-ci, dans le rôle du fanatique jeune et déséquilibré, non plus un juif ou un marxiste, mais un palestinien...
John & Jackie, 1960
08:01 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : politique, jfk, dallas, kennedy, assassinat, usa, novembre 1963 |