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jeudi, 17 juillet 2014

Les coureurs dans les vignes

Il y a bien, dans le Tour de France, le meilleur comme le pire.

Le pire, tout d’abord : cette caravane interminable qui balance sur les routes de France des tonnes de saloperies ; non, pas des fruits secs ou des biscuits bio, mais des chips emplies de sel et de gras et des haribos sucrés, par grappes sur les familles amassées le long des talus. Le Tour de France, comme la Coupe du Monde ou une campagne électorale, c’est avant tout une gigantesque opération de communication

Qui en contient d’autres, selon le principe des poupées gigognes. Celles des sponsors, des partenaires, des équipes, de la gendarmerie nationale, des médias, des coureurs eux-mêmes, bref … Chacun y communique qui pour sa chapelle, qui pour son maillot.L'objet publicitaire traîne partout, comme la carte de visite au salon du livre. 

Le côté spectaculaire de l’affaire, aussi, bigarré, festif et coloré. Certains diraient peut-être franchouillard ou beauf, je n’en sais rien. Dimension indéniable, le peuple  que les medias ont façonné au sortir des Trente Glorieuses, dans toute sa splendeur. Derrière tout cela, il y a les belles choses.

Quand la caravane est passée et qu’on attend les coureurs, cette route soudainement vide, telle un tapis sinueux parmi les vignes. Comme elle brille, silencieuse. On s’y balade à pieds ou en vélo, on y musarde en paix, on y goûte le silence et la sûreté comme au temps de l’avant Denis Papin. La route est libre, le moment est irréel, le silence reprend ses droits, plus une bagnole, c’est la fête aux lézards et aux lapins.

Les coureurs sont loin encore. Suivre le Tour, cela n’a de signification réelle que symbolique, car il faut avoir en tête que le cycliste est autant un individu affranchi que le membre assujetti d’une équipe. Et le peloton se vit comme une petite cité, une corporation, avec sa hiérarchisation presque féodale. On sent bien que tout exploit individuel ne peut survenir que de très loin, et que nul ne gagne contre cette étrange municipalité roulante.

Hier, il y avait pour finir la campagne beaujolaise.  Le Beaujolais, c’est le pays des vignes et des pierres dorées. C’est un beau coin de France, d’Odenas à Oingt, de Saint-Laurent à Chatillon, sinueux au vertical, par des chemins qui ne savent pas ce qu’est le plat, autant qu’à l’horizontal, à travers les coteaux où le raisin mûrit. Il faisait 35°, sur le pays. « Ça cogne aujourd’hui », disait jadis ma grand-mère, en plantant sur ses cheveux blancs un chapeau de paille, d’été en été plus esquinté. Puis nous allions cheminer par ces coteaux brûlants, jusque la rivière. Mais eux ne musardent pas. Ils ont une victoire d’étape, une place au classement, un rang à tenir, une prime et une augmentation en tête.

Le Tour est joli parce que la France est jolie : j’entends, cette France des paysages, cette France déconnectée des métropoles, du commerce, de la politique et des écrans. Cette France de la transmission. J’ai entendu une mère crier à son petit qui courait devant :  «Ça cogne, mets ton bob ! ». Et lui plongeait malicieusement sa main dans un sachet de haribos, pour en enfourner deux ou trois dans sa bouche.

Aujourd’hui encore, il y a eu des chutes, des abandons. Le Tour n’a de sens et de beauté que s’il est compris comme métaphore de la vie. J’ai appris aujourd’hui le décès d’un de mes anciens élèves. Il avait l’âge de ces coureurs, il s’est tué en vélo, paraît-il.  

Et puis la course se prolonge, se poursuit. Elle va se poursuivre au-delà de cette étape, au-delà de ce Tour 2014, avec son lot de consolations impossibles, de dépassement de soi, de renoncements  et de victoires. Au-delà de ces coureurs et de ces spectateurs. Un long fil ... Chanceux sont ces coureurs de le disputer,certes, ces spectateurs d’y participer à leur façon.  C’est ainsi que j’ai fini par lire le Tour, malgré sa caravane publicitaire, le grand show du village départ, les clips culturels de France-Télévision et la pauvreté des éléments de langage des commentateurs, de « satisfaire un besoin naturel » à « avoir des sensations dans les jambes»…A l'instant, les coureurs étaient dans les vignes.  Ils seront bientôt  dans les alpages. Un jour, ils ne seront plus. Nous non plus. Nous n'avons qu'un dossard. Comme le chantait Barbara, accrochée à son piano comme ceux-ci à leurs vélos, artiste jusqu'au bout des doigts comme eux, à leur façon, jusqu'au bout des pieds, l'important, c'est de bien faire son numéro.

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22:00 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : beaujolais, tour de france, cyclisme, littérature, barbara | | |

Commentaires

Votre ancien élève était un ami de ma fille qui est elle aussi une de vos anciennes élèves. C'était un sportif confirmé, cycliste mais précautionneux comme l'a dit son papa. Il rentrait de son travail. Il a été fauché quai Gillet par un automobiliste qui avait 1g50 d'alcool dans le sang. Celui-ci a pris la fuite, mais il a été rattrapé. Tout le monde est bouleversé...
Comment peut-on lutter contre cette alcoolisation dévastatrice...
Combien de familles endeuillées par ce fléau...
Que font vraiment les pouvoirs publics...

Écrit par : Anne.D | vendredi, 18 juillet 2014

Dans son message, votre fille ne me parlait pas des circonstances de son décès. Terrible, terrifiant, ce que vous m'apprenez là.
J'apprends que le chauffard ivre qui l'a tué a été laissé libre, après un délit de fuite et une alcoolémie au dessus du taux légal. Les juges ont perdu l'esprit !

http://www.tonicradio.fr/toute-l-actu-locale-de-lyon/31944-il-renverse-et-tue-un-cycliste-et-nest-pas-incarcere-

Écrit par : solko | vendredi, 18 juillet 2014

On laisse un chauffard ivre meurtrier en liberté et on met neuf mois ferme à une femme qui a proféré des paroles désobligeantes...
Je suis très choquée et très triste.

Écrit par : Anne.D | vendredi, 18 juillet 2014

Nous savons tous que l'égalité est un leurre, surtout sous le règne de ceux qui braillent sans arrêt à l'injustice et à la discrimination.
W... n'était pas le fils d'une Garde des Sceaux ni d'un président de la République.
C'est vrai que c'est très choquant et très douloureux au vu des conditions de sa mort.
Je présente mes condoléances les plus sincères à tous les siens.

Écrit par : solko | vendredi, 18 juillet 2014

Tout cela est profondément triste et révoltant à la fois...
"On ne commente pas une décision de justice" disent-ils, les salauds...
Ecoeurement. Si, on commente. Qui nous l'interdirait ?

"Le Tour est joli parce que la France est jolie", dsiez-vous. Oui.
Le Tour des paysages et des senteurs, du sud au nord et d'ouest en est.
J'ai beaucoup aimé cela...

Écrit par : Bertrand | vendredi, 18 juillet 2014

"laissé libre avec ouverture d'information" mais que veulent-ils de plus les juges, les faits sont là, terribles et implacables. On a envie de hurler et on se sent impuissant.
Ca me fait du bien de le dire sur votre blog...

Écrit par : Anne.D | vendredi, 18 juillet 2014

Horrifiant, les cas de ce genre ne sont pas rares, hélas, dans notre pays pinardier.

Écrit par : Julie | lundi, 21 juillet 2014

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