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lundi, 03 juin 2013

La recherche

 Le domaine importe peu, c'est le chercheur qui compte. Jacqueline de Romilly aurait très bien pu énoncer ce lieu commun. Il devient d'ailleurs de plus en plus vrai. Si, dans la Grèce antique, le champ d'exploration était encore large, aujourd'hui, avec le nombre de travaux publiés ou non qui s'empilent dans les bibliothèques, et tandis que le marché contrôle le champ de la recherche pour l'instrumentaliser dès qu'il le peut, que peut-on, en tant qu'individu, espérer découvrir ? De quelle utilité pour autrui peut-on se prévaloir ?  L'objet d'étude n'est plus en soi une raison suffisante de passer des heures, des semaines, des mois de sa vie dans un travail. Le bien commun, la cause de l'humanité plus trop non plus semble-t-il. Mais la construction de soi, oui. L'exploration de ses capacités intellectuelles réelles, de ses limites éprouvées, de ses repères efficients, oui. A l'heure où l'objet s'accumule, le sujet n'a jamais été si précieux.

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07:52 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jacqueline de romilly, recherche | | |

dimanche, 19 décembre 2010

Lucide et disparue

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Le monde actuel est complexe, changeant. L'idée du législateur semble être qu'il faut donc faire à ces complexités et à ces changements la plus grande place possible, afin d'y habituer les jeunes en leur enseignant les données : les données sociales, en premier lieu, évidemment, et aussi les données politiques, techniques – en bref, l’actualité. Cela leur plaira plus, les intéressera plus, dans la mesure où l'enseignement rejoindra la presse, la télévision, les débats de la table familiale ou du groupe syndical. Ils ne seront pas désorientés, parce qu'ils seront immédiatement insérés, jetés dans le bain.

Je voudrais plaider, de toute mon âme, pour une démarche exactement inverse. Je crois que la force de tout enseignement par rapport aux « événements qui font l'histoire du monde » est d'imposer aux esprits un détour. Si l'on veut s’orienter convenablement, dans une promenade au cours de laquelle on doit retrouver son chemin, il faut prendre, en pensée, du recul. Il faut se retourner, voir d'où vient le chemin que l'on est en train de parcourir et où sont les repères, recourir à une carte, sur laquelle le paysage confus, masqué de buissons et d'arbres, d'ombres et de creux, se ramène à un tracé schématique, couvrant un horizon bien plus étendu et qui soudain rend compte du paysage. Il en va de même dans les choses de l’esprit.

Complexe, notre société ? Ô combien ! Mais dans ce cas, pour l'appréhender, pour la comprendre, pour en comprendre les problèmes et les tendances, il faut précisément faire le détour et apprendre à connaître d'autres sociétés plus simples. Je crois que, dans l'ordre des conduites humaines, les problèmes peuvent être posés avec une force accrue, lorsque se découvre, au niveau de la famille ou de la cité, le premier exemple éclatant d'un dilemme humain : la mort d'Antigone et la mort de Socrate aident à comprendre l'héroïsme et à le sentir sans sa simplicité absolue.

Ecole vient d'un mot grec signifiant loisir. L'étude doit être à la pause féconde et enrichissante où l'on s'arme pour la vie et pour la réflexion, et où l'on entre en possession de tout un trésor humain, que plus tard on n'aura plus, en général, ni le temps ni l'occasion de découvrir. Peu importe que les jeunes, au sortir de l'université, soient un peu hors du temps, un peu trop entourés d'amis tels que Socrate ou Descartes, Antigone ou Ruy Blas, Virgile ou Rimbaud : la télévision, la radio, le cinéma, rétabliront, toujours bien assez vite, l'équilibre.

Mais si ce sont juste de petits énarques ou de petits syndiqués bien au courant des dernières réglementations et du cours des monnaies, qui rétablira l'équilibre ? Pour tout, il faut du temps, et des exercices austères. Il est besoin de ce qui paraît être inutile et inactuel. C'est cela que l'on appelle la culture, au sens actif du terme.


Jacqueline de Romilly (1913-2010) L'Enseignement en détresse 1984)